COUR D'APPEL
D'ANGERS
1ERE CHAMBRE SECTION B
MCPC/ILAF
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 22/01480 - N° Portalis DBVP-V-B7G-FBQZ
jugement du 11 Juillet 2022
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SAUMUR
n° d'inscription au RG de première instance 20/00887
ARRET DU 15 JUILLET 2024
APPELANT :
M. [F] [U]
né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 10]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représenté par Me Etienne DE MASCUREAU de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS substitué à l'audience par Me Audrey PAPIN
INTIMEE :
UDAF DE [Localité 7]
ès qualité de tuteur de Mme [X] [N] veuve [U]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Laurence NOSSEREAU de la SELARL LEXCAP, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 16 Mai 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme PLAIRE COURTADE, présidente de chambre qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PLAIRE COURTADE, présidente de chambre
Mme PARINGAUX, conseillère
Mme COUTURIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffière lors des débats : Mme BOUNABI
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 15 juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Marie-Christine PLAIRE COURTADE, présidente de chambre et par Florence BOUNABI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Mme [X] [N] veuve [U] est née le [Date naissance 2] 1927 et a trois fils, MM [F], [S] et [P] [U].
Mme [N] veuve [U] a souscrit auprès de la [5] un contrat d'assurance vie sur lequel elle a placé la somme de 101 633,77 euros et qui au 18 juillet 2017 présentait un solde de 170 291,32 euros.
Le 28 février 2018, M. [F] [U] a déclaré auprès des services fiscaux bénéficier d'une donation de la somme de 60 000 euros de la part de Mme'[N] veuve [U].
Le 9 avril 2018, Mme [N] veuve [U] a procédé au rachat partiel du contrat d'assurance-vie susvisé à hauteur d'une somme de 60 000 euros, qu'elle a créditée sur son compte courant le 19 avril 2018, et qui a finalement été virée sur le compte de M. [F] [U] le 28 mai 2018.
Mme [N] veuve [U] a été placée sous le régime de protection de la curatelle renforcée par jugement en date du 6 juin 2018. L'Udaf de [Localité 8] a été désignée en qualité de curateur pour l'assister et la contrôler dans la gestion de ses biens et de sa personne.
Par jugement en date du 24 octobre 2019, le juge des tutelles a transformé la mesure de curatelle renforcée de Mme [N] veuve [U] en tutelle.
Par acte en date du 16 septembre 2020, l'Udaf de [Localité 8] ès qualités a assigné devant le tribunal judiciaire de Saumur, M. [F] [U] afin de voir annuler la donation faite à son profit par Mme [N] veuve [U].
L'Udaf de [Localité 8] ès qualités a sollicité, au visa de l'article 464 du code civil de :
- recevoir l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] en ses demandes recevables et bien fondées ;
- constater que la donation effectuée le 28 mai 2018 au profit de M. [F] [U] d'un montant de 60 000 euros a été réalisée pendant la période suspecte, juste avant la mesure de protection au profit de Mme [N] veuve [U] ;
- dire et juger que cette donation d'un montant de 60 000 euros met en péril la situation financière de Mme [N] veuve [U] ;
En conséquence :
- prononcer la nullité de cette donation d'un montant de 60 000 euros effectuée le 28 mai 2018 au profit de M. [F] [U] ;
- condamner M. [F] [U] à restituer la somme de 60 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] en vertu d'un jugement en date du 24 octobre 2019 rendu par le juge des tutelles de Saumur ;
- le condamner à verser à l'Udaf, tuteur de Mme [N] veuve [U], des dommages et intérêts pour un montant de 10 000 euros en vertu des dispositions de l'article 1240 du code civil ;
- prononcer à l'encontre de M. [F] [U] une astreinte de 100 euros par jour de retard d'exécution de la décision à intervenir, passé le délai d'un mois suivant la signification du présent jugement ;
- débouter M. [F] [U] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner M. [F] [U] à payer à l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- rappeler que l'exécution de la décision à intervenir est de plein droit.
M. [F] [U] a demandé de :
- débouter l'Udaf ès qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions et la condamner aux dépens, et à payer à M. [F] [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- en toute hypothèse dire n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par jugement du 11 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Saumur a notamment':
- déclaré recevable l'action de l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] ;
- annulé la donation de la somme de 60 000 euros effectuée le 28 mai 2018 par Mme [N] veuve [U] au profit de M. [F] [U], donation déclarée aux services fiscaux par M. [F] [U] le 28 février 2018 ;
- condamné M. [F] [U] à rembourser à l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U], la somme de 60 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;
- dit que la condamnation à payer la somme de 60 000 euros sera assortie d'une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard pendant 6 mois passé le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement ;
- débouté l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] de sa demande de dommages et intérêts ;
- condamné M. [F] [U] à payer à l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U], la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [F] [U] aux entiers dépens ;
- constaté l'exécution provisoire de la présente décision.
Selon déclaration reçue au greffe de la cour d'appel d'Angers le 26 août 2022, M.'[U] a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a : '- déclaré recevable l'action de l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme'[N] veuve [U] ; - annulé la donation de la somme de 60'000 euros effectuée le 28 mai 2018 par Mme [N] veuve [U] au profit de M. [F] [U], donation déclarée aux services fiscaux par M.'[F] [U] le 28 février 2018 ; - condamné M. [F] [U] à rembourser à l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U], la somme de 60 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ; - dit que la condamnation à payer la somme de 60 000 euros sera assortie d'une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard pendant 6 mois passé le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement ; - condamné M. [F] [U] à payer à l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] , la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; - condamné M. [F] [U] aux entiers dépens ; - constaté l'exécution provisoire de la présente décision.'.
L'Udaf de [Localité 8] a constitué avocat le 20 décembre 2022.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 mai 2024.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 2 mai 2024, M. [F] [U] demande à la cour d'appel de :
Et tous autres à déduire ou suppléer s'il y échet :
- recevoir M. [F] [U] en son appel, ainsi qu'en ses demandes, fins et conclusions, déclarés fondés ;
Y faisant droit :
- infirmer la décision entreprise en ses dispositions faisant grief au concluant et, notamment en ce qu'elle a annulé la donation de la somme de 60 000 euros effectuée le 28 mai 2018 par Mme [N] veuve [U] à son profit, l'a condamné à rembourser ladite somme à l'Udaf, en sa qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U], et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant 6 mois passé le délai d'un mois à compter de la signification du jugement, outre la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens, et l'a débouté de sa demande de condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau :
- débouter l'Udaf de [Localité 8], ès qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U], de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer ledit jugement en ses autres dispositions non contraires ;
- condamner l'Udaf de [Localité 8] à payer à M. [F] [U] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'Udaf de [Localité 8] aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 6 mars 2023, l'Udaf de [Localité 7] demande à la cour d'appel de :
- recevoir l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] en ses observations et demandes en les disant recevables et bien fondées ;
En conséquence :
- rejeter l'appel de M. [F] [U] en toutes ses demandes en les disant infondées ;
- confirmer le jugement rendu le 11 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Saumur en toutes ses dispositions y compris l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de 1ère instance ;
- condamner M. [F] [U] à verser à l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] des dommages et intérêts d'un montant de 10 000 euros en vertu des dispositions de l'article 1240 du code civil';
- débouter M. [F] [U] de ses demandes relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'appel ;
- le condamner à verser à la somme de 2 500 euros à l'Udaf de [Localité 8] en qualité de tuteur de Mme [N] veuve [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Pour un exposé plus ample des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions sus visées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'annulation de la donation
Aux termes des dispositions de l'article 464 du code civil, 'Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l'altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés.
Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s'il est justifié d'un préjudice subi par la personne protégée'.
M. [U] soutient que les conditions posées par l'article 464 du code civil ne sont pas réunies.
Concernant l'altération des facultés de sa mère au jour de l'acte, il expose que courant août 2005, sa mère a fait donation à ses enfants de trois lots :
- d'un appartement à [Localité 9] pour une valeur de 439 773 euros pour M. [P] [U] ;
- d'un appartement à [Localité 9] d'une valeur de 154 495 euros et d'une maison de campagne à [Localité 6] d'une valeur de 208 778 euros pour M. [S] [U]';
- d'un immeuble à [Localité 10] d'une valeur de 430 209 euros pour lui-même ;
Que le 19 novembre 2005 puis en 2013, Mme [X] [U] a manifesté sa volonté de rééquilibrer la valeur des lots, lui-même souffrant aux termes d'évaluations d'un différentiel de 94 000 euros ; que c'est à cette fin qu'elle a procédé au rachat partiel du contrat d'assurance vie ; qu'il n'a exercé aucune pression sur sa mère ; que sa mère ne souffrait d'aucune altération de ses facultés en 2005 quand elle a exprimé son souhait ; qu'aucun élément ne prouve que c'était le cas le 28 février 2018 ; que le seul rapport du docteur [K] établi le 28 décembre 2017 est insuffisant.
Concernant la connaissance de l'altération des facultés personnelles de sa mère, il nie avoir eu connaissance de la procédure de protection initiée par son frère et avoir assisté à l'examen médical de sa mère par le docteur [K] en 2017 ni avoir été destinataire du rapport d'expertise ; dit qu'il ne résidait pas dans le même immeuble que sa mère, l'adresse unique ne résultant que d'une boîte aux lettres commune ; que sa mère était parfaitement lucide lors du passage d'un huissier de justice le 20 novembre 2017.
Concernant le préjudice causé par l'acte litigieux, M. [U] soutient que les charges invoquées par l'Udaf sont intervenues postérieurement à la donation et nées d'une mauvaise gestion du tuteur ; que la répartition de travaux entre nu propriétaire et usufruitier est sans lien avec la donation comme le remboursement des travaux sollicité par M. [P] [U] ou la prise en charge des travaux réalisés sur l'immeuble de M. [S] [U] ou l'impôt sur la fortune'; que l'udaf ne fait pas état des revenus fonciers perçus par Mme [N] veuve [U].
Il ajoute enfin que l'Udaf n'a pas qualité pour arguer de l'atteinte à la réserve héréditaire, cette action étant réservés aux bénéficiaires de ladite réserve.
L'Udaf de [Localité 7] soutient qu'il ressort de l'expertise de Mme [N] veuve [U] réalisée par le docteur [K] le 28 décembre 2017, à laquelle M. [F] [U] a assisté, que la mère de l'appelant présentait une altération de ses facultés personnelles de nature à la rendre inapte à défendre ses intérêts ; qu'elle présentait des troubles cognitifs modérés mais certains au jour de son audition par le juge des tutelles le 6 juin 2018 ; que le jugement a été confirmé par arrêt de la cour d'appel du 6 novembre 2018 ; que l'appelant et sa mère résidaient à la même adresse et qu'il ne pouvait qu'avoir une connaissance directe et personnelle de l'affaiblissement des facultés mentales de sa mère.
L'Udaf nie un déséquilibre dans la donation partage de 2005 ; expose que la donation de 60 000 euros au son profit de M. [U] n'est pas causée et ne vient donc pas rééquilibrer la donation de 2005.
Elle expose que Mme [N] veuve [U] dispose de liquidités de 100 000 euros ; qu'elle n'a réalisé aucune déclaration d'Impôt sur la Fortune (ISF) et doit s'acquitter de l'impôt dont rappel pour des sommes de 66 399 euros et 13'206 euros ; qu'elle n'est propriétaire d'aucun bien immobilier et n'est qu'usufruitière des immeubles donnés à ses enfants ; qu'elle est tenue à des travaux coûteux ; que le plan d'aide à domicile vient d'être renforcé ; que les liquidités se sont amoindries et qu'elle est en difficulté pour faire face à ses charges.
Sur ce,
L'annulation sollicitée de la donation nécessite la preuve d'un préjudice subi par Mme [N] veuve [U].
M. [F] [U] remet en cause l'existence d'un préjudice au regard du patrimoine de sa mère.
Il importera d'apprécier si au jour de la donation, en considération des dépenses actuelles et prévisibles, Mme [N] veuve [U] pouvait subir un préjudice du fait de la sortie des 60 000 euros de son patrimoine.
L'Udaf qui a été désignée par le jugement initial de protection de la majeure, devra produire à la procédure l'inventaire fait lors de sa prise de fonction en juin 2018 et le compte de gestion au titre de l'année 2018 (recettes au titre des pensions et des immeubles, dépenses, nature et montant des avoirs bancaires).
Elle produira également le dernier état des recettes et dépenses pour apprécier comment a évolué le patrimoine de la majeure protégée.
Les débats seront rouverts à cette fin et les parties renvoyées devant le conseiller de la mise en état.
Sur les autres demandes
Les autres demandes seront réservées en attente de la réouverture des débats.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Avant dire droit,
REVOQUE l'ordonnance de clôture du 15 mai 2024 ;
ORDONNE la réouverture des débats sur le seul préjudice subi par Mme [X] [N] veuve [U] du fait de la donation et le renvoi de l'affaire devant le conseiller de la mise en état à l'audience du 5 septembre 2024 à 9'h 30 ;
FAIT INJONCTION pour cette date :
- à l'Udaf de [Localité 7], en sa qualité de tuteur de Mme [X] [N] veuve [U] de produire aux débats :
' l'inventaire fait lors de sa prise de fonction en juin 2018 ;
' le compte de gestion au titre de l'année 2018 (recettes au titre des pensions et des immeubles, dépenses, nature et montant des avoirs bancaires)';
' le dernier état des recettes, dépenses et avoirs de la majeure protégée';
- aux parties de conclure sur la notion de préjudice au regard de ces pièces ;
RÉSERVE toutes les demandes et les dépens.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
F. BOUNABI M-C. PLAIRE COURTADE