COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00165 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EVIY.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 18 Juin 2020, enregistrée sous le n° 19/00348
ARRÊT DU 15 Septembre 2022
APPELANTE :
S.C.O.P. S.A. ANFRAY GIORIA
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Jean-Philippe PELTIER de la SCP PELTIER & CALDERERO, avocat au barreau du MANS - N° du dossier 19476
INTIME :
Monsieur [V] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Monsieur [N], défenseur syndical, muni d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Mai 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame BUJACOUX, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Estelle GENET
Conseiller : Madame Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Mme Nathalie BUJACOUX
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 15 Septembre 2022, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame GENET, conseiller faisant fonction de président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
La SCOP Anfray Gioria est spécialisée dans l'installation des réseaux électriques. Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 25 août 2016 elle a embauché M. [V] [E] en qualité d'ouvrier professionnel niveau II coefficient 185 de la convention collective des ouvriers du bâtiment du 8 octobre 1990.
M. [E] a eu pour mission de procéder au câblage de l'alarme incendie de la zone parking du groupe scolaire [3].
Lors d'une réunion de chantier du 26 novembre 2018, il a été relevé que le passage des câbles n'était pas réalisé, et que dans certains cas il existait deux passages de câbles au lieu d'un.
La société Anfray Gioria a alors notifié à M. [E] une mise à pied conservatoire à compter du 7 décembre 2018 puis l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 17 décembre 2018. Par courrier du 20 décembre 2018, l'employeur a licencié le salarié pour faute grave, lui reprochant la mauvaise réalisation de son travail, un abandon de poste ainsi qu'un comportement insultant envers sa hiérarchie.
Le 29 juillet 2019, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes du Mans aux fins de faire déclarer ce licenciement sans cause réelle et sérieuse et se voir allouer une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité légale de licenciement, une indemnité réparant le préjudice lié à la mise en cause de sa compétence professionnelle, le rappel de salaire sur mise à pied et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 18 juin 2020 le conseil de prud'hommes du Mans a :
- dit que le licenciement de M. [V] [E] pour faute grave est injustifié ;
- requalifié le licenciement de M. [V] [E] en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
- condamné la SCOP Anfray Gioria à payer à M. [V] [E] les sommes suivantes:
* 1167 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
* 3509,96 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
* 351 euros à titre de congés payés sur préavis ;
* 890 euros à titre de remboursement de la mise à pied ;
* 89 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés attenants à la mise à pied ;
* 600 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
- dit que les créances salariales produiront intérêts aux taux légal à compter de la date de la réception par le défendeur, de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 1er août 2019, et que les créances indemnitaires produiront intérêts au même taux à compter de la date de prononcé du présent jugement ;
- débouté M. [E] du surplus de ses demandes ;
- débouté la SCOP Anfray Gioria de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SCOP Anfray Gioria aux entiers dépens.
La SCOP Anfray Gioria a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 23 juin 2020, son appel portant sur l'ensemble des dispositions lui faisant grief, énoncées dans sa déclaration à l'exception de celle ayant rejeté le surplus des demandes de M. [E].
Par acte d'huissier du 4 août 2020, la société Anfray Gioria a signifié sa déclaration d'appel et ses écritures à M. [E], lequel a désigné M. [Z] [H], défenseur syndical, au soutien de ses intérêts et dont la constitution a été reçue au greffe de la cour le 25 août 2020.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 avril 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 5 mai 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SCOP Anfray Gioria, dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 21 septembre 2020 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de constater que son appel est recevable et bien-fondé, ainsi de réformer le jugement du 18 juin 2020 en ses dispositions non contraires, et y ajoutant pour le surplus:
- dire que les demandes de M. [E] sont irrecevables et en tout cas mal fondées ;
- constater que le licenciement repose sur une faute grave ;
- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner M. [E] au paiement d'une somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance, et d'une somme de 2000 euros sur le fondement des mêmes dispositions au titre de la procédure d'appel ;
- condamner M. [E] à supporter la charge des entiers dépens de première instance et les entiers dépens d'appel.
La SCOP Anfray Gioria reproche au salarié la mauvaise réalisation d'un chantier, un abandon de poste et des propos insultants envers son supérieur hiérarchique.
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Par conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 21 septembre 2020, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, M. [E] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes les sommes attribuées ;
- dire que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse ;
- y ajouter une indemnité pour le préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse de 10 000 euros ;
- condamner la SCOP Anfray Gioria à lui verser la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que ces sommes produiront intérêts aux taux légal à compter de la demande pour les créances salariales et à compter du prononcé du jugement pour les créances indemnitaires;
- condamner la SCOP Anfray Gioria aux entiers dépens.
M. [E] fait valoir l'absence de sécurité sur le chantier et de plans à jour, la mauvaise organisation du chargé d'affaires et le fait qu'il ait été envoyé sur ce chantier tardivement pour la reprise des désordres. Il conteste avoir tenu des propos insultants envers son chef hiérarchique.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur le licenciement
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables, sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige portant sur le licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave privative du droit aux indemnités de rupture, qu'il appartient à l'employeur de démontrer, correspond à un fait ou un ensemble de faits qui, imputables au salarié, constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise.
La lettre de licenciement est ainsi motivée :
AVous deviez réaliser le câblage de l'alarme incendie de la zone parking du groupe scolaire [3] suivant un plan synoptique d'une grande simplicité correspondant en tout point à votre qualification, comprenant le câblage de 5 sirènes et 4 déclencheurs manuels à raccorder sur des câbles laissés en attente par l'électricien du parking voisin.
Vous nous aviez confirmé avoir intégralement terminé le câblage de ces éléments sans toutefois faire les essais requis car les câbles du bâtiment voisin sur lesquels nous devions nous raccorder n'étaient pas repérés...
Or, lors de notre passage sur site nous avons aussi constaté que nos câbles passés n'étaient pas repérés.
En effet, lors de la visite du 26 novembre 2018 pour réaliser les essais avec l'électricien du parking voisin, nous avons constaté que certaines liaisons étaient manquantes et que d'autres n'étaient pas au bon endroit. Donc aucun essai n'a pu être réalisé et cela est inacceptable.
Jeudi 29 novembre 2018 au matin après avoir eu connaissance de la date de passage du bureau de contrôle (à savoir le lundi 3 décembre pour vérifier le bon fonctionnement de ces installations), nous vous avons donc demandé à 11h52, d'aller sur le site afin de remédier à vos erreurs et de ne pas laisser vos collègues assumer cette surcharge de travail qui n'était pas de leurs faits. Vous êtes arrivé sur le chantier aux alentours de 13h00 mais vous n'avez pas exécuté l'ordre qui vous a été donné.
En effet vers 14h sans même avertir votre hiérarchie et en prétextant à vos collègues que sur ordre de votre chef de chantier actuel vous deviez partir de ce chantier, ce qui après vérifications s'est avéré faux, vous avez juste décidé de quitter sans avoir terminé la prestation de reprise de ces malfaçons, laissant vos collègues seuls pour effectuer la réparation de vos erreurs, abandonnant ainsi votre tâche de manière inacceptable.
Les propos tenus envers votre hiérarchie ainsi que votre comportement font preuve d'un manque évident de respect, de motivation, d'implication et de professionnalisme. Ils sont en outre inadmissibles envers vos collègues et votre hiérarchie.
La rupture de tout dialogue est telle que les chargés d'affaire et vos collègues ne souhaitent plus travailler avec vous. Votre comportement est inacceptable.
Lors de l'entretien préalable du 17 décembre dernier, à l'occasion duquel nous vous avons exposé les fautes que nous étions susceptibles de vous reprocher nous avons tenu compte de vos arguments.
Toutefois l'ensemble des éléments développés ci-dessus nous conduit à procéder à votre licenciement pour faute grave, votre maintien dans l'entreprise étant désormais impossible, y compris pendant votre préavis [...]
Sur la faute résultant de la mauvaise réalisation du travail
Sur le premier grief tenant aux erreurs de câblage, à savoir l'absence de liaison de câbles pour permettre la mise en service de l'installation ( câblage d'une alarme incendie), la SCOP Anfray Gioria ne produit aucune pièce de nature à démontrer la responsabilité unique de M. [E] dans la survenance de celles-ci. Il n'est donné aucune indication quant à la répartition des tâches des salariés sur le chantier, alors que le salarié prétend qu'il n'était pas autonome, et met en cause le chef d'équipe qui lui aurait donné un plan qui n'était pas à jour.
Surtout, l'employeur n'a pas licencié M. [E] pour insuffisance professionnelle, laquelle ne saurait constituer une faute disciplinaire sauf à démontrer qu'elle procède d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée de la part du salarié, ce qui n'est pas allégué en l'espèce, la SCOP Anfray Gioria se contentant d'indiquer sans l'établir que M.[E] ne supportait manifestement pas d'avoir à reprendre le chantier.
Ce grief n'est pas établi.
Sur l'abandon de poste
L'employeur reproche au salarié d'avoir, le 29 novembre 2018, quitté son poste sans avoir terminé la prestation de reprise de malfaçons, laissant ses collègues seuls pour effectuer la réparation.
M. [E] précise avoir quitté le chantier à 14h45, ayant terminé sa semaine, et devant aller récupérer des salariés sur d'autres chantiers.
M. [P], électricien intervenant sur le chantier, atteste : avoir repris les malfaçons réalisées par M. [E] [V], le 29/11/2018, sur le groupe scolaire [3] et qu'il est parti du chantier sans même nous avertir de son départ et sans avoir participé à la reprise des malfaçons ('). (pièce 6 employeur)
Par ailleurs, la SCOP Anfray Gioria produit l'accord d'entreprise de réduction du temps de travail du 17 décembre 1999, document sur lequel figurent les horaires de travail des salariés sur les chantiers. Il est permis de constater que, sauf pour le vendredi, les journées se terminent au plus tôt à 17h30, sauf aménagements par les Chargés d'affaires, pour les besoins des chantiers (présence exceptionnelle le vendredi, travail le soir').
M.[E], qui admet avoir quitté son lieu de travail à 14h45 ce jeudi 29 novembre 2018, sans avoir réalisé la reprise des malfaçons qui lui avait été commandée, ne justifie pas d'un quelconque motif ou autorisation permettant un départ à un horaire bien en amont de l'horaire collectif de fin de journée. Il est constant qu'il est parti sans avoir prévenu ses collègues.
Le grief d'abandon de poste est donc établi.
Sur les propos insultants envers la hiérachie
M. [P] précise : Ce même jour, j'ai pu constaté ses propos insultants envers sa hiérarchie tels que [I] me fait chier, il me casse les couilles de me demander d'aller dépanner un jeudi matin alors que de toute façon à 15 heures je me casse, rien à foutre.
Ces propos, tenus devant ses collègues par M.[E], caractérisent bien un manque évident de respect, de motivation, d'implication et de professionnalisme tel qu'allégué dans la lettre de licenciement.
Par conséquent ce grief est établi.
Il reste donc à apprécier la nature et la proportionnalité de la sanction prononcée.
L'abandon de poste, dans les conditions relatées par le collègue de M.[E], est révélateur d'une mauvaise appréciation de l'étendue de ses responsabilités par le salarié, son comportement ayant désorganisé l'équipe envoyée sur le chantier pour reprendre les désordres. Il est établi que le bureau de contrôle devait passer le lundi suivant, que la reprise des travaux était donc urgente, et que les fautes commises par le salarié auraient pu avoir des conséquences fâcheuses pour l'entreprise.
Il résulte donc de ce qui précède que ces faits constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien de M.[E] dans l'entreprise.
Par suite, il doit être considéré que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de M. [M] était parfaitement fondé. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement pour faute grave est injustifié et en ce qu'il a requalifié le licenciement de M. [V] [E] uniquement en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences financières de la rupture
Le licenciement étant justifié par une cause réelle et sérieuse, il y a lieu de rejeter la demande en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse présentée en application de l'article L. 1235-3 du code du travail.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Dans la mesure où l'existence d'une faute grave ayant empêché le maintien du salarié dans l'entreprise est démontrée, M.[E] doit être débouté de ses demandes d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, ainsi que de sa demande de rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire, et d'indemnité compensatrice de congés payés afférents.
Le jugement est infirmé de ces chefs.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement doit être infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles sauf en ce qu'il a débouté la SCOP Anfray Gioria Electricité de sa demande d'indemnité procédurale.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 en faveur de l'une ou l'autre des parties au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.
M. [V] [E], partie perdante, doit être condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du Mans le 18 juin 2020 sauf en ce qu'il a :
- débouté M. [V] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-débouté la SCOP Anfray Gioria Electricité de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que le licenciement de M. [V] [E] repose sur une cause réelle et sérieuse constitutive d'une faute grave ;
DEBOUTE M. [V] [E] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents ;
DEBOUTE M. [V] [E] de sa demande de rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire, et d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;
DEBOUTE M. [V] [E] de sa demande au titre de l'indemnité légale de licenciement;
DÉBOUTE M. [V] [E] de ses demandes au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;
DÉBOUTE la SCOP Anfray Gioria Electricité de sa demande présentée en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [V] [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,
Viviane BODINEstelle GENET