ARRÊT DU
05 JUILLET 2022
NE/CO**
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N° RG 21/00137 -
N° Portalis DBVO-V-B7F-C3MN
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[Y] [T]
C/
OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DU GERS (OPH)
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Grosse délivrée
le :
à
ARRÊT n° 82 /2022
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Sociale
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le cinq juillet deux mille vingt deux par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président assistée de Chloé ORRIERE, greffier
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
[Y] [T]
née le 29 novembre 1958 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 4]'
[Localité 2]
Représentée par Me Pierre THERSIQUEL, avocat inscrit au barreau du GERS
APPELANTE d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'AUCH en date du 03 février 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. F19/00013
d'une part,
ET :
L'OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DU GERS (OPH) pris en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Sylvia GOUDENÈGE-CHAUVIN, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN et par Me Marie MONROZIES substituant à l'audience Me Pauline DE SARS DE ROQUETTE, avocat plaidant inscrit au barreau de TOULOUSE
INTIMÉ
d'autre part,
A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 08 février 2022 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président de chambre et Nelly EMIN, conseiller, assistés de Chloé ORRIERE, greffier, les parties ayant été avisées de ce que l'arrêt serait rendu le 03 mai 2022, lequel délibéré a été prorogé ce jour par mise à disposition. Les magistrats en ont, dans leur délibéré rendu compte à la cour composée, outre eux-mêmes, de Benjamin FAURE, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés.
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FAITS ET PROCÉDURE
L'Office public de l'habitat du Gers est un Etablissement public industriel et commercial qui gère plusieurs milliers de logements sociaux sur l'ensemble du département du Gers. Son personnel est constitué d'une part de fonctionnaires relevant du statut général de la fonction publique territoriale, d'autre part de salariés de droit privé dont le contrat est régi par le code du travail, un décret du 8 juin 2011 et des accords d'entreprise.
Le 22 mars 2005, [Y] [T] a été embauchée par l'Office public d'habitat du Gers selon contrat à durée déterminée à temps complet en qualité d'adjoint administratif.
Ce contrat de travail a été prorogé à plusieurs reprises jusqu'au 7 mai 2008, date à laquelle [Y] [T] a signé un contrat à durée indéterminée prenant effet le 1er juin 2008, en qualité d'adjoint administratif du service 'entretien et maintenance du patrimoine' avec une rémunération mensuelle de 1 348,85 euros, assortie de diverses primes.
Dans le cadre de ces contrats à durée déterminée, [Y] [T] a été affectée à diverses tâches, tout d'abord de secrétariat et d'archivage, puis d'accueil standard puis à nouveau de secrétariat, avant d'être affectée à partir de janvier 2008 à la gestion locative, fonction l'amenant à établir et faire signer des contrats de location et à gérer les troubles de voisinage.
Exposant qu'à partir de l'année 2011 elle avait effectué le remplacement d'un technicien, Monsieur [K], sans que cela ne se traduise ni en termes de classification, ni en termes de rémunération, et ajoutant qu'à la suite de la réorganisation de l'Office intervenue le 1er septembre 2014 elle avait constaté qu'on lui avait retiré un certain nombre de tâches et de responsabilités et qu'on l'avait 'mise au placard' ce qui avait entraîné son placement en arrêt maladie à compter du 30 septembre 2014, [Y] [T] a saisi le 26 janvier 2015 le conseil des prud'hommes d'Auch pour se voir reconnaître la classification de technicien maintenance et obtenir paiement d'un rappel de salaire, outre le paiement d'heures supplémentaires et d'une indemnité pour harcèlement moral.
Parallèlement à cette procédure, [Y] [T] à repris le travail à mi-temps thérapeutique du 16 février 2015 au 30 août 2015 avant de reprendre à temps plein le 1er septembre 2015, suite à un avis d'aptitude délivré par la médecine du travail le 25 août 2015.
L'Office public de l'habitat du Gers s'est opposé aux demandes et par jugement en date du 14 septembre 2016, le conseil des prud'hommes du Gers a débouté [Y] [T] de l'intégralité de ses demandes, a dit n'y avoir lieu d'appliquer les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné [Y] [T] aux dépens d'instance.
Sur l'appel interjeté le 29 septembre 2016 par [Y] [T], la présente Cour, par arrêt du 4 décembre 2018 a confirmé ce jugement en ses dispositions déboutant Mme [T] de ses demandes en payement de rappel de salaire pour heures supplémentaires, mais l'a infirmé pour le surplus, et a :
1°) dit que l'emploi exercé par Mme [T] à compter d'avril 2011 doit être classé dans la catégorie 'technicien de maintenance, niveau 2, échelon 1" de la classification des emplois annexée à l'accord d'entreprise signé le 30 septembre 2010 ;
2°) condamné l'Offfice Public de l'Habitat du Gers à payer à [Y] [T] les sommes de :
- 6 116, 18 euros à titre de rappel de salaire et de 611,61 à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents pour la période de janvier 2012 à décembre 2014 ;
- 3 698, 88 euros à titre de rappel de salaire et de 369,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents pour l'année 2015 ;
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts , en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral ;
- 3000 euros à titre d'indemnité de procédure ;
3°) débouté les parties du surplus de leurs prétentions.
Sur requête en rectification de cet arrêt déposée par [Y] [T], la Cour, par arrêt du 3 décembre 2019 a énoncé 'que l'arrêt du 4 décembre 2018 précise en son dispositif que l'emploi exercé par la salariée doit être classé dans la catégorie technicien de maintenance à compter d'avril 2011 - c'est à dire à partir d'avril 2011 - sans fixer aucun terme à cette classification, ce qui signifie nécessairement qu'elle a vocation à s'appliquer à compter d'avril 2011 et pour l'avenir, étant observé que seuls une nouvelle décision judiciaire ou un avenant contractuel postérieur à l'arrêt sont susceptibles de permettre une révision de cette modification judiciaire du contrat de travail de l'intéressée'.
Par requête enregistrée au greffe le 19 février 2019, [Y] [T] a saisi à nouveau le CPH d'Auch pour :
- solliciter la condamnation de l'Office public de l'habitat du Gers à lui payer les sommes de 3105,35 euros bruts à titre de rappel de salaire pour l'année 2016, 3174, 40 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2017, 3120 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2018, les congés payés afférents ;
- voir dire et juger qu'à compter de janvier 2019 son salaire sera celui de technicien, catégorie II, niveau II, échelon 8 soit 2393,70 euros bruts ;
- solliciter la condamnation de l'Office public de l'habitat du Gers à lui payer la somme de 22 000 euros en réparation du préjudice moral infligé depuis le mois de décembre 2018 dans le cadre du harcèlement moral et celle de 45 000 euros en réparation du préjudice moral infligé au titre de la discrimination sexiste dont elle a été l'objet du fait de son absence d'avancement.
Par jugement de départage en date du 3 février 2021, le CPH d'Auch a :
- déclaré [Y] [T] irrecevable en ses demandes de rappel de salaire et congés payés pour la période antérieure au 19 février 2016 en raison de la prescription triennale, irrecevable en ses demandes de rappel de salaire pour les années 2016, 2017 et 2018 en raison du principe de l'unicité de l'instance, irrecevable en sa demande de dommages et intérêts pour discrimination sexiste en raison du principe de l'unicité de l'instance ;
- débouté [Y] [T] du surplus de ses demandes et condamné celle-ci aux dépens et au payement d'une indemnité de procédure de 1 000 euros ;
- constaté que l'Office public de l'habitat du Gers a procédé au règlement des rappels de salaire dus en exécution de l'arrêt du 3 décembre 2019, à hauteur de 2 245,09 euros.
Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 16 février 2021, [Y] [T] a relevé appel de l'intégralité des dispositions de ce jugement, dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas critiquées.
La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 2 décembre 2021.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
I. Moyens et prétentions de [Y] [T], appelante principale
Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la Cour le 30 novembre 2021, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelante, [Y] [T] conclut à l'infirmation du jugement et demande à la Cour :
1°) de déclarer ses demandes recevables en faisant valoir :
- que la présente instance, introduite après le 1er août 2016 n'est pas soumise au principe de l'unicité de l'instance ;
- que le refus du règlement des salaires 2016, 2017 et 2018, qui constitue le fondement de ses prétentions, n'a été révélé que postérieurement à la clôture de la première instance devant la Cour d'appel, le 5 octobre 2017 ;
- qu'elle a saisi le conseil des prud'hommes d'Auch le 19 février 2019 et qu'elle est en droit, en application de l'article L.3245-1 du code du travail, de solliciter les sommes dues à titre de rappel de salaire à compter du 19 février 2016 ;
2°) de condamner l'Office public de l'habitat du Gers à lui payer les sommes de 2 716,85 euros à titre de rappel de salaire et 271, 69 euros à titre de rappel de congés payés pour l'année 2016 ; 3 174 euros à titre de rappel de salaire et 317,40 euros à titre de rappel congés payés pour l'année 2017 ; 3120 euros à titre de rappel de salaire et 312 euros à titre de rappel de congés payés pour l'année 2018 ; en exposant :
- que l'Office public de l'habitat du Gers a admis implicitement qu'elle avait bien le statut de technicien de maintenance à compter du 1er avril 2011, acquiesçant à l'arrêt du 3 décembre 2019 ;
- qu'il a été définitivement jugé par la Cour qu'elle est technicienne de maintenance depuis avril 2011 et qu'elle n'a pas à subir une rétrogradation dans ses fonctions, en l'absence de procédure disciplinaire ou d'avenant ;
- qu'elle est donc en droit d'obtenir payement de ces rappels de salaire et de congés payés ;
3°) de dire et juger qu'à compter de 2011 jusqu'à décembre 2018, compte tenu de l'ancienneté dans l'échelon de technicien, le salaire de [Y] [T] au 1er janvier 2019 sera technicien catégorie II niveau II échelon 8 soit un brut mensuel de 2 393,70 euros, actualisé en décembre 2019 ;
4°) de condamner l'Office public de l'habitat du Gers à lui payer la somme de 22 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral infligé depuis le mois de décembre 2018 dans le cadre du harcèlement moral persistant du fait de la maltraitance psychologique due aux agissements répétés de l'Office en soutenant :
- que postérieurement au 4 décembre 2018 elle a été mise au placard comme jamais auparavant au sein de l'entreprise, sans lui donner du travail ;
- que l'Office ne le conteste même pas, faisant état d'allégations vagues mais ne les arguant pas d'inexactes ;
- que victime de harcèlement moral par mise au placard alors qu'elle bénéficiait d'un mi-temps thérapeutique sur recommandation du médecin du travail, elle est fondée à réclamer une indemnité de 22 000 euros ;
5°) de condamner l'Office public de l'habitat du Gers à lui payer la somme de 45 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral infligé au titre de la discrimination sexiste dont elle a été l'objet du fait de son absence d'avancement par rapport à ses collègues hommes ;
6°) de condamner l'Office public de l'habitat du Gers aux entiers dépens et à lui payer une indemnité de procédure de 6 000 euros.
II. Moyens et prétentions de l'Office public de l'habitat du Gers, intimé
Selon dernières écritures enregistrées au greffe le 1er décembre 2021, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimé , l'Office public de l'habitat du Gers conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de [Y] [T] aux dépens et au payement d'une indemnité de procédure de 3 000 euros en faisant valoir :
1°) que la demande en payement de rappels de salaire se heurte à la prescription triennale pour la période antérieure au 19 février 2016 ;
2°) qu'en raison du principe de l'unicité de l'instance les demandes de rappel de salaire et congés-payés pour les années 2016, 2017 et 2018 et la demande en dommages et intérêts pour discrimination sexiste (liée à l'évolution de carrière plus rapide de MM. [L] et [N]) sont irrecevables, cette fin de non-recevoir pouvant être soulevée en tout état de procédure ;
3°) qu'elle a procédé au règlement des rappels de salaires dus en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel du 3 décembre 2019 à hauteur de 2 245,09 euros ;
4°) que Mme [T] ne peut revendiquer une classification en qualité de technicienne de maintenance pour l'avenir à compter de 2016 faute d'avoir effectivement et réellement exercé ces fonctions à compter de sa reprise au mois de janvier 2015, elle même ayant reconnu qu'elle n'exerçait plus les fonctions de technicienne depuis 2014 ; qu'elle a signé le 7 mai 2018 et le 11 mars 2019 deux avenants à son contrat de travail, sans la moindre observation ou réserve ;
5°) que Mme [T] ne peut revendiquer des rappels de salaire au cours de périodes où son contrat de travail était suspendu et où elle n'a réalisé aucune prestation de travail ;
6°) que Mme [T] omet sciemment d'indiquer qu'elle a perçu des indemnités journalières de la sécurité sociale, complétées par l'Office, qui ne saurait en toute hypothèse être condamnée qu'à verser le complément employeur, et que si la Cour devait faire droit aux demandes de la salariée, elle constaterait qu'à titre subsidiaire le rappel de salaire ne pourra excéder la somme de 5740,54 euros ;
7°) que la demande en dommages et intérêts pour préjudice moral dans le cadre du harcèlement moral n'est pas fondée et traduit la tentative de [Y] [T] de battre monnaie, alors qu'elle se contente d'allégations, sans produire aucune pièce susceptible de les étayer, et qu'il est difficile de se prétendre harcelé lorsqu'on n'est présente que très épisodiquement au travail (29 jours de décembre 2018 à septembre 2019).
MOTIVATION
I. SUR LA DEMANDE EN PAYEMENT DE RAPPEL DE SALAIRES
A. Sur la recevabilité de l'action
1. Sur la prescription triennale
A titre liminaire il convient de rappeler qu'aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en payement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l'exercer, c'est à dire à compter de la date à laquelle les salaires sont dus, le dernier jour du délai étant celui qui porte le même quantième que le jour du point de départ du délai.
Le point de départ du délai de prescription est le jour où la créance salariale est devenue exigible, la date d'exigibilité correspondant à la date habituelle de payement des salaires au sein de l'entreprise, et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.
Mme [T] étant payée au mois et la présente procédure ayant été introduite par requête de Mme [T] enregistrée au greffe du conseil des prud'hommes d'Auch le 19 février 2019, les premiers juges ont justement retenu que la demande était prescrite pour les rappels de salaire antérieurs au 19 février 2016.
2. Sur le principe de l'unicité d'instance
L'article R.1452-6 du code du travail dans sa version antérieure au décret n°016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, prévoyait que :
'Toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance.
Cette règle n'est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes'.
Ce principe de l'unicité de l'instance imposait le regroupement de toutes les demandes dont le fondement était né et connu avant l'extinction de la première instance engagée.
En application de ce texte, une instance ne pouvait être engagée postérieurement à une première procédure prud'homale que lorsque le fondement des nouvelles prétentions est né ou s'est révélé après l'extinction de l'instance primitive. Il en résultait qu'étaient recevables les demandes formées dans une nouvelle procédure dès lors que leur fondement était né après la clôture des débats de l'instance antérieure.
L'article 8 du décret du 20 mai 2016, qui a abrogé l'ancien article R.1452-6 du code du travail qui posait le principe de l'unicité de l'instance prud'homale, a été rendu applicable par l'article 45 du décret 'aux instances introduites devant le conseil de prud'hommes à compter du 1er août 2016".
Si le principe de l'unicité de l'instance a été abrogé par l'article 8 du décret du 20 mai 2016 pour les instances introduites devant les conseils de prud'hommes à compter du 1er août 2016, cette abrogation ne peut aboutir à rendre recevables des demandes qui, au jour de l'entrée en vigueur du dit décret, étaient irrecevables, une loi nouvelle ne pouvant, conformément à l'article 2 du code civil, modifier les effets légaux d'une situation juridique définitivement réalisée lors de son entrée en vigueur.
En l'espèce, la présente instance porte pour partie sur des créances salariales nées avant la clôture des débats dans le cadre de l'instance qui a pris fin par l'arrêt du 4 décembre 2018, clôture des débats qui date du 15 mai 2018 selon mention portée dans le dit arrêt, étant rappelé que c'est à la date d'exigibilité du salaire que le salarié a connaissance de l'insuffisance de sa rémunération, lui ouvrant droit à une action en payement du montant demeuré impayé.
Ayant omis de former dans le cadre de la première procédure, engagée le 26 janvier 2015, avant abrogation de l'article R.1452-6 et donc soumise au principe de l'unicité de l'instance, une demande portant sur la partie de sa créance salariale dont le fondement était né avant la clôture des débats, Mme [T] ne peut réintroduire une nouvelle procédure pour obtenir paiement de rémunérations échues antérieurement au 15 mai 2018.
Seules apparaissent donc recevables les demandes portant sur des salaires exigibles postérieurement au 15 mai 2018, respectivement sur les congés payés afférents.
Dès lors il y a lieu de réformer le jugement et de dire irrecevables les demandes portant sur les rappels de salaire et de congés payés afférents antérieurs au 15 mai 2018.
B. Sur le fond
A titre liminaire, il convient de relever que la demande de rappel de salaire et de congés -payés afférents, ne peut porter que sur la période non prescrite, du 15 mai 2018 au 4 décembre 2018, Mme [T] ayant indiqué que l'OPHG lui avait versé le salaire de technicien de maintenance à compter de cette date.
Mme [T] fonde sa réclamation sur la rémunération afférente à la classification de technicien de maintenance alors que l'OPHG s'oppose à tout payement en faisant valoir que Mme [T] ne peut revendiquer cette classification pour l'avenir, faute d'avoir exercé réellement et effectivement ses fonctions à compter de sa reprise du travail en janvier 2015.
Pour écarter ce moyen, il suffira de relever :
- que ainsi que l'a déjà rappelé l'arrêt interprétatif du 3 décembre 2019, la cour a décidé par son arrêt du 4 décembre 2018,qui a l'autorité de la chose jugée, que la classification dans la catégorie technicien de maintenance niveau II, échelon I avait vocation à s'appliquer, à compter d'avril 2011 et pour l'avenir, seuls une nouvelle décision judiciaire ou un avenant contractuel postérieur à l'arrêt étant susceptibles de permettre une révision de cette modification judiciaire du contrat de travail ;
- que, contrairement à ce que soutient l'OPHG, les avenants signés le 3 décembre 2018 et le 11 mars 2019 ne font aucune allusion à la qualification ou à la classification de Mme [T] ;
- que dans le certificat de travail établi le 27 décembre 2019, après rupture du contratde travail ,l'OPHG a mentionné que Mme [T] a été employé en qualité de technicien de maintenance du 1er avril 2011 au 27 décembre 2019.
C'est ensuite tout aussi vainement que l'OPHG invoque la suspension du contrat de travail et la perception par Mme [T] d'indemnités journalières devant venir en déduction des salaires, dès lors qu'il s'agit de simples allégations et que l'OPHG ne justifie pas que durant la période litigieuse, de mai à décembre 2018, Mme [T] ait été placée en arrêt maladie et ait perçu des indemnités journalières, les tableaux annuels d'absence - établis unilatéralement et non corroborés par quoi que ce soit - étant totalement dépourvus de valeur probante.
Dès lors il y a lieu, sur la base de la différence entre la rémunération perçue et celle qu'elle aurait du percevoir au titre de sa classification en qualité de technicienne de maintenance, d'allouer à Mme [T] un rappel de salaire de 1820 euros, et une indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaire de 182 euros.
II. SUR LE HARCÈLEMENT MORAL
A titre liminaire, il convient de rappeler que :
- le harcèlement moral d'un salarié, défini par l'article L.1152-1 du code du travail, est constitué dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
- le salarié est tenu, en application de l'article L.1154-1 du code du travail, d'établir la matérialité de faits précis et concordants pouvant laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral à son égard ;
- le juge, après s'être assuré de leur matérialité, doit analyser les faits invoqués par le salarié dans leur ensemble et les apprécier dans leur globalité afin de déterminer s'ils permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral ;
- il incombe à l'employeur de prouver que les agissements établis ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que les décisions prises à l'égard du salarié sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce Mme [T] soutient que postérieurement au prononcé de l'arrêt de la Cour du 4 décembre 2018, elle a été 'mise au placard' alors qu'elle bénéficiait d'un mi-temps thérapeutique sur recommandation du médecin du travail, que l'employeur ne lui donnait aucune lettre à taper, aucun travail, refusait de lui communiquer des documents admistratifs, qu'elle était isolée, ses collègues se bornant, sur instructions de l'employeur, à lui dire bonjour sans plus lui adresser la parole durant la journée, qu'elle ne recevait plus qu'un ou deux appels téléphoniques par jour et que l'employeur se complaisait dans le déni le plus total en persistant à refuser de lui payer le salaire qui lui était dû, la contraignant à agir une nouvelle fois en justice pour faire valoir ses droits.
Mme [T] produit un courrier recommandé adressé à son employeur le 2 avril 2019, dans lequel elle fait état de ce que depuis sa reprise du travail à mi-temps thérapeutique, le 10 décembre 2018, elle s'est trouvée privée de travail, à l'exception de tâches subalternes ne correspondant pas aux missions d'un technicien de maintenance, qu'elle est privée de tout échange avec ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques, qu'elle se rend sur son lieu de travail pour faire acte de présence puisqu'on ne lui donne pas de travail . Par ailleurs elle invoque la persistance de son employeur à refuser, nonobstant la décision de la cour lui reconnaissant le statut de technicenne de maintenance, de régulariser sa rémunération.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral, s'agissant d'agissements répétés portant atteinte aux droits et à la dignité de travailleur de Mme [T].
Force est de constater par ailleurs que ces agissements ne sont pas justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En effet, si Mme [T] ne peut en raison de la prescription, obtenir règlement de l'intégralité des salaires qui lui étaient dus en qualité de technicienne de maintenance, il apparaît néanmoins que l'employeur a fait preuve d'une mauvaise foi évidente en refusant pendant près de 3 ans de régler à Mme [T] l'entier salaire qui lui était dû, en s'obstinant surtout dans ce refus pendant près d'un an après l'arrêt de la cour du 3 décembre 2018. Par ailleurs l'OPHG, qui n'a pas répondu au courrier de Mme [T] se plaignant qu'on ne lui donne plus de travail, ne le conteste pas dans ses écritures, se bornant à axer sa défense sur le temps de présence au travail limité de Mme [T], circonstance indifférente puisque la plainte porte sur l'absence de fourniture de tâches à accomplir lorsqu'elle était présente.
Si les pièces produites ne permettent pas d'établir un lien de causalié entre ces agissements de l'employeur et l'inaptitude de Mme [T], il n'en demeure pas moins qu'ils se sont prolongés dans le temps, qu'ils ont entraîné une dégradation des conditions de travail de Mme [T] ayant porté atteinte à sa dignité. Ce harcèlement moral caractérisé à partir du 4 décembre 2018 a causé à la salariée un préjudice moral, qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 6 000 euros.
III. SUR LA DISCRIMINATION
À titre liminaire, il convient de rappeler :
- qu'aux termes de l'article L.1131-1 du code du travail "aucune personne (...) ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (...) notamment en matière de (...) rémunération (...) de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle (...) en raison (...) de son sexe" ;
- que constitue une discrimination directe la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable ;
- que l'article 1134-1 du même code précise qu'en cas de survenance d'un litige au sujet d'une discrimination invoquée par un salarié, celui-ci doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, l'employeur devant au vu de ces éléments prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, au soutien d'une demande de dommages et intérêts d'un montant substanciel (45 000 euros), Mme [T] se borne à soutenir qu'elle a fait l'objet d'une discrimination liée au sexe du fait que M. [V] a été recruté en qualité de technicien de maintenance en 2015, que M. [L] recruté en qualité de gardien en 2012 a été promu technicien de maintenance responsable de secteur le 14 mai 2018, que M. [N] recruté en qualité de gestionnaire d'immeubles en 2016 a été nommé technicien responsable de secteur le 14 mai 2018.
Contrairement à ce qu'ont énoncé les premiers juges, cette demande n'est pas irrecevable en vertu du principe de l'unicité de l'instance dès lors qu'à la date de la clôture des débats dans le cadre de la première procédure (le 15 mai 2018) Mme [T] n'avait pas connaissance de l'attribution des postes intervenue la veille et que le fondement de cette prétention ne lui a été révélé que postérieurement à la clôture des débats dans la première procédure.
Pour rejeter cette demande, il suffira de relever :
- que Mme [T] ne tente même pas d'expliquer en quoi sa situation serait comparable à celle des trois salariés qu'elle mentionne ;
- que l'employeur fait justement observer que les postes attribués à MM. [L] et [N], ont fait l'objet d'une annonce d'ouverture de poste diffusée au sein de l'Office le 21 février 2018, que Mme [T] disposait comme tous les salariés d'un délai expirant le 8 mars 2018 pour faire acte de candidature et qu'elle n'a pas postulé ;
- que Mme [T] ne peut sérieusement soutenir que l'employeur l'aurait discriminé en lui préférant des hommes, alors qu'elle n'avait pas postulé sur les postes auxquels ces hommes ont été nommés .
IV. SUR LES FRAIS NON-RÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS
Dès lors que la demande est partiellement fondée il y a lieu de condamner l'OPHG aux entiers dépens de première instance et d'appel, et de le débouter de sa demande en payement d'une indemnité de procédure, tant en première instance qu'en appel.
L'équité justifie la condamnation de l'OPHG à payer à Mme [T] une indemnité de procédure de 4 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, par arrêt prononcé par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau ;
DÉCLARE irrecevable la demande en payement de rappels de salaire et de congés payés afférents pour la période antérieure au 15 mai 2018 ;
DÉCLARE recevable la demande en payement de rappels de salaire et de congés payés afférents pour la période du 15 mai 2018 au 4 décembre 2018 ;
CONDAMNE l'Office Public de l'Habitat du Gers à payer à Mme [T] les sommes de 1820 euros à titre de rappel de salaire et de 182 euros à titre d'une indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaire ;
CONDAMNE l'Office Public de l'Habitat du Gers à payer à Mme [T] la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral ;
DÉCLARE Mme [T] recevable en sa demande fondée sur la discrimination, mais mal fondée, l'en déboute ;
CONDAMNE l'Office Public de l'Habitat du Gers à payer à Mme [T] une indemnité de procédure de 4 000 euros ;
DÉBOUTE les parties de leurs conclusions plus amples ;
CONDAMNE l'Office Public de l'Habitat du Gers aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président et Chloé ORRIERE, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT