COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
SB/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 18/01434 - N° Portalis DBVP-V-B7C-EK6I
Jugement du 05 Juin 2018
Tribunal d'Instance d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance 16-002300
ARRET DU 30 MAI 2023
APPELANTE :
CRCAM DE L'ANJOU ET DU MAINE, agissant poursuites et diligences de son président du conseil d'administration domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Patrick BARRET de la SELARL BARRET PATRICK & ASSOCIES, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 160547
INTIMES :
Monsieur [K] [W]
né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 7]
[Adresse 8]
[Localité 3]
Assigné, n'ayant pas constitué avcoat
SA CNP ASSURANCES agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Philippe LANGLOIS de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 71180289
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 20 Mars 2023 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. BENMIMOUNE, conseiller qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
Mme ROBVEILLE, conseillère
M. BENMIMOUNE, conseiller
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : réputé contradictoire
Prononcé publiquement le 30 mai 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
Selon offre préalable acceptée le 16 juin 2005, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine (le Crédit agricole) a consenti à M. [K] [W], agriculteur, un prêt professionnel dénommé 'prêt spécial zone défavorisée' d'un montant de 17 500 euros remboursable en 180 mensualités au taux d'intérêt annuel de 2 %. M. [W] a adhéré à l'assurance décès invalidité auprès de la SA Cnp Assurances.
A la suite de plusieurs impayés, le Crédit agricole a prononcé la déchéance du terme le 13 octobre 2016.
Par acte d'huissier délivré en date du 15 décembre 2016, le Crédit agricole a fait assigner M. [W] devant le tribunal d'instance d'Angers aux fins de le voir condamner à lui rembourser les sommes restant dues au titre de ce prêt professionnel.
Selon acte d'huissier du 5 avril 2017, M. [W] a fait assigner en garantie la SA Cnp Assurances.
Pour solliciter la garantie de son assureur, M. [W] a principalement invoqué le fait que son inaptitude totale à exercer sa profession d'agriculteur a été retenue par la MSA dès le 19 octobre 2015, sans que la SA Cnp Assurances ne rapporte un quelconque élément de nature à contredire les conclusions de la MSA. Il en a déduit que les conditions posées par son contrat d'assurance sont remplies. A titre subsidiaire, si la garantie de son assureur n'était pas retenue, il a sollicité la condamnation du prêteur à lui payer des dommages et intérêts équivalents aux sommes restant dues au titre du prêt, en réparation de la perte de chance que lui a causé le manquement du prêteur, en qualité de fournisseur d'une assurance-groupe, à son obligation d'information sur les risques assurés et ceux qui ne l'étaient pas.
La Cnp Assurances et le Crédit agricole se sont opposés à ces demandes.
Par jugement rendu le 5 juin 2018, le tribunal d'instance d'Angers a :
- condamné M. [W] à payer au Crédit agricole la somme de 6 340,36 euros majorée des intérêts au taux de 5 % l'an, sur la somme de 6 330,36 euros, à compter du 13 octobre 2016, au titre du prêt professionnel souscrit le 16 juin 2005,
- débouté M. [W] de sa demande tendant à se voir garantir par la SA Cnp Assurances le solde restant dû au titre du prêt consenti le 16 juin 2005,
- condamné le Crédit agricole à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement par le prêteur à son devoir de mise en garde,
- ordonné la compensation entre les créances et dettes réciproques des parties,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes, notamment celles au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [W] aux entiers dépens de l'instance,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.
Le tribunal a estimé que les conditions de prise en charge au titre de l'assurance invalidité totale et définitive n'étant pas réunies, l'assureur était fondé à refuser de prendre en charge les mensualités de remboursement du prêt contracté le 16 juin 2005. Il a en revanche condamné le prêteur à régler à M. [W] une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir manqué à son obligation d'information et de conseil en n'informant pas l'emprunteur de l'étendue de la garantie souscrite et de son intérêt à souscrire une garantie plus adaptée à sa situation.
Par une déclaration reçue au greffe le 5 juillet 2018, le Crédit agricole a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à M. [W] une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, intimant M. [W] et la SA Cnp Assurances.
Le Crédit agricole demande à la cour d'appel :
- d'infirmer le chef du jugement en ce qu'il l'a condamné à payer une somme de 5 000 euros à M. [W] pour manquement à son devoir de mise en garde,
- de débouter M. [W] de ses demandes,
- de condamner M. [W] à lui payer une somme de 7197,32 euros outre les intérêts au taux conventionnel de 5 %, sur la somme de 6 330,36 euros, à compter du 20 juin 2017,
- de condamner M. [W] à payer une somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La SA Cnp Assurances prie la cour d'appel de :
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur l'appel principal interjeté par le Crédit agricole, dirigé essentiellement contre M. [W], aucune demande n'étant présentée à son encontre,
en toute hypothèse :
- débouter M. [W] de ses demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande tendant à se voir garantir du paiement du solde du prêt du 16 juin 2005,
à titre subsidiaire,
- dans l'hypothèse où il serait fait droit à la demande de prise en charge de M. [W] au titre de la garantie ITD (invalidité totale définitive), dire et juger que celle-ci ne pourrait s'effectuer que dans les termes et limites contractuels et au profit de l'organisme prêteur,
- statuer ce que de droit sur les dépens dont aucune part ne saurait être laissée à sa charge, lesquels seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Bien que M. [W] ait été assigné à comparaître devant la cour d'appel par acte d'huissier, contenant la déclaration d'appel et les conclusions d'appelant, délivré à personne en date du 9 septembre 2018, ce dernier n'a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe,
- le 10 septembre 2018 pour le Crédit agricole,
- le 3 décembre 2018 pour la SA Cnp Assurances.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mars 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Selon l'article 472, alinéa 2, du code de procédure civile, si l'intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, mais le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.
A titre liminaire, il convient de relever que la cour n'étant saisie que du seul appel interjeté par le Crédit agricole limité au chef du dispositif du jugement l'ayant condamné à régler à M. [W] une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, il ne lui appartient pas de confirmer les autres chefs du dispositif, passés depuis en force de chose jugée.
- Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts
Pour contester l'engagement de sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. [W], le Crédit agricole, rappelant que M. [W] a expressément renoncé à la garantie portant sur l'incapacité temporaire totale, fait valoir que, dans le cas d'espèce, il n'y a aucune inadéquation des risques couverts par l'assurance souscrite au regard de la situation personnelle de l'emprunteur. Il précise que le refus de prise en charge opposé par l'assureur ne résulte nullement de l'absence ou de l'insuffisance des garanties souscrites mais de ce que l'état de santé de l'assuré ne réunit pas les conditions contractuelles de la garantie incapacité totale et définitive souscrite, laquelle exige que l'invalidité dont est atteint l'assuré le place dans l'impossibilité définitive de se livrer à toute occupation et/ou à toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit. Il souligne que la notice d'assurance, dont M. [W] a attesté avoir pris connaissance, définit de manière claire et précise le contenu de cette garantie. Il en conclut que l'assuré, ne pouvant ignorer le contenu des conditions générales valant notice d'assurance, n'est pas en mesure de se prévaloir d'un défaut d'information portant sur les modalités d'exercice de la garantie litigieuse.
Il est acquis qu'en application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, le prêteur qui propose à son client auquel il consent un prêt d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, étant précisé que la remise de la notice d'assurance ne suffit pas pour satisfaire cette obligation.
Si le Crédit agricole ne conteste pas que l'assurance litigieuse a été proposée à l'emprunteur dans le cadre d'une assurance de groupe, il estime qu'aucune obligation de conseil ne lui incombait en l'espèce dans la mesure où il n'y a aucune inadéquation entre les risques couverts et la situation personnelle de M. [W].
Or, contrairement à ce que soutient le Crédit agricole, M. [W], lequel n'ayant pas conclu est réputé s'être approprié les motifs du jugement déféré en application de l'article 954 in fine du code de procédure civile, ne reproche pas au prêteur de ne pas lui avoir conseillé de souscrire la garantie incapacité totale temporaire. En effet, comme l'a très justement relevé le premier juge, il résulte clairement du contrat d'assurance et de la demande d'adhésion signée par M. [W] que ce dernier a expressément renoncé à cette garantie.
M. [W] reproche en revanche au Crédit agricole de ne pas lui avoir conseillé de souscrire une garantie complémentaire au titre de l'invalidité totale définitive couvrant le cas d'une impossibilité d'exercer la seule profession agricole, ce dont il resulte que l'emprunteur conteste effectivement l'adéquation des risques couverts par l'assurance à sa situation personnelle.
Dans ces conditions, il incombait au prêteur d'éclairer M. [W] sur la portée des garanties souscrites telles que définies par la police d'assurance.
Il ressort des stipulations contractuelles que la garantie invalidité totale et définitive souscrite par l'emprunteur est conditionnée à la preuve d'une impossibilité définitive, pour l'assuré, de se livrer à 'toute occupation et/ou à activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit' de sorte qu'il incombait au Crédit agricole d'attirer l'attention de M. [W] sur le contenu exact de cette garantie en lui expliquant que cette garantie ne pourrait pas jouer, alors même que le prêt garanti a été contracté dans un cadre professionnel, dans l'hypothèse où il se trouverait dans l'impossibilité d'exercer une activité agricole tout en étant en mesure d'exercer une autre activité professionnelle, et de conseiller à ce dernier de souscrire une garantie plus adaptée à sa situation.
Partant, faute pour le Crédit agricole, qui ne peut se contenter de soutenir que la notice d'assurance a été remise à l'assuré, et ce peu important que les clauses de cette notice soient claires et précises, de rapporter la preuve d'avoir exécuté l'obligation qui lui incombait, ce dernier a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle.
Le préjudice résultant de ce manquement s'analyse en la perte d'une chance de contracter une assurance adaptée à sa situation personnelle et toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que l'emprunteur ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé.
En l'espèce, eu égard notamment à la destination professionnelle du prêt contracté par M. [W], qui exerçait exclusivement une activité agricole, ce préjudice, dont le montant ne peut être équivalent à celui restant dû au titre du remboursement du prêt, a été très justement évalué par le premier juge à la somme de 5 000 euros.
Par suite, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné le Crédit agricole à payer à M. [W] une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts et en ce qu'il a ordonné la compensation des créances réciproques des parties.
En revanche, le chef de condamnation au titre du remboursement du solde restant dû n'ayant pas été dévolu à la cour, il n'y a pas lieu d'actualiser le montant de cette condamnation, étant observé que la condamnation aux intérêts conventionnels a été prononcée par le jugement dont il est interjeté appel.
- Sur les demandes accessoires
Le Crédit agricole, qui succombe en son appel, sera condamné aux entiers dépens d'appel, les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles du jugement déféré étant confirmées.
Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé à l'avocat de la SA Cnp Assurances.
Le Crédit agricole sera débouté de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant, par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
DEBOUTE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine aux entiers dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL