ARRÊT DU
13 DECEMBRE 2022
PF/CR
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N° RG 21/01096
N° Portalis DBVO-V-B7F-C6P3
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[L] [S]
[I] [F] épouse [S]
C/
[Y] [P] épouse [N]
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Grosse délivrée
le :
à
ARRÊT n° /2022
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Sociale
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le treize Décembre deux mille vingt deux par Pascale FOUQUET, Conseiller, assistée de Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
[L] [S]
né le 11 Février 1960 à [Localité 8] (47)
[I] [F] épouse [S]
née le 25 Février 1964 à [Localité 3] (47)
Domiciliés :
[Localité 5]
[Localité 7]
Représentés par Me Florence COULANGES, avocate au barreau d'AGEN
APPELANTS d'un jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux d'AGEN en date du 24 Novembre 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 21/00002
d'une part,
ET :
[Y] [P] épouse [N]
née le 07 Septembre 1941 à [Localité 4] (86)
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Alexis GAUCHER-PIOLA, avocat au barreau de LIBOURNE
INTIMEE
d'autre part,
A rendu l'arrêt réputé contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 11 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller rapporteur, assisté de Chloé ORRIERE, greffière. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré, rendu compte à la Cour composée, outre lui-même, de Jean-Yves SEGONNES, Conseiller et de Benjamin FAURE, Conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Suivant acte authentique du 14 décembre 1982, M. [U] [N] et Mme [Y] [P] épouse [N] ont donné à bail à ferme à Mme [H] diverses parcelles de terres agricoles situées sur la commune de [Localité 7] (47) d'une contenance totale de 13ha 25a 15 ca.
Le bail a été conclu pour une durée de 9 ans, a été renouvelé plusieurs fois, la dernière période débutée le 29 septembre 2009 devant expirer le 28 septembre 2018.
M. [U] [N] est décédé le 4 mai 2016.
M. [L] [S] vient aux droits de sa mère, Mme [H].
Par acte du 28 mars 2017, Mme [Y] [P] épouse [N] a signifié à M. [L] [S] un congé pour exercice du droit de reprise fondé sur les dispositions des articles L411-58 et L411-59 du code rural et de la pêche maritime pour exploiter elle-même les biens loués.
Par requête du 12 juillet 2017, M. [L] [S] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'Agen aux fins d'obtenir la nullité du congé, le renouvellement du bail à compter du 28 septembre 2018 et la condamnation de Mme [Y] [P] épouse [N] à lui payer la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Par jugement du 27 juin 2018, le tribunal paritaire des baux ruraux d'Agen a déclaré nul et de nul effet le congé délivré le 28 mars 2017, a prorogé le bail jusqu'au 1er février 2021, dit que passé cette date M. [L] [S] devrait libérer les lieux et que faute par lui de le faire, il pourrait être expulsé au besoin avec le concours de la force publique, condamné M. [L] [S] à payer à Mme [Y] [P] épouse [N] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 23 novembre 2020, M. [S] a sollicité de son bailleur la cession de son bail au profit de son épouse.
Sans réponse du bailleur, par requête du 7 janvier 2021, M. [L] [S] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'Agen pour obtenir l'autorisation de céder.
Par jugement du 24 novembre 2021, la juridiction saisie a déclaré irrecevable l'action de M. [L] [S] et de Mme [I] [F] son épouse (ci-après dénommés les époux [S]) en raison du principe de l'autorité de la chose jugée et les a condamnés au paiement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Selon déclaration du 17 décembre 2021, les époux [S] ont interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions, en intimant Mme [Y] [P] épouse [N] et en visant les chefs du jugement critiqué qu'ils citent dans leur déclaration d'appel.
L'affaire a été appelée à l'audience du 11 octobre 2022.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
I. Moyens et prétentions des époux [S] appelants principaux et intimés sur appel incident
Par dernières conclusions d'appelants oralement soutenues à l'audience, enregistrées au greffe le 17 mars 2022 et régulièrement signifiées à l'intimée, les époux [S] demandent à la cour de réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux en date du 24 novembre 2021
et statuant de nouveau,
- débouter purement et simplement Madame [Y] [N] de ses fins et conclusions
- autoriser Monsieur [L] [S] à céder à son épouse Madame [I] [F] épouse [S], ses droits issus du bail rural authentique en date du 14 décembre 1982, reçu par Maître [W] notaire à [Localité 6], étant précisé que ledit acte porte sur les parcelles sises commune de [Localité 7] d'une contenance totale de 13ha 25a 15 ca
- juger que la cession de bail sera autorisée à compter du 8 janvier 2021, date de la saisine de la présente juridiction
En conséquence,
- dire et juger que ledit bail entre Madame [Y] [P] épouse [N], bailleur et Madame [I] [F] épouse [S] se renouvellera pour une période de 9 années à compter du 1 er février 2021, jusqu'au 31 janvier 2030
- condamner Madame [Y] [P] épouse [N] au paiement d'une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
- la condamner au paiement des entiers dépens liés à la présente instance et les frais de notification de l'acte de cession du bail rural à venir.
A l'appui de leurs prétentions, les époux [S] font valoir que :
- le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas. Les trois conditions de l'article 1351 du code de procédure civile ne sont pas remplies : identité de chose, identité de cause et identité des demandes. Le présent litige concerne une demande de cession de bail alors que le litige soumis au tribunal, ayant donné lieu au jugement du 27 juin 2018, concernait une demande de nullité de bail
- l'article L411-35 du code rural et de la pêche maritime a vocation à s'appliquer : M. [S] demande la cession du bail au profit de son épouse, qui est exploitante agricole inscrite à la mutuelle sociale agricole de Dordogne-Lot et Garonne; elle coexploite les parcelles louées avec lui depuis 2015, elle demeure à proximité des parcelles et dispose du matériel agricole nécessaire
- Mme [Y] [P] épouse [N] ne détermine pas en quoi la cession du bail nuirait à ses intérêts alors que bien au contraire, son intérêt est de louer ses terres et d'en retirer un loyer
- Mme [I] [F] épouse [S] bénéficie d'une autorisation d'exploiter depuis le 7 septembre 2015 délivrée par la préfecture de Lot et Garonne portant sur des terres agricoles à [Localité 7]
- elle n'a pas à produire une autorisation d'exploiter portant sur les parcelles objets des débats car elle est soumise au régime dérogatoire de déclaration, et non d'autorisation, qui est prévu par l'article L331-2 du code rural et de la pêche maritime, qu'elle remplit les conditions exigées puisqu'elle bénéficie d'une expérience professionnelle et que les biens sont détenus par un parent depuis au moins 9 ans
- la déclaration d'exploiter produite a été faite préalablement à la mise en valeur des terres
I. Moyens et prétentions de Mme [Y] [P] épouse [N] intimée sur appel principal et appelante sur incident
Par dernières conclusions d'intimée oralement soutenues à l'audience, enregistrées au greffe de la chambre sociale le 8 avril 2022 et régulièrement signifiées aux appelants, Mme [Y] [P] épouse [N] demande à la cour de confirmer le jugement du 24 novembre 2021 en toutes ses dispositions,
- en conséquence, déclarer irrecevables les prétentions des époux [S] se heurtant à l'autorité de la chose jugée
- subsidiairement, rejeter leurs demandes comme ne remplissant pas les conditions de cession du bail et de renouvellement
- très subsidiairement, juger que la cession et le renouvellement ne porteront effet que jusqu'au 1er février 2021
- les condamner à lui verser la somme de 4 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.
A l'appui de ses prétentions, Mme [Y] [P] épouse [N] fait valoir que :
- le jugement du 27 juin 2018 est passée en force de chose jugée et que depuis le 1er février 2021, M. [L] [S] est occupant sans droit ni titre
- en conséquence l'autorisation d'exploiter au bénéfice de Mme [S] ne présente aucun intérêt
- le demandeur à l'autorisation de cession ne peut être que M. [L] [S] et non son épouse
- il est impossible de prononcer la cession et le renouvellement d'un bail dont l'expiration a été prononcée par décision de justice passée en force de chose jugée
- la cession ne pourrait être donnée que jusqu'au 1er février 2021, date d'expiration du bail
- pour bénéficier d'une cession de bail, le preneur doit être de bonne foi et avoir payé ses fermages. Or, M. [L] [S] n'est pas de bonne foi car elle a dû diligenter des procédures pour obtenir le paiement de deux pactes de fermages
- une cession de bail nuisant aux intérêts de la bailleresse est interdite. Elle en justifie: elle est âgée de 80 ans et les impayés de fermages sont avérés.
- Mme [S] ne justifie pas de sa capacité de reprise : moyens financiers, propriétaire du matériel et du cheptel, capacité agricole, la simple attestation de la MSA est insuffisante
- Mme [S] ne justifie pas de l' autorisation d'exploiter prévue à l'article L331-2 du code rural et de la pêche maritime
MOTIVATION :
I° Sur l'autorité de la chose jugée
L'article 1355 du code civil dispose que : 'l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que le chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité'.
Il y a lieu de rappeler que :
-l'autorité de la chose jugée prévue par l'article 122 du code de procédure civile, ne peut jouer, conformément à l'article 1355 du code civil (1351 ancien), que si la nouvelle demande porte sur la même chose, est fondée sur la même cause et concerne les mêmes parties prises en la même qualité.
-l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans le dispositif
En l'espèce, le jugement du 27 juin 2018 a prononcé la nullité du congé délivré par Mme [Y] [P] épouse [N] à M. [L] [S], la prorogation du bail jusqu'au 1er février 2021 et l'expulsion au-delà si besoin était.
Lors du jugement du 24 novembre 2021, le litige portait sur le bail dont la cession était demandée par le preneur au profit de son conjoint et la demande était formée par M. [S], seul, contre Mme [Y] [P] épouse [N] ; Mme [I] [F] épouse [S] n'étant pas partie au litige.
Il n'existe aucune identité de chose, de cause et de parties ayant la même qualité.
Par conséquent l'autorité de chose jugée n'étant pas acquise, la demande est recevable.
Le jugement du 27 juin 2018 n'a pas été frappé d'appel. Il est donc définitif et irrévocable. L'art 500 du code de procédure civile dispose : 'A force de chose jugée le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution'.
2° Sur le fond, la cession du bail au profit du conjoint
L'article L411-35 du code rural et de la pêche maritime prohibe toute cession de bail sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial et nonobstant les dispositions de l'article 1717 du code civil, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.
La cession du bail rural, pour être autorisée par la juridiction ne doit pas risquer de nuire aux intérêts légitimes du bailleur, ces intérêts étant appréciés au regard du comportement du preneur cédant, d'une part et de la capacité du cessionnaire à respecter les obligations nées du contrat, d'autre part.
Les critères de refus de cession sont appréciés souverainement par les juges du fond et notamment ils doivent apprécier si les manquements du preneur à ses obligations sont assez graves pour refuser la cession du bail à un descendant.
Cette faculté de cession exceptionnelle doit être réservée au preneur de bonne foi, qui s'est constamment acquitté de ses obligations.
L'intérêt légitime du propriétaire doit s'apprécier compte tenu, non pas de ses propres projets, mais de la bonne foi du cédant et de la capacité du cessionnaire à respecter les obligations nées du contrat.
M. [L] [S], fermier, avait une obligation de payer ses fermages et n'a pas procédé au paiement ce qui a amené le bailleur à engager une procédure judiciaire le 18 juin 2019. Ce n'est que contraint et forcé en raison de cette procédure que M. [L] [S] a réglé sa dette et que le bailleur s'est désisté de son instance le 24 juin 2020.
En conséquence, M. [L] [S] n'est pas preneur de bonne foi et l'intérêt légime du bailleur est de s'assurer du réglement des fermages.
La cour infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions et déboute les époux [S] de leur demande en cession du bail rural.
Sur les autres demandes :
Les époux [S], qui succombent, seront condamnés aux dépens d'appel et à payer à Mme [Y] [P] épouse [N] la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour après en avoir délibéré conformément à la loi, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
INFIRME le jugement du 24 novembre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné M. [L] [S] et de Mme [I] [F] son épouse aux dépens
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DECLARE recevable la demande de M. [L] [S] et Mme [I] [F] épouse [S],
DEBOUTE M. [L] [S] et Mme [I] [F] épouse [S] de leur demande en cession du bail rural du 14 décembre 1982 renouvellé portant sur les parcelles de terre situées à [Localité 7] d'une contenance totale de 13ha 25a 15 ca,
CONDAMNE solidairement M. [L] [S] et Mme [I] [F] épouse [S] à payer à Mme [Y] [P] épouse [N] la somme de 2500€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE M. [L] [S] et Mme [I] [F] épouse [S] de leur demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE solidairement M. [L] [S] et Mme [I] [F] épouse [S] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Pascale FOUQUET, Conseiller, et Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière.
LE GREFFIER LE CONSEILLER