COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
SB/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 18/02169 - N° Portalis DBVP-V-B7C-EMYP
Jugement du 26 Juin 2018
Tribunal de Grande Instance du MANS
n° d'inscription au RG de première instance 17/02829
ARRET DU 22 NOVEMBRE 2022
APPELANTS :
Monsieur [H], [I] [U]
né le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 6]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Madame [S] [D] épouse [U]
née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentés par Me Patrick BARRET de la SELARL BARRET PATRICK & ASSOCIES, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 160254
INTIMEE :
SA CREATIS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Claude TERREAU, avocat au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 11 Juillet 2022 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. BENMIMOUNE, conseiller, qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
Mme COURTADE, présidente de chambre
M. BENMIMOUNE, conseiller
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 22 novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Selon une offre acceptée le 9 juin 2010, la SA Créatis a consenti à M. [H] [U] et Mme [S] [U] un prêt personnel (n°000100000062409) d'un montant de 75 200 euros remboursable au taux nominal de 6,98 % en 144 mensualités, destiné à financer un rachat de crédits à hauteur de la somme de 65 584,31 euros.
Le 29 avril 2015, M. et Mme [U] ont saisi la commission de surendettement puis ont contesté le plan de redressement qui leur avait été notifié le 15 octobre 2015.
Par un jugement du 22 mars 2016, le tribunal d'instance du Mans a rejeté leur contestation, fixé leur capacité de remboursement à la somme de 3101 euros et ordonné un rééchelonnement de leurs dettes sur une durée de 96 mois, à compter du 10 juin 2016.
Après les avoir mis en demeure de respecter le plan de redressement arrêté, la SA Créatis, par l'intermédiaire de son mandataire, a prononcé la déchéance du terme du prêt par lettres recommandées du 17 mars 2017.
Selon décompte arrêté au 2 juin 2017, M. et Mme [U] restaient redevables de la somme hors intérêts de 59 587,64 euros.
Par acte d'huissier du 31 juillet 2017, la SA Créatis a fait assigner devant le tribunal de grande instance du Mans M. et Mme [U] pour obtenir leur condamnation solidaire au paiement des sommes restant dues.
Pour s'opposer à cette demande, M. [U] a dénié la signature qui lui est attribuée soutenant n'avoir jamais signé le contrat de prêt litigieux. A titre reconventionnel, Mme [U] a sollicité la condamnation du prêteur à lui payer une somme de 28 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui a causé la faute commise par le prêteur.
Par jugement rendu le 26 juin 2018, le tribunal de grande instance du Mans a :
Débouté M. [U] de sa demande de vérification d'écritures,
Débouté Mme [U] de son action en responsabilité à l'encontre de la SA Créatis et de sa demande de dommages-intérêts,
Condamné solidairement M. et Mme [U] à payer à la SA Créatis la somme de 54 015,25 euros en principal avec intérêts au taux contractuel de 6,98 % majoré de 4 points (soit 10,98 %) à compter du 3 juin 2017,
Condamné solidairement M. et Mme [U] à payer à la SA Créatis la somme de 1 251,17 euros correspondant aux intérêts du 18 mars au 2 juin 2017,
Condamné solidairement M. et Mme [U] à payer à la SA Créatis la somme de 1 euro au titre de l'indemnité contractuelle,
Condamné solidairement M. et Mme [U] aux dépens de l'instance,
Débouté la SA Créatis de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonné l'exécution provisoire.
Pour rejeter la demande de vérification d'écritures, le tribunal a retenu que celle-ci n'était pas nécessaire dans la mesure où M. [U] a reconnu être débiteur solidaire de cette dette dans le cadre de la procédure de surendettement.
Par déclaration reçue au greffe en date du 26 octobre 2018, M. et Mme [U] ont interjeté appel de l'ensemble des dispositions de ce jugement, intimant la SA Créatis.
M. et Mme [U] sollicitent de la cour d'appel qu'elle :
Déboute la SA Créatis de ses demandes dirigées à l'encontre de M. [U],
Statue ce que de droit sur les demandes en paiement dirigées contre Mme [U],
Infirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle formulée par Mme [U] à titre de dommages-intérêts et a condamné M. [U] au titre du prêt querellé,
Condamne la SA Créatis à verser à Mme [U] la somme de 29 800 euros à titre de dommages-intérêts,
Ordonne la compensation entre les dette et créance respectives,
À titre subsidiaire,
Ordonne une expertise concernant la vérification de la signature du contrat de prêt,
Condamne la SA Créatis à leur verser la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La SA Créatis prie la cour d'appel de confirmer le jugement, de débouter M. et Mme [U] de leurs demandes et de condamner solidairement M. et Mme [U] à lui payer une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe,
- le 21 mars 2019 pour la SA Créatis,
- le 9 mai 2019 pour M. et Mme [U].
Une ordonnance du 28 mars 2022 a clôturé l'instruction de l'affaire.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande en paiement dirigée à l'encontre de M. [U]
M. [U] soutient ne pas être signataire de l'offre de prêt litigieuse, la signature qui lui est imputée ayant été, selon lui, imitée par son épouse. Il conteste par voie de conséquence se trouver engager à l'égard de la SA Créatis et en déduit que seule Mme [U] a engagé ses biens propres et ses revenus en application de l'article 1415 du code civil. Il ajoute que le prêteur ne peut se prévaloir de la solidarité dès lors qu'il n'a pas vérifié l'authenticité de sa signature. A titre subsidiaire, l'appelant sollicite que la cour d'appel procède à une vérification d'écritures sur le fondement de l'article 1324 du code civil.
En réplique, la SA Créatis souligne que M. [U] n'a jamais remis en cause sa signature devant la commission de surendettement ni devant le tribunal d'instance du Mans dans le cadre de la procédure en contestation des mesures imposées. Elle estime qu'il appartiendra à la cour d'appel de procéder, le cas échéant, à la vérification d'écriture et qu'en tout état de cause, M. [U] sera déclaré solidairement responsable du remboursement du prêt sur le fondement des dispositions de l'article 220 du code civil.
L'article 1324 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, dispose que la partie à laquelle on l'oppose peut désavouer son écriture ou sa signature. Dans ce cas, il y a lieu à vérification d'écriture.
Selon l'article 287 du code de procédure civile, si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte. Si l'écrit contesté n'est relatif qu'à certains chefs de la demande, il peut être statué sur les autres.
L'article 288 de ce même code précise qu'il appartient au juge de procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont il dispose après avoir, s'il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous sa dictée, des échantillons d'écriture. Dans la détermination des pièces de comparaison, le juge peut retenir tous documents utiles provenant de l'une des parties, qu'ils aient été émis ou non à l'occasion de l'acte litigieux.
Il appartient à celui qui se prévaut de l'acte dont la signature est déniée de rapporter la preuve de son authenticité conformément aux dispositions de l'article 1353 du code civil.
En l'espèce, la SA Créatis fonde sa demande en paiement sur l'offre préalable de prêt personnel, produite en original, signée le 9 juin 2010 aux noms de M. [H] [U] et de Mme [S] [D] épouse [U].
A titre de comparaison, M. [U], qui dénie la signature apposée sur cette offre préalable, verse aux débats les copies de son permis de conduire obtenu le 16 mars 1979, de sa carte nationale d'identité, d'une demande de rachat d'une assurance-vie adressée à AXA le 6 avril 2011 et de son passeport délivré le 3 janvier 2008.
Il résulte d'un examen comparé de ces différentes pièces avec l'offre préalable de prêt litigieuse que, si la signature de M. [U] a pu évoluer dans le temps dans son graphisme, la signature apposée dans le cadre « emprunteur » de l'acceptation de l'offre, est manifestement identique aux signatures que l'appelant reconnaît comme étant les siennes, tout particulièrement à la signature apposée sur son permis de conduire et à celle apposée sur le document d'assurance signée à une date contemporaine de l'offre de prêt. En effet, la signature litigieuse, de taille identique à celles figurant sur les pièces versées, comporte une lettre « F » en majuscule qui se termine par un triangle du côté gauche, la barre de ce « F » se prolongeant par un « zig zag » partant vers la droite puis, dans un même trait, revenant vers la gauche.
Partant, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise en écritures, les éléments de comparaison versés aux débats sont suffisants pour établir que, contrairement à ce que soutient M. [U], l'offre préalable de prêt personnel est sincère comme ayant été signée par l'appelant de sorte que la SA Créatis est fondée à diriger une action en paiement à l'encontre de celui-ci, étant par ailleurs relevé que M. [U] ne conteste pas avoir signé l'autorisation de prélever sur le montant du prêt la somme de 65 584,31 euros en remboursement des prêts antérieurement contractés que le prêteur verse aux débats.
Sur les sommes restant dues
Après avoir mis en demeure les co-emprunteurs solidaires de régler les échéances impayées, la SA Créatis a prononcé, par l'intermédiaire de son mandataire, la déchéance du terme du prêt litigieux par lettres recommandées avec demande d'avis de réception adressées à chacun d'entre eux le 17 mars 2017.
Il résulte de l'ensemble des pièces versées aux débats, qui ne sont pas contestées, que la SA Créatis justifie être titulaire d'une créance exigible, arrêtée au 17 mars 2017 à un montant de 54 015,25 euros en principal outre des intérêts conventionnels échus d'un montant de 1 251,17 euros au 2 juin 2017.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement M. et Mme [U] à payer à la SA Créatis la somme principale de 54 015, 25 euros avec intérêts au taux contractuel de 6,98 % majoré de 4 points à compter du 2 juin 2017, conformément aux stipulations contractuelles outre une somme de 1 251,17 euros correspondant aux intérêts ayant couru du 18 mars au 2 juin 2017.
La SA Créatis sollicitant la confirmation de ce chef de dispositif, il y a également lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement M. et Mme [U] à payer une somme de 1 euro au titre de l'indemnité forfaitaire après avoir procédé à sa réduction en application de l'article 1152 du code civil dans sa rédaction applicable au litige.
Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2017.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts de Mme [U]
Mme [U] reproche aux premiers juges de l'avoir déboutée de sa demande de dommages et intérêts alors que, selon elle, en application de l'article 1147 du code civil, la SA Créatis a manqué à son devoir de mise en garde en ne l'alertant pas des risques de surendettement qu'elle prenait en souscrivant le prêt litigieux compte tenu notamment du nombre croissant de crédits en cours. Elle dénombre treize crédits, dont deux renouvelables, et fait état du remboursement de mensualités de 561,91 euros au titre d'un prêt immobilier.
La SA Créatis réfute avoir engagé sa responsabilité soulignant avoir respecté ses obligations en interrogeant le FICP et en vérifiant la solvabilité des époux [U] qui justifiaient d'une rémunération mensuelle cumulée de 5 000 euros et étaient propriétaires de leur résidence principale.
Sur le fondement de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 [U] 2016, le banquier dispensateur de crédit est tenu d'un devoir de mise en garde de l'emprunteur non averti, dont l'objet porte sur l'inadaptation du crédit aux capacités financières de l'emprunteur et les risques d'endettement nés de l'octroi du crédit.
La SA Créatis n'allègue pas que Mme [U] avait la qualité d'emprunteur averti au jour de la conclusion du prêt litigieux de sorte que cette dernière doit être considérée comme emprunteur non averti.
S'il appartient à l'établissement de crédit de prouver qu'il a rempli son devoir de mise en garde, encore faut-il que l'emprunteur démontre au préalable, qu'au moment de la souscription du prêt litigieux, le prêt consenti était inadapté à sa situation financière ou présentait un risque d'endettement excessif né de son octroi.
Il n'est pas contesté que le crédit litigieux constitue, pour l'essentiel, un crédit de restructuration aux fins de rembourser, pour une somme totale de 65 584,31 euros les crédits suivants contractés par M. et Mme [U] :
Crédit Lyonnais [Localité 6], pour un capital restant dû de 537,32 euros,
Crédit Lyonnais [Localité 6], pour un capital restant dû de 6 000 euros,
Crédit Lyonnais [Localité 6], pour un capital restant dû de 5 386,57 euros,
Crédit Lyonnais [Localité 6], pour un capital restant dû de 3 693,27 euros,
Crédit Lyonnais [Localité 6], pour un capital restant dû de 19 318,43 euros,
Crédit du Nord [Localité 6], pour un capital restant dû de 1 043,77 euros,
Astria Levallois, pour un capital restant dû de 5 400,57 euros,
CIL [Localité 6], pour un capital restant dû de 6 415,94 euros,
Cofidis, pour un capital restant dû de 7 875,79 euros,
Cofidis, pour un capital restant dû de 5 594,83 euros,
Sofinco, pour un capital restant dû de 4 317,82 euros.
Or, un crédit de restructuration, qui permet la reprise du passif né de la conclusion antérieure de prêts et son rééchelonnement à des conditions moins onéreuses, n'aggrave pas la situation économique de l'emprunteur et ne crée pas de risque d'endettement nouveau.
Dès lors, le crédit ayant été consenti pour un montant de 75 200 euros, remboursable au taux d'intérêt conventionnel de 6,98 % en 144 mensualités de 891,60 euros n'était susceptible d'aggraver la situation financière des emprunteurs que pour la différence soit une somme de 9 615,69 euros. Or, Mme [U] n'allègue aucunement ni a fortiori ne démontre que la mensualité de remboursement d'un montant de 891,60 euros excédait les mensualités cumulées des prêts antérieurement conclus que ce prêt a permis de rembourser par anticipation.
De même, Mme [U], sur laquelle pèse la charge de cette preuve, ne justifie aucunement des revenus qu'elle percevait, avec M. [U], à la date de conclusion du prêt litigieux, ni ne conteste l'affirmation du prêteur, selon laquelle, le couple percevait un revenu mensuel de 5 000 euros, étant relevé qu'aux termes du jugement rendu le 22 mars 2016 par le tribunal d'instance du Mans, dans le cadre de la procédure de surendettement, il était précisé que M. [U] était alors technico-commercial et percevait un salaire net moyen de 4 000 euros tandis que Mme [U] percevait un salaire net moyen de 1 770 euros au titre de son activité de comptable.
Dans ces conditions, Mme [U], qui ne peut se prévaloir des prêts conclus postérieurement au 9 juin 2010, ne rapporte pas la preuve de ce que le prêt litigieux était inadapté à la situation financière du couple ni que l'octroi de ce prêt présentait un risque d'endettement excessif.
Partant, la SA Créatis n'était pas tenue à un devoir de mise en garde au jour de la conclusion du prêt litigieux de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté Mme [U] de sa demande de dommages et intérêts.
Il n'y a donc pas lieu à compensation.
Sur les demandes accessoires
M. et Mme [U], parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, les dispositions du jugement relatives aux frais et dépens étant confirmées, sauf à dire que la condamnation aux dépens est prononcée in solidum.
L'équité commande de les condamner in solidum à payer à la SA Créatis une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les appelants seront par conséquent déboutés de leur demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement et par arrêt mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement sauf à dire que la condamnation aux dépens est prononcée in solidum,
Y ajoutant,
DIT que la condamnation solidaire de M. et Mme [U] à payer à la SA Créatis la somme de 1 euro au titre de l'indemnité contractuelle portera intérêt au taux légal à compter du 18 mars 2017,
DIT n'y avoir lieu à compensation,
DEBOUTE M. [H] [U] et Mme [S] [U] de leur demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE in solidum M. [H] [U] et Mme [S] [U] à payer la SA Créatis la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE in solidum M. [H] [U] et Mme [S] [U] aux entiers dépens d'appel
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL