COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
NR/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 17/01257 - N° Portalis DBVP-V-B7B-EEFD
Jugement du 03 Mai 2017
Tribunal de Commerce de LAVAL
n° d'inscription au RG de première instance 2016000122
ARRET DU 31 JANVIER 2023
APPELANTES :
Madame [X] [V] épouse [L]
née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 8] (53)
[Adresse 7]
[Localité 5]
S.A.R.L. EVEN RECEPTION
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentées par Me Anne DANILOFF, avocat au barreau de LAVAL
ASSIGNEE EN INTERVENTION FORCEE
S.E.L.A.R.L. GUILLAUME LEMERCIER, en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL EVEN RECEPTION
[Adresse 6]
[Localité 4]
Assignée, n'ayant pas constitué avocat
INTIMEE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE LAVAL TROIS CROIX
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Nicolas FOUASSIER de la SELARL SELARL BFC AVOCATS, avocat au barreau de LAVAL, substitué par Me A. BARRET, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 21500509
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 06 Décembre 2022 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre, qui a été préalablement entendue en son rapport, et M. BENMIMOUNE, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
Mme ROBVEILLE, conseillère
M. BENMIMOUNE, conseiller
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : réputé contradictoire
Prononcé publiquement le 31 janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Le 20 mars 2013, la SARL Even Reception a ouvert dans les livres de la Caisse de Crédit Mutuel Laval Trois Croix, un compte courant ' Eurocompte Pro' n° 00082034701.
Le 26 mars 2013, la Caisse de Crédit Mutuel Laval Trois Croix a consenti à la société Even Reception un crédit utilisable en compte courant n° 00082034701, d'un montant de 20 000 euros, à durée indéterminée, au taux variable en fonction de l'indice 210 T4M EONIA MOY/1 mois, soit 4,068% à la date de l'octroi du crédit.
Suivant acte sous seing privé du 26 mars 2013, Mme [X] [V] épouse [L] et M. [W] [L] se sont portés cautions solidaires de la société Even Reception en garantie du paiement de toutes sommes qu'elle pourrait devoir à la CCM Laval Trois Croix à concurrence de 24 000 euros couvrant le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités de retard, pour une durée de cinq ans.
Par lettre du 14 mars 2015, la Caisse de Crédit Mutuel Laval Trois Croix a dénoncé la facilité de caisse consentie à la société Even Réception, sous préavis de 60 jours.
Au 15 mai 2015, le solde débiteur du compte courant professionnel de la société Even Réception n'était pas régularisé et le compte a continué de fonctionner en position débitrice.
Par lettre du 11 juin 2015, la Caisse de Crédit Mutuel Laval Trois Croix aconsenti à la société Even Réception une facilité de caisse d'un montant de 21 000 euros qu'elle a dénoncé par lettre distincte du même jour, sous préavis de 60 jours.
Par lettre du 15 octobre 2015, la Caisse de Crédit Mutuel Laval Trois Croix a mis en demeure la société Even Réception de lui payer la somme globale de 17 690,46 euros, dont 11 640,46 euros au titre du solde débiteur du compte professionnel n° 00082034701 et 6 050 euros dus au titre d'une cession de créance n°14 03 2339 du 8 avril 2015.
Par lettre du 15 octobre 2015, la Caisse de Crédit Mutuel Laval Trois Croix a mis en demeure Mme [X] [L], en sa qualité de caution solidaire de la société Even Reception, de lui payer la somme de 17 690,46 euros correspondant au solde débiteur du compte professionnel n° 00082034701 outre le montant de l'avance [E].
Par acte d'huissier du 24 décembre 2015, la CCM Laval Trois Croix a fait assigner la société Even Reception et Mme [X] [L] devant le tribunal de commerce de Laval, aux fins de les voir condamner solidairement à lui payer la somme de 11 640,46 euros au titre du solde débiteur du compte courant n° 0008203470 avec intérêts au taux contractuel à compter du 15 octobre 2015, outre une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant jugement du 3 mai 2017, le tribunal de commerce de Laval a :
- condamné la société Even Reception à payer à la CCM Laval Trois Croix la somme de 11 640,46 euros au titre du solde débiteur du compte courant n° 00082034701 avec intérêts au taux contractuel à compter du 15 octobre 2015,
- condamné Mme [L] à payer à la CCM Laval Trois Croix la somme de 11 640,46 euros au titre du solde débiteur du compte courant n° 00082034701 avec intérêts au taux contractuel à compter du 15 octobre 2015,
- accordé à Mme [L] un délai de 24 mois pour s'acquitter des sommes mises à sa charge sans qu'il y soit ajouté d'intérêts supplémentaires, en 24 mensualités égales ; le non paiement de l'une d'elles entraînant l'exigibilité immédiate du solde restant dû,
- débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions,
- condamné solidairement la société Even Reception et Mme [X] [L] aux dépens.
Suivant déclaration reçue au greffe le 16 juin 2017, la société Even Reception et Mme [X] [L] ont fait appel de cette décision en chacune de ses dispositions, intimant la CCM Laval Trois Croix.
La société Even Reception et Mme [X] [L] ont conclu le 15 septembre 2017, sous la constitution de Maître Daniloff.
La CCM Laval Trois Croix a conclu le 15 novembre 2017.
Suivant jugement du 30 mai 2018, le tribunal de commerce de Laval a ouvert à l'égard de la société Even Reception une procédure de redressement judiciaire.
La CCM Laval Trois Croix a déclaré sa créance au passif de la procédure collective de la société Even Reception entre les mains du mandataire judiciaire.
Suivant jugement du 9 janvier 2019, le tribunal de commerce de Laval a prononcé la conversion de la procédure en liquidation judiciaire en désignant la SELARL Guillaume Lemercier, prise en la personne de son gérant Maître Guillaume Lemercier, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Even Reception.
Par acte du 21 août 2019, la CCM Laval Trois Croix a fait assigner la SELARL Guillaume Lemercier prise en la personne de son gérant Maître Guillaume Lemercier, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Even Reception, devant la cour d'appel d'Angers, en lui signifiant la déclaration d'appel enregistrée le 16 juin 2017, les conclusions du 16 septembre 2017 prises au soutien des intérêts de Mme [L] et de la société Even Reception et les conclusions de la CCM Laval Trois Croix du 15 novembre 2017, indiquant qu'elle entendait poursuivre la procédure suspendue du fait de l'ouverture de la procédure collective de la société Even Reception, en appelant le liquidateur judiciaire de la société Even Reception, sollicitant de la cour qu'elle fixe ses créances au passif de la société Even Reception, aux sommes suivantes :
- la somme de 11 640,46 euros au titre du solde débiteur du compte courant n° 00082034701 majorée intérêts au taux contractuel à compter du 15 octobre 2015,
- la somme de 99,31 euros au titre des dépens et qu'elle condamne la société Even Reception et la SELARL Guillaume Lemercier ès qualités, à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de la SELARL BFC Avocats.
La SELARL Guillaume Lemercier ès qualités n'a pas constitué avocat.
Le 22 octobre 2021, la société Even Reception et Mme [L] ont conclu.
Le 25 octobre 2021, la CCM Laval Trois Croix a répliqué.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 octobre 2021.
Par arrêt du 7 juin 2022, la cour a renvoyé l'affaire à l'audience du mardi 28 juin 14 heures en invitant Mme [L] et la société Even Reception à formuler leurs observations par une note écrite à faire parvenir à la cour, via le R.P.V.A. au plus tard le 20 juin 2022 sur la recevabilité de la demande reconventionnelle de condamnation de la société CCM Laval Trois Croix à payer à la société Even Reception la somme de 150 000 eutos de dommage intérêts, au regard du principe de dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire de l'administration et de la disposition de ses biens prévu à l'article L 641-9 du code de commerce.
Par message R.P.V.A du 8 juin 2022, Maître Daniloff a indiqué qu'étant dessaisie des intérêts de la société Even Réception du fait du jugement de liquidation judiciaire et de la non constitution d'avocat de la SELARL Guillaume Lemercier ès qualités, elle n'avait pas d'observation à formuler.
Par arrêt réputé contradictoire du 27 septembre 2022, la cour d'appel d'Angers a :
- infirmé le jugement du tribunal de commerce de Laval du 3 mai 2017, sauf en ce qu'il a débouté Mme [X] [L] de sa demande tendant à être déchargée de son engagement de caution suivant acte sous seing privé du 26 mars 2013,
statuant à nouveau,
- constaté que la cour n'est pas saisie d'une demande reconventionnelle de condamnation de la société CCM Laval Trois Croix au paiement de dommages intérêts à raison de fautes commises dans la gestion du compte courant de la société et pour rupture abusive de crédit, formée par la SELARL Guillaume Lemercier, prise en la personne de son gérant Maître Guillaume Lemercier, en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Even Reception,
- déclaré la demande reconventionnelle de condamnation de la société CCM Laval Trois Croix au paiement de dommages intérêts à raison de fautes commises dans la gestion du compte courant de la société et pour rupture abusive de crédit formée par la SARL Even Reception, irrecevable,
- fixé la créance de la société CCM Laval Trois Croix au passif de la société Even Reception à la somme de 10.538,69 euros avec intérêts au taux conventionnel à compter du 26 mai 2016,
- condamné Mme [X] [L] à payer à la CCM Laval Trois Croix la somme de 10.538,69 euros avec intérêts au taux conventionnel à compter du 26 mai 2016,
- dit que la CCM Laval Trois Croix a manqué à son devoir de mise en garde de Mme [X] [L] en sa qualité de caution,
- avant dire droit sur la demande reconventionnelle présentée par Mme [X] [L] d'indemnisation du préjudice consécutif au manquement par la société CCM Laval Trois Croix à son obligation de mise en garde, ordonné la réouverture des débats à l'audience du 6 décembre 2022,
- invité Mme [X] [L] à formuler ses observations, par voie écrite à faire parvenir à la cour, via le RPVA, au plus tard le 25 octobre 2022, sur le moyen soulevé d'office tiré de l'existence d'un préjudice indemnisable s'analysant en une perte de chance de ne pas contracter son engagement,
- dit que la CCM Laval Trois Croix pourra, par note écrite, faire parvenir à la cour au plus tard le 22 novembre 2022 via le RPVA ses observations en réponse à celles de Mme [L],
- réservé le surplus des demandes.
Par note écrite notifiée par le RPVA le 25 octobre 2022, Mme [L] a admis que son préjudice subi à raison du manquement de la CCM Laval Trois Crois à son obligation de mise en garde, s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter son engagement de caution si la mise en garde qui lui était due concernant son exposition à un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti résultant de l'inadaptation de ce prêt aux capacités financières de la société Even Réception, avait été faite.
Elle fait ainsi valoir qu'alors que la SARL Even Reception avait déjà contracté sept prêts dont le montant cumulé s'élevait à 251.670 euros, cautionnés par elle, à hauteur de la somme globale de 109.000 euros, que ses deux derniers bilans étaient déficitaires et qu'il existait une diminution de ses capitaux propres, ce dont il résultait que ladite société relevait d'une situation très délicate, le fait de solliciter à nouveau sa caution lors de l'ouverture d'un compte professionnel pour garantir le remboursement du découvert accordé à cette occasion, sans la moindre mise en garde, l'exposait à un risque qu'elle n'aurait sans doute pas pris ou éventuellement à des conditions plus favorables si cette mise en garde qui lui était due avait été faite.
Elle indique ramener en conséquence ses prétentions indemnitaires au titre de la perte de chance de ne pas contracter, à la somme de 10.000 euros.
Par note écrite notifiée par R.P.V.A le 9 novembre 2022, la CCM Laval Trois Crois fait valoir que la création de la société Even Réception constituée entre les époux [L], leur fils [M] [L] et son épouse visait à une réorganisation patrimoniale au sein de la famille [L], en rappelant que le premier fonds de commerce de restauration acquis par la société Even Réception appartenait à l'origine aux époux [L] et était exploité par Mme [L] et qu'il a continué à l'être par celle-ci avec [M] [L], tous deux gérants de la société Even Réception et qu'après avoir décidé de développer son activité en achetant courant 2011 un autre fonds de commerce à Laval, la société Even Réception a sollicité auprès d'elle en 2013 un crédit de trésorerie au travers d'un découvert en compte courant, compte tenu d'une difficulté de trésorerie qui se voulait passagère.
Elle soutient qu'il est certain au regard de ces circonstances et alors que le montant de son engagement était modéré au regard de sa situation patrimoniale, que Mme [L] aurait consenti à l'engagement de caution litigieux, quand bien même elle aurait été mise en garde par la banque.
Elle en déduit que la perte de chance de ne pas contracter est nulle ou à tout le moins qu'elle ne pourrait être supérieure à 5%.
MOTIFS
- Sur la demande reconventionnelle de dommages intérêts formée par Mme [X] [L]
A titre liminaire, il sera rappelé que par arrêt du 27 septembre 2022, la cour a d'ores et déjà jugé que la CCM Laval Trois Croix a manqué à son devoir de mise en garde de Mme [X] [L] en sa qualité de caution et qu'il reste à statuer sur le préjudice indemnisable de celle-ci.
Le préjudice né du manquement d'une banque à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte de chance de ne pas contracter.
Pour évaluer le préjudice subi par Mme [L], il convient de rechercher si du fait du manquement du Crédit Mutuel à son devoir de mise en garde, elle n'a pu évaluer le risque auquel son engagement la soumettait et si, alerté du risque d'endettement qui pesait sur l'emprunteur, elle aurait malgré tout consenti son engagement de caution.
Alors que la société Even Réception, co-gérée par Mme [X] [L] et M. [M] [L], son fils, constituait la principale source de revenus pour toute la famille, la chance qu'elle n'ait pas conclu le cautionnement litigieux si elle avait été informée du risque d'endettement est relativement faible, de sorte que le préjudice résultant de la perte de cette chance sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
La compensation des créances réciproques des parties sera ordonnée.
- Sur la demande de délais de paiement formée par Mme [X] [L]
A titre subsidiaire, Mme [L] sollicite l'octroi des plus larges paiements, en faisant valoir que le revenu mensuel global du couple était de 2 067 euros en 2015 et qu'ils devaient supporter un loyer de 677 euros.
La CCM Laval Trois Croix s'oppose à la demande.
Sur ce :
L'article 1343-5 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, autorise le juge à reporter ou échelonner, dans la limite de deux ans, le paiement des sommes dues, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier.
Toutefois, outre l'ancienneté de la dette, la cour ne peut que constater que Mme [L] ne verse aucun document de nature à justifier de son actuelle situation patrimoniale tant active que passive permettant d'apprécier l'existence de difficultés financières.
Dans ces conditions, le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a accordé à Mme [X] [L] un délai de 24 mois pour régler les sommes mises à sa charge, sans intérêts supplémentaires, en précisant qu'elle devra s'en acquitter en 24 mensualités égales, le non paiement de l'une d'elles entraînant l'exigibilité immédiate du solde restant dû.
Statuant à nouveau, sa demande d'octroi de délais de paiement sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
Le jugement critiqué sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens.
Il convient de fixer au passif de la procédure collective de la société Even Réception les dépens de première instance et d'appel.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles.
Les parties seront ainsi déboutées de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
Vu l'arrêt du 7 juin 2022,
- CONDAMNE la Caisse de Crédit Mutuel de Laval Troix Croix à payer à Mme [X] [V] épouse [L] la somme de 3 000 euros à titre de dommages intérêts ;
- ORDONNE la compensation des créances réciproques de la Caisse de Crédit Mutuel de Laval Troix Croix et de Mme [X] [V] épouse [L] ;
- REJETTE la demande de délais de paiement de Mme [X] [V] épouse [L] ;
- FIXE au passif de la procédure collective de la société Even Réception les dépens de première instance et d'appel ;
- DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
- DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL