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13/06/2023 | FRANCE | N°19/00839

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre a - civile, 13 juin 2023, 19/00839


COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - CIVILE







IG/IM

ARRET N°:



AFFAIRE N° RG 19/00839 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EPZH



Jugement du 29 Mars 2019

Tribunal paritaire des baux ruraux de CHOLET

n° d'inscription au RG de première instance 5118000002



ARRET DU 13 JUIN 2023



APPELANTS :



Madame [N] [Z] épouse [U]

née le 22 Mai 1989 à [Localité 16] (49)

[Adresse 18]

[Localité 10]



Monsieur [M] [Z]

né le 04 Juillet 1957 à

[Localité 15] (49)

[Adresse 17]

[Localité 11]



Madame [V] [F] épouse [Z]

née le 26 Février 1957 à [Localité 20] (49)

[Adresse 17]

[Localité 11]



[...] prise en la personne de son représentant légal do...

COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - CIVILE

IG/IM

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 19/00839 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EPZH

Jugement du 29 Mars 2019

Tribunal paritaire des baux ruraux de CHOLET

n° d'inscription au RG de première instance 5118000002

ARRET DU 13 JUIN 2023

APPELANTS :

Madame [N] [Z] épouse [U]

née le 22 Mai 1989 à [Localité 16] (49)

[Adresse 18]

[Localité 10]

Monsieur [M] [Z]

né le 04 Juillet 1957 à [Localité 15] (49)

[Adresse 17]

[Localité 11]

Madame [V] [F] épouse [Z]

née le 26 Février 1957 à [Localité 20] (49)

[Adresse 17]

[Localité 11]

[...] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 17]

[Localité 11]

Non comparants, représentés par Me Stéphanie SIMON de la SELARL ADEO - JURIS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 180007

INTIME :

Monsieur [R] [H]

né le 04 Octobre 1943 à [...] (49)

[Adresse 19]

[...]

Comparant, assisté de Me Romain BLANCHARD de la SELARL GAYA, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier H110007

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 20 Février 2023 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme GANDAIS, conseillère qui a été préalablement entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme MULLER, Conseillère faisant fonction de présidente

Mme GANDAIS, conseillère

M. WOLFF, conseiller

Greffière lors des débats : Mme LEVEUF

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 13 juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Isabelle GANDAIS, conseillère, pour la présidente empêchée, et par Christine LEVEUF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 26 avril 2010, Mme [G] [H] a consenti à M. [M] [Z] un bail rural de neuf années, à effet au 1er janvier 2010, sur diverses parcelles de terres situées à [...] (49), pour une contenance de 30 ha 38 a et cadastrées section WL [Cadastre 7],[Cadastre 12],[Cadastre 14],[Cadastre 5],[Cadastre 13], sections WD [Cadastre 4], WM [Cadastre 8],[Cadastre 9],[Cadastre 1],[Cadastre 2],[Cadastre 3] et WN [Cadastre 6].

Suivant arrêté préfectoral du 12 février 2010, M. [Z] avait obtenu l'autorisation administrative d'exploiter les biens fonciers loués sous réserve de l'installation de sa fille, Mme [N] [Z], en tant qu'exploitante agricole à titre principal au plus tard le 1er janvier 2011.

Suivant acte sous-seing privé en date du 5 mars 2011, M. [R] [H] et son épouse, Mme [G] [H], donnaient à bail à Mme [N] [Z], pour une durée de neuf années à effet au 1er avril 2011, les parcelles de terre en cause.

Suivant courrier du 12 décembre 2011, Mme [Z] informait les bailleurs de la mise à disposition des parcelles louées au profit du [...].

Suivant courrier recommandé en date du 20 novembre 2017, les bailleurs, par l'intermédiaire de leur conseil, indiquaient au [...] et à Mme [Z] qu'informés de ce que cette dernière n'était plus associée au sein du [...], une telle cession du bail au profit de cet exploitant était prohibée en application de l'article L411-35 du code rural et entraînait la résiliation du bail. Les bailleurs demandaient dès lors à la locataire de confirmer son accord pour considérer le bail comme résilié et la mettait en demeure de quitter les lieux ainsi que le [...] qui continuait l'exploitation du fonds.

Le 8 janvier 2018, M. [R] [H] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Cholet d'une demande dirigée à l'encontre de Mme [N] [Z], M. [M] [Z], son épouse, Mme [V] [Z] et le [...] aux fins de voir prononcer la résiliation du bail pour, d'une part, cession prohibée et, d'autre part, pour actes de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds du fait d'un défaut d'entretien des parcelles données à bail.

Suivant jugement en date du 29 mars 2019, le tribunal paritaire des baux ruraux de Cholet a :

- prononcé la résiliation du bail conclu le 5 mars 2011 entre Mme [G] [H] et M. [R] [H] d'une part et Mme [N] [Z] d'autre part, sur les parcelles de terres agricoles situées à [...] (49) d'une contenance totale de 30ha 5a 45ca cadastrées : WD [Cadastre 4], WL [Cadastre 7], [Cadastre 12], 18, [Cadastre 13], WM [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3] et WN [Cadastre 6],

- ordonné l'expulsion de Mme [N] [Z] et de tous occupants de son chef,

- dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte,

- fixer l'indemnité annuelle d'occupation au montant de 120 euros par hectare et condamné en tant que de besoin Mme [N] [Z] à la payer à M. [R] [H],

- débouté M. [M] [Z], Mme [V] [Z] et Mme [N] [Z] de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

- dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire,

- condamné in solidum M. [M] [Z], Mme [N] [Z] et le [...] la Paille d'Ore à payer les dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 29 avril 2019, l'[...] et les consorts [Z], intimant M. [H], ont interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte, à condamner à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à exécution provisoire.

Par conclusions reçues au greffe le 23 mars 2022, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, l'[...] et les consorts [Z] demandent à la cour de :

- débouter M. [R] [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger que les terres ont été restituées au 31 décembre 2019, soit il y a quasiment deux ans,

- dire et juger la demande de M. [R] [H] tendant à voir ordonner en cause d'appel l'expulsion sous astreinte sans objet,

- débouter M. [R] [H] de sa demande tendant à voir dire que l'indemnité annuelle d'occupation d'un montant de 120 euros par hectare, à laquelle Mme [N] [Z] a été condamnée, sera calculée à compter de la date de résiliation judiciaire du bail, soit le 29 mars 2019, à titre principal, à la date de l'arrêt ou subsidiairement, à la date du 23 novembre 2021, constatant que les parcelles ont été restituées le 31 décembre 2019,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit, au regard de l'équité, n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- à titre principal, dire et juger irrecevable la demande de dommages et intérêts nouvellement formée à hauteur de 7 000 euros par M. [R] [H] en cause d'appel,

- à titre subsidiaire, dire et juger la demande d'indemnisation de M. [R] [H] non fondée et l'en débouter faute de rapporter la preuve du mauvais état d'entretien des parcelles à leur restitution ainsi que des prétendus travaux réalisés pour leur prétendue remise en état,

- infirmer le jugement entrepris et condamner M. [R] [H] à verser à son preneur qu'il reconnaît comme tel à savoir Mme [N] [Z], la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a mis à la charge d'aucune des parties une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter M. [R] [H] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 559 du code de procédure civile,

- condamner M. [R] [H] à leur verser la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [R] [H] aux entiers dépens.

Au soutien de leurs prétentions, les appelants exposent en premier lieu que l'expulsion est devenue sans objet dans la mesure où les parcelles ont été restituées le 31 décembre 2019 et que l'intimé ne peut valablement contester les avoir récupérées à cette date là. Ils ajoutent que l'intimé doit être débouté de sa demande tendant à voir dire que l'indemnité annuelle d'occupation due par Mme [N] [Z] doit être calculée à compter de la date de résiliation judiciaire du bail ou encore de la date de l'arrêt à intervenir ou à la date de leurs conclusions du 23 novembre 2021. En second lieu, ils opposent l'irrecevabilité de la demande nouvelle indemnitaire formée par l'intimé au titre de l'état dans lequel il aurait récupéré les parcelles litigieuses. A titre subsidiaire, sur le fond, ils affirment que celles-ci ont été restituées en bon état d'entretien à la fin du mois de décembre 2019 et relèvent que l'intimé ne rapporte pas la preuve du mauvais état allégué à cette date. Au soutien de sa demande indemnitaire pour trouble de jouissance, Mme [N] [Z] fait valoir qu'en raison de la violente agression dont a été victime son père de la part du fils du bailleur, elle s'est trouvée psychologiquement en difficulté pour se rendre sur l'exploitation proche du domicile de la famille [H]. Elle ajoute que l'intimé n'est pas seulement responsable de ses propres agissements mais également de ceux des occupants de son chef et notamment des membres de sa famille qui peuvent entraîner des troubles au preneur en place en venant sur les terres données à bail. L'appelante souligne que l'intimé n'ignorait ni les difficultés rencontrées, ni la personnalité de son fils qui rodait déjà sur les terres et qu'il lui appartenait d'intervenir plus tôt pour faire cesser ce trouble, ce qui aurait évité la situation gravissime du 10 juin 2016. Enfin, sur l'appel abusif, les appelants considèrent que celui-ci n'est aucunement démontré et qu'ils ont voulu préserver leur action notamment relativement au trouble de jouissance qu'ils estiment indiscutable.

Par conclusions reçues au greffe le 17 janvier 2022, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, M. [H] demande à la cour, au visa des articles L 411-31, L 411-35 et L 411-37 du code rural et de la pêche maritime, de :

- confirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Cholet en date du 29 mars 2019 en ce qu'il a :

- prononcé la résiliation du bail conclu le 5 mars 2011, entre Mme [G] [H] et M. [R] [H] d'une part et Mme [N] [Z] d'autre part, sur les parcelles de terres agricoles situées à [...] (49) d'une contenance totale de 30ha 5a 45ca,

- ordonné l'expulsion de Mme [N] [Z] et de tous occupants de son chef,

- fixé l'indemnité annuelle d'occupation au montant de 120 euros par hectare, et condamné en tant que de besoin Mme [N] [Z] à la payer à M. [R] [H],

- débouté M. [M] [Z], Mme [V] [Z] et Mme [N] [Z] de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

- débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire,

- condamné in solidum M. [M] [Z], Mme [N] [Z] et le [...] la Paille d'Ore à payer les dépens de l'instance,

- infirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Cholet en date du 29 mars 2019 en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- y ajoutant, condamner Mme [N] [Z] et l'[...] à lui verser une somme de 7 000 euros au titre de dommages-intérêts compte tenu de l'état des parcelles,

- à titre principal, dire que l'indemnité annuelle d'occupation d'un montant de 120 euros par hectare à laquelle Mme [N] [Z] a été condamnée devra être calculée à compter de la date de résiliation judiciaire du bail rural, soit le 29 mars 2019, et la date de l'arrêt à intervenir (sic),

- à titre subsidiaire, dire que l'indemnité annuelle d'occupation d'un montant de 120 euros par hectare à laquelle Mme [N] [Z] a été condamnée devra être calculée à compter de la date de résiliation judiciaire du bail rural, soit le 29 mars 2019, et la date des conclusions des appelants, soit le 23 novembre 2021 (sic),

- condamner Mme [N] [Z] au règlement du fermage dû sur la période du 1er novembre 2018 au 28 mars 2019, portant sur une somme totale de 1 909,75 euros,

- condamner les consorts [Z] et l'[...] au règlement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 559 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les consorts [Z] et l'[...] au règlement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de premier degré et à la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de second degré,

- condamner tout succombant aux entiers dépens,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

A l'appui de ses demandes, l'intimé soutient que les appelants n'ont entrepris aucune démarche auprès de lui pour l'informer d'une restitution des parcelles litigieuses et que celle-ci ne saurait résulter de leur abandon de l'exploitation des terres. Il ajoute qu'il ne pouvait en tout état de cause reprendre la jouissance de celles-ci, au regard de leur appel portant sur la résiliation judiciaire du bail rural. Il indique encore que dès lors qu'il n'avait pas la confirmation par les appelants de ce qu'ils renonçaient à leur recours s'agissant de cette résiliation, il n'était pas en mesure de louer les parcelles à un tiers. L'intimé fait valoir que l'indemnité annuelle d'occupation à laquelle Mme [N] [Z] a été condamnée doit être calculée à compter de la date de résiliation judiciaire du bail rural ou encore de l'arrêt à intervenir ou encore subsidiairement de la date des conclusions du 23 novembre 2021 aux termes desquelles les appelants clarifiaient l'objet de leur appel. S'agissant de la demande indemnitaire formée par l'ancienne locataire en titre, l'intimé considère que cette dernière est malvenue en sa prétention eu égard à la résiliation judiciaire intervenue du fait de ses manquements au bail rural. Il ajoute que l'appelante n'est nullement concernée par l'agression commise par son fils et que pour sa part il n'a commis aucune faute dans l'exécution du bail. Au soutien de sa demande indemnitaire en considération du mauvais état dans lequel il a récupéré les parcelles, M. [H] souligne que celle-ci est recevable, étant liée au non entretien des parcelles constaté après le jugement entrepris. Sur le fond, il souligne l'état déplorable des terres qui nécessitera un traitement pour éradiquer notamment tous les chardons. Enfin, l'intimé estime que les appelants ont fait un usage abusif de leur droit d'appel et ce, afin de lui nuire. Il affirme que ces derniers l'ont laissé dans une situation de doute pendant de nombreux mois, attendant le 23 novembre 2021 pour formaliser leurs premières écritures aux termes desquelles ils renonçaient à leur appel relativement à la résiliation du bail. Il ajoute que cet appel lui engendre des frais et encombre inutilement la cour alors que les appelants pouvaient officiellement restituer les parcelles et se désister.

L'affaire a été retenue à l'audience du 20 février 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour observe que bien qu'ayant expressément critiqué les dispositions du jugement du 29 mars 2019 ayant prononcé la résiliation du bail du 5 mars 2011, fixé une indemnité annuelle d'occupation d'un montant de 120 euros par hectare et condamné Mme [N] [Z] à la payer en tant que de besoin, les appelants ne présentent plus de prétention relativement à ces chefs du jugement. Il convient en conséquence, en application de l'article 562 du code de procédure civile, de confirmer ces dispositions du jugement, sans examen au fond.

Par ailleurs, il y a lieu de constater que l'[...] qui a interjeté appel sous cette dénomination sociale, se désigne alternativement, aux termes de ses écritures, comme [...] et [...]. Si l'appelante a produit aux débats un extrait kbis et un relevé infogreffe, mentionnant la forme sociale du [...], ces documents sont respectivement datés du 2 mai 2017 et du 18 janvier 2018, soit antérieurement à la déclaration d'appel. Aux termes de ses écritures, l'intimé vise le [...] devenu l'[...] et ce, sans que cela ne soit discuté par les appelants. Dès lors, il convient de considérer comme acquis le changement statutaire opéré entre le prononcé du jugement entrepris et la déclaration d'appel.

I - Sur l'expulsion

Les appelants, soutenant avoir restitué le fonds en cause après le prononcé dudit jugement, soit le 31 décembre 2019, demandent à la cour de considérer la prétention de l'intimé tendant à l'expulsion sous astreinte, comme devenue sans objet.

Ils produisent à cet égard un courriel de leur conseil, daté du 20 avril 2021 indiquant au conseil de l'intimé : 'votre client, qui a désormais un repreneur, sait pertinemment qu'il a récupéré les terres à la fin du mois de décembre 2019. Je ne comprends pas le sens de votre courrier officiel'.

Pour sa part, l'intimé verse aux débats deux courriers de son conseil, en date des 20 avril 2020 et 27 mai 2020, aux termes desquels est déploré l'état d'abandon des parcelles et qu'il 'n'avait d'autre choix que de reprendre l'exploitation des parcelles', faisant grief aux appelants 'd'abandonner l'exploitation des parcelles, sans un mot'.

La cour observe que si l'intimé a pu constater l'inexploitation, voire l'abandon de ses parcelles au cours du premier semestre de l'année 2020, l'ancienne locataire des lieux, Mme [Z], ne justifie pas les avoir restituées au propriétaire à la date alléguée, soit le 31 décembre 2019. La circonstance que l'[...] appelante n'exploitait plus les terres ne suffit pas à démontrer que Mme [Z], qui avait, le 29 avril 2019, interjeté appel du jugement prononçant la résiliation du bail et ordonnant son expulsion, entendait ainsi restituer le fonds. Ce n'est qu'aux termes de leurs premières écritures, signifiées le 23 novembre 2021, que les appelants ont fait état de ce qu'ils avaient restitué les terres le 31 décembre 2019, abandonnant leur appel notamment sur le chef du jugement portant sur la résiliation du bail. Dans ce contexte procédural de recours, en l'absence d'exécution provisoire du jugement entrepris, l'inoccupation des parcelles, sans démarche explicite de la part des appelants tendant à officialiser leur restitution, ne saurait induire leur volonté, même tacite, de libérer définitivement lesdites parcelles au 31 décembre 2019.

Dans le même temps, l'intimé ne peut soutenir qu'il n'a toujours pas obtenu restitution des parcelles litigieuses alors qu'il forme devant la cour une demande nouvelle, indemnitaire, eu égard au mauvais état des terres qu'il a récupérées. Cette demande indemnitaire ayant été formée aux termes de ses écritures reçues le 15 juin 2020, il convient de retenir cette date au titre de la restitution des lieux.

Au vu de ce qui précède, Mme [N] [Z] ayant quitté les lieux et le propriétaire ayant récupéré les lieux donnés à bail après le prononcé du jugement entrepris, la demande d'expulsion est devenue sans objet en cause d'appel.

II- Sur la date d'exigibilité de l'indemnité d'occupation

Les premiers juges ont fixé à la charge de Mme [Z] une indemnité annuelle d'occupation de 120 euros par hectare, la condamnant en tant que de besoin à son paiement.

L'intimé, devant la cour, sollicite que soit précisé le point de départ de cette indemnité d'occupation, à savoir la date de résiliation judiciaire du bail rural, le 29 mars 2019.

Les appelants, qui concluent au rejet, ne développent toutefois aucun moyen au soutien de leur prétention.

L'indemnité d'occupation est destinée à réparer le préjudice résultant pour le bailleur de l'occupation sans droit ni titre de son bien. Dès lors, celle-ci se trouve due au jour de la résiliation du bail et ce, jusqu'à la date de libération effective des lieux.

La résiliation judiciaire du bail ayant été prononcée par le tribunal, aux termes de son jugement rendu le 29 mars 2019, c'est à compter de cette date que Mme [Z] se trouve redevable auprès du propriétaire d'une indemnité d'occupation. Le jugement entrepris, qui n'a pas indiqué que celle-ci était due à compter du prononcé de la décision, sera précisé sur ce point.

III- Sur la demande indemnitaire pour trouble de jouissance

L'article 1719 du code civil donne obligation au bailleur de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

Aux termes de l'article 1725 du même code, le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, sans prétendre d'ailleurs aucun droit sur la chose louée ; sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel.

L'article suivant ajoute que si, au contraire, le locataire ou le fermier ont été troublés dans leur jouissance par suite d'une action concernant la propriété du fonds, ils ont droit à une diminution proportionnée sur le prix du bail à loyer ou à ferme, pourvu que le trouble et l'empêchement aient été dénoncés au propriétaire.

Les premiers juges, relevant que les consorts [Z] ne développaient aucun moyen au soutien de leur demande indemnitaire, retenaient qu'en tout état de cause, ils n'établissaient pas la faute du bailleur dans l'exécution du contrat dans la mesure où les graves agissements de M. [A] [H] sur la personne de M. [Z] engageaient la seule responsabilité personnelle de son auteur et ne constituaient pas un manquement de l'intimé à ses obligations de bailleur.

La cour rappelle que si, en application des dispositions susvisées, le bailleur est tenu de garantir le preneur des troubles de droit provenant de tiers, il n'est pas garant des troubles de fait provenant de tiers qui n'invoquent aucun droit sur la chose. Dans cette dernière hypothèse, il appartient au preneur de poursuivre lui-même directement le tiers désigné comme étant l'auteur du trouble.

Au cas particulier, le trouble de jouissance invoqué par Mme [N] [Z] est en lien avec l'agression de son père, survenue le 10 juin 2016, sur les lieux de l'exploitation, par M. [A] [H], fils du bailleur et ayant conduit à l'ouverture d'une information judiciaire du chef de tentative d'assassinat. Suivant arrêt en date du 8 mars 2018, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers a déclaré M. [A] [H] irresponsable pénalement et responsable, sur le plan civil, du préjudice subi par M. [M] [Z] et son épouse, Mme [V] [Z].

M. [A] [H] a bien la qualité de tiers par rapport à l'intimé et ce, nonobstant le lien de parenté les unissant. L'agression en cause qui a pu créer un climat de peur et dissuader la locataire de revenir exploiter les parcelles, situées à proximité du domicile de la famille [H], ne peut en tout état de cause que caractériser un trouble de fait ne donnant pas lieu à garantie de la part du bailleur. En effet, ce dernier n'a pas à couvrir les voies de fait commises par des tiers. Par ailleurs, il n'est pas établi ni d'ailleurs soutenu que cet événement puisse se rattacher à un trouble de droit dont aurait à répondre le bailleur, les éléments produits aux débats ne mettant pas en évidence l'intention de M. [A] [H] de revendiquer un quelconque droit sur les parcelles en cause, en commettant les faits du 10 juin 2016.

Il en résulte que c'est à bon droit que le tribunal a débouté les consorts [Z] de leur demande indemnitaire en réparation d'un préjudice de jouissance. La décision déférée sera, en conséquence, confirmée de ce chef.

IV- Sur la demande en paiement formée par l'intimé

Devant la cour, l'intimé sollicite la condamnation de Mme [N] [Z] à lui payer la somme de 1 909,75 euros au titre du fermage dû sur la période allant du 1er novembre 2018 au 28 mars 2019, détaillant son calcul effectué au prorata temporis et faisant application de l'indice national des fermages 2019.

Mme [Z] n'oppose aucun moyen à cette prétention, ne contestant pas se trouver redevable de la somme réclamée au titre du dernier fermage échu.

Il convient en conséquence d'accueillir la demande de l'intimé et de condamner Mme [N] [Z] à lui payer ladite somme.

V- Sur la demande indemnitaire formée par l'intimé

- sur la recevabilité de la demande

En vertu des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Au bénéfice des motifs qui précèdent, il apparaît que, dans les suites du jugement rendu en première instance le 29 mars 2019, Mme [N] [Z] a quitté les lieux.

L'intimé sollicite qu'elle soit condamnée ainsi que la société exploitante, l'[...] à l'indemniser en raison de l'état déplorable dans lequel il a récupéré les parcelles.

Cette demande constitue une prétention nouvelle dont l'objet est de faire juger la question de l'indemnisation du propriétaire dans les suites d'un fait survenu depuis la première décision, à savoir le départ des lieux loués du preneur en exécution du jugement dont il a été fait appel. Dans ces conditions, en application des dispositions susvisées, cette demande est recevable.

- sur le bien fondé de la demande

Il est établi que l'état des lieux loués doit s'apprécier à la libération des lieux. Ainsi que retenu précédemment, celle-ci est intervenue à la date du 15 juin 2020.

Il convient également de rappeler qu'il appartient au bailleur de prouver les dégradations qu'il allègue, étant observé qu'au cas particulier le bail n'a pas été résilié aux torts du preneur en raison de l'insuffisance d'exploitation du fonds mais au motif d'une cession prohibée de bail au profit du [...].

L'intimé produit, au soutien de sa demande indemnitaire, des photographies de terres envahies par de hautes herbes et des chardons, sans que la cour puisse vérifier à quelles parcelles elles correspondent. Elles ne sont pas horodatées, seule la première page d'un journal local mentionnant comme date 'mercredi 27 mai 2020" a été prise en photographie sur chacun des clichés. De telles pièces ne peuvent avoir force probante alors même que les appelants contestent le mauvais état des parcelles à leur départ même s'ils situent celui-ci antérieurement à la date de restitution retenue par la cour.

Le constat dressé le 5 juillet 2018 par huissier de justice à la demande du bailleur, mentionnant le mauvais entretien des talus, la présence de nombreuses mauvaises herbes, ronces, de nombreux chardons de plus d'un mètre de hauteur, d'un arbre couché empiétant sur un chemin, ne peut étayer la prétention de l'intimé. En effet, comme souligné par les appelants, ces constatations, non discutées, sont intervenues près de deux ans avant la restitution des lieux et alors que le bail avait toujours cours, que Mme [N] [Z], en raison des faits subis par son père, avait délaissé l'exploitation.

Par ailleurs, si le maire de [...], dans un courrier en date du 27 septembre 2021, a pu demander à l'intimé, en sa qualité de propriétaire des parcelles en cause, dans les plus brefs délais, de les 'nettoyer (ronces, rumex, chardons) afin d'éviter la prolifération de nuisibles (mauvaises herbes, rongeurs, reptiles)', cela n'établit pas que plus d'un an auparavant, soit au 15 juin 2020, cet état de non entretien préexistait.

Aucun état des lieux de sortie n'a été dressé le 15 juin 2020 ou à une période concomitante, dont il ressortirait la nécessité de remettre les terres en état.

Du tout, il en résulte que l'intimé ne fait pas la preuve du mauvais état du bien loué, imputé à Mme [Z] et à l'[...], lorsqu'il l'a récupéré. Il sera en conséquence débouté de sa prétention indemnitaire.

VI- Sur la demande en paiement pour appel abusif

Aux termes de l'article 559 du code de procédure civile, en cas d'appel dilatoire et abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui lui seraient réclamés.

L'intimé ne rapporte pas la preuve que les appelants auraient, de mauvaise foi, tenté de prolonger le procès par la voie du présent appel, en dépit du caractère infondé de leurs demandes. Leur appel ne peut donc être qualifié d'abusif, en l'absence d'éléments démontrant un abus de leur part dans l'exercice de leur recours contre le jugement déféré les ayant déboutés de leurs demandes.

Il convient en conséquence de débouter l'intimé de cette demande.

VII- Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il convient de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux dépens et de condamner les appelants qui succombent principalement en appel, aux dépens de la présente instance.

Au regard de la solution apportée au litige, il y a lieu de condamner in solidum les consorts [Z] et l'[...] à payer à l'intimé la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance. Le jugement entrepris sera réformé en ce sens. Par ailleurs, il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé les frais engagés pour la défense de ses intérêts en cause d'appel. Les appelants seront condamnés in solidum à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et eux-mêmes déboutés de leur demande formée à cet égard à l'encontre de l'intimé.

VIII- Sur la demande d'exécution provisoire

Le présent arrêt, à l'encontre duquel aucune voie de recours suspensive d'exécution n'est ouverte, étant exécutoire, la demande de l'intimé tendant à assortir le présent arrêt de l'exécution provisoire, est sans objet.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Cholet du 29 mars 2019 sauf en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et sauf à préciser que l'indemnité d'occupation due par Mme [N] [Z] à M. [R] [H] l'est à compter du prononcé de la résiliation judiciaire du bail,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONSTATE que la demande d'expulsion de Mme [N] [Z] et de tous occupants de son chef, est devenue sans objet,

DECLARE M. [R] [H] recevable en sa demande indemnitaire formée au titre de l'état des parcelles,

DEBOUTE M. [R] [H] de sa demande indemnitaire formée au titre de l'état des parcelles,

CONDAMNE Mme [N] [Z] à payer à M. [R] [H] la somme de 1 909,75 euros au titre du fermage dû pour la période du 1er novembre 2018 au 28 mars 2019,

DEBOUTE M. [R] [H] de sa demande tendant à ce que soient condamnés Mme [N] [Z], M. [M] [Z], Mme [V] [Z] et l'[...] au paiement d'une amende civile pour appel abusif,

CONDAMNE in solidum Mme [N] [Z], M. [M] [Z], Mme [V] [Z] et l'[...] à payer à M. [R] [H] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à raison des frais irrépétibles exposés en première instance,

CONDAMNE in solidum Mme [N] [Z], M. [M] [Z], Mme [V] [Z] et l'[...] à payer à M. [R] [H] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

DEBOUTE Mme [N] [Z], M. [M] [Z], Mme [V] [Z] et l'[...] de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

CONDAMNE Mme [N] [Z], M. [M] [Z], Mme [V] [Z] et l'[...] aux dépens d'appel,

DECLARE sans objet la demande d'exécution provisoire formée par M. [R] [H].

LA GREFFIERE P/LA PRESIDENTE

C. LEVEUF I. GANDAIS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre a - civile
Numéro d'arrêt : 19/00839
Date de la décision : 13/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-13;19.00839 ?
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