COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
6e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 10 MAI 2012
N° 2012/303
Rôle N° 11/07416
[D] [X]
C/
[H] [H] épouse [X]
Grosse délivrée
le :
à :
la SCP COHEN-GUEDJ
Me JAUFFRES
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Juge aux affaires familiales de [Localité 10] en date du 01 Avril 2011 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 10/13382.
APPELANT
Monsieur [D] [X]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2011/8374 du 08/09/2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX EN PROVENCE)
né le [Date naissance 3] 1937 à [Localité 8] (ALGERIE) (99)
de nationalité Algérienne, demeurant [Localité 6] - 99 ALGERIE
représenté par la SCP COHEN GUEDJ, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
Plaidant par Me Henri TROJMAN, avocat au barreau de [Localité 10]
INTIMEE
Madame [H] [H] épouse [X]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2011/7998 du 11/07/2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX EN PROVENCE)
née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 9] (ALGERIE) (99)
de nationalité Algérienne, demeurant Chez Madame [V] - [Localité 7] - 99 ALGERIE
comparant en personne,
représentée par Me Jean Marie JAUFFRES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Plaidant par Me Richard BRICOT, avocat au barreau de [Localité 10],
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 06 Mars 2012 en Chambre du Conseil. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Pascal GUICHARD, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Françoise LLAURENS, Président
Madame Roseline ALLUTO, Conseiller
Monsieur Pascal GUICHARD, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Valérie BERTOCCHIO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 19 Avril 2012..prorogé au 10.05.2012
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Mai 2012.
Signé par Madame Françoise LLAURENS, Président et Madame Valérie BERTOCCHIO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [D] [X] et Mme [H] [H], de nationalité algérienne, se sont mariés au Consulat Général d'Algérie de la ville de [Localité 10] le [Date mariage 2] 1989.
Mme [X] a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de [Localité 10] d'une requête en séparation de corps.
Le juge aux affaires familiales a rendu une ordonnance non-conciliation le 1er avril 2011 autorisant notamment les époux à introduire l'instance, attribuant la jouissance du domicile conjugal à l'épouse (bail) et du mobilier du ménage et fixant à 500 € par mois la pension alimentaire que M. [X] devra verser à son conjoint pour ses besoins personnels, avec indexation.
Par déclaration reçue au greffe le 22 avril 2011 M. [D] [X] a interjeté appel de cette décision.
Suivant ses dernières conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 21 février 2012 M. [D] [X] demande de :
Vu l'ordonnance non-conciliation du 1er avril 2011,
Vu l'entier dossier du requérant,
Vu la loi algérienne,
Vu les articles 309 du Code civil et 12 du code de procédure civile,
Vu le jugement rendu par le tribunal d'AIN BEIDA, Section des affaires de la famille, devenu définitif le 6 février 2012,
À titre principal sur le fond,
Recevoir en la forme son appel,
À titre principal,
Réformer l'ordonnance non-conciliation entreprise dans la mesure où compte tenu de la saisine antérieure de la juridiction naturelle des deux ressortissants d'origine algérienne le juge aux affaires familiales français est incompétent, la décision algérienne étant actuellement définitive,
À titre subsidiaire,
Compte tenu de la décision de divorce rendue par le tribunal algérien, il existe un risque de conflit de loi, la loi algérienne ne connaissant pas la séparation de corps, et en tout état de cause il convient de faire application de la loi algérienne,
À titre infiniment subsidiaire,
Compte tenu des ressources des parties dire et juger qu'aucune pension alimentaire ne peut être mise à sa charge,
Condamner Mme [H] [H] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP COHEN-GUEDJ sous son affirmation de droit.
Suivant ses dernières conclusions signifiées et déposées le 1er mars 2012 Mme [H] [H] demande de :
Révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 28 février 2012,
Vu la requête en séparation de corps par elle déposée,
Vu l'ordonnance non-conciliation en date du 1er avril 2011 frappée d'appel,
Vu sa résidence à [Localité 10],
Vu la résidence de M. [X] à [Localité 10],
Vu la requête en divorce déposé par M. [X] devant le tribunal d'Ain Beida, qui ne lui a pas été régulièrement signifiée,
Vu les erreurs d'adresse, de nom et de sexe,
Vu l'absence de 'parlant à',
Constater que la procédure algérienne est totalement irrégulière, sans objet et inopposable,
Vu le jugement produit par le tribunal algérien en date du 11 novembre 2011,
Constater que ce jugement est nul et de nul effet et qu'il est entaché de toutes les irrégularités possibles le rendant inopposable à Mme [X] qui n'a jamais comparu devant la juridiction algérienne pour n'y avoir jamais été convoquée,
Dire et juger que seules les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur sa demande de séparation de corps,
Vu les ressources respectives des parties,
Confirmer l'ordonnance non-conciliation en ce qu'elle a condamné M. [X] à verser à son épouse une somme mensuelle indexée de 500 € au titre de la pension alimentaire,
En conséquence, le débouter de sa demande en suppression de ladite pension alimentaire,
Le condamner aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Me Jean-Marie JAUFFRES, aux offres de droit.
La clôture de l'instruction intervenue initialement le 28 février 2012 était révoquée à la demande des parties pour de justes motifs et à nouveau prononcée à l'audience du 6 mars 2012.
MOTIFS DE LA DECISION /
Sur la forme
Rien dans les éléments soumis à l'appréciation de la Cour ne permet de critiquer la régularité de l'appel, par ailleurs non contestée.
Il sera donc déclaré recevable.
Sur le fond
Au soutien de se demande M. [X] expose :
- qu'il a introduit une requête en divorce en Algérie qui a été enrôlée le 17 octobre 2010, qu'une citation à comparaître a été adressée à l'intimée par huissier de justice et que le tribunal d'Ain Beida section affaire de la famille a prononcé un jugement de divorce le 11 novembre 2011, Mme [X] ayant comparu assistée d'un avocat devant cette juridiction,
- que la loi algérienne, notamment son article 42 du code des procédures civiles et administratives, dispose que tout algérien peut être cité à comparaître devant les juridictions algériennes pour des obligations contractées dans un pays étranger même avec un étranger,
- que Mme [H] a vécu en Algérie puisqu'elle était codétentrice d'une boulangerie avec M. [W] [W] ainsi qu'il a été démontré devant le tribunal d'Ain Beida,
- que la formule exécutoire a été apposée sur ce jugement qui n'a pas besoin d'exequatur puisque le mariage a été célébré par le consulat général algérien à [Localité 10],
- que la cour devra retenir la compétence de la juridiction algérienne les époux étant de nationalité algérienne et constater que le jugement algérien était devenu définitif le 6 février 2012 avant que la juridiction française ne statue,
- qu'il réside en Algérie et ne revient que de temps en temps en France pour régler des problèmes administratifs,
- qu'il demande à titre subsidiaire l'application de la loi algérienne en vertu des articles 309 du Code civil et 12 du code de procédure civile en faisant remarquer que la séparation de corps n'existe pas dans le droit algérien,
- que Mme [H] perçoit 673 € de la caisse d'allocations familiales alors que sa retraite est de 894 € et sa retraite complémentaire de 291 €.
Mme [H] réplique :
- que M. [X] affirme faussement ne pas habiter à [Localité 10] alors qu'il y vit avec son épouse depuis 22 ans ainsi qu'il résulte de la production d'avis d'imposition, de factures, de relevés de comptes, d'attestation d'assurance,
- qu'il ne produit aucun justificatif de sa résidence en Algérie alors que pour sa part elle n'y dispose d'aucun logement,
- que la requête en divorce devant les juridictions algériennes porte les mentions d'une adresse erronée, présente une erreur de prénom, erreurs que l'on retrouve dans le procès-verbal de citation à comparaître,
- que la correspondance du procureur de la république du tribunal d'Ain Beda du 13 décembre 2010 au procureur de la république de [Localité 10] révèle qu'il lui demande de notifier à ' Monsieur [H] [H]' une citation à comparaître, l'adresse, le prénom et le sexe de la personne requise étant cumulativement erronés,
- que cette citation n'a donc pas pu être notifiée en l'état de cette accumulation d'erreurs et qu'elle n'a jamais été touchée par quelque acte de procédure algérien que ce soit,
- que la procédure invoquée par M. [X] est donc nulle et de nul effet,
- que le jugement de divorce rendu par le tribunal algérien le 11 novembre 2011 en raison des nullités qu'il comporte est dénué de toute valeur juridique,
- que M. [X] compte tenu des ressources et des biens dont il dispose doit lui verser la pension alimentaire mise à sa charge par le premier juge.
Selon l'article 1 § a de la convention franco-algérienne du 27 août 1964 les décisions rendues par les juridictions algériennes ont en France, de plein droit, l'autorité de la chose jugée à condition que la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l'État où la décision doit être exécutée.
Aux termes du décret n°65-679 du 11 août 1965 portant publication de la convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition, les décisions contentieuses rendues par les juridictions en Algérie ont de plein droit l'autorité de la chose jugée en France, si la décision émane d'une juridiction compétente, si les parties ont été légalement citées et si la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'État où elle est invoquée.
En l'absence de convention bilatérale franco-algérienne portant sur les procédures de divorce ou de séparation en vertu de l'article 310 du Code civil le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française lorsque les époux ont l'un et l'autre, leur domicile sur le territoire français.
Il résulte des dispositions susvisées que dès lors que la règle de solution des conflits de juridiction n'attribue pas la compétence exclusive aux tribunaux français le tribunal étranger doit être reconnu compétent si le litige se rattache de manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux.
M. [X] demande que soit constaté que le lien conjugal a été dissous par jugement de divorce prononcé par les juridictions algériennes le 11 novembre 2011 de sorte que la demande en séparation de corps présentée par Mme. [H] le 17 octobre 2010 est irrecevable.
La saisine par un époux de nationalité algérienne de son juge national dans le cadre d'une instance engagée à l'encontre de son conjoint, qui était au surplus au moment de la saisine lui aussi de nationalité algérienne, Mme [H] n'ayant été réintégrée dans la nationalité française que depuis le 17 octobre 2011, ne peut être donc être exclue nonobstant la compétence des tribunaux français.
Il ressort cependant des éléments du dossier que c'est de manière frauduleuse que M. [X] a saisi la juridiction algérienne en indiquant résider en Algérie alors qu'en réalité il était domicilié en France comme le révèle les documents versés aux débats.
De l'examen des pièces produites il ressort en effet que M. [X] était domicilié à [Localité 10] au [Adresse 4], qui constituait le domicile conjugal, dont la jouissance a été attribuée à l'épouse aux termes de l'ordonnance non-conciliation déférée, M. [X] étant alors non comparant, Me [P] étant présent et sollicitant le renvoi de la procédure qui lui a été refusé.
M. [X] était par la suite domicilié au [Adresse 4], adresse à laquelle lui était signifiée à personne l'assignation en séparation de corps délivrée à la requête de son épouse le 29 septembre 2011.
Mme [X] produit aux débats l'avis d'impôt sur le revenu 2010 du couple et de multiples factures au nom de M. [X] pour les années 2009, 2010 et jusqu'au mois de mai 2011 adressées au [Adresse 4].
La requête introductive d'instance déposée le 17 octobre 2010 devant le tribunal d'Ain Beda en Algérie par M. [X] comporte pour indication de la partie défenderesse Mme [H] [H] demeurant '[Adresse 4]' et Mme [X] du fait du caractère erroné de cette adresse soutient, sans être contredite, n'en avoir jamais été destinataire.
La citation à comparaître objet de la la correspondance adressée par le procureur de la république près le tribunal d'Ain Beida le 13 décembre 2010 au procureur de la république près le tribunal de grande instance de Marseille comporte la même erreur affectant l'adresse avec en plus une erreur de sexe affectant son destinataire désigné comme étant M. [H] [H] demeurant [Adresse 5], France. Aucune preuve de la signification de cet acte à Mme [X] n'est d'ailleurs évoquée ou produite aux débats.
Mme [X] qui n'a pas été régulièrement citée à comparaître devant la juridiction algérienne et qui, bien que mentionnée dans la décision rendue en qualité de comparante, affirme qu'elle n'était pas présente à l'audience, justifie de l'absence de tout déplacement en Algérie depuis l'année 2009 par la production en copie de toutes les pages de son passeport. Elle affirme n'avoir jamais été propriétaire d'un fonds de commerce contrairement à ce qui est indiqué dans le jugement et à ce que soutient M. [X] sans cependant en rapporter la preuve. Mme [H] n'a donc pas été en mesure d'exercer ses droits lors de cette procédure de divorce. Elle prétend en outre sans être contredite que Mme [H] [V] chez laquelle elle serait domiciliée, selon les énonciations de ce jugement, n'est pas sa soeur, mais une cousine éloignée qu'elle n'a pas vue depuis plus de 10 ans.
Il convient en conséquence de déduire de ce qui précède que les irrégularités affectant la procédure algérienne rendent celle-ci inopposable à Mme [X].
Les pièces produites aux débats conduisent à confirmer le montant de la pension alimentaire mise à la charge de M. [X] au bénéfice de son épouse à hauteur de 500€ par mois.
M. [X] succombant dans ses prétentions supportera les entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et aux alinéas 2 et 5 de l'article 27 de la loi n° 2011- 94 du 25 janvier 2011.
PAR CES MOTIFS /
LA COUR,
Statuant en chambre du conseil, contradictoirement, après débats non publics ;
Déclare l'appel recevable en la forme.
Déclare le jugement rendu par le tribunal d'Ain Reida le 11 novembre 2011 contraire à la conception française de l'ordre public international.
Confirme la décision déférée.
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Condamne M. [X] entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et aux alinéas 2 et 5 de l'article 27 de la loi n° 2011- 94 du 25 janvier 2011.
LE GREFFIERLE PRESIDENT