ARRET
N°262
Société [6]
C/
CARSAT Rhône-Alpes
-copie exécutoire délivrée à
CARSAT Rhône-Alpes
Me Kolaï
Me Camier
le 05/07/2024
-CCC délivrées à
société [6]
CARSAT Rhône-Alpes
Me Camier
Me Kolaï
le 05/07/2024
COUR D'APPEL D'AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 05 JUILLET 2024
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N° RG 23/03383 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2ZN
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDERESSE
Société [6]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Olympe Turpin de la SELARL LX Amiens-Douai, avocat au barreau d'Amiens, substituant Me Hélène Camier de la SELARL LX Amiens-Douai, avocat au barreau d'Amiens
Représentée et plaidant à l'audience par Me Sami Kolaï de la SELAS Fidal, avocat au barreau de Macôn/Charolles
ET :
DÉFENDERESSE
CARSAT Rhône-Alpes
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée et plaidant à l'audience par M. [G] [L], muni d'un pouvoir
DÉBATS :
A l'audience publique du 15 mars 2024, devant M. Renaud Deloffre, président assisté de M. Louis-Noël Guerra et Mme Brigitte Denamps, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.
M. Renaud Deloffre a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 05 juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Audrey Vanhuse
PRONONCÉ :
Le 05 juillet 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Renaud Deloffre, président et Mme Audrey Vanhuse, greffier.
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DECISION
Le 23 septembre 2021, Madame [T] [K], contrôleur de sécurité de la CARSAT Rhône-Alpes, a effectué une visite au sein de la société [6] située [Adresse 2] lors de laquelle elle a constaté que les salariés de la société étaient exposés à :
- un risque lié aux manutentions lourdes et répétitives.
- un risque lié à l'accès aux organes en mouvement d'un équipement de travail.
La CARSAT Rhône-Alpes a alors notifié à la société [6] une injonction en date du 21 octobre 2021 et portant le n° 2021102, lui demandant de réaliser diverses mesures de prévention dans des délais allant de 7 jours à 6 mois :
Concernant le risque lié aux manutentions lourdes et répétitives :
Les packs d'eau sont acheminés sur palette jusqu'au rayon puis l'opérateur transfère chaque pack d'eau sur une palette posée au sol en rayon.
Des packs de bières ( 12 x 33 cl ) sont stockées en rayon à 10 cm du sol à une profondeur de plus de 40 cm.
MESURES A PRENDRE.
Réaliser une étude permettant d'intégrer les caractéristiques des produits (poids unitaire, dimensions) dans la réflexion du plan d'implantation de ceux-ci dans les rayons en respectant les contraintes techniques fournies par les fabricants de mobiliers et les préconisations de la recommandation R478.
Cette étude sera réalisée par une personne compétente en prévention des TMS. Vous pourrez notamment vous référer à la liste des consultants référencés par la Carsat Rhône-Alpes : https://www.carsatra.fr/images/pdf/entreprises/Liste consultants TMS.pdf »
DELAI D'EXECUTION : 6 mois
Définir un plan d'action associé qui prendra notamment en compte les deux situations constatées (manutention des packs d'eau, stockage à moins de 40 cm du sol et à une profondeur de plus de 40 cm) »
DELAI D'EXECUTION : 6 mois
Concernant le risque lié à l'accès aux organes en mouvement d'un équipement de travail
Deux accidents du travail ont eu lieu sur les trancheuses à jambon en 2019 et 2020.
Lors de l'utilisation des trancheuses à jambon, il existe un risque de coupure.
La poignée du pousse talon ne permet pas un maintien en position fixe sans l'action de l'opérateur.
MESURES A PRENDRE.
Réparer la trancheuse à jambon afin que la position de la poignée du pousse talon lors de la mise en place de la pièce de viande à découper puisse être maintenue mécaniquement »
DELAI D'EXECUTION : 7 jours
Afficher les consignes d'utilisation et de sécurité au poste pour l'utilisation des trancheuses à jambon»
DELAI D'EXECUTION : 7 jours
Mettre en place une maintenance préventive sur les trancheuses à jambon. Vous établirez pour cela un mode opératoire en vous basant sur la notice du constructeur »
DELAI D 'EXECUTION : 15 jours
Cette injonction a été réceptionnée le 25 octobre 2021 par la société [6].
Dans cette injonction, la CARSAT précisait à la société [6] qu'elle était tenue de l'informer par lettre recommandée, dans les délais impartis, de l'exécution complète des mesures prescrites.
Le 24 mai 2022, Madame [T] [K] a effectué une visite de vérification au sein de la société [6] à l'issue de laquelle elle a estimé que l'ensemble des mesures prescrites dans l'injonction n'étaient pas exécutées plusieurs mois après l'expiration des délais impartis, de sorte que les risques liés aux manutentions lourdes et répétitives persistaient.
A la suite de cette visite, un délai supplémentaire a été consenti à la société jusqu'au 20 septembre 2022.
Par courrier du 23 juin 2022, la société [6] a communiqué à la CARSAT un compte rendu de la réunion de son CSE ayant eu lieu le 31 mai 2022.
Le 29 septembre 2022, Madame [T] [K] a effectué une seconde visite de contrôle lors de laquelle elle a à nouveau considéré que l'ensemble des mesures prescrites dans l'injonction n'étaient pas exécutées après l'expiration du délai prorogé, et que le risque lié aux manutentions lourdes et répétitives demeurait.
Par courrier du 5 octobre 2022, la CARSAT a avisé la société [6] de l'absence de réalisation complète des mesures prescrites par l'injonction constatée lors de la visite effectuée le 29 septembre 2022, et informé la société du passage de son dossier devant la Commission Paritaire Permanente lors de sa prochaine réunion en vue d'une éventuelle majoration de son taux de cotisation AT/MP.
Sur avis favorable de la Commission Paritaire Permanente du 15 décembre 2022 la CARSAT Rhône-Alpes a notifié par courrier du 26 janvier 2023 à la Société [6] l'imposition d'une cotisation supplémentaire, par majoration de ses taux de cotisation accidents du travail 2021, 2023 et 2023 à hauteur de 25 %.
Elle informait la société du caractère automatique de la majoration à 50% à compter du ler avril 2023 en cas de non réalisation des mesures prescrites avant le 31 mars 2023, et du caractère automatique de la majoration à 200% à compter du ler octobre 2023 en cas de non réalisation des mesures prescrites avant le 30 septembre février 2023.
Par courrier du 24 mars 2023 de son avocat, la société a adressé à la CARSAT Rhône-Alpes un recours gracieux pour solliciter la suppression de la cotisation supplémentaire de 25% imposée.
Estimant que la société [6] ne l'avait pas avisée de l'exécution complète des mesures prescrites avant le 31 mars 2023, la CARSAT a, par courrier du 6 avril 2023, informé la société de sa décision de porter sa cotisation supplémentaire à 50% à effet du 1 er avril 2023.
Elle informait la société du caractère automatique de la majoration à 200% à compter du 1er octobre 2023 en cas de non réalisation des mesures prescrites avant le 30 septembre 2023.
Elle rappelait à nouveau à la société qu'elle devait informer la CARSAT de la mise en oeuvre complète des mesures figurant dans l'injonction par lettre recommandée.
Par courrier du 11 mai 2023 la société a effectué un recours gracieux auprès de la CARSAT afin de solliciter l'annulation de la cotisation supplémentaire de 50%.
Par courrier du 23 mai 2023, la CARSAT a rejeté les recours gracieux de la société en l'absence de communication par la société d'éléments permettant de constater la mise en oeuvre des mesures de prévention demandées, et elle a informé celle-ci du passage de son dossier devant les membres de la prochaine instance paritaire en vue de bénéficier des modalités d'aménagement définies à l'article 15 de l'arrêté du 9 décembre 2010.
Par courrier de son avocat du 22 juin 2023 la société réitérait sa demande d'annulation de la cotisation supplémentaire en indiquant qu'elle avait intégralement réalisé chacune des mesures qui lui étaient imparties et elle sollicitait la réduction, suppression ou suspension de l'aggravation des cotisations supplémentaires imposées.
La société [6] a, par acte délivré le 21 juillet 2023, assigné la CARSAT Rhône Alpes d'avoir à comparaître devant la Cour d'appel d'Amiens à l'audience du 15 mars 2024 afin d'obtenir l'annulation des cotisations supplémentaires de 25%, puis de 50% qui lui ont été appliquées.
Cette procédure a été enregistrée sous le numéro de registre général 23/03383.
Evoquée à l'audience du 15 mars 2024, elle a été renvoyée pour plaidoirie à celle du 5 juillet 2024.
Par courrier du 8 septembre 2023, la CARSAT a informé la société de la décision de la Commission paritaire permanente de maintenir les cotisations supplémentaires appliquées
Estimant qu'elle n'avait pas été avisée par la société [6] de l'exécution complète des mesures prescrites avant le 30 septembre 2023, la CARSAT a informé la société, par courrier du 6 octobre 2023, de sa décision de lui imposer une majoration de cotisation de 200% à effet du ler octobre 2023.
Puis, la société [6] a, par acte délivré le 19 octobre 2023, assigné la CARSAT Rhône Alpes d'avoir à comparaître devant la cour d'appel d'Amiens à l'audience du 12 janvier 2024 afin de voir déclarées mal-fondées les décisions de la CARST rejetant ses recours gracieux et d'obtenir l'annulation des cotisations supplémentaires qui lui ont été appliquées au titre de l'injonction du 21 octobre 2021.
Cette procédure a été enregistrée sous le numéro de registre général 23/04572.
Evoquée à l'audience du 12 janvier 2024, elle a été renvoyée pour plaidoiries à celle du 15 mars 2024.
A cette audience, les deux procédures ont été plaidées.
Par conclusions récapitulatives n°1 soutenues oralement par avocat, la société [6] demande à la cour de :
Avant dire droit, ordonner la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 23/03383 et RG 23/04572,
juger que la société [6] a réalisé de manière exhaustive les obligations mise à sa charge par l'injonction du 21 octobre 2021,
En conséquence,
Déclarer mal fondée et ne pouvant produire d'effet la décision du 23 mai 2023 de la caisse d'assurance retraite et de la sante au travail rhone-alpes rejetant les recours gracieux de [6] à l'encontre de la notification d'imposition d'une cotisation supplémentaire du 26 janvier 2023,
Déclarer mal fondée et ne pouvant produire d'effet la décision du 8 septembre 2023 de la caisse d'assurance retraite et de la sante au travail rhone-alpes rejetant les recours gracieux de [6] portant maintien des cotisations supplémentaires appliquées et à venir, décidé par la commission paritaire permanente du CTR ayant siégé le 25 août 2023 ;
Et ce, avec toutes conséquences de droit,
Condamner la caisse d'assurance retraite et de la sante au travail rhone-alpes à informer l'URSSAF du taux révisé,
Dire que la société [6] devra bénéficier du remboursement des cotisations trop versées à ce titre avec intérêts de retard au taux légal,
Condamner la caisse d'assurance retraite et de la sante au travail rhone-alpes à verser à la société [6] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la caisse d'assurance retraite et de la sante au travail Rhône-Alpes aux entiers dépens.
Elle fait pour l'essentiel valoir ce qui suit :
En ce qui concerne la réparation de la trancheuse à jambon.
Elle a fait intervenir en urgence son prestataire dédié qui est intervenu sur les bras pousse talon de l'ensemble des trancheuses.
En ce qui concerne l'affichage des consignes d'utilisation des trancheuses.
Les consignes ont été affichées sans délai ;
En ce qui concerne la mise en place d'une maintenance préventive.
Cette maintenance a été mise en place sans délai.
En ce qui concerne la réalisation d'une étude par une personne compétente en prévention des TMS.
Le cabinet [5], référencé par la CARSAT a été contacté dès le 9 novembre 2021 et a déposé son rapport le 25 mars 2022
En ce qui concerne la définition d'un plan d'action.
Ce plan d'action a été établi conjointement entre l'entreprise et le CSE en prenant appui sur le rapport [5].
A la lecture de l'injonction, il ne lui a jamais été fait obligation de faire en sorte que le stockage des packs d'eau et de bière se fasse à plus de 40 cm du sol et à une profondeur de moins de 40 cm conformément à la recommandation R 478.
Elle n'a donc commis aucun manquement au plan d'action imparti.
De même, rien dans l'injonction ne concernait l'installation de butées au fond des étagères ainsi que des systèmes d'avancée automatique.
Elle ajoute que non seulement elle a déféré aux obligations mises à sa charge mais qu'au surplus l'imposition d'une cotisation supplémentaire est parfaitement injuste compte tenu de l'évolution de la sinistralité de l'entreprise.
Par conclusions enregistrées par le greffe à la date du 10 janvier 2024 et soutenues oralement par son représentant, la CARSAT Rhône-Alpes demande à la cour de :
- Constater que la société [6] n'a pas contesté l'injonction du 21 octobre 2021 devant le DREETS;
- Constater que l'injonction est devenue définitive et exécutoire ;
- Constater que l'ensemble des mesures prescrites dans l'injonction n'a pas été réalisé et que le risque identifié lié aux manutentions lourdes et répétitives persiste jusqu'à ce jour, soit après l'expiration du délai de 6 mois qui a fait l'objet d'une prorogation ;
-Dire et juger que la décision du 26 janvier 2023imposant à la société [6] une cotisation supplémentaire de 25 % est justifiée ;
-Dire et juger que la décision du 6 avril 2023 imposant à la société [6] une cotisation supplémentaire de 50 % est justifiée ;
-Dire et juger que la décision du 6 octobre 2023 imposant à la société [6] une cotisation supplémentaire de 200 % est justifiée.
-Débouter la société [6] de sa demande de condamnation à l'article 700 du CPC et aux dépens.
Elle fait en substance valoir ce qui suit :
L'injonction a un caractère définitif et exécutoire, faute de recours devant la CREETS.
La société n'a pas justifié avoir mis en 'uvre l'ensemble des mesures de prévention prescrites.
Le 24 mai 2022, Madame [T] [K] a effectué une visite de vérification au sein de la société [6] lors de laquelle a constaté que la société n'avait pas réalisé la mesure suivante : « définir un plan d'action associé qui prendre notamment en compte les deux situations constatées (manutention des packs d'eau, stockage à moins de 40 cm du sol et à une profondeur de plus de 40 cm) ». Le contrôleur de sécurité a consenti à la suite à la société un report de délai au 20 septembre 2022 pour réaliser cette mesure (Pièce n°3).
Le 29 septembre 2022, Madame [T] [K] a effectué une seconde visite de contrôle lors de laquelle elle a constaté que cette mesure n'était toujours pas réalisée en dépit du report de délai accordé. Elle a en effet indiqué dans son rapport qu'à cette date la société n'avait pas proposé de plan d'action, ni mené d'action sur la manutention des packs d'eau et l'aménagement de la hauteur ou profondeur des rayons (non conforme à la recommandation R478) (Pièce n°5).
Dans ses écritures, la société prétend qu'il résulterait du compte rendu de la réunion du CSE du 21 mai 2022 transmis le 23 août 2022 à la CARSAT, soit antérieurement à la seconde visite de vérification effectuée par le contrôleur de sécurité, qu'elle aurait mis en place la mesure préconisée.
Aucun des points énoncés dans ce document ne répond à l'injonction qui a été faite à la société de faire en sorte que le stockage des packs d'eau et de bière se fasse à plus de 40 cm du sol et à une profondeur de moins de 40 cm, conformément à la recommandation R478 (Pièce n°4).
La requérante est incapable de faire ressortir de ce document une mesure concrète répondant
précisément à la demande qui a été faite dans l'injonction de « définir un plan d'action associé qui prendre notamment en compte les deux situations constatées (manutention des packs d'eau, stockage à moins de 40 cm du sol et à une profondeur de plus de 40 cm) ».
Il ressort au contraire de ce document que la société [6] refuse d'installer des butées au fond des étagères, ainsi que des systèmes d'avancée automatique sans justifier d'impossibilités techniques.
Le plan d'action proposé ne reprend d'ailleurs que 3 mesures organisationnelles sur les 23 préconisations du cabinet [5] et contient plusieurs refus d'agir, ce qui est un témoignage supplémentaire de la négligence dont fait preuve la société à l'égard de la santé et de la sécurité de ses salariés.
La société [6] ne justifie pas jusqu'à ce jour avoir réalisé la mesure relative aux hauteurs et profondeurs de mise en rayon, au moyen de documentations ou de photos permettant d'objectiver sa mise en 'uvre dans les délais imposés.
Elle s'applique au contraire à démontrer, en produisant cette fois de la documentation et des photos, avoir réalisé les autres mesures prescrites par l'injonction alors même que leur réalisation a été constatée par le contrôleur de Sécurité dès la première visite de contrôle, et qu'elles ne font donc pas partie de la discussion.
Enfin, pour contester les cotisations supplémentaires qui lui sont appliquées, la société prétend ne pas faire courir de risques exceptionnels aux salariés travaillant au rayon liquide et sous-entend donc que l'injonction qui lui a été notifiée n'est pas justifiée.
Or, la CARSAT tout comme le cabinet [5] ont identifié l'existence de risques de troubles musculo-squelettiques liés aux manutentions lourdes et répétitives.
Le Président d'audience a soulevé d'office l'incompétence de la cour pour connaitre de la demande remboursement des cotisations qui auraient été indument versées et il a autorisé l'employeur à faire parvenir à la cour une note en délibéré sous 15 jours sur ce point avec réponse à cette note par la CARSAT sous 15 jours.
Par courrier de son avocat en date du 28 mars 2024, la société [6] indique se désister de sa demande de remboursement des cotisations trop versées.
MOTIFS DE L'ARRET.
Les procédures 23/04572 et 23/03383 étant étroitement connexes pour porter sur le même litige, il convient d'en ordonner la jonction et de dire que la procédure sera désormais suivie sous le numéro 23/03383 qui est le plus ancien.
Aux termes de l'article 385 du code de procédure civile :
L'instance s'éteint à titre principal par l'effet de la péremption, du désistement d'instance ou de la caducité de la citation.
Dans ces cas, la constatation de l'extinction de l'instance et du dessaisissement de la juridiction ne met pas obstacle à l'introduction d'une nouvelle instance, si l'action n'est pas éteinte par ailleurs.
Aux termes de l'article 394 du même code :
Le demandeur peut, en toute matière, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l'instance.
Qu'aux termes de l'article 395 du même code :
Le désistement n'est parfait que par l'acceptation du défendeur.
Toutefois, l'acceptation n'est pas nécessaire si le défendeur n'a présenté aucune défense au fond ou fin de non-recevoir au moment où le demandeur se désiste.
Aux termes de l'article 397 :
Le désistement est exprès ou implicite ; il en est de même de l'acceptation.
Aux termes de l'article 398 :
Le désistement d'instance n'emporte pas renonciation à l'action, mais seulement extinction de l'instance.
Il résulte de ces textes que le désistement d'instance peut n'être que partiel et n'éteindre l'instance que relativement à la demande ou à la prétention faisant l'objet du désistement (en ce sens 2e Civ., 24 juin 2004, pourvoi n° 02-16.461, Bull., 2004, II, n° 318/ dans le sens que le désistement d'une demande ou d'une prétention serait un désistement « d'action » relativement à la prétention ou au moyen qui en est l'objet, Madame la Professeure [F] [M] [Y]. unique : Désistement JurisClasseur Encyclopédie des Huissiers de Justice Date du fascicule : 28 Mai 2022 n° 10).
En l'espèce le désistement de la société [6], par sa note en délibéré, de sa demande de remboursement par la CARSAT des cotisations qu'elle aurait indument réglées doit être considéré comme accepté par cette dernière compte tenu de son absence d'opposition par note en délibéré en réponse.
Il convient donc de constater le désistement d'instance de la société [6] de cette demande.
Vu l'article 1315 devenu 1356 du code civil , ensemble les articles L. 242-5, L. 242-7 , L. 422-1 et L. 422-4 du code de la sécurité sociale.
Selon le troisième de ces textes, la Caisse régionale peut imposer des cotisations supplémentaires pour tenir compte des risques exceptionnels résultant d'une inobservation des mesures de prévention prescrites en application des deux derniers textes et il appartient à l'employeur d'établir qu'il a exécuté les mesures faisant l'objet de l'injonction.
En outre, il résulte des articles précités que l'employeur qui n'a pas entièrement réalisé les mesures faisant l'objet de l'injonction peut obtenir la suppression totale des cotisations supplémentaires s'il rapporte la preuve de ce qu'à la date du contrôle, les risques d'accident ou de maladie professionnelle avaient disparu ou étaient très faibles (2e Civ., 11 juillet 2005, pourvoi n° 04-30.458 ; 2e Civ., 27 janvier 2022, pourvoi n° 20-10.478).
Dans le cas où il n'est pas établi par l'employeur que les risques aient disparu ou soient devenus très faibles, il résulte de l'article L.242-7 du code de la sécurité sociale que le juge de la tarification, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve soumis à son examen, a la possibilité de prendre en considération les circonstances et notamment la réalisation partielle des mesures de prévention pour réduire le taux de cotisations supplémentaires jusqu'au montant de 25 % de la cotisation normale calculé sur une période de trois mois avec un minimum de 1000 € mentionné à l'article 8 de l'arrêté du 9 décembre 2010 auquel renvoie l'article L. 242-7 précité (dans ce sens les arrêts de la Chambre Sociale du 22 novembre 1972 au Bull Civ V n° 61 et du 7 juillet 1981 au Bull Civ V n°668 et 2e Civ., 10 mars 2016, pourvoi n° 15-13.049 / également 2e Civ., 7 avril 2022, pourvoi n° 20-18.851 qui approuve la Cour spécialement désignée d'avoir réduit la cotisation supplémentaire au taux minimum de 25 % mentionné à l'article 8 de l'arrêté du 9 décembre 2010 en relevant la réalisation partielle des mesures de prévention sollicitées ainsi que les efforts incontestables effectués par la société).
En l'espèce, il convient de déterminer si, comme le soutient la société, elle aurait exécuté à bonnes dates les prescriptions qui lui étaient imparties par l'injonction et si elle a avisé la CARSAT dans les délais impartis dès l'exécution des mesures prescrites comme lui en faisait obligation l'injonction
Le litige ne porte pas sur les mesures imparties par l'injonction en ce qui concerne le risque lié aux organes en mouvement d'un équipement de travail, dont la CARSAT reconnait qu'elles ont été réalisées, et, en ce qui concerne le risque lié aux manutentions lourdes et répétitives, il ne porte pas sur la réalisation par une personne compétente en prévention des TMS d'une étude permettant d'intégrer les caractéristiques des produits (poids unitaire, dimensions) dans la réflexion du plan d'implantation de ceux-ci dans les rayons en respectant les contraintes techniques fournies par les fabricants de mobiliers et les préconisations de la recommandation R478, cette étude ayant été réalisée par le cabinet [5] et la CARSAT estimant qu'il a été satisfait sur ce point à l'injonction.
Le litige porte par contre, en ce qui concerne le risque lié aux manutentions lourdes et répétitives, sur la définition par la demanderesse sous six mois d'un plan d'action associé qui devait notamment prendre en compte les deux situations constatées (manutention des packs d'eau, stockage à moins de 40 cm du sol et à une profondeur de plus de 40 cm) »
Ce risque résultait du constat effectué par le contrôleur qui avait relevé au titre des risques exceptionnels que les packs d'eau sont acheminés sur palette jusqu'au rayon puis que l'opérateur transfère chaque pack d'eau sur une palette posée au sol en rayon et que des packs de bières ( 12 x 33 cl ) sont stockées en rayon à 10 cm du sol à une profondeur de plus de 40 cm.
Outre la réalisation de l'étude précitée, dont la CARSAT ne soutient pas qu'elle n'aurait pas été effectuée conformément à l'injonction, il appartenait à la société [6] dans un délai de 6 mois de définir « un plan d'action associé (à l'étude) qui prendra notamment en compte les deux situations constatées (manutention des packs d'eau, stockage à moins de 40 cm du sol et à une profondeur de plus de 40 cm) »
La CARSAT reproche à la société de ne pas avoir fait en sorte que le stockage des packs d'eau et de bière se fasse à plus de 40 cm du sol et à une profondeur de moins de 40 cm, conformément à la recommandation R 478.
La société conteste que cette mesure lui ait été impartie.
Il convient donc de déterminer si elle y était tenue et, dans l'affirmative, si elle l'a effectuée.
La société s'est vue impartir par l'injonction de définir un plan d'action associé qui prendra notamment en compte les deux situations constatées (manutention des packs d'eau, stockage à moins de 40 cm du sol et à une profondeur de plus de 40 cm).
La formulation de l'injonction semble impartir à la société de définir un plan d'action qui permettra de supprimer à la fois le stockage à moins de 40 cm du sol et le stockage à une profondeur de plus de 40 cm, mesure qui s'appliquerait à tous les niveaux qu'il s'agisse du niveau le plus bas mais également des autres niveaux de rangements du rayon.
En réalité, il faut interpréter cette partie de l'injonction en la rapprochant du constat des risques effectué par le contrôleur en rappelant que ce dernier a constaté que les packs d'eau sont acheminés sur palette jusqu'au rayon puis que l'opérateur transfère chaque pack d'eau sur une palette posée au sol en rayon et que des packs de bières (12 x 33 cl) sont stockées en rayon à 10 cm du sol à une profondeur de plus de 40 cm, faisant ainsi apparaître que le risque exceptionnel est constitué par l'installation des packs d'eau et de bière en bas de rayon, ce risque étant aggravé pour les packs de bière par le fait que les salariés devaient les stocker à une profondeur de plus de 40 cm.
Il n'a donc aucunement été caractérisé dans l'injonction elle-même l'existence d'un risque qui serait lié au stockage à une profondeur de plus de 40 cm dans les autres rayons que le rayon situé en bas de la gondole.
La mesure expressément prévue par l'injonction consistait donc très clairement dans l'obligation à la charge de la société de faire disparaitre le stockage de l'eau et des packs de bière à moins de 40 cm du sol et en aucun cas dans une quelconque obligation de supprimer sur les rayons situés au dessus de 40 cm du sol la possibilité de stockage à une profondeur de plus de 40 cm.
Il s'ensuit que l'affirmation de la société selon laquelle « en aucun cas l'injonction notifiée à la société ne vise une action précise tenant à supprimer le stockage des packs d'eau et de bière à moins de 40 cm du sol et à une profondeur de plus de 40 cm » manque pour l'essentiel en fait puisqu'elle n'est exacte qu'en ce qui concerne la profondeur s'agissant des rayons situés au dessus du premier rayon mais qu'elle est manifestement fausse en ce qui concerne la suppression du stockage des packs d'eau de bière à moins de 40 cm du sol.
Il reste à déterminer si cette mesure aurait néanmoins été effectuée bien que la société demanderesse ne s'y estime aucunement tenue.
Le plan d'action associé à l'étude impartie par l'injonction dont se prévaut la société est un document établi en commun entre la direction et le CSE en date du 3 juin 202 ( sa pièce n° 14).
S'agissant de la suppression du stockage à moins de 40 cm du sol, le plan d'action ne la retient pas et n'entend pas la mettre en 'uvre et ce au motif que le retrait des deux étagères la plus haute et la plus basse se heurterait à deux contraintes, l'une commerciale et l'autre sécuritaire
S'impose donc le constat objectif que la société n'a pas respecté cette prescription.
Par ailleurs, même s'il ne résulte aucunement de l'injonction elle-même que la société devait supprimer le stockage à une profondeur de plus de 40 cm sur tous les rayons, cette préconisation résulte très clairement de l'étude du cabinet [5] dont la mise en 'uvre lui était impartie par l'injonction et qui, en page 91, préconisait la mise en place d'un système d'avancée automatique et, au strict minimum, l'installation d'une butée sur les étagères, en particulier celle la plus haute, afin de limiter le remplissage du rayon en profondeur.
Or, le plan d'action associé dont se prévaut la société refuse d'installer des butées au motif que les commandes servant au réapprovisionnement des rayons sont calculées par ordinateur et que l' « idée de vouloir remplir au maximum les capacités rayons a disparu des supermarchés depuis longtemps » et il en déduit à deux reprises que « installer des butées au fond des étagères les plus hautes n'a pas de sens ».
La société n'a donc pas respecté la prescription expresse de l'injonction concernant la suppression du stockage de l'eau et de la bière à moins de 40 cm du sol ainsi que la prescription de l'étude de prévention des TMS portant sur l'installation de butées au fond des étagères et en particulier la plus haute.
Il s'ensuit que la société n'a toujours pas réalisé l'intégralité des mesures qui lui étaient imparties par l'injonction.
Par ailleurs, si la société s'attache à démontrer que le nombre de ses sinistres a été réduit de moitié depuis 5 ans et qu'elle n'a enregistré aucun AT/MP depuis 2020 dans le rayon liquide cible par l'injonction, elle n'allègue pas et démontre encore moins qu'à la suite des mesures qu'elle a prises pour exécuter cette dernière les risques aient disparu ou soient devenus très faibles et force est de constater qu'il n'a aucunement été remédié par la société à la situation de danger pour ses salariés liée au stockage des packs d'eau et des packs de bière à moins de 40 cm du sol et s'agissant des packs de bière à une profondeur de plus de 40 cm dans les niveaux supérieurs et que les risques correspondants n'ont pas disparu pas plus qu'ils ne sont devenus très faibles.
La société n'est donc aucunement fondée à obtenir la suppression des majorations de cotisations qui lui ont été notifiées.
Cependant, il résulte des éléments du débat que la société a réalisé partiellement les mesures de prévention qui lui étaient imparties puisqu'elle a satisfait aux prescriptions de l'injonction concernant l'utilisation des trancheuses à jambon et à celles portant sur la réalisation d'une étude de prévention des TMS.
Il convient dans ces conditions de maintenir intégralement les majorations de cotisation résultant des notifications du 26 janvier 2023 et 6 avril 2023 mais, compte tenu des efforts insuffisants mais réels effectués par la demanderesse pour satisfaire aux prescriptions de l'injonction, de réduire le taux de majoration des cotisations de l'établissement de la demanderesse à 60% au lieu de 200 % à compter du 1er octobre 2023 en déboutant les parties de leurs prétentions contraires.
Compte tenu de la solution du litige, il convient de condamner la société [6] aux dépens de la présente procédure et de la débouter de ses prétentions sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS.
La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,
Constate le désistement de la demande de la société [6] en condamnation de la CARSAT Rhône-Alpes à lui rembourser les cotisations qu'elle aurait indument versées en exécution des décisions de majoration de cotisations.
Ordonne la jonction des deux procédures 23/04572 et 23/03383 et dit qu'elles seront désormais suivies sous ce dernier numéro.
Dit bien fondées et maintient intégralement les majorations de cotisation résultant des notifications du 26 janvier 2023 et 6 avril 2023.
Ordonne la réduction à 60% à compter du 1er octobre 2023 au lieu de 200% du taux de majoration des cotisations de l'établissement de la demanderesse résultant de la notification du 6 octobre 2023.
Déboute les parties de leurs prétentions contraires à ce qui vient d'être jugé ci-dessus.
Déboute la société [6] de ses prétentions sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens.
Le greffier, Le président,