ARRET
N° 249
Société [4]
C/
Organisme CARSAT [Localité 6]
COUR D'APPEL D'AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 18 NOVEMBRE 2022
*************************************************************
N° RG 21/02423 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IC5N
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDEUR
La société [4] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Le Montaigne
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me DAGUERRE, avocat au barreau de BORDEAUX, substituant Me Thomas FERRANT de la SELARL CABINET FERRANT, avocat au barreau de BORDEAUX
ET :
DÉFENDEUR
La CARSAT [Localité 6] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Mme [K] [X], dûment mandatée
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Juin 2022, devant Monsieur Renaud DELOFFRE, Président assisté de Mme OUTREBON Véronique et Mme ANSEL Andréa, assesseures, nommées par ordonnances rendues par Madame la Première Présidente de la Cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.
Monsieur Renaud DELOFFRE a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 18 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Audrey VANHUSE
PRONONCÉ :
Le 18 Novembre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Monsieur Renaud DELOFFRE, Président et Mme Mélanie MAUCLERE, Greffier placé.
*
* *
DECISION
La société [4] (SIREN : [N° SIREN/SIRET 3]) exerce une activité de prestations de services pour la gestion d'opérations immobilières.
Le 9 septembre 2020, un contrôleur de sécurité de la Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail [Localité 6] (CARSAT [Localité 6]) a effectué une visite sur le chantier sis [Adresse 8], dont la CARSAT considère que la société [4] a la charge en tant que maître d'ouvrage.
Il a constaté que le personnel de la société [4] et les autres intervenants du chantier étaient exposés à des risques exceptionnels de chute de hauteur.
Par un courrier du 21 septembre 2020, la CARSAT [Localité 6] a fait injonction à la société [4] de mettre en place, avant le 30 octobre 2020, un certain nombre de mesures de prévention.
Par courrier du 17 décembre 2020, la CARSAT a notifié à la société [4] sa décision de lui imposer une cotisation supplémentaire d'un montant de 1000 € à raison de l'inexécution des mesures prescrites.
Par assignation délivrée à la CARSAT [Localité 6] en date du 10 mai 2021 pour l'audience du 3 septembre 2021, la société [4] demande à la Cour de :
- JUGER la SNC [4] recevable et bien fondée,
- ANNULER dans l'intégralité de ses dispositions la décision de la CARSAT du [Localité 6] en date du 17 Décembre 2020 édictée sous le numéro I-PL-2020-6246,
- JUGER que la majoration n'est pas due par la SNC [4], En tout état de cause,
- CONDAMNER la CARSAT DU [Localité 7] à verser à la SNC [4] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.
Elle fait valoir en substance que :
La majoration appliquée résulte de la prétendue constatation, par les agents de la CARSAT, d'une situation de risque exceptionnel.
Or, à aucun moment la décision querellée ne fait état de l'existence du risque.
Elle ne vise notamment aucune des hypothèses de risques limitativement énumérées à l'article 10 de l'arrêté du 9 Décembre 2010.
D'ailleurs, aucun risque exceptionnel n'a pu être identifié.
La CARSAT ne fournit aucun document et se fonde sur ses prétendues constatations.
La CARSAT fonde la procédure ainsi que l'ensemble de ses décisions sur la circonstance que la SNC [4] exercerait l'activité suivante :
Activité principale Promotion, vente, location ou administration de biens immobiliers. Cf. Pièce n° 2
Il n'en est rien.
La SNC [4] produit son extrait Kbis qui démontre bien que son activité est la suivante
PRESTATIONS DE SERVICES POUR LA GESTION D OPERATIONS IMMOBILIERES
La SNC [4] n'exerce aucune activité de construction.
Or, le taux de majoration forfaitaire appliqué correspond à une majoration due par l'employeur. La SNC [4] n'emploie aucun salarié qui serait exposé à un risque particulier en raison de son activité puisque précisément, elle n'exerce aucune activité de construction.
La SNC [4] exerce une activité de maîtrise d'ouvrage déléguée.
Dans ce cadre, elle exerce les activités suivantes :
- Recherche et négociation foncière
- assistance à l'obtention du permis de construire
- Assistance à la négociation des marchés et au suivi des travaux
- Assistance à la commercialisation
- Assistance à la livraison et au service après-vente
Cf. Pièce n° 6
A aucun moment elle n'est chargée de construire.
Au contraire, le schéma contractuel est le suivant.
Les maîtres d'ouvrage concluent, pour les besoins de la réalisation d'opérations immobilières,
des conventions avec :
- Des maîtres d'oeuvre, et
- Des coordonateurs SPS,
- Des entreprises chargées des différents lots de construction.
Cf. Pièce n° 7
Ainsi, en cas de problème lié à la sécurité, c'est bien au maître d'oeuvre de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris les interruptions de chantier.
Par ailleurs, il appartient à l'employeur des salariés concernés de prendre toute mesure utile. La SNC [4] n'est absolument pas l'employeur des salariés visés.
D'ailleurs, injonction a été faite aux entreprises titulaires des marchés concernés de se conformer aux règles de sécurité.
Cf. Pièce n° 9
Dès lors, la notification de majoration a été adressée à la SNC [4] alors qu'elle n'est ni l'employeur des salariés prétendument concernés par un risque, ni débitrice des obligations de prévention.
Evoquée à l'audience du 3 septembre 2021 la cause a été renvoyée à celle du 18 mars 2022 puis du 17 juin 2022 lors de laquelle elle a été plaidée.
Par conclusions visées par le greffe le 17 juin 2022 et soutenues oralement par avocat par référence auxdites écritures, la demanderesse réitère les prétentions et l'essentiel des moyens résultant de son acte introductif d'instance en développant ces derniers.
Par conclusions n°2 enregistrées par le greffe à la date du 21 mars 2022 et soutenues oralement par sa représentante par référence auxdites écritures, la CARSAT [Localité 6] demande à la Cour de rejeter le recours de la société [4] et de la débouter de ses prétentions sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait en substance valoir que :
La décision d'imposition de la cotisation supplémentaire ne saurait donc donner lieu à annulation pour les motifs évoqués par la requérante, qui reposent sur une fausse interprétation du sens et de la portée de l'article 10 de l'arrêté du 9 décembre 2010.
La société [4] prétend que la cotisation supplémentaire devrait faire l'objet d'une annulation car aucun risque exceptionnel n'aurait justifié l'injonction et que les mesures de prévention qui lui ont été prescrites par celle-ci ne tiendraient pas compte de son activité et de la qualité en laquelle elle interviendrait sur les chantiers.
La CARSAT [Localité 6] fera la démonstration que cette contestation ne relève pas d'une contestation de la cotisation supplémentaire mais de l'injonction et qu'elle doit donc être jugée irrecevable.
En application de l'article L422-4 du Code de la Sécurité sociale, la CARSAT peut " inviter tout employeur à prendre toutes mesures justifiées de prévention, sauf recours de l'employeur à l'autorité compétente de l'Etat qui doit être saisie et doit se prononcer dans les délais qui sont fixés par voie réglementaire ".
Selon l'article R.422-5 du Code de la Sécurité sociale, " l'autorité compétente est le directeur régional du travail et de l'emploi ".
L'autorité administrative qu'est la DIRECCTE est donc de manière générale seule compétente, sous le contrôle du juge administratif, pour apprécier la pertinence des mesures de prévention imposées par les CARSAT, en rapport avec des risques identifiés dans les établissements.
La règle qui a une validité générale se trouve expressément reprise par l'arrêté du 9 décembre 2010 à propos des cotisations supplémentaires.
En application de l'article L242-7 du Code de la Sécurité sociale :
" La caisse visée aux articles L. 215-1 et L. 215-3 du Code de la Sécurité sociale peut imposer, après avis favorable du comité technique régional compétent ou de la commission paritaire permanente visée à l'article 3 ci-dessus, une cotisation supplémentaire pour tenir compte des risques exceptionnels présentés par l'exploitation, révélés notamment par une infraction constatée en application de l'article L. 8113-7 du Code du travail ou résultant d'une inobservation des mesures de prévention prescrites en application des articles L. 422-4 et L. 422-1, premier alinéa, du Code de la Sécurité sociale, et dont l'exécution relève ou non de la procédure d'injonction.
Cette cotisation supplémentaire est due à partir de la date à laquelle ont été constatés les risques exceptionnels ci-dessus mentionnés ".
En l'occurrence, la société [4] ne soutient à aucun moment qu'elle aurait satisfait aux mesures de prévention prescrites par l'injonction ou même qu'elle aurait fait disparaître les risques exceptionnels qui justifiaient cette injonction.
Son intention est uniquement de contester l'autorité de la décision d'injonction préalable à la cotisation supplémentaire qui déterminait " les risques exceptionnels concernés, les mesures à prendre par l'employeur [ainsi que] les possibilités techniques de réalisation ", car elle soutient en guise de discussion du bien-fondé de la cotisation supplémentaire que celle-ci devrait être annulée car les " risques exceptionnels " n'auraient jamais existé ou que les " mesures à prendre " ne seraient pas pertinentes ou impossibles à mettre en place techniquement.
La contestation de la cotisation supplémentaire que forme la société [4] ne tient donc aucun compte des pouvoirs juridictionnels de la Cour d'appel d'Amiens qui ne peut aucunement se prononcer, dans le cadre d'une contestation de la cotisation supplémentaire, sur le bien-fondé des mesures de prévention prescrites par l'injonction préalable ou l'existence initiale des risques exceptionnels qui justifiait ces mesures de prévention, d'autant qu'en l'occurrence la décision d'injonction n'a jamais été contestée et est donc devenue définitive.
La Cour d'appel d'Amiens dira irrecevable la contestation des éléments matériels sur lesquels s'appuie la cotisation supplémentaire après avoir constaté qu'elle relève en l'occurrence d'une contestation de l'injonction.
A titre subsidiaire : la Cour d'appel d'Amiens pourra constater que les salariés de la société [4] sont bien exposés à des risques exceptionnels justifiant la cotisation supplémentaire.
La CARSAT [Localité 6] estime que le débat consistant à savoir si les salariés de la société [4] sont bien exposés à des risques exceptionnels relève par nature d'une contestation de la décision d'injonction préalable, car la caractérisation précise des risques exceptionnels est faite par l'injonction, en application de l'article 11 de l'arrêté du 9 décembre 2010.
Au demeurant, il faut noter que la décision d'injonction préalable n'a fait l'objet d'aucune contestation, de sorte qu'elle doit être réputée parfaitement fondée pour le litige ouvert concernant la cotisation supplémentaire.
A titre purement subsidiaire, la CARSAT démontre néanmoins que la société [4] intervient bien sur les chantiers en tant que maître d'ouvrage et que ses salariés y travaillent, contrairement à ses allégations.
Par courrier du 13 juin 2022, la CARSAT avait indiqué à la Cour qu'elle avait produit par erreur à l'appui de ses écritures la cotisation supplémentaire qui est l'objet d'un autre recours devant la Cour ( sous les références 21/02420) et non celle du 17 décembre 2020 et joint les justificatifs de la notification de cette dernière.
MOTIFS DE L'ARRET
Attendu qu'il convient de relever d'office ce qui suit :
- Il résulte de la lecture des pièces dans les deux dossiers 21/02420 et 21/02423 que ces procédures concernent deux chantiers distincts situés l'un au [Localité 5] ayant donné lieu à une injonction I-PL-2020-6246 du 21 septembre 5020 et à une décision de majoration du 17 décembre 2020 ( faisant référence sans doute par erreur matérielle à une injonction du 16 septembre 2020), l'autre à [Localité 9] ayant donné lieu à une injonction I-PL-2019-5378 du 22 octobre 2019 et à une majoration par courrier du 5 novembre 2020 et que la CARSAT a adressé à la société [4] un courrier du 2 novembre 2020 portant sur les deux chantiers litigieux dans lequel elle avise cette dernière en ce qui concerne le chantier " les jardins de Mongazon " de la majoration à 50% de son taux de cotisations et la prévient qu'à défaut d'avoir mis en 'uvre les mesures imparties pour la fin de l'année, son taux serait majoré de 200% et elle lui demande également, s'agissant du chantier du [Localité 5] de transmettre la délibération de ses institutions représentatives du personnel et de lui faire parvenir la liste des chantiers ouverts à ce jour en lui indiquant qu'en l'absence de réponse elle s'exposait à " une majoration supplémentaire à celle déjà existante du taux de cotisations AT/MP ".
- La société [4], dans ses écritures déposées à l'audience au dossier 21/02423 indique que l'injonction résulte du courrier du 21 septembre 2020 (sa pièce n° 2), laquelle concerne l'injonction I-PL-2020-6246 et qu'elle conteste la décision de majoration résultant du courrier de la CARSAT du 5 novembre 2020 ( sa pièce n° 4) dont l'on constate à la lecture de cette pièce qu'elle fait suite à l'injonction du 22 octobre 2019 portant le numéro I-PL-2019-5378.
- Par contre dans l'acte introductif d'instance du dossier enregistré sous le numéro 21/02423, elle fait référence à l'injonction du 21 septembre 2020 et au courrier de notification de majoration forfaitaire du 17 décembre 2020 portant sur l'injonction du 16 septembre 2020 I-PL-2020-6246.
- Par courrier du 13 juin 2022 à la Cour, la CARSAT [Localité 6] indique avoir produit par erreur la cotisation supplémentaire du 5 novembre 2020 qui fait l'objet du recours enregistré sous les références RG 21/02420 et qu'elle produit donc la notification du 17 décembre 2020 avec son accusé de réception.
- Il n'est aucunement établi que la CARSAT ait rendu destinataire la demanderesse ou son avocat de son courrier à la Cour du 13 juin 2022 ou à tout le moins que cette dernière en ait eu connaissance à la date de l'audience.
Attendu qu'eu égard à la divergence des conclusions de la demanderesse avec son acte introductif d'instance et, au surplus, à l'incertitude sur la question de savoir si elle avait eu connaissance lors des plaidoiries des communications de la CARSAT [Localité 6] par courrier du 13 juin 2022 adressé à la Cour , cette dernière ne peut en aucun cas statuer dans cette affaire et ne peut qu'ordonner la réouverture des débats selon les modalités prévues au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS.
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,
Avant dire-droit sur la totalité des prétentions des parties,
ORDONNE la réouverture des débats à l'audience du 05 mai 2023 à 09h00 à laquelle les parties sont invitées à présenter à nouveau leurs prétentions et moyens, compte tenu des nouvelles écritures éventuelles de la demanderesse et des pièces faisant l'objet du courrier de la CARSAT [Localité 6] à la Cour du 13 juin 2022.
DIT que les parties ne pourront procéder à un dépôt de dossier mais devront soutenir oralement leurs prétentions et moyens respectifs.
DIT que la notification du présent arrêt vaudra convocation des parties à l'audience de réouverture des débats.
RESERVE les dépens.
Le Greffier, Le Président,