COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
6e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 26 JANVIER 2012
N°2012/63
Rôle N° 10/19621
[R] [N] [Z] [N] [Z] [L] [O]
C/
[B] [I]
Grosse délivrée
le :
à :
la SCP LIBERAS - BUVAT - MICHOTEY
la SCP COHEN-GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge aux affaires familiales d'AIX-EN-PROVENCE en date du 14 Juin 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 04/02105.
APPELANTE
Madame [R] [N] [Z] [N] [Z] [L] [O]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2010/013553 du 13/12/2010 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX EN PROVENCE)
née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 13], demeurant [Adresse 5]
représentée par la SCP LIBERAS BUVAT MICHOTEY, avoués à la Cour,
Assisté de Me Eve CERRO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIME
Monsieur [B] [I]
né le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 12] MAROC, demeurant [Adresse 14]
comparant en personne,
représenté par la SCP COHEN GUEDJ, avoués à la Cour,
Assisté de la SCP ATLANI / MUSACCHIA, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 25 Octobre 2011, en Chambre du Conseil, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Brigitte BERNARD, Conseiller, et Madame Roseline ALLUTO, Conseiller, chargés du rapport.
Madame Brigitte BERNARD, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Françoise LLAURENS, Président
Madame Brigitte BERNARD, Conseiller
Madame Roseline ALLUTO, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Valérie BERTOCCHIO.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2011.prorogé au 26.01.2012.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2012
Signé par Madame Françoise LLAURENS, Président et Madame Valérie BERTOCCHIO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement rendu le 14 juin 2010 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence qui a :
- vu le jugement de divorce en date du 12 juin 2006,
- vu l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 5 décembre 2007,
- condamné [B] [I] à verser à [R] [L] [O] une prestation compensatoire en capital d'un montant de 50.000 €,
- débouté [R] [L] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté [B] [I] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- dit que chacune des parties supportera la charge de ses dépens.
Vu l'appel de ce jugement par [R] [L] [O], par déclaration au greffe de la cour d'appel en date du 3 novembre 2010.
Vu les dernières conclusions signifiées par l'appelante le 8 février 2011, auxquelles il est renvoyé et par lesquelles elle demande l'infirmation du jugement entrepris, et la condamnation de [B] [I] à lui payer, à titre de prestation compensatoire, un capital de 192.000 €, avec les garanties prévues par l'article 277 du code civil, outre 2.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières écritures signifiées par [B] [I] le 16 septembre 2011, auxquelles il est renvoyé et par lesquelles l'intimé est appelant incident pour réclamer le débouté de la demande de prestation compensatoire présentée par [R] [L] [O] et subsidiairement, la fixation de cette prestation compensatoire à une somme en capital de 96.000 €, payable sous forme d'échéances mensuelles de 100 € pendant huit ans.
L'intimé sollicite, au surplus, la condamnation de l'appelante à lui payer 3.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas critiquée ;
Attendu qu'en vertu de l'article 270 du Code Civil, l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux ;
Que l'article 271 du code civil prévoit que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible et qu'à cet effet, le juge prend en considération, notamment :
- la durée du mariage,
- l'âge et l'état de santé des époux,
- leur qualification et leur situation professionnelle,
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne,
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux tant en capital qu'en revenu après liquidation du régime matrimonial,
- leurs droits existants et prévisibles,
- leur situation respective en matière de pension de retraite ;
Attendu que le prononcé du divorce des époux [I] / [L] [O], en date du 2 juin 2006, est devenu définitif, à la suite de la transcription du divorce sur les registres d'Etat Civil le 27 juin 2008 ; que [B] [I] s'est d'ailleurs, remarié en 2009 ;
Attendu que pour apprécier le montant de la prestation compensatoire, due par [B] [I] à [R] [L] [O], prestation dont le principe a été retenu par le jugement de divorce du 2 juin 2006 et par l'arrêt de la cour d'appel de céans du 5 décembre 2007, devenu définitif, et ne peut donc être remis en cause par [B] [I], il convient de tenir compte de la situation des parties en 2008 et de son évolution depuis cette date ;
Attendu que les époux [B] [I], né le [Date naissance 10] 1949 et [R] [L] [O], née le [Date naissance 9] 1948 se sont mariés le [Date mariage 8] 1967, sans contrat préalable ;
Attendu que de leur mariage, qui aura duré 41 ans, sont nés deux enfants le [Date naissance 4] 1967 et le [Date naissance 3] 1969 ;
Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que [R] [L] [O] a travaillé très ponctuellement depuis 1965, soit 13 ans environ pendant le mariage, se consacrant à son foyer et à ses enfants, avec l'accord de son mari ;
Attendu que c'est de façon non justifiée, malgré deux lettres de M° [S] [Y], citoyen Suisse, dirigeant de la SARL Zanotto, auxquelles [B] [I] aurait répondu par une lettre simple du 24 novembre 2006, correspondances versées aux débats en appel, que [B] [I] accuse son ex-épouse d'avoir contribué à sa déconfiture en 2006 ;
Attendu que [R] [L] [O] avait été embauchée le 21 juillet 2003, alors qu'elle était sans qualification professionnelle, par la société Zanotto en cours de constitution, comme directrice de ventes, à la demande de son mari, agent commercial, en relation d'affaires avec la société Zanotto ; qu'elle a été licenciée le 10 juin 2004 pour motifs économiques, soit moins de deux mois après l'ordonnance de non-conciliation du 27 avril 2004, qui ne lui a pas accordé de pension alimentaire dans la mesure où elle percevait un salaire de 3.971 €, par mois, son mari admettant avoir lui-même des revenus de 3.000 € par mois ;
Attendu qu'elle a perçu 12.995 €, à titre d'indemnité de licenciement et solde de tout compte ; que la SARL Zanotto n'a jamais porté cette affaire devant un Conseil de Prud'hommes, alors que dans les courriers de M° [Y] [S], il est fait grief du comportement de [R] [L] [O], responsable de la durée très courte de son contrat ;
Attendu que, depuis son licenciement, [R] [L] [O] a fait plusieurs stages et a perçu des indemnités de chômage, puis le revenu minimum d'insertion, à compter du 18 octobre 2006, soit 454 € par mois en 2009 et enfin le RSA soit 365 €, 72 € par mois en juin 2010 ;
Attendu qu'âgée de 63 ans, [R] [L] [O] n'a pas encore pris sa retraite ; qu'elle devait percevoir au 1er novembre 2008 52,33 € par mois brut, selon le relevé de carrière de la Caisse régionale d'assurance maladie du Sud-Est ;
Attendu qu'elle a été hébergé par son fils [D] depuis le 16 mars 2004 dans un appartement, dont elle payait les charges, soit 170 € par mois, l'EDF et la taxe d'habitation,
Attendu que sa mère, [T] [G], épouse [O] est décédée le [Date décès 7] 2006 ; qu'elle était mariée sous le régime de la communauté mais qu'il apparaît que la maison, qu'elle habitait, a été dévolue à [R] [L] [O] et à sa soeur ;
Attendu que l'appelante ne verse aucune pièce sur les conditions, dans lesquelles a été réglée la succession mais qu'il est établi qu'elle habite dans cette maison, sise [Adresse 6], où elle se domicilie dans l'acte d'appel et dans ses conclusions d'appel ; qu'elle a, par ailleurs, remboursé à la Caisse régionale d'assurance maladie du Sud-Est 7.569,28 € correspondant à sa part héréditaire, alors que la dette s'élevait à 15.138,55 € ;
Attendu que cette maison a été évaluée dans le projet de déclaration de succession à 215.164 € à la date du [Date décès 7] 2006 ;
Attendu que [R] [L] [O] ne justifie pas de ses charges fixes actuelles ;
Attendu qu'elle avait bénéficié d'un plan de surendettement, suspendant l'exigibilité des créances, d'un montant de 45.535 € pendant 24 mois, plan devenu exécutoire par ordonnance du juge de l'exécution en date du 17 avril 2008 ;
Attendu qu'elle ne produit aucune pièce sur le sort de ces dettes, étant noté que la dette de la RSI de 23.439 € a été annulée, comme le prouve [B] [I] ;
Attendu que [B] [I], âgé de 62 ans, n' jamais produit de documents comptables récents, ni lors du jugement du 12 juin 2006, ni lors du jugement entrepris ;
Attendu qu'agent commercial et gérant majoritaire de la SARL Gad Import, spécialisée en commerce de tissus d'ameublement, il a fournit pour ces deux décisions son compte de résultat déficitaire pour l'exercice clos le 31 décembre 2003 ;
Attendu qu'en 2004, il avait reçu, à titre de commissions de la SARL Zanotto, selon sa déclaration sur l'honneur, 37.090 €, soit 3.000 € par mois ; que les résultats de la SARL Gad Import, en 2004, ne sont pas connus mais permettaient à la société de contracter un prêt, le 20 novembre 2004, pour l'acquisition d'un véhicule, moyennant des échéances mensuelles de 787 € jusqu'au 20 octobre 2008 et à [B] [I] de proposer à sa femme, par lette du 18 mai 2004, une pension alimentaire de 2.000 € par mois, en cas de divorce à l'amiable ;
Attendu que devant la cour, [B] [I] verse aux débats, une attestation de son comptable, la société Meiffren et Associés, qui est la même que celui de la société Zanotto, en date du 10 octobre 2008, lequel déclare que la société Gad Import, à [Localité 11], n'a plus d'activité lucrative depuis le 31 décembre 2003 ;
Attend pourtant qu'elle est toujours 'in bonis' et a pu financer le prêt précité de 2004 à 2008 ;
Attendu que [B] [I] justifie, par ailleurs, n'avoir déclaré aucun revenu en 2005 et 2006, l'expliquant par la rupture de ses relations commerciales en juillet 2006 avec la société Zanotto, qui a fait l'objet d'une dissolution amiable, fin septembre 2006, sous la dénomination de la SARL Gilles Sud Décoration ;
Attendu cependant que par les courriers précités de M° [Y] [S] de 2006, il est imputé à [B] [I] des ventes parallèles sur trois ans, sinon disait l'expéditeur à [B] [I], 'comment auriez-vous fait pour vivre pendant trois ans '' ;
Attendu ainsi que la situation financière de [B] [I] est loin d'être éclaircie depuis 2002 et ce jusqu'à sa retraite officielle prise le 1er mai 2009 ;
Attendu, notamment, que [B] [I] n'a pas produit d'avis d'imposition de 2003 à 2009 inclus et n'a jamais répondu à la question de savoir s'il travaillait pour d'autres sociétés que la société Zanotto, comme agent commercial ;
Attendu qu'il a manifestement créé la SARL Hometex en décembre 2006, dont l'objet social était le même que celui de la SARL Gad Import et dont il était le seul salarié en sa qualité de gérant ;
Attendu que, là encore, aucun document comptable n'est versé aux débats sur la SARL Hometex, [B] [I] se délivrant à lui-même des fiches de salaires d'un montant mensuel de 1.011 € ; que la SARL Hometex a été mise en liquidation judiciaire, par jugement du 15 novembre 2007, à la demande de [B] [I], avec un chiffre d'affaires en 2007 de 110.000 € ;
Attendu que depuis novembre 2007, [B] [I] affirme avoir été sans emploi et n'avoir perçu que le revenu minimum d'insertion, soit 394 € par mois depuis février 2008 jusqu'à sa retraite en mai 2009 ;
Attendu qu'il perçoit, à titre de retraites, la somme mensuelle de 1.724 € et ne déclare aucun avoir mobilier, ni bien immobilier propre ;
Attendu qu'il s'est remarié sous le régime de la séparation de biens ; que son épouse, infirmière libérale, ne percevrait que 1.188 € par mois, ce qui est surprenant, mais travaille en zone franche, ce qui lui procure des avantages fiscaux ; que son revenu est donc supérieur à 1.188 € par mois ;
Attendu que les époux partagent un loyer mensuel de 1.100 € et les charges fixes afférentes à ce logement ;
Attendu qu'il est constaté que [B] [I] a alourdi volontairement ses charges en contractant, en cours d'appel, soit en juin 2011 un crédit de 37.500 € et le 3 février 2011 un crédit de 30.000 € ;
Attendu que l'objet de ce second crédit n'est pas indiqué et donne lieu à des échéances mensuelle de 637,95 € ; que le premier crédit aurait été contracté pour solder d'autres prêts en cours ; que son montant dépasse les montants des prêts effectivement soldés, soit un prêt BNP Paribas contracté en avril 2009 de 10.978 € et un prêt Cofidis, contracté par la seconde épouse en septembre 2009, d'un montant résiduel de 6.461 € ;
Attendu que ces prêts, dont l'octroi démontre la surface financière du couple [I], ne sauraient être pris en considération pour l'appréciation de la disparité des situations de [B] [I] et d'[R] [L] [O], découlant du divorce ;
Attendu, enfin que [B] [I], qui n'a aucun bien immobilier, ni mobilier commun avec [R] [L] [O], ne précise pas s'il a des espérances successorales prévisibles ;
Attendu qu'au vu de ces éléments, c'est à bon droit que le premier juge a rappelé qu'il existait bien une disparité dans les conditions de vie respectives de [B] [I] et d'[R] [L] [O] créée par la rupture du mariage, au détriment d'[R] [L] [O] ;
Attendu que cette disparité sera compensée par la somme en capital de 70.000 €, qui sera allouée à [R] [L] [O], à titre de prestation compensatoire ;
Attendu que [B] [I] sera condamné à payer cette somme, en un seul versement, à compter de la date où le présent arrêt sera devenu définitif, sans qu'il soit fait droit à la demande de l'appelante d'assortir de garanties particulières le paiement de ce capital ;
Attendu, enfin, qu'il est équitable d'accorder à [R] [L] [O] 1.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant en chambre du conseil, contradictoirement, après débats non publics ;
- Reçoit l'appel ;
- Au fond, infirme le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau :
- Condamne [B] [I] à payer à [R] [L] [O], à titre de prestation compensatoire, la somme, en capital, de 70.000 €, payable en un seul versement à compter de la date où le présent arrêt sera devenu définitif ;
- Condamne [B] [I] à payer à [R] [L] [O] 1.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Condamne [B] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
- Dit que ces derniers seront recouvrés conformément aux lois et règlements sur l'aide juridictionnelle.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,