COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
Chambre 4-8
ARRÊT AU FOND
DU 25 JANVIER 2019
N° 2019/123
Action intentée contre le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (Loi 2000-1257 du 23/12/2000 Décret 2001-963 du 23/10/2001)
N° RG 18/08090 -
N° Portalis DBVB-V-B7C-BCNRM
[E] [O]
C/
FIVA FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
DEMANDEUR
Monsieur [E] [O], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Magalie ABENZA, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
DEFENDERESSE
FIVA, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me David GERBAUD-EYRAUD, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 12 Décembre 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Gérard FORET-DODELIN, Président, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
M. Gérard FORET-DODELIN, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Madame Marie-Pierre SAINTE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Janvier 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Janvier 2019
Signé par M. Gérard FORET-DODELIN, Président et Madame [G] ARNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Selon recours enrôlé le 9 mai 2018, le Conseil d'[E] [O], petit-fils de [Y] [W] a contesté devant la Cour la décision de refus d'indemnisation qui lui a été opposée par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante le 16 février 2018.
Lors de l'audience devant la Cour, le Conseil d'[E] [O] a développé oralement le contenu des conclusions écrites par lui déposées pour solliciter, de voir donner acte au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de sa proposition d'indemniser à titre subsidiaire son préjudice moral à hauteur de 3.300 euros, à titre principal de voir dire et juger que le délai de prescription de 10 ans opposable à sa demande en indemnisation de l'intégralité des préjudices subis par les ayants droit de feu [Y] [W] du fait de son décès, a été interrompu par l'offre présentée par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante le 22 juillet 2010, voir constater que sa demande d'indemnisation de son préjudice moral et d'accompagnement n'est pas prescrite, subsidiairement, de voir dire que le délai de prescription de 10 ans opposable à la demande d'indemnisation du préjudice moral et d'accompagnement des consorts [W] a été interrompu par le règlement des sommes proposées par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante dans son offre du 22 juillet 2010, voir constater que la demande d'indemnisation déposée par lui le 28 novembre 2017 au titre de son préjudice moral et d'accompagnement n'est pas prescrite, et en tout état de cause de voir fixer à 10.000 euros l'indemnisation de son préjudice moral et d'accompagnement à la suite de la maladie et du décès de son grand-père, voir dire que la somme allouée produira intérêts à compter de l'arrêt à intervenir et obtenir le versement par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Conseil du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a développé oralement le contenu des conclusions écrites déposées par lui devant la Cour pour solliciter à titre principal, de voir constater l'accord des parties quant au point de départ au 22 novembre 2006 du délai de prescription, voir constater qu'il n'a pas été mis en demeure ni d'identifier l'existence, ni d'évaluer le préjudice prétendument subi par [E] [O] lors du dépôt en 2009 de la demande d'indemnisation des ayants droit de feu [Y] [W], voir dire que les offres qu'il a formulées les 22 juillet et 6 août 2010, 26 septembre 2013, 18 juin 2014, 24 octobre 2016 et 19 janvier 2017 ne constituent pas des causes interruptives de prescription et voir confirmer la décision du 16 février 2018 de rejet pour cause de prescription, subsidiairement de voir confirmer que l'indemnisation du préjudice moral subi par [E] [O] ne saurait excéder la somme de 3.300 euros, et en tout état de cause de voir débouter le requérant de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
ET SUR CE :
[Y] [W] grand-père du requérant, est venu à décéder le 14 octobre 2006 des suites de sa pathologie asbestosique, en ce qu'il a développé un cancer broncho-pulmonaire, lequel a été pris en charge par la Caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan au titre de la législation professionnelle qui a versé à sa veuve une rente d'ayant droit ;
Les ayants droit d'[Y] [W] ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante d'une demande d'indemnisation de leurs divers chefs de préjudices ;
Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 22 juillet 2010, les ayants droits ayant présenté une demande se sont vus proposer au titre de l'action successorale les sommes de 15.581,18 euros pour le préjudice fonctionnel du défunt et de 46.600 euros pour ses préjudices extrapatrimoniaux, et à titre personnel, les sommes de 15.200 euros pour chacun de ses fils [F] [W] et [V] [W], de 8.700 euros à sa fille [A] [M], de 5.400 euros à chacun de ses enfants [W] [Y], [I] [W], [B] [W], [L] [T], [D] [F] et de 3.300 euros à chacun de ses petits-enfants, [Z] [W], [C] [M], [N] [M], [Z] [Y], [R] [Y] et [M] [Y] avec rejet pour [O] [T] ;
Ces offres d'indemnisation ont toutes été acceptées sans réserve ;
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 août 2010, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a offert d'indemniser trois autres petits-enfants du défunt, [T] [F], [H] [F] et [X] [F] par le versement à chacun de la somme de 3.300 euros ;
Cette offre a également été acceptée par ceux-ci sans réserve ;
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 septembre 2013 le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a proposé à [K] [I] veuve [W] la somme de 32.600 euros au titre de son préjudice moral et d'accompagnement subi par elle du fait du décès de son mari ;
Ses héritiers ont accepté cette somme ;
Puis par lettre recommandée avec accusé de réception des 24 octobre 2016 et 19 janvier 2017, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a offert de verser les sommes de 8.700 euros à [Q] [W] fille du défunt et de 3.300 euros à chacun des petits-enfants suivants du défunt : [I] [V], [S] [U], [X] [R], [A] [H], [U] [K], [J] [W], [P] [W], [YY] [W], [G] [W], [ZZ] [W], [TT] [L] et [S] [V] ;
Ces offres ont également été acceptées sans réserve ;
Selon courrier reçu par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante le 4 décembre 2017, [HH] [P] fille du défunt et ses trois enfants, [EE] [G], [CC] [O] et [E] [O] ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante d'une demande d'indemnisation de leur préjudice moral et d'accompagnement ;
Selon courrier du 16 février 2018, désormais déféré devant la Cour de céans par [E] [O], le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a notifié aux quatre requérants une décision de rejet d'indemnisation pour cause de prescription ;
C'est l'objet du litige dont est saisie la Cour par [E] [O] ;
Il convient d'observer en premier lieu que les parties s'accordent pour voir fixer au 22 novembre 2006, le point de départ du délai de prescription décennale de leur droit à indemnisation, laquelle date correspond à celle du certificat médical ayant établi le lien entre le décès de [Y] [W] et son exposition à l'amiante ;
Au soutien de sa contestation, [E] [O] expose que le délai de prescription opposable à sa demande d'indemnisation de son préjudice personnel a été interrompu par l'offre présentée par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante le 22 juillet 2010 au sens de l'article 2240 du code civil, que le règlement partiel de la créance interrompt la prescription, et qu'il dispose dès lors à raison de cette interruption, d'un délai qui expire le 22 juillet 2020 puisqu'une reconnaissance partielle du droit du créancier a un effet interruptif pour la totalité de la créance et conséquemment pour l'ensemble des ayants droit du défunt ;
Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante s'oppose à ces prétentions ;
En application de l'article 53-III bis de la loi du 23 décembre 2000, le droit à indemnisation par le Fonds des victimes de l'amiante se prescrit désormais par 10 ans, en cas de décès, à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et l'exposition à l'amiante ;
Compte tenu de cette prescription décennale le délai dont disposait [E] [O] pour solliciter son indemnisation a normalement expiré le 22 novembre 2016 ;
[E] [O] argue que les offres d'indemnisation partielles du Fonds à l'égard des autres ayants droit, ont interrompu la prescription ;
La Cour observe qu'[E] [O] procède à une confusion juridique entre le droit à réparation intégrale des victimes de l'amiante qui peut conduire le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, régulièrement saisi dans le délai de 10 ans évoqué supra, à présenter des offres d'indemnisation dont la réalisation matérielle pour satisfaire au principe de réparation intégrale, est de nature à dépasser le délai de 10 ans, sous la condition préalable qu'elles aient bien été présentées dans ledit délai, et une offre présentée ex nihilo par un ayant droit du défunt qui présente une demande pour son propre compte de manière totalement nouvelle et hors du délai de 10 ans comme c'est le cas en l'espèce ;
A défaut de précision dans l'article 53-III bis de la loi du 23 décembre 2000 quant aux causes interruptives et suspensives du délai de prescription, ces causes relèvent toujours des articles 2 à 3 de la loi du 31 décembre 1968 puisque la loi du 20 décembre 2010 n'a pas modifié la nature de la prescription ni les autres éléments de son régime et notamment pas les motifs d'interruption ;
Il convient de rappeler que les offres du Fonds ne constituent pas des causes interruptives du délai de prescription décennale applicable ;
Si la réparation des préjudices à laquelle le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante est tenu au titre de la réparation intégrale pour chaque victime le saisissant, elle ne peut concerner que des postes de préjudices effectivement subis par le ou les demandeurs et dont il leur appartient de rapporter la preuve en les identifiant précisément ;
C'est ainsi que l'article 15 du décret du 23 octobre 2001 mentionne que « l'évaluation des préjudices est effectuée par le F.I.V.A. au regard des éléments dont il dispose » ;
Il s'en induit que l'offre d'indemnisation du Fonds est nécessairement déterminée par le champ de sa saisine au regard des demandes qui lui sont présentées ;
[E] [O] n'est pas en mesure de justifier aux débats avoir personnellement saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante au cours du délai de dix ans qui a été ouvert à compter du 22 novembre 2006,en présentant une quelconque demande de réparation de son préjudice personnel et d'accompagnement, puisque le seul formulaire d'indemnisation qu'il a rempli est en date du 15 novembre 2017 ;
Pour produire un effet interruptif de prescription, encore aurait-il fallu qu'[E] [O] adresse au Fond, lorsque celui-ci a procédé à l'instruction des demandes des autres membres de sa famille, des éléments suffisants pour établir a minima la pertinence de sa demande et de déterminer l'étendue de son préjudice ;
Or le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante n'a pas été saisi par [E] [O] d'une demande d'indemnisation de son préjudice avant novembre 2017 et [E] [O] n'a pas davantage avant cette date et surtout pas avant le 22 novembre 2016, adressé au Fonds les éléments permettant d'évaluer le préjudice dont il se prévaut désormais par l'effet de cette demande tardive ;
Tous les bénéficiaires des offres d'indemnisation du Fonds ont au demeurant accepté celles-ci, sans émettre de réserves à leur endroit, ni venir soutenir qu'un des ayants droit en la personne d'[E] [O] n'avait pas présenté de demande, et réinterroger le Fonds à cette fin, ce dont il s'évince que le Fonds est recevable à venir soutenir qu'il était totalement dans l'ignorance de l'existence de celui-ci ;
En outre la reconnaissance du droit à indemnisation d'[E] [O] au titre de son préjudice personnel est une action totalement distincte et autonome de celles liées aux préjudices subis par [Y] [W] de son vivant et de celles liées au titre des préjudices personnels de chacun des autres ayants droit ;
C'est ainsi que la saisine du Fonds par les proches de la victime est sans effet sur la prescription de l'action pouvant appartenir à d'autres proches de la même victime, tous étant des tiers les uns par rapport aux autres, de sorte que l'effet interruptif de prescription n'a qu'un effet relatif à l'égard de celui qui est l'auteur de l'acte interruptif sans pouvoir bénéficier aux autres ayants droit et encore moins rouvrir un quelconque nouveau délai au profit d'un nouveau demandeur tiers à la procédure initiale ;
C'est à bon droit que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a considéré que la demande d'[E] [O] présentée selon requête en date du 28 novembre 2017 était désormais prescrite ;
La demande d'[E] [O] sera rejetée ;
[E] [O] qui succombe en sa demande sera débouté de ses prétentions au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant publiquement contradictoirement en dernier ressort en application de l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 et les dispositions du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001, par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
Déclare [E] [O] recevable mais mal fondé en son recours,
Le déboute des fins de celui-ci,
Confirme la décision de rejet du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante du 16 février 2018,
Déboute [E] [O] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que le présent arrêt sera notifié par les soins du Greffe en application de l'article 33 du même décret par lettre recommandée avec accusé de réception aux parties et à leurs conseils,
Rappelle que les dépens sont à la charge du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante par application de l'article 31 du décret susvisé,
Et la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.
Le Greffier,Le Président.