ARRET
N° 251
Société [10]
C/
Organisme CARSAT PAYS DE LA LOIRE
COUR D'APPEL D'AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 18 NOVEMBRE 2022
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N° RG 22/00617 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IK7B
Décision de la CARSAT PAYS DE LA LOIRE EN DATE DU 17 décembre 2021
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDEUR
La Société [10], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
( MP: M. [P] [X])
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me BOUAZIZ, avocat au barreau de PARIS substituant Me Valérie PARISON, avocat au barreau de LYON
ET :
DÉFENDEUR
La CARSAT PAYS DE LA LOIRE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Mme [K] [D] dûment mandatée
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Juin 2022, devant Monsieur Renaud DELOFFRE, Président assisté de Mme Véronique OUTREBON et Mme Andréa ANSEL, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la Première Présidente de la Cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.
Monsieur Renaud DELOFFRE a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 18 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Audrey VANHUSE
PRONONCÉ :
Le 18 Novembre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Monsieur Renaud DELOFFRE, Président et Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Monsieur [P] [X], salarié de la société [10] en qualité de soudeur depuis le 2 mai 2011, a établi en date du 15 juin 2020 une déclaration de maladie professionnelle relative à une « cataracte bilatérale » inscrite au tableau 71 des maladies professionnelles .
Par courrier du 14 octobre 2020, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Morbihan a notifié à la société [10] sa décision de prise en charge de cette maladie au titre des risques professionnels.
Les incidences financières de la maladie professionnelle du 15 juin 2020 de Monsieur [P] [X] ont été inscrites au compte employeur 2020 de la société [10].
Par courrier daté du 8 décembre 2021, la société [10] a sollicité auprès de la Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail Pays de la Loire l'inscription au compte spécial de la maladie du 15 juin 2020 de Monsieur [P] [X] en application de l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995.
Par courrier du 17 décembre 2021, la CARSAT Pays de la Loire a rejeté la demande formée par la société [10].
Par acte délivré à la CARSAT Pays de la Loire le 8 février 202 pour l'audience du 17 juin 20222, la société [10] demande à la Cour de':
- Constater que les dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 sont réunies.
- Retirer les sommes afférentes à la maladie professionnelle du 15 janvier 2020 déclarée par Monsieur [P] [X], du compte employeur de la Société [10].
- Déclarer que les frais afférents à la maladie professionnelle du 15 janvier 2020 déclarée par Monsieur [P] [X] doivent être imputées au compte spécial.
Elle sollicite également dans la partie discussion de son assignation l'annulation de la décision de la CARSAT du 17 décembre 2021.
Par conclusions enregistrées par le greffe à la date du 16 mai 2022 et soutenues oralement par avocat, la demanderesse réitère les prétentions résultant de son acte introductif d'instance et fait pour l'essentiel valoir que':
Monsieur [P] [X] a été exposé au risque du tableau dans plusieurs autres entreprises successivement et notamment depuis sa formation de 7 mois, de décembre 2009 à juin 2010 à l'AFPA de [Localité 8] pour être soudeur.
Monsieur [P] [X] a également travaillé pour le compte de (Pièce n°5) :
- l'AFPA de décembre 2009 à juin 2010 en qualité de soudeur,
- la Société [7] ([9]) de mai à juin 2009 :
- la Société [6] ([5]) au mois d'août 2009 ;
- la Société [11] d'août 2010 à avril 2011 en qualité de soudeur soit pendant une durée de 8 mois.
Il ressort des éléments fournis que Monsieur [P] [X] a travaillé dans plusieurs entreprises en qualité de soudeur pendant plus de 12 ans :
* formation à l'AFPA pendant 7 mois,
* société [12] pendant 7 mois,
* société [11] pendant 8 mois,
* société [10] pendant 9 ans.
sans qu'il soit possible de déterminer au sein de quelle entreprise la pathologie déclarée a pu être contractée.
J'attire votre attention sur le fait que le délai de prise en charge est de 15 ans pour cette maladie. De sorte qu'il a certainement été exposé chez [10] (puisqu'il a travaillé 9 ans) mais également pendant sa formation à l'AFPA (7 mois) et chez d'autres employeurs : l'entreprise [12] (7 mois), [11] (8 mois), soit plus de 12 ans en qualité de soudeur.
D'ailleurs, au sein du questionnaire assuré, Monsieur [P] [X] précise qu'il a été exposé au rayonnement thermique de verre ou de métal portés à incandescences de part son métier de soudeur (Pièce n°6) :
Avez-vous (ou votre salarié a-t-il) été exposé au rayonnement thermique de verre ou de métal portés à incandescence ' Décrivez
- oui, de part mon métier de soudeur.
Dès lors, Monsieur [P] [X] ayant été exposé au risque défini par le tableau n°71, successivement dans plusieurs entreprises différentes, sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie, les dispositions de l'article D 242-6-3 du CSS sont applicables en l'espèce.
Les conséquences financières de la maladie professionnelle de Monsieur [P] [X] ne doivent donc pas être imputées sur le compte employeur de la société [10], mais au compte spécial.Par conséquent, conformément aux dispositions de l'article 2 alinéa 4 de l'arrêté du 16 octobre 1995, je vous remercie de bien vouloir imputer la maladie déclarée par Monsieur [P] [X] au compte spécial.
La société [10] sollicite en conséquence de la Cour l'annulation de la décision de la CARSAT du 17 décembre 2021.
Par conclusions enregistrées par le greffe à la date du 7 juin 2022 et soutenues oralement par sa représentante, la CARSAT PAYS DE LA LOIRE demande à la Cour de':
Constatant que la société [10] n'apporte pas la preuve de l'exposition au risque de la maladie par les précédents employeurs,
- DIRE ET JUGER que les conditions d'application de l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 ne sont pas remplies,
En conséquence :
- CONFIRMER la décision de la CARSAT Pays de la Loire de maintenir au compte employeur de la société [10] les incidences financières de la maladie professionnelle déclarée par Monsieur [P] [X] le 15 juin 2020.
- DEBOUTER la Société [10] de l'ensemble de ses demandes.
Elle fait en substance valoir que':
Pour solliciter l'inscription au compte spécial de la maladie professionnelle de Monsieur [P] [X], la société [10] soutient qu'il ressort de la déclaration de maladie professionnelle et du curriculum vitae de Monsieur [P] [X] qu'il a été exposé au risque de la maladie chez ses précédents employeurs, ce dont elle déduit que les précédents emplois de Monsieur [P] [X] l'ont également exposé au risque de la maladie.
Cependant, la production de la déclaration de maladie professionnelle et du curriculum vitae ne permet pas d'apporter la preuve d'une exposition au sein d'employeurs précédents puisque ces documents ne rapportent que les déclarations d'un salarié qui souhaite que son sinistre fasse l'objet d'une prise en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie.
En conséquence, les éléments produits par la société [10] ne sont pas de nature à démontrer que le salarié a été exposé au risque chez ses précédents employeurs.
MOTIFS DE L'ARRET.
Attendu que les articles D.242-6-5 alinéa 4 et D.242-6-7 alinéa 4 du code de la sécurité sociale [issus du décret n°2010-753 du 5 juillet 2010 fixant les règles de tarification des risques accidents du travail et maladies professionnelles (ci-après AT/MP)] prévoient que les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par un arrêté ministériel ne sont pas comprises dans la valeur du risque ou ne sont pas imputées au compte employeur mais sont inscrites à un compte spécial.
Qu'aux termes des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 (relatif à la tarification des risques accidents du travail et maladies professionnelles) pris pour l'application de l'article D.242-6-5 précité sont inscrites au compte spécial les maladies professionnelles dans les cas suivants :
1° La maladie professionnelle a fait l'objet d'une première constatation médicale entre le 1er janvier 1947 et la date d'entrée en vigueur du nouveau tableau de maladies professionnelles la concernant ;
2° La maladie professionnelle a fait l'objet d'une première constatation médicale postérieurement à la date d'entrée en vigueur du tableau la concernant, mais la victime n'a été exposée au risque de cette maladie professionnelle qu'antérieurement à la date d'entrée en vigueur dudit tableau, ou la maladie professionnelle reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale a été constatée postérieurement au 29 mars 1993, mais la victime n'a été exposée au risque de cette maladie professionnelle qu'antérieurement au 30 mars 1993 ;
3° La maladie professionnelle a été constatée dans un établissement dont l'activité n'expose pas au risque mais ladite maladie a été contractée dans une autre entreprise ou dans un établissement relevant d'une autre entreprise qui a disparu ou qui ne relevait pas du régime général de la sécurité sociale ;
4° La victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie ;
5° La maladie professionnelle reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale a été constatée entre le 1er juillet 1973 et le 29 mars 1993.
Attendu qu'en l'espèce la demande de la société [10] est fondée sur le 4° de l'arrêté précité.
Qu'en application des articles 6 et 9 du Code de procédure civile il lui appartient donc, dans un premier temps, d'alléguer puis d'établir que Monsieur [X] a été exposé au risque de la maladie professionnelle du tableau 71 des maladies professionnelles dans plusieurs établissements d'entreprises différentes, qu'il lui appartient d'identifier, et qu'il lui appartient ensuite, si elle effectue cette démonstration, d'alléguer puis d'établir qu'il n'est pas possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie.
Attendu qu'en ce qui concerne la charge de l'allégation, la demanderesse allègue que le salarié aurait été exposé au risque dans ses fonctions de soudeur au service de l'AFPA pendant 7 mois, de la société [12] pendant 7 mois, de la société [11] pendant 9 mois et à son service pendant 9 ans et qu'elle soutient qu'il ne serait pas possible du fait de cette multiexposition de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie.
Qu'elle allègue également, mais sans indiquer qu'il y était soudeur ou qu'il y a été exposé au risque du tableau, qu'il a travaillé au sein de l'entreprise utilisatrice [7] pour la compte de la société [9] de mai à juin 2009 et pour la société [6] pour le compte de la société [5] au mois d'août 2009 et que l'on peut considérer que ces entreprises sont considérées par elle comme exposantes, bien qu'elle ne l'indique pas expressément, puisqu'il aurait été sinon inutile d'y faire référence et que l'argumentation d'une partie doit, dans la mesure du possible, s'interpréter de manière à ce qu'elle ait un sens.
Que tous ces faits sont concluants et qu'elle a donc satisfait aux prescriptions de l'article 6 du Code de procédure .
Attendu qu'il lui appartient ensuite d'établir la multiexposition ainsi alléguée pour satisfaire aux prescriptions de l'article 9 du Code de procédure civile.
Attendu que la preuve des faits juridiques est libre.
Qu'aux termes de l'article 1353 du Code civil devenu 1382 du Code Civil 'les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol.
Attendu qu'à l'appui de sa demande d'inscription au compte spécial, la société [10] produit la déclaration de maladie professionnelle établie par Monsieur [X], dans laquelle ce dernier a barré la rubrique «' emplois antérieurs ayant exposé le salarié au risque'», le courrier de prise en charge et les courriers échangés par elle avec la CARSAT, le curriculum vitae établi par le salarié et le questionnaire remis par ce dernier à la caisse.
Attendu que les conditions concrètes de travail de Monsieur [X] chez ses précédents employeurs ne sont pas connues.
Que son questionnaire remis à la caisse indique certes qu'il a été exposé au rayonnement thermique de verre ou de métal porté à incandescence de par son métier de soudeur mais qu'il y est fait référence uniquement à son poste de soudeur du 12 août 2010 au 23 juillet 2020, ce qui correspond à son activité au service de la société [10], sans qu'il apparaisse en outre avec certitude à la lecture de son curriculum vitae qu'il ait effectué des travaux de soudure pour le compte de ses précédents employeurs à l'exception de l'AFPA et de la société [12] chez lesquelles il a effectué son stage pratique pendant cette formation AFPA .
Qu'il ne fournit ni dans son questionnaire ni dans son curriculum vitae aucune précision sur ses conditions concrètes de travail chez ses précédents employeurs et ne fait d'ailleurs état à aucun moment d'une quelconque exposition au risque du tableau chez ces derniers puisque, comme indiqué plus haut, la rubrique «' emplois antérieurs ayant exposé au risque de la maladie'» de la déclaration de maladie professionnelle est barrée et non renseignée.
Que la procédure d'instruction de la maladie par la caisse, qui aurait peut-être pu faire apparaître des éléments précis et concrets susceptibles d'établir la nature des tâches effectuées par le salarié au service des précédents employeurs n'est pas produite à l'exception du questionnaire salarié qui ne contient sur ce point aucune indication.
Qu'il sera ajouté que l'exercice par le salarié chez de précédents employeurs du même métier que celui exercé chez l'employant dernier exposant ou d'un métier spécifique présenté comme exposant au risque - ce que la demanderesse n'établit d'ailleurs aucunement sauf pour la période pendant laquelle le salarié était stagiaire de l'AFPA avec un stage à l'entreprise [12] - est à lui-seul insuffisant à caractériser les conditions exactes de travail du salarié chez un précédent employeur et ne permet pas de retenir l'exposition au risque chez ce dernier ( en ce sens que ne constitue pas une motivation suffisante à justifier une décision d'inscription au compte spécial le fait que le salarié ait déclaré avoir été exposé au risque chez ses précédents employeurs, la durée très courte d'exposition chez le dernier employeur exposant avant la constatation médicale de la maladie et les spécificités du métier': 2e Civ., 25 novembre 2021, pourvoi n° 20-19.296 ).
Qu'en l'état des éléments du débat, la Cour ne dispose pas de suffisamment d'éléments pour retenir au sens de l'article 1353 du Code civil devenu 1382 du Code Civil l'existence de présomptions graves précise et concordantes de l'exposition au risque du salarié chez un ou plusieurs précédents employeurs et que la demanderesse ne prouve donc que l'exposition du salarié à son service.
Qu'il convient en conséquence de dire que la société [10] n'établit pas que les conditions d'inscription des dépenses de la maladie de Monsieur [X] au compte spécial soient remplies et de la débouter de sa demande en ce sens et de sa demande de retrait des coûts litigieux de son compte employeur et de dire par voie de conséquence qu'il y a lieu de dire bien fondée la décision de la CARSAT PAYS DE LA LOIRE de maintenir les conséquences financières de la maladie de ce salarié sur le compte employeur de la société demanderesse.
Attendu que cette dernière succombant intégralement en ses prétentions et étant donc partie perdante, il convient en application de l'article 696 précité du Code de procédure civile de la condamner aux dépens de la présente procédure.
PAR CES MOTIFS.
La Cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,
Dit que la société [10] n'établit pas que les conditions d'inscription des coûts de la maladie de Monsieur [X] au compte spécial soient remplies et la déboute de sa demande en ce sens ainsi que de sa demande de retrait de ces coûts de son compte employeur.
Dit par voie de conséquence bien fondée la décision de la CARSAT PAYS DE LA LOIRE, notifiée par courrier à la demanderesse du 17 décembre 2021, de maintien de l'inscription de ces dépenses sur son compte employeur et de rejeter sa demande au titre de leur inscription au compte spécial et en annulation de la décision précitée.
Condamne la société [10] aux dépens de la présente procédure.
Le Greffier, Le Président,