Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux demandes, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la réduction des cotisations primitives d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2016, 2017 et 2019, en conséquence de l'exonération de ses revenus à hauteur, respectivement, de 156 765 euros, 90 863 euros et 113 114 euros.
Par ordonnance du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis les demandes de M. B... au tribunal administratif de Nîmes en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1925886, 2120439 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 août 2022, le 5 septembre 2023 et le 5 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Bieler, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la réduction des cotisations primitives d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2016, 2017 et 2019, en conséquence de l'exonération de ses revenus à hauteur, respectivement, de 156 765 euros, 90 863 euros et 113 114 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, qu'il remplit, au titre des années en litige et tant au regard de la loi que de la doctrine administrative, les conditions de l'article 81 A du code général des impôts, en particulier celle tenant au lieu d'établissement de l'employeur, et qu'il a ainsi droit au bénéfice de l'exonération qu'elles instituent.
Par des mémoires en défense, enregistré le 2 janvier 2023, le 29 septembre 2023 et le 18 octobre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 6 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 octobre 2023.
Un mémoire présenté pour M. B... a été enregistré le 26 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chalbos,
- les conclusions de M. Clen, rapporteur public,
- et les observations de Me Bieler, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., résident fiscal en France, a fait l'objet d'une imposition commune avec sa compagne au titre de leurs revenus des années 2016, 2017 et 2019. Estimant pouvoir bénéficier de l'exonération de ses propres revenus en application de l'article 81 A du code général des impôts, M. B... a présenté plusieurs réclamations auprès de l'administration fiscale, qui les a rejetées. Il fait appel du jugement du 1er juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes, initialement présentées devant le tribunal administratif de Toulouse, tendant à la réduction de ses cotisations primitives d'impôt sur le revenu au titre des années 2016, 2017 et 2019.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 81 A du code général des impôts : " I. - Les personnes domiciliées en France au sens de l'article 4 B qui exercent une activité salariée et sont envoyées par un employeur dans un Etat autre que la France et que celui du lieu d'établissement de cet employeur peuvent bénéficier d'une exonération d'impôt sur le revenu à raison des salaires perçus en rémunération de l'activité exercée dans l'Etat où elles sont envoyées. / L'employeur doit être établi en France ou dans un autre Etat membre de l'Union européenne, ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. / L'exonération d'impôt sur le revenu (...) est accordée si les personnes justifient remplir l'une des conditions suivantes : / (...) 2° Avoir exercé l'activité salariée dans les conditions mentionnées aux premier et deuxième alinéas : / - soit pendant une durée supérieure à cent quatre-vingt-trois jours au cours d'une période de douze mois consécutifs lorsqu'elle se rapporte aux domaines suivants : / a) Chantiers de construction ou de montage, installation d'ensembles industriels, leur mise en route, leur exploitation et l'ingénierie y afférente ; / b) Recherche ou extraction de ressources naturelles (...) ".
3. Pour l'application de ces dispositions, la circonstance qu'une personne ayant son domicile fiscal en France soit formellement liée par un contrat de travail avec une société établie, tout à la fois, hors de France, d'un autre Etat membre de l'Union européenne et d'un autre Etat membre de l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative ne suffit pas, à elle seule, à exclure que cette personne puisse se trouver dans une relation de subordination à l'égard d'un employeur établi en France, dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat membre de l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative. Dans une telle hypothèse, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'une argumentation en ce sens, de rechercher si, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce et des justifications produites par le salarié, celui-ci peut être regardé comme ayant été envoyé, pour l'exercice de son activité salariée, par un employeur établi en France, au sein d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat membre de l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative, dans un Etat autre que la France et que celui du lieu d'établissement de cet employeur et, par suite, comme relevant du champ d'application de l'exonération prévue au I de l'article 81 A du code général des impôts.
4. M. B... soutient que, bien qu'étant en apparence recruté par la société Technip Singapour, filiale du groupe Technip FMC, il est en réalité employé par celui-ci au travers de deux filiales britanniques, la société Technip UK et la société Technip Offshore Manning Services. De telles allégations sont étayées par des documents internes de la société Technip FMC, qui présentent l'organisation retenue pour permettre au groupe d'échapper au paiement, pour les emplois offshores, de la contribution à l'assurance nationale instituée par la législation britannique, et d'économiser ainsi plusieurs millions de livres sterling par an. Cette organisation prévoit que la société Technip Singapour emploie l'équipe offshore et sous-traite les aspects administratifs et la gestion des ressources humaines à la société Technip Offshore Manning Services. Elle prévoit également que la société Technip Singapour verse les rémunérations à ses employés mais refacture les coûts salariaux à la société Technip UK, à qui elle met l'équipe à disposition. La société Technip UK assure, quant à elle, la relation avec les clients finaux et le suivi du travail de l'équipe offshore sur les projets. La réalité de ce montage est également confortée par des messages électroniques adressés à M. B... par le représentant d'un syndicat du secteur, qui abondent en ce sens. Les organigrammes du groupe Technip FMC produits par M. B... font d'ailleurs apparaître plusieurs postes dont les intitulés traduisent la présence d'une équipe au Royaume-Uni dédiée au management du personnel offshore.
5. Il résulte par ailleurs de l'instruction que les contrats de travail de M. B..., bien que conclus avec la société TPS et signés par un représentant de cette dernière, sont préparés et lui sont adressés pour signature, depuis le Royaume-Uni, par un employé de la société Technip Offshore Manning Services. L'exemplaire du contrat conclu en 2015, produit par M. B..., se borne, pour l'essentiel, à fixer des clauses d'ordre général, et précise que la description du travail et des responsabilités sera donnée à l'employé dans le cadre du système de management offshore du groupe, auquel il lui appartient de se familiariser. Le contrat conclu en 2017 indique quant à lui explicitement que les missions de travail lui seront confiées par la société Technip Offshore Manning Services, qui en gère la planification, de même que l'organisation de ses déplacements et de sa formation, la gestion de son dossier, et à qui il convient de s'adresser en cas d'empêchement de travailler pour raison de santé. Les contrats prévoient de surcroît que M. B... est soumis au droit britannique, notamment en matière de réglementation du temps de travail, ainsi qu'aux juridictions anglaises. M. B... produit en outre de nombreux messages électroniques échangés avec des membres de la société Technip Offshore Manning Services ou travaillant pour le compte du groupe Technip FMC, dont il ressort que le requérant s'adresse à des personnes situées pour la quasi-totalité à Aberdeen au Royaume-Uni pour les questions relatives à sa formation, ses dépenses de santé ou encore ses congés. C'est également depuis le Royaume-Uni que lui sont adressés ses convocations aux missions, ses documents et consignes de voyage, ainsi que ses instructions et appréciations de travail. De même, M. B... s'adresse à ses interlocuteurs au Royaume-Uni pour la transmission de rapports d'incidents au cours de ses opérations. Enfin, il résulte de l'instruction que son évaluation professionnelle au titre de l'année 2015-2016 a été effectuée par la société Technip Offshore Manning Services. Si l'administration fait valoir en défense que plusieurs des pièces produites par M. B... ne se rapportent pas aux années en litige voire que certaines années ne sont pas suffisamment documentées, une telle circonstance n'est pas de nature à priver de pertinence les éléments rassemblés par M. B..., dès lors qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'attestation établie par le groupe le 29 août 2023 et relative à son historique de travail que sa situation professionnelle est la même depuis le 7 mars 2015.
6. Dans ces conditions, M. B... rapporte la preuve que son réel employeur n'est pas la société Technip Singapour avec laquelle il signe ses contrats de travail, mais les sociétés Technip UK et Technip Offshore Manning Services, filiales du groupe Technip TMC toutes deux situées au Royaume-Uni, et qui exercent à son égard les prérogatives de l'employeur. Il est par suite fondé à soutenir qu'il devait être regardé, au titre des années en litige, antérieures au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, comme travaillant pour le compte d'un employeur établi dans un Etat membre de l'Union européenne, et qu'il pouvait ainsi prétendre, dès lors qu'il est constant que les autres conditions en étaient remplies, au bénéfice de l'exonération des revenus correspondants prévue par l'article 81 A du code général des impôts.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la réduction des cotisations primitives d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2016, 2017 et 2019, résultant du bénéfice de l'exonération prévue par l'article 81 A du code général des impôts.
Sur les frais liés au litige :
8. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. B... au titre des frais exposés par ce dernier et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : Les bases d'imposition à l'impôt sur le revenu de M. B... au titre des années 2016, 2017 et 2019 sont réduites, respectivement, des sommes de 156 765 euros, 90 863 euros et 113 114 euros.
Article 3 : M. B... est déchargé de la différence entre l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre des années 2016, 2017 et 2019 et celui qui résulte de l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Barthez, président,
Mme Restino, première conseillère,
Mme Chalbos, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.
La rapporteure,
C. Chalbos
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL21850