COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00118 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EURQ.
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de POLE SOCIAL LAVAL, décision attaquée en date du 29 Janvier 2020, enregistrée sous le n° 19/00127
ARRÊT DU 28 Avril 2022
APPELANTE :
S.A.S. [5]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me SORIN, avocat substituant Maître Sarah TORDJMAN de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEE :
LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (CPAM) DE LA MAYENNE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Madame [T], munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Janvier 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame GENET, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Estelle GENET
Conseiller : Madame Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Mme Nathalie BUJACOUX
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 28 Avril 2022, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame GENET, conseiller faisant fonction de président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCEDURE
Le 5 septembre 2018, la société [5] a établi la déclaration d'un accident de travail dont Mme [N] [F] aurait été victime le 3 septembre 2018 alors qu'elle travaillait au sein de la société [6], dans les circonstances ainsi décrites : « alors que Mme [F] ébavurait des pièces plastiques lors d'un remplacement de pause, elle aurait ressenti des douleurs au poignet droit ».
Le certificat médical initial établi le 4 septembre 2018 par le docteur [R] fait état de « tableau de tendinite aiguë de l'extenseur commun des doigts de la main droite avec douleur élective au niveau de la radiocarpienne ».
Après instruction, la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne a notifié le 27 novembre 2018 à l'employeur la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle. Mme [F] a bénéficié de 91 jours d'arrêts de travail.
La société [5] a saisi la commission de recours amiable de l'organisme social d'une contestation de la décision de prise en charge, ainsi que des soins et arrêts.
Sur décision implicite de rejet de son recours, la société [5] a saisi le 18 avril 2019 le pôle social du tribunal de grande instance de Laval.
Par jugement en date du 29 janvier 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Laval désormais compétent a débouté la société [5] de toutes ses demandes et lui a déclaré opposable la prise en charge par la caisse de la totalité des soins et arrêts de travail dont a bénéficié Mme [F] du 4 septembre au 4 décembre 2018, en raison de l'accident du travail du 3 septembre 2018. Il a en outre condamné la société [5] aux dépens.
Par courrier recommandé avec accusé de réception posté le 25 février 2020, la société [5] a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 6 février 2020.
Le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur du 11 janvier 2022.
À cette audience, toutes les parties sont présentes ou représentées.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions reçues au greffe le 21 décembre 2021, régulièrement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la société [5] demande à la cour de :
- réformer le jugement ;
statuant à nouveau :
- constater que la matérialité de l'accident n'est pas établie ;
- lui déclarer inopposable la décision de prise en charge de l'accident du travail du 3 septembre 2018 de Mme [F] ;
à titre subsidiaire, avant-dire droit :
- ordonner la mise en 'uvre d'une expertise médicale judiciaire sur pièces et nommer un expert, aux fins de :
- retracer l'évolution des lésions de Mme [F] et dire si l'ensemble des lésions est en relation directe et unique avec l'accident du travail du 3 septembre 2018 ;
- dire si l'évolution des lésions est due à un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte, à un nouveau fait accidentel, ou un état séquellaire ;
- déterminer quels sont les arrêts de travail et lésions directement et uniquement imputables à l'accident du travail ;
- fixé la date de consolidation des lésions ;
- dire que l'expert convoquera les parties à une réunion contradictoire, afin de recueillir leurs éventuelles observations sur les documents médicaux soumis à son examen ;
- dire que l'expert devra transmettre aux parties un pré-rapport et solliciter de ces dernières la communication d'éventuels dires, préalablement à la rédaction du rapport définitif ;
- dire que la caisse devra communiquer l'entier dossier de Mme [F] au docteur [M], son médecin consultant ;
- ordonné au service médical de la caisse de communiquer dans le cadre de l'expertise, conformément à l'article L. 141 ' 2 ' 2 du code de la sécurité sociale, l'ensemble des éléments médicaux constituant le dossier de Mme [F], au médecin expert que la cour désignera.
À l'appui de ses demandes, la société [5] fait valoir que Mme [F] a prévenu tardivement son employeur et qu'aucun témoin ne l'a vu se blesser, alors que l'accident se serait produit dans un lieu comprenant de nombreux salariés et responsables. Elle ajoute que la salariée a continué sa journée de travail et que le certificat médical initial a été établi le lendemain.
Elle considère par ailleurs que la durée des arrêts de travail est disproportionnée compte tenu de la lésion initiale. Elle invoque la note médicale de son médecin consultant, le docteur [Z], qui souligne l'absence d'origine traumatique des tendinites et une guérison sans séquelles le 4 décembre 2018.
Par conclusions reçues au greffe le 5 janvier 2022, régulièrement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne conclut :
- à la confirmation du jugement ;
- que soit déclarée opposable à la société [5] la décision de prise en charge de l'accident du travail survenu le 3 septembre 2018 ;
- que soit déclarée opposable à la société [5] la prise en charge des arrêts de travail au titre de l'accident du travail du 3 septembre 2018 ;
- au rejet de l'ensemble des demandes présentées par la société [5].
Au soutien de ses intérêts, la caisse fait valoir qu'elle a procédé à une instruction et a adressé des questionnaires à la société [5] et à l'assurée. Elle considère que la consultation médicale n'est pas tardive car étant intervenue le lendemain. Elle ajoute que la poursuite du travail n'est pas incompatible avec l'existence du fait accidentel. Elle prétend que les constatations médicales réalisées le 4 septembre 2018 sont cohérentes avec les faits rapportés par la salariée. Elle affirme que son instruction a permis d'identifier un responsable qui a été informé de l'accident le jour même. Enfin, elle souligne que les arrêts de travail ont été prescrits de manière continue et ininterrompue à la suite de l'accident du travail, avec une identité des infections et du siège des lésions et que l'employeur n'apporte aucun élément permettant de mettre en évidence une cause totalement étrangère au travail ou l'existence d'un état antérieur évoluant pour son propre compte.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la matérialité du fait accidentel
Aux termes des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, 'est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.'
Dans ses rapports avec l'employeur, c'est à la caisse de rapporter la preuve de la matérialité de l'accident, laquelle ne peut résulter des seules déclarations de la victime non corroborées par des éléments objectifs ou par des présomptions graves, précises et concordantes.
Les juges du fond peuvent estimer, dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, que la constatation médicale d'une lésion ne permet pas de corroborer l'existence d'un accident du travail lorsqu'elle intervient plusieurs mois, voire plusieurs semaines, après la date prétendue de l'accident dont le salarié dit avoir été victime.
En l'espèce, comme l'ont justement relevé les premiers juges, l'enquête administrative de la caisse a permis d'établir la matérialité du fait accidentel avec le témoignage de M. [O] [Y], responsable du contrôle qualité, qui a recueilli le 3 septembre 2018 les doléances de Mme [F] qui se plaignait de douleurs au poignet droit pendant son temps de travail 'à force de réaliser sa prestation', sans passage par l'infirmerie ni interruption de son activité.
Même si Mme [F] n'a informé son employeur que le 5 septembre 2018, elle a consulté son médecin le 4 septembre 2018. Le siège des lésions indiqué dans le certificat médical initial est tout à fait conforme au témoignage de M. [Y] et compatible avec l'activité décrite par Mme [F] au moment où s'est produit le fait accidentel : tri répétitif de pièces avec cadence de travail.
Ces éléments objectifs extérieurs aux seules déclarations de la victime sont de nature à accréditer l'existence d'un fait accidentel à l'occasion du travail.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a reconnu la matérialité du fait accidentel survenu le 3 septembre 2018.
Sur l'imputabilité des arrêts de travail
La présomption d'imputabilité s'applique aux soins et arrêts de travail prescrits sans interruption à la suite de la maladie professionnelle jusqu'à la date de consolidation ou de guérison complète, la caisse devant rapporter la preuve de cette continuité d'arrêts et à défaut de soins et de symptômes dans ses rapports avec l'employeur. Elle s'applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident ou la maladie. Elle s'applique également aux lésions nouvelles apparues dans les suites de l'accident dès lors qu'il existe une continuité de soins et de symptômes.
La présomption d'imputabilité ne peut être combattue que par la preuve de l'existence d'un état pathologique évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou la maladie ou d'une cause postérieure complètement étrangère auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs.
Si le juge a la possibilité d'ordonner une mesure d'expertise notamment pour vérifier l'imputabilité de l'ensemble des arrêts à l'accident du travail, une telle mesure, qui ne peut avoir pour objet de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, ne doit être ordonnée que lorsque l'employeur apporte un commencement de preuve. Cette preuve ne saurait résulter de la seule durée de l'arrêt de travail.
En l'espèce, les premiers juges ont à juste titre relevé que la présomption d'imputabilité s'appliquait dans la mesure où tous les soins et arrêts se rapportent à un siège des lésions identique (tendinite de la main droite, douleurs de la main et du poignet droit) et ont été prescrits de manière continue jusqu'à la date de guérison le 4 décembre 2018.
Or, la seule invocation par l'employeur de la durée des soins et arrêts de travail qu'il jugerait disproportionnée n'est pas suffisante pour combattre la présomption d'imputabilité.
Par ailleurs, la note médicale de docteur [Z], médecin consultant de l'employeur, n'apporte aux débats aucun élément de nature à justifier la mise en oeuvre d'une expertise médicale. Le docteur [Z] qui n'a pas examiné l'assurée se contente d'affirmer sans argumentation médicale que la tendinite développée par l'assurée relève 'd'un état pathologique sans cause accidentel' remettant ainsi en cause l'existence du fait accidentel. Or Mme [F] a parfaitement expliqué les circonstances de la survenue de douleurs à la main alors qu'elle devait gratter les défauts constatés sur les pièces pour enlever un surplus conséquent de matière dure. La douleur est donc apparue lors de cette prestation qu'elle a réalisée à la suite du remplacement d'un salarié en pause. En aucune manière, il ne peut être affirmé que la douleur à la main droite est le résultat d'un état pathologique.
Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [5] de l'intégralité de ses demandes.
La société [5] est condamnée au paiement des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Laval du 29 janvier 2020 ;
Y ajoutant ;
Condamne la société [5] au paiement des dépens d'appel.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,
Viviane BODINEstelle GENET