La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/07/2023 | FRANCE | N°22VE00442

France | France, Cour administrative d'appel, Formation plénière, 17 juillet 2023, 22VE00442


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La Confédération Générale du Travail, la Confédération Générale du Travail Force ouvrière, et l'Union syndicale Solidaires ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'État à leur verser chacune la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi par les salariés qu'elles représentent du fait de la non-conformité du code du travail au droit de l'Union européenne, et de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'artic

le L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n°1606005 du 24 avril...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Confédération Générale du Travail, la Confédération Générale du Travail Force ouvrière, et l'Union syndicale Solidaires ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'État à leur verser chacune la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi par les salariés qu'elles représentent du fait de la non-conformité du code du travail au droit de l'Union européenne, et de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1606005 du 24 avril 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 17VE02125 du 30 juin 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par ces unions syndicales contre ce jugement.

Par une décision n° 443511 du 15 décembre 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 30 juin 2020 et a renvoyé l'affaire devant la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 30 juin 2017 et le 26 septembre 2019, sous le n°17VE02125, et le 15 septembre 2022 sous le n° 22VE00442, la Confédération Générale du Travail, la Confédération Générale du Travail Force ouvrière, et l'Union syndicale Solidaires, représentés par la SCP Hélène Didier et François Pinet, avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 24 avril 2017 ;

2°) de condamner l'État à leur verser chacune la somme de 50 000 euros, en réparation de leur préjudice ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement à chacune de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- des organisations syndicales ont qualité pour agir et obtenir réparation d'une atteinte indirecte à l'intérêt collectif de la profession par l'indemnisation d'un préjudice moral, qui est consubstantiel de la violation invoquée ;

- elles ont un droit à réparation s'agissant d'un dommage résultant du défaut de transposition du droit de l'Union européenne en droit français, le délai de transposition de l'article 7 de la directive 93/104 codifié par la directive 2003/88/CE, et celui de la directive 96/634/CE à laquelle est annexé l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES étant dépassé ; ce retard a causé un préjudice moral à l'ensemble des salariés représentés par les syndicats ; l'article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 7 paragraphe 1 de la directive 2003/88/CE sont méconnus par les articles L. 3141-5, et notamment son 5°, L. 3141-3, seul et combiné à l'article L. 3141-12, et L. 3141-26 du code du travail et par le droit du travail en tant qu'il prive le salarié qui tombe malade durant ses congés payés de son droit à bénéficier ultérieurement de ce congé ; la clause 2, point 6, de l'accord-cadre sur le congé parental annexé à la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES est méconnue par les dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-12 du code du travail ;

- une indemnisation de 50 000 euros chacune est justifiée eu égard, d'une part, à l'étendue du préjudice subi résultant du manquement répété imputable à l'Etat et, d'autre part, à l'audience des syndicats représentés ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que leur demande devait démontrer un caractère réel et certain du montant du préjudice, alors que, si le juge administratif reconnaît l'existence de la responsabilité et le préjudice, il ne peut rejeter une telle demande pour défaut de justification du montant ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que le préjudice moral ne se déduisait pas de la carence fautive de l'État, alors qu'elles représentent l'intérêt collectif des salariés et que la méconnaissance du droit aux congés payés issu du droit de l'Union européenne leur cause nécessairement un préjudice ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que les sommes demandées n'étaient pas justifiées, alors que la méconnaissance du droit de l'Union européenne a duré seize ans et justifie le montant de 50 000 euros chacune qu'elles demandent.

Le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion n'a pas produit d'observation.

Par ordonnance du 11 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 31 octobre 2022, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 ;

- la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 ;

- la directive 2003/88/CE du parlement européen et du conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mauny,

- et les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La Confédération Générale du Travail, la Confédération Générale du Travail Force ouvrière et l'Union syndicale Solidaires ont demandé au Premier ministre, par un courrier du 23 juin 2016, de les indemniser du préjudice causé aux intérêts des salariés qu'elles représentent du fait de l'atteinte portée par la loi française au droit aux congés payés des salariés garanti par le droit de l'Union européenne, et en particulier par les articles 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et 7 de la directive 93/104 du Conseil, codifiée par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. Leur demande a été implicitement rejetée. Par un jugement n° 1606005 du 24 avril 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la Confédération Générale du Travail, de la Confédération Générale du Travail Force ouvrière et de l'Union syndicale Solidaires tendant à ce que la somme de 50 000 euros leur soit versée à chacune en réparation du préjudice moral résultant du retard dans la transposition complète des dispositions du paragraphe 1 de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Par un arrêt n° 17VE02125 du 30 juin 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par ces unions d'organisations syndicales contre ce jugement. Par une décision n° 443511 du 15 décembre 2021, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour du 30 juin 2020 et lui a renvoyé l'affaire.

Sur la responsabilité :

2. La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France.

3. La transposition en droit interne des directives européennes, qui est une obligation résultant du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, revêt, en outre, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle. Il appartient dès lors au juge national, juge de droit commun de l'application du droit de l'Union européenne, de garantir l'effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités publiques.

4. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, qui reprend les termes de l'article 7 de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 dont la directive 2003/88/CE procède à la codification : " Congé annuel 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. ". Aux termes de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " (...) 2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés. ".

5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et notamment de ses arrêts du 20 janvier 2009 ( C-350/06 et C-520/06, Schultz-Hoff et autres) et du 24 janvier 2012 ( C-282/10, B... C...), que le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l'Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, codifiée par la directive 2003/88/CE. Il en résulte également, et en particulier d'un arrêt du 26 juin 2001 (C 173/99 Broadcasting, Entertainment, Cinematographic and Theatre Union) que la directive doit être interprétée en ce sens, d'une part, qu'elle fait obstacle à ce que les États membres limitent unilatéralement le droit au congé annuel payé conféré à tous les travailleurs, en appliquant une condition d'ouverture de ce droit qui aurait pour effet d'exclure certains travailleurs du bénéfice de ce dernier et, d'autre part, qu'elle s'oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale pendant la période de référence. Le délai de transposition de l'article 7 de la directive 2003/88/CE, qui procède à la codification de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 dont le délai de transposition expirait le 23 novembre 1996, expirait lui-même le 23 mars 2005. Le droit au congé payé est par ailleurs consacré à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, à laquelle l'article 6, paragraphe 1, du traité sur l'Union européenne reconnaît la même valeur juridique que les traités. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne par un arrêt du 6 novembre 2018 (C-569/ 16 Stadt Wuppertal c/ Bauer et C- 570/16 Willmeroth c. Brossonn), l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne se suffit à lui-même pour conférer aux travailleurs un droit invocable en tant que tel dans un litige qui les oppose à leur employeur dans une situation couverte par le droit de l'Union et relevant, par conséquent, du champ d'application de la Charte.

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date du présent arrêt : " Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : 1° Les périodes de congé payé ; / 2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant et d'adoption ; /3° Les contreparties obligatoires sous forme de repos prévues aux articles L. 3121-30, L. 3121-33 et L. 3121-38 ; /4° Les jours de repos accordés au titre de l'accord collectif conclu en application de l'article L. 3121-44 ; /5° Les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;/ 6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque. ".

7. D'une part, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé notamment le 24 janvier 2012 , dans l'affaire C 282/10, Mme B... C... contre Centre informatique du Centre Ouest Atlantique, préfet de la région Centre, que " s'agissant de travailleurs en congé de maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut pas être subordonné par un État membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État ". Il résulte de l'instruction, sans que cela soit contesté par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a produit aucune observation à un quelconque stade de la procédure, que le 5° de l'article L. 3141-5 du code du travail, qui assimile à des périodes de travail effectif " Les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle", fait obstacle à ce qu'un salarié bénéficie d'au moins quatre semaines de congé annuel payé au-delà d'une année qu'il a passée de façon ininterrompue en situation de congé maladie d'origine non professionnelle ou de congé pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle. Ce faisant, le 5° de l'article L. 3141-5 du code du travail applique une condition d'ouverture du droit au congé payé qui a pour effet d'exclure certains travailleurs du bénéfice de ce dernier. Ceci a pour effet de rendre cette disposition incompatible, dans cette mesure, avec les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE, qui doivent être interprétées strictement.

8. D'autre part, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé dans l'affaire Mme B... C... contre Centre informatique du Centre Ouest Atlantique, préfet de la région Centre au point 6 ci-dessus, que " la directive 2003/88 n'opérant aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période (voir arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, point 40), il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé de maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut pas être subordonné par un État membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État. De telles dispositions sont incompatibles, dans cette mesure, avec les stipulations citées plus haut du paragraphe 1 de l'article 7 de la directive n° 2003/88/CE, qui font obstacle à toute distinction en fonction de l'origine de l'absence du travailleur en congé de maladie, dûment prescrit ". Dès lors qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 3141-3, y compris dans leur rédaction en vigueur à la date du présent arrêt, et L. 3141-5 du code du travail, que ne sont pas considérées comme des périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé payé les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause de maladie d'origine non professionnelle, et qu'elles procèdent ce faisant à une distinction entre les périodes de suspension du contrat du travail selon leur origine professionnelle ou non-professionnelle, le 5° de l'article L. 3141-5 du code du travail introduit une restriction à la naissance du droit au congé payé pourtant garanti par l'article 7 de la directive 2003/88/CE.

9. Les requérantes sont donc fondées à soutenir que les dispositions du 5° de l'article L. 3141-5 du code du travail sont, en tant qu'elles introduisent les restrictions exposées aux points 7 et 8 du présent arrêt, incompatibles avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, à la date du présent arrêt.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, régissant les salariés présents à l'effectif d'une entreprise avant l'entrée en vigueur des modifications apportées à cet article par la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 applicables aux salariés présents à l'effectif de l'entreprise à compter du 1er juin 2012, conformément au II de l'article 50 de ladite loi, " Le salarié qui justifie avoir travaillé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum de dix jours de travail effectif a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail.(...) ".

11. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé dans l'affaire Mme B... C... contre Centre informatique du Centre Ouest Atlantique, préfet de la région Centre citée au point 7 ci-dessus que " le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut pas être subordonné par un État membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État (arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, point 41). Il découle de ce qui précède que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale de dix jours ou d'un mois pendant la période de référence ". En imposant un temps de travail effectif minimum de dix jours, les dispositions précitées de l'article L. 3141-3 du code du travail n'ont pas permis à l'ensemble des salariés d'une entreprise de bénéficier du droit au congé payé d'au moins quatre semaines et ont donc apporté des restrictions au droit au congé payé incompatibles avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et contraires à l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et ce jusqu'à l'application de la version du même article résultant de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 3141-26 du code du travail, dans sa rédaction applicable jusqu'au 4 mars 2016, avant que ne prenne effet la déclaration d'inconstitutionnalité des mots " dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié " prononcée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016 : " Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d'après les dispositions des articles L. 3141-22 à L. 3141-25./ L'indemnité est due dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié, que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur./ Cette indemnité est également due aux ayants droit du salarié dont le décès survient avant qu'il ait pris son congé annuel payé. L'indemnité est versée à ceux des ayants droit qui auraient qualité pour obtenir le paiement des salaires arriérés. ".

13. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé dans des affaires jointes C-569/16 et C-570/16 du 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal contre Maria Elisabeth Bauer (C-569/16), et Volker Willmeroth, en sa qualité de propriétaire de TWI Technische Wartung und Instandsetzung Volker Willmeroth eK contre Martina Broßonn (C-570/16)que " Le paiement du congé prescrit à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 vise à permettre au travailleur de prendre effectivement le congé auquel il a droit (arrêt du 16 mars 2006, Robinson-Steele e.a., C-131/04 et C-257/04, EU:C:2006:177, point 49). " et que l'article 7, paragraphe 2 précité " ne pose aucune condition à l'ouverture du droit à une indemnité financière autre que celle tenant au fait, d'une part, que la relation de travail a pris fin et, d'autre part, que le travailleur n'a pas pris tous les congés annuels payés auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2014, Bollacke, C-118/13, EU:C:2014:1755, point 23). Ainsi le motif pour lequel la relation de travail a pris fin n'est pas pertinent pour le droit à une indemnité financière prévu à l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15, EU:C:2016:576, point 28) ". Il suit de là qu'en limitant le bénéfice pour tout salarié du droit au congé payé, en excluant ceux dont le contrat a été rompu pour faute lourde, l'article L. 3141-26 du code du travail, dans sa rédaction applicable jusqu'au 4 mars 2016, a apporté des restrictions au droit au congé payé qui sont incompatibles avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE.

14. Enfin les organisations requérantes soutiennent que le droit du travail méconnait les dispositions précitées du droit de l'Union européenne en tant, d'une part, que les articles L. 3141-3 et L. 3141-12 du code du travail, dans leur version applicable à la date du présent arrêt et telles qu'interprétées par la Cour de cassation, privent les salariés faisant usage de leur droit au congé parental de l'exercice de leurs droits à congé payé acquis durant l'année précédant la naissance de leur enfant au terme de ce congé, et en tant, d'autre part, qu'un salarié qui tombe malade durant ses congés payés ne peut pas exiger de prendre ultérieurement le congé dont il n'a pas pu bénéficier du fait de son arrêt de travail. Toutefois l'incompatibilité dont elles se prévalent procède, selon leurs propres écritures, de décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation et notamment des arrêts rendus sur les pourvois n° 01-46314 du 28 janvier 2004 et n° 93-44907 du 4 décembre 1996, lesquels ne mentionnent ou ne visent, au surplus, que les dispositions de l'article L. 223-7 du code du travail applicables aux litiges en cause et abrogées par l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007. Les organisations requérantes ne développent aucune critique précise des dispositions du code du travail applicables depuis l'expiration du délai de transposition de l'article 7 de la directive 2003/88/CE, ou même de celui de la directive 93/104/CE, mais se bornent à contester l'interprétation du code du travail à laquelle se livre la Cour de cassation dans les décisions précitées, lesquelles sont au demeurant antérieures à la décision C-282/10 du 24 janvier 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne invitant les juridictions nationales à neutraliser les dispositions nationales incompatibles avec la directive 2003/88/CE. Les requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que les dispositions du code du travail limiteraient ou auraient limité le droit des salariés faisant usage de leur droit au congé parental de bénéficier de leurs droits à congé payés acquis durant l'année précédant la naissance de leur enfant au terme de ce congé, pas plus que celui d'un salarié qui tombe malade durant ses congés payés d'exiger de prendre ultérieurement ledit congé. Elles ne justifient donc pas, s'agissant de ces situations, d'une méconnaissance par le code du travail de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et de son incompatibilité avec l'article 7 de la directive n° 2003/88/CE et la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996 concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES.

15. Il résulte néanmoins de tout ce qui précède que les requérantes sont fondées à soutenir que l'article 7 de la directive 2003/88/CE, codifiant l'article 7 de la directive 93/104/CE, n'a pas été totalement transposé par les dispositions législatives du code du travail, qui laisse ou a laissé subsister des dispositions incompatibles vis-à-vis de cet article comme de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Un tel retard de transposition est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat en réparation du préjudice moral subi de ce fait par les salariés que représentent les organisations syndicales requérantes.

Sur le préjudice :

16. Aux termes de l'article L. 2131-1 du code du travail : " Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts ". L'article L. 2132-3 du même code dispose que : " Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. / Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. " Aux termes de l'article L. 2133-3 de ce code : " Les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels par le présent titre ".

17. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 2131-1 et L. 2132-3 du code du travail que tout syndicat professionnel peut demander, devant le juge administratif, réparation du préjudice résultant de l'atteinte portée, du fait d'une faute commise par l'administration, à l'intérêt collectif que la loi lui donne pour objet de défendre, dans l'ensemble du champ professionnel et géographique qu'il se donne pour objet statutaire de représenter. En application de l'article L. 2133-3 du même code, il en va de même d'une union de syndicats, sauf stipulations contraires de ses statuts.

18. Il ressort de l'instruction que la Confédération Générale du Travail a pour objet, aux termes de l'article 1er de ses statuts adoptés en avril 2016, de défendre avec les salariés, actifs, personnes privées d'emploi et retraités leurs droits et intérêts professionnels, moraux et matériels, sociaux et économiques, individuels et collectifs, le même article prévoyant également que l'action syndicale revêt des formes diverses. La Confédération Générale du Travail Force ouvrière, aux termes de ses statuts modifiés en juin 2007, a pour but de grouper toutes les organisations composées de salariés désireux de défendre leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels. Enfin l'Union syndicale Solidaires a pour objet, aux termes de l'article 2 de ses statuts modifiés en décembre 2012, de rassembler toutes les organisations syndicales la composant dans l'action collective pour la défense des revendications et renforcer la défense des intérêts des adhérents des syndicats ou des fédérations membres et de l'ensemble du monde du travail par tous les moyens. Eu égard à leur objet et à la circonstance que la méconnaissance du droit de l'Union européenne alléguée est susceptible d'avoir affecté n'importe quel salarié, ces organisations syndicales justifient d'un préjudice moral résultant de l'atteinte portée à l'intérêt collectif que la loi leur donne pour objet de défendre. Elles peuvent dès lors demander réparation du préjudice ainsi subi.

19. La Confédération Générale du Travail, la Confédération Générale du Travail Force ouvrière, et l'Union syndicale Solidaires demandent chacune le versement d'une somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral résultant de l'atteinte portée aux intérêts collectifs de leurs adhérents, en s'appuyant, pour déterminer ce montant, sur leur nombre d'adhérents et leur audience au niveau national et interprofessionnel. Eu égard au caractère diffus du préjudice invoqué et à sa limitation dans le temps par l'effet des décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, qui a interprété les dispositions du code du travail, lorsque c'était possible, dans un sens permettant de donner plein effet à l'article 7 de la directive 2003/88/CE ou les a laissées inappliquées à l'invitation de la Cour de justice de l'Union européenne, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral causé à l'ensemble des salariés qu'elles représentent en condamnant l'Etat à verser à chacune des requérantes la somme de 10 000 euros.

20. Il suit de là que la Confédération Générale du Travail, la Confédération Générale du Travail Force ouvrière, et l'Union syndicale Solidaires sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande. Elles sont, en revanche, seulement fondées à demander à l'Etat l'indemnisation de leur préjudice à hauteur de 10 000 euros chacune.

Sur les frais liés au litige :

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à chacune des organisations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1606005 du tribunal administratif de Montreuil du 24 avril 2017 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la Confédération Générale du Travail, à la Confédération Générale du Travail Force ouvrière et à l'Union syndicale Solidaires la somme de 10 000 euros, chacune, en réparation du préjudice moral collectif des salariés qu'elles représentent.

Article 3 : L'Etat versera à la Confédération Générale du Travail, à la Confédération Générale du Travail Force ouvrière et à l'Union syndicale Solidaires la somme de 1 500 euros, chacune, au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la Confédération Générale du Travail, de la Confédération Générale du Travail Force Ouvrière et de l'Union syndicale Solidaires est rejeté.

Article 5 : L'arrêt sera notifié à la Confédération Générale du Travail, à la Confédération Générale du Travail Force ouvrière, à l'Union syndicale Solidaires et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Olson, président de la Cour,

M. A..., premier vice-président, président de chambre,

Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,

M. Albertini, président de chambre,

Mme Besson- Ledey, présidente de chambre,

M. Camenen, président assesseur,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Dorion, présidente assesseure,

M. Mauny, président assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 juillet 2023.

Le rapporteur,

O. MAUNY

Le président de la Cour,

T. OLSON La greffière,

F. PETIT-GALLANDLa République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 22VE00442 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : Formation plénière
Numéro d'arrêt : 22VE00442
Date de la décision : 17/07/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Olivier MAUNY
Rapporteur public ?: Mme MOULIN-ZYS
Avocat(s) : SCP H. DIDIER - F. PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-07-17;22ve00442 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award