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03/09/2024 | FRANCE | N°19/02039

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre a - civile, 03 septembre 2024, 19/02039


COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - CIVILE







CM/CG

ARRET N°



AFFAIRE N° RG 19/02039 - N° Portalis DBVP-V-B7D-ESQP



jugement du 05 Septembre 2019

Tribunal de Grande Instance de SAUMUR

n° d'inscription au RG de première instance : 18/00646







ARRET DU 03 SEPTEMBRE 2024





APPELANTS :



Monsieur [U] [X]

né le 13 Février 1946 à [Localité 4] (49)

[Adresse 3]

[Localité 5]



Madame [O] [B] épouse [X]
>née le 16 Août 1946 à [Localité 6] (49)

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représentés par Me Elisabeth ROULEAU, substituant Me Régine GAUDRE de la SELARL CAPPATO GAUDRE, avocats au barreau d'ANGERS





INTIMES :



Monsieur [G] ...

COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - CIVILE

CM/CG

ARRET N°

AFFAIRE N° RG 19/02039 - N° Portalis DBVP-V-B7D-ESQP

jugement du 05 Septembre 2019

Tribunal de Grande Instance de SAUMUR

n° d'inscription au RG de première instance : 18/00646

ARRET DU 03 SEPTEMBRE 2024

APPELANTS :

Monsieur [U] [X]

né le 13 Février 1946 à [Localité 4] (49)

[Adresse 3]

[Localité 5]

Madame [O] [B] épouse [X]

née le 16 Août 1946 à [Localité 6] (49)

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentés par Me Elisabeth ROULEAU, substituant Me Régine GAUDRE de la SELARL CAPPATO GAUDRE, avocats au barreau d'ANGERS

INTIMES :

Monsieur [G] [E]

né le 12 Février 1951 à [Localité 6] (49)

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Vanina LAURIEN de la SELARL DELAGE BEDON LAURIEN HAMON, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 220151

E.U.R.L. CONSTRUCTION DOUESSINE

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Céline BARBEREAU, substituant Me Patrice HUGEL de la SELARL PATRICE HUGEL AVOCAT, avocats au barreau d'ANGERS - N° du dossier 190160

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 12 septembre 2023 à 14H00, Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente

Monsieur WOLFF, conseiller

Madame ELYAHYIOUI, vice-présidente placée

qui en ont délibéré

Greffière lors des débats : Madame LEVEUF

Greffier lors du prononcé : Monsieur DA CUNHA

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 03 septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de présidente et par Tony DA CUNHA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

Exposé du litige

En vertu d'un permis de construire délivré le 30 novembre 2005, M. [X] et son épouse Mme [B] (ci-après M. et Mme [X] ou les maîtres d'ouvrage) ont fait construire une maison d'habitation à [Localité 5] dont ils ont confié la maîtrise d'oeuvre complète, selon contrat en date du 29 septembre 2005, à M. [E] (ci-après le maître d'oeuvre) assuré en responsabilité civile professionnelle auprès de la société Assurances générales de France dite AGF devenue Allianz iard et les travaux de maçonnerie, selon acte d'engagement en date du 9 janvier 2006, à l'EURL Construction douessine (ci-après l'entreprise) assurée en responsabilité civile décennale auprès de la société Gan assurances.

Le chantier a été déclaré ouvert le 17 janvier 2006 et les travaux de l'entreprise ont été réceptionnés sans réserve le 23 octobre 2006 et intégralement payés.

Ayant constaté l'apparition de fissures sur les murs extérieurs, les maîtres d'ouvrage, qui occupent la maison depuis 2016 après l'avoir initialement mise en location, ont dénoncé ces désordres aux assureurs du maître d'oeuvre et de l'entreprise par lettres recommandées en date du 4 octobre 2016 puis, sur assignations en référé expertise délivrées le 22 octobre 2016, ont obtenu du juge des référés du tribunal de grande instance de Saumur la désignation de M. [M] en qualité d'expert judiciaire par ordonnance en date du 17 janvier 2017.

Parallèlement, par actes d'huissier en date du 8 septembre 2017, ils ont fait assigner le maître d'oeuvre et son assureur, l'entreprise, son assureur et deux agents d'assurance du Gan devant le tribunal de grande instance de Saumur statuant au fond et, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, l'affaire a été retirée du rôle le 11 octobre 2017.

Après avoir eu recours à un BET géotechnique en qualité de sapiteur, l'expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 18 avril 2018.

Aux termes de leurs dernières conclusions de première instance, les maîtres d'ouvrage ont demandé, au visa des articles 1217 et 1231-1 du code civil, de leur décerner acte de leur désistement à l'égard de l'assureur décennal de l'entreprise et des agents d'assurance, de condamner in solidum le maître d'oeuvre et son assureur ainsi que l'entreprise à leur verser les sommes de 67 457,33 euros HT au titre des travaux de réfection des désordres, avec actualisation des devis en fonction de l'indice BT 01 et application de la TVA en vigueur au jour du jugement à intervenir, de 2 000 euros en réparation de leurs préjudices de jouissance et de 1 000 euros en réparation de leur préjudice financier lié à la location d'un gîte pendant un mois, de rejeter les demandes adverses, d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir et de condamner in solidum le maître d'oeuvre et son assureur ainsi que l'entreprise à leur verser une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens comprenant ceux inhérents au référé expertise et les frais et honoraires de l'expert judiciaire.

Ni le maître d'oeuvre ni l'entreprise, à qui ces conclusions ont été signifiées, n'ont constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire en date du 5 septembre 2019, le tribunal a :

- constaté le désistement de M. et Mme [X] de leur action à l'encontre de l'ensemble des parties concernées par la garantie décennale de l'EURL Construction douessine, à savoir les agents d'assurance et la société Le Gan ;

- dit que l'action de M. et Mme [X] est recevable ;

- débouté M. et Mme [X] de leurs demandes à l'encontre de M. [E], de la société Construction douessine et la société Allianz iard ;

- rejeté l'exécution provisoire ;

- condamné M. et Mme [X] aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de la SELARL DMT, ainsi qu'à payer une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société Allianz iard ;

- débouté les agents d'assurance et la SA Gan assurances de leurs demandes au même titre.

Pour statuer ainsi, il a considéré que les maîtres d'ouvrage, qui ne peuvent invoquer la présomption de responsabilité de la garantie décennale de l'article 1792 du code civil pour des désordres mineurs qui ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage ni ne le rendent impropre à sa destination, ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, d'une faute commise par le maître d'oeuvre et l'entreprise ayant contribué à la réalisation du dommage dans la mesure où aucun élément n'est produit sur des informations recueillies au moment de la construction justifiant la nécessité d'une étude de sol qui n'était pas obligatoire dans la zone où se trouvait le terrain, où il ne ressort pas de l'expertise que les fondations n'étaient pas adaptées, le sapiteur précisant même que 'la profondeur hors gel est respectée', où le sapiteur indique que plusieurs facteurs sont probablement intervenus à des degrés différents dans la genèse ou l'aggravation du sinistre, sans pouvoir préciser leur degré d'influence, et qu'il est nécessaire de vérifier par un BET structure 'd'éventuels dysfonctionnements structurels indépendants de tout mouvement de sols d'assise (chaînage insuffisant, manque de rigidité, problème de charpente, pathologies)' et où, ainsi, aucun manquement aux règles de l'art n'est mis en évidence, dans un contexte où aucune obligation d'étude de sol n'est exigée alors qu'il existe d'autres causes extérieures indépendantes de tout mouvement de sol pouvant expliquer les fissures inesthétiques dont on ne sait précisément à quelle date elles sont apparues.

Suivant déclaration en date du 17 octobre 2019, les maîtres d'ouvrage ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes à l'encontre du maître d'oeuvre et de l'entreprise, a rejeté l'exécution provisoire et les a condamnés aux entiers dépens, intimant le maître d'oeuvre et l'entreprise.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 juin 2023, conformément à l'avis de clôture et de fixation adressé aux parties le 17 mai 2023.

Dans leurs dernières conclusions d'appel n°5 en date du 27 décembre 2022, M. et Mme [X] demandent à la cour, au visa des articles 1217 et 1231-1 du code civil, d'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, de les recevoir en l'intégralité de leurs demandes et, les y disant bien fondés, de :

- condamner in solidum M. [E] et l'EURL Construction douessine à leur verser, au titre des travaux de réfection des désordres et avec actualisation des devis présentés en fonction de l'indice national du bâtiment BT 01, la somme de 67 457,33 euros HT se décomposant comme suit :

devis Roc confortation du 2 mars 2018 : 55 904 euros HT (renforcement des fondations et traitement des fissures en façade),

devis Chevallier du 2 mars 2018 : 8 220,80 euros HT (travaux de peinture sur façade),

devis [L] & [J] du 5 mars 2018 : 3 333,33 euros HT (maîtrise d'oeuvre) ;

- à titre subsidiaire, condamner in solidum M. [E] et l'EURL Construction douessine à leur verser, au titre des travaux de réfection des désordres et avec actualisation des devis présentés en fonction de l'indice national du bâtiment BT 01, la somme de 16 024,13 euros HT selon décompte ci-après :

devis Roc confortation du 2 mars 2018 : 4 470 euros HT (poste n°3 «traitement des fissures des façades»),

devis Chevallier du 2 mars 2018 : 8 220,80 euros HT (travaux de peinture sur façade),

devis [L] & [J] du 5 mars 2018 : 3 333,33 euros HT (maîtrise d'oeuvre),

en toutes hypothèses,

- dire que ces condamnations seront assorties de la TVA en vigueur au jour de l'arrêt à intervenir ;

- dire que dans les rapports entre eux, M. [E] et l'EURL Construction douessine seront chacun tenus à hauteur de 50 % de leur dette ;

- condamner in solidum M. [E] et l'EURL Construction douessine à leur verser une indemnité de 2 000 euros en réparation de leurs préjudices de jouissance ainsi qu'une indemnité de 1 000 euros en réparation de leur préjudice financier lié à la location d'un gîte pendant un délai d'un mois ;

- condamner in solidum M. [E] et l'EURL Construction douessine à leur verser une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, lesquels comprendront ceux inhérents au référé expertise et les frais et honoraires de l'expert judiciaire.

Dans ses dernières conclusions d'intimé récapitulatives en date du 23 février 2023, M. [E] demande à la cour, au visa des anciens articles 1147 et 1149 du code civil, de :

- à titre principal, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- à titre subsidiaire, rejeter les demandes de M. et Mme [X] au titre du préjudice de jouissance, minorer le montant de leurs réclamations à la somme de 12 690,80 euros HT et statuer ce que de droit quant à la contribution des intimés à la dette, sauf à juger que sa part de responsabilité ne saurait excéder 10 %,

- condamner M. et Mme [X] in solidum à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamner solidairement aux dépens.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives en date du 26 juin 2023, l'EURL Construction douessine demande à la cour, au visa de l'ancien article 1147 du code civil, de :

- à titre principal, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- à titre subsidiaire, rejeter l'ensemble des prétentions dirigées contre elle, rejeter les demandes de M. et Mme [X] au titre du préjudice de jouissance, limiter sa condamnation à la somme de 12 690,80 euros HT et statuer ce que de droit quant à la contribution des intimés à la dette, sauf à juger que sa part de responsabilité ne saurait excéder 10 %,

- condamner M. et Mme [X] in solidum à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamner solidairement aux dépens.

Sur ce,

En préambule, il convient de souligner que la saisine de la cour est limitée aux chefs du jugement dont appel par lesquels les maîtres d'ouvrage ont été déboutés de leurs demandes à l'encontre du maître d'oeuvre et de l'entreprise et condamnés aux entiers dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, l'appel du rejet de l'exécution provisoire étant sans objet dès lors que le présent arrêt n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution.

Sur les responsabilités

Il n'est pas contesté que les désordres qui consistent en des fissures sur les murs extérieurs de la maison, décrites comme suit par l'expert judiciaire :

- en façade est (arrière) : 'fissure horizontale en tableaux de la porte-fenêtre du salon qui se poursuit sur le mur et redescend en escalier - ouverture 0.2 / 0.4 mm', au niveau de la fenêtre de la chambre 1 'fissure horizontale en tableau de gauche - ouverture 0.2 / 0.3 mm' et 'fissure horizontale en tableau de droite - ouverture 0.2 / 0.4 mm' et au niveau de la porte de garage 'fissure horizontale en tableau qui se poursuit sur le mur - ouverture 02 / 04 mm' ;

- en pignon côté garage : 'fissure horizontale à 1,90 m du sol - ouverture 0.2 mm' ;

- en façade ouest (sur rue) : 'fissure horizontale en tableau droit de la fenêtre de la cuisine - ouverture 0.3 mm', 'fissure horizontale en tableau droit de la fenêtre à gauche de la porte d'entrée - ouverture 0.4 mm' et 'fissure horizontale en tableau gauche de la fenêtre côté de pignon - ouverture 0.2 mm',

n'ont qu'un caractère esthétique et ne compromettent pas la stabilité de l'ouvrage ni ne le rendent impropre à sa destination ainsi que l'a estimé l'expert judiciaire dans son rapport remis plus de dix ans après la réception de l'ouvrage, même s'il a précisé ne pouvoir exclure l'évolution de la fissuration.

La responsabilité du maître d'oeuvre et de l'entreprise est donc recherchée exclusivement sur un fondement contractuel, pour faute prouvée.

Moyens des parties

Adoptant les conclusions de l'expert judiciaire sur les facteurs d'ordre géotechnique qui ont pu intervenir dans le déclenchement ou l'évolution des fissures alors qu'une étude géotechnique d'avant-projet aurait permis de connaître les caractéristiques mécaniques des différents faciès sous l'emprise de la future construction et sur les manquements du maître d'oeuvre et de l'entreprise à leurs obligations en la matière, les maîtres d'ouvrage soutiennent que :

- le concepteur d'une construction devant, comme l'entrepreneur, tenir compte des contraintes du sol et vérifier la faisabilité du projet souhaité par le client, il appartient au maître d'oeuvre, en cette qualité, d'attirer l'attention du maître d'ouvrage sur le fait que les sous-sols sont, par définition, hétérogènes et qu'il est donc toujours risqué de faire construire sans une étude de sol préalable ; or le maître d'oeuvre ne leur a jamais conseillé de faire réaliser une étude géotechnique d'avant-projet, de sorte que sa faute de conception est caractérisée, d'autant qu'il est tenu à une obligation de résultat puisqu'investi d'une mission complète et qu'il n'explique aucunement pourquoi il s'est dispensé d'exiger une telle étude alors que le sous-sol du terrain s'avère à fort aléa de retrait-gonflement des argiles selon les cartes émises sur le site national www.georisques.gouv.fr et pour le moins instable du fait de son hétérogénéité après simple constat visuel à moins d'un mètre de la surface selon le sapiteur, ce dont il n'a pu que se convaincre lors des réunions sur le chantier ;

- l'entrepreneur commet une faute de conception en ne vérifiant pas l'adaptation du sol d'assise au projet constructif mené sans maître d'oeuvre, solution qui vaut également pour le constructeur de maisons individuelles ;

- la faute de conception du maître d'oeuvre n'exclut pas toute autre faute commise au titre de l'exécution, comme celle qu'ils reprochent à l'entreprise et qui consiste à n'avoir pas su adapter ses travaux aux contraintes du sol alors qu'il lui appartenait, avant de les engager, de s'assurer du support de son ouvrage et, pour ne courir aucun risque, d'exiger une étude de sol, ce qu'elle n'a pas fait, acceptant ainsi d'exécuter sans réserve son ouvrage sur un support totalement inconnu ;

- aucun texte ne prévoyant une liste des communes pour lesquelles l'étude de sol serait obligatoire, il appartient aux professionnels de prendre le risque de l'imposer ou non et d'assumer les conséquences de leur choix, que ce soit le maître d'oeuvre qui doit, lors de la conception, s'assurer que la construction est en adéquation avec la nature du sol, et s'il ne possède pas de renseignement suffisant sur ce point, exiger du maître d'ouvrage une étude de sol, ou l'entreprise qui doit s'interroger sur l'absence d'étude de sol, faire des réserves écrites au maître d'oeuvre et/ou au maître d'ouvrage et refuser d'exécuter les travaux si l'étude de sol lui semble primordiale pour éviter tout risque de malfaçons liées à la nature du sol ; or les sols sont manifestement incertains sur la commune de [Localité 5], notamment du fait des caves troglodytes, et ils ont d'ailleurs appris que deux constructions voisines ont été réalisées après études de sol de ce fait, dont une sous la maîtrise d'oeuvre de M. [E] ;

- le seul fait que la profondeur hors gel ait été respectée ne suffit pas à démontrer la conformité de l'ouvrage aux règles applicables en la matière car l'expert judiciaire a, au contraire, clairement indiqué que le déclenchement ou l'évolution de la fissuration peut avoir plusieurs causes qui toutes sont directement liées à l'insuffisance des fondations, à savoir un ancrage dans un remblai non compact, des semelles de fondation reposant sur un sol à l'épaisseur variable et un environnement à l'étanchéité variable ;

- il est aussi évident que l'entreprise aurait dû suspendre son intervention lorsqu'elle a nécessairement perçu l'hétérogénéité du sous-sol en creusant puisque celle-ci était visible à l'oeil nu pour un professionnel à moins d'un mètre de la surface ;

- si le sapiteur a noté que plusieurs facteurs sont probablement intervenus dans la genèse ou l'aggravation du sinistre sans pouvoir préciser leur degré d'influence, quatre de ces six facteurs concernent l'assise du sous-sol tandis que les deux derniers, à savoir les éventuels dysfonctionnements structurels qui 'restent à vérifier par un BET structure spécialisé' et les éventuels facteurs anthropiques (fuites de réseaux, obstruction d'écoulement, mauvaise récupération des eaux pluviales) qui 'restent à établir', correspondent à de simples probabilités non constatées qui ne peuvent être tenues pour des causes avérées, lesquelles ne seraient, de toutes les façons, pas exclusives de celles inhérentes à l'emprise de la construction qui sont suffisantes pour expliquer la fissuration de la maçonnerie selon l'expert judiciaire.

Le maître d'oeuvre conteste toute faute de sa part au motif que :

- l'étude de sol n'était pas obligatoire dans la zone où se trouve le terrain ni systématique à l'époque des travaux et aucun élément ne permet de justifier qu'il aurait été nécessaire d'en réaliser une dès lors que les fissures actuelles sont purement esthétiques, l'absence de tout désordre grave dans le délai d'épreuve de la garantie décennale confirmant d'ailleurs que les caractéristiques des fondations ne sont pas inadaptées, et que le projet a été conçu dans une zone d'aléa faible, et non fort, au phénomène de retrait-gonflement des argiles comme l'a expressément indiqué le sapiteur ;

- il n'est tenu qu'à une obligation de moyen, la seule obligation de résultat qui peut être mise à sa charge étant celle de réaliser un ouvrage réalisable et conforme aux normes, ce qui a été fait ;

- il n'est pas plus certain qu'en présence d'une étude de sol préalable au projet, le niveau des fondations aurait été modifié, le sapiteur ayant évoqué plusieurs facteurs susceptibles d'expliquer les fissures qui ne se sont manifestement pas aggravées depuis leur apparition en 2016 et sont qualifiées de désordres mineurs par l'expert judiciaire, ni que les maîtres d'ouvrage auraient accepté de prendre en charge une étude de sol non prévue dans le contrat de maîtrise d'oeuvre.

L'entreprise conteste toute faute de sa part au motif que :

- les arrêts cités par les appelants concernent un chantier sans maître d'oeuvre et un contrat de construction de maison individuelle et confirment qu'en présence d'un maître d'oeuvre en charge d'une mission complète comme en l'espèce, aucun défaut de conception ne peut être reproché à l'entrepreneur ;

- il n'existe aucune obligation légale ou réglementaire imposant à l'un quelconque des intervenants à l'acte de construire de recourir à une étude préalable du sol, le terrain se trouvant dans une zone où une telle étude n'est pas obligatoire et aucun élément ne permettant de justifier qu'il aurait été nécessaire d'en réaliser une ;

- il ne peut lui être reproché de ne pas avoir suspendu son intervention lorsqu'elle aurait découvert le sous-sol en creusant dans la mesure où les fissures ne sont qu'esthétiques et n'ont pas évolué près de 16 ans après la réception, ce qui démontre qu'il n'était nullement nécessaire de procéder à une étude de sol et de modifier les fondations, et où, surtout, elle n'était pas chargée du lot terrassement et n'a eu aucun retour concernant la résistance du sol qui était parfaitement homogène quand elle a posé le ferraillage.

Elle ajoute qu'en tout état de cause, rien n'établit que les fissures, apparues à la fin du délai d'épreuve, ne seraient pas survenues en présence d'une étude de sol et que les fondations n'auraient pas été adaptées au sol lors de la construction, de sorte que le lien de causalité fait défaut.

Réponse de la cour

D'une part, le maître d'oeuvre n'est tenu que d'une obligation de moyens n'exigeant pas une présence constante sur le chantier pour la direction des travaux.

Sa faute ne saurait donc se déduire du seul fait de l'apparition des fissures que les maîtres d'ouvrage n'ont d'ailleurs jamais été en mesure de dater avant qu'ils occupent eux-mêmes l'immeuble en 2016.

Il ne peut qu'être constaté que le maître d'oeuvre n'a pas recommandé aux maîtres d'ouvrage la réalisation d'une étude géotechnique d'avant-projet.

Toutefois, rien n'indique qu'une telle étude était nécessaire.

En effet :

- ainsi qu'indiqué par le sapiteur géotechnicien, la construction se trouve 'dans une zone d'aléa a priori faible au phénomène de retrait et gonflement des argiles' d'après les données issues du site internet «argiles.fr», ce qui n'est pas démenti par la carte produite par les appelants tirée du site «georisques.gouv.fr», 'en zone de sismicité 3' où 'les bâtiments de catégorie II (maisons individuelles) [...] ne requièrent pas l'application des Règles Eurocode 8' et où 'compte tenu de la nature des terrains (faluns très raides) et en l'absence d'eau souterraine, le risque de liquéfaction des sols peut être négligé' et 'dans une zone d'aléa très faible à inexistant au phénomène de remontée de nappe dans les sols' d'après le site internet «inondations.fr» ;

- l'expert judiciaire ne précise pas pour quelle raison particulière le maître d'oeuvre aurait dû préconiser une étude de sol et, si, à partir des résultats et de l'interprétation d'échantillons prélevés jusqu'à 8 m de profondeur et broyés à la tarrière, d'essais pressiométriques, de deux excavations de reconnaissance du système de fondations jusqu'à 0,9 à 0,95 m de profondeur, de mesures de teneur en eau du sol, d'analyses granulométriques et d'essais au bleu de méthylène, le sapiteur géotechnicien a établi la stratigraphie suivante, de haut en bas : 'les sols de couverture 01' composés de 'terre végétale, remblais limoneux, argilo-sableux, marneux et graveleux de couleur brun foncé' sur une épaisseur de '1,2 m à 4,1' et 'le falun 02' consistant en des 'sables calcaires de couleur gris-beige à blanc' dont 'la base de ce faciès n'a pas été atteinte au droit des sondages', et a mis en évidence :

'' la présence de sols de couverture 01 dont la nature et l'épaisseur peuvent varier dans l'emprise du bâtiment,

' des épaisseurs variables et localement importantes des sols de couverture 01,

' des fondations ancrées dans les sols de couverture 01 (remblais) à une profondeur comprise entre 0,9 et 0,95 m de profondeur soit à une cote proche de +99,1 locale,

' l'hétérogénéité lithologique et mécanique des terrains tant en plan qu'en profondeur,

' la faible compacité des sols de couverture 01 (remblais) sur des épaisseurs variables,

' la forte compacité des faluns 02 dont la profondeur du toit est variable,

' un niveau bas dont la cote est à +100,0 locale,

' une sensibilité faible à moyenne au retrait gonflement du faciès 01, et une sensibilité faible du faciès 02',

il ne ressort nullement de son rapport d'études, en particulier des pages 5 et 25 auxquelles se réfèrent les appelants dans leurs conclusions, que l'hétérogénéité du sol était visible à l'oeil nu pour un professionnel à moins d'un mètre de profondeur et il n'y emploie aucunement le terme d'instabilité pour décrire le sol ;

- la présence, sur le site de la construction ou à proximité immédiate, de caves troglodytes telles que celles pouvant exister sur le territoire de la commune de [Localité 5] n'est établie par aucun élément et les appelants ne justifient pas de leur allégation selon laquelle deux constructions voisines ont été réalisées après études de sol de ce fait, dont une sous la maîtrise d'oeuvre de M. [E].

Dans ces conditions, l'absence d'étude de sol ne saurait caractériser une faute de conception du maître d'oeuvre.

D'autre part, en présence d'un maître d'oeuvre en charge de la conception générale du projet, l'absence d'étude de sol peut encore moins suffire à caractériser une faute de conception de l'entreprise dans le contexte susvisé.

S'agissant de la faute d'exécution imputée à l'entreprise, il est constant qu'il incombe à celle-ci en charge des travaux de gros oeuvre incluant les fondations d'adapter ses travaux aux contraintes du sol.

Le sapiteur géotechnicien n'est aucunement contredit, notamment par l'entreprise, en ce qu'il indique que 'Plusieurs facteurs sont probablement intervenus à des degrés différents dans la genèse ou l'aggravation du sinistre sans pouvoir préciser leur degré d'influence :

' un ancrage des fondations au sein des sols de couverture 01 (remblais),

' la faible compacité des sols de couverture 01 (remblais),

' l'épaisseur variable des sols de couverture 01 (remblais) sous les semelles pouvant entraîner des tassements différentiels,

' l'étanchéité variable des revêtements de sols autour de la maison (pelouse, terrasse...),

' d'éventuels dysfonctionnements structurels indépendants de tout mouvement de sols d'assise (chaînage insuffisant, manque de rigidité, problème de charpente, pathologie...) et qui restent à vérifier par un BET structures spécialisé,

' d'éventuels facteurs anthropiques tels que fuites de réseau, obstruction d'écoulement, mauvaise récupération des eaux pluviales et qui restent à établir',

et l'expert judiciaire ne l'est pas davantage en ce qu'il considère qu''aucun indice ne permet de mettre en cause des dysfonctionnements structurels tels que poussée de charpente, défaut de chaînage ou manque de rigidité' et que 'les causes géotechniques mises en évidence par mes résultats des investigations et essais laboratoire sont suffisantes pour expliquer la fissuration de la maçonnerie'.

Il n'en reste pas moins que l'expert judiciaire ne précise nullement en quoi l'entreprise n'a pas su adapter les fondations aux caractéristiques du sol d'assise alors qu'elles ont rempli correctement leur rôle d'assurer la stabilité de l'ouvrage.

En outre, il ne peut être reproché à l'entreprise de n'avoir pas suspendu son intervention lorsqu'elle a découvert la nature du sol puisqu'elle n'a pas elle-même réalisé les travaux de terrassement impliquant de creuser le terrain et que rien n'établit que l'hétérogénéité du sol était visible à l'oeil nu pour un professionnel à moins d'un mètre de la surface.

Sa faute d'exécution n'est donc pas caractérisée.

Le jugement ne peut, dès lors, qu'être confirmé en ce qu'il a débouté les maîtres d'ouvrage de leurs demandes à l'encontre du maître d'oeuvre et de l'entreprise.

Sur les demandes annexes

Parties perdantes, les maîtres d'ouvrage supporteront in solidum les entiers dépens d'appel et, en considération de l'équité et de la situation respective des parties, seront tenus de verser les sommes de 1 500 euros au maître d'oeuvre et de 1 500 euros à l'entreprise au titre des frais non compris dans les dépens exposés en appel sur le fondement de l'article 700 1° du code de procédure civile sans pouvoir bénéficier du même texte, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens de première instance incluant de droit la rémunération de l'expert judiciaire.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement entrepris dans les limites de sa saisine,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. et Mme [X] à payer les sommes de 1 500 (mille cinq cents) euros à M. [E] et de 1 500 (mille cinq cents) euros à l'EURL Construction douessine sur le fondement de l'article 700 1° du code de procédure civile et les déboute de leur demande au même titre.

Les Condamne in solidum aux entiers dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

T. DA CUNHA C. MULLER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre a - civile
Numéro d'arrêt : 19/02039
Date de la décision : 03/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-03;19.02039 ?
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