COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRET No 2 DU NEUF JANVIER DEUX MILLE DOUZE
AFFAIRE No : 09/ 01989
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 10 décembre 2009.
APPELANTE
S. A. R. L. PEROU SERVICE Section La Lézarde 97170 PETIT-BOURG Représentée par la SELARL LACLUSE et CESAR (TOQUE 02) avocat au barreau de GUADELOUPE
INTIMÉE
Madame Chrissie X... ... 97129 LAMENTIN Représentée par Me Daniel DEMOCRITE (TOQUE 46) avocat au barreau de GUADELOUPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 novembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, rapporteur, M. Jacques FOUASSE, conseiller, M. Philippe PRUNIER, conseiller.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 09 janvier 2012
GREFFIER Lors des débats Mme Maryse PLOMQUITTE, Greffière.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, et par Mme Juliette GERAN, Adjointe administrative faisant fonction de greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
Il résulte de l'examen du dossier transmis par le Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre les éléments suivants.
Par acte huissier en date du 27 avril 1998, Mme X... a fait citer la Société Perou Service devant le Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre aux fins de voir juger qu'elle travaillait pour cette société depuis le 1er septembre 1992 et voir constater qu'elle n'avait pas été déclarée aux organismes sociaux compétents depuis cette date jusqu'au 30 juin 1996.
Elle sollicitait la remise de bulletin de paie pour cette période et entendait obtenir paiement de dommages et intérêts en raison du non-paiement des cotisations afférentes à son salaire et à sa non-immatriculation, en raison de la privation de son droit aux congés payés annuels pour la période considérée, et en raison de la privation de son droit à repos compensateur. Elle demande également paiement d'un rappel de salaire pour 1996-1997, ainsi que l'établissement d'un contrat de travail écrit pour un travail à temps partiel
Par un second acte huissier en date du 8 juillet 2009, Mme X... faisait signifier à la Société Perou Service ses conclusions écrites, ainsi que 22 pièces comprenant notamment 12 attestations de témoins.
Par jugement du 10 décembre 2009, le Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre ordonnait à la Société Perou Service de remettre à Mme X... ses bulletins de paie pour la période du 1er septembre 1992 aux 30 juin 1996. La Société Perou Service était en outre condamnée à payer à Mme X... les sommes suivantes :-4507, 68 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour travail dissimulé,-4573, 48 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de son droit au congé annuel de 1993 à 1996,-4573, 48 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de son droit au repos compensateur,-351, 70 euros à titre de rappel de salaire pour les années 1996 et 1997,-1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par le même jugement il était ordonné à la Société Perou Service d'établir, sous astreinte, un contrat de travail écrit à temps partiel et à durée indéterminée au profit de Mme X....
Par déclaration du 23 décembre 2009, la Société Perou Service interjetait appel de ce jugement.
Par conclusions signifiées à la partie adverse le 14 novembre 2011, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, la Société Perou Service sollicite l'annulation du jugement pour violation du principe du contradictoire.
Subsidiairement, elle soulève l'irrecevabilité de l'action entreprise, en invoquant la prescription quinquennale. Elle conclut à l'infirmation du jugement déféré et au rejet de toutes les demandes de Mme X.... Elle reproche aux premiers juges de ne pas avoir pris en considération ses dénégations. Elle fait valoir que les premiers juges ont pris en considération des témoignages de complaisance, aucune trace de salaire payé pendant la période visée par Mme X..., n'étant produite. Elle ajoute que la salariée s'est constituée une preuve à elle-même en fournissant un décompte de salaire.
Elle réclame paiement de la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions en date du 12 octobre 2011, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, Mme X... sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a :- ordonné à la Société Perou Service de remettre les bulletins de paie pour la période du 1er septembre 1992 au 30 juin 1996, et d'établir un contrat de travail écrit à temps partiel et à durée indéterminée,- condamné la Société Perou Service à payer à la requérante la somme de 4573, 48 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de son droit au repos compensateur, et celle de 351, 70 euros à titre de rappel de salaire pour les années 1996-1997.
Par ailleurs elle entend voir condamner la Société Perou Service à lui payer les sommes suivantes :-12 837, 34 euros en réparation du préjudice subi pour travail dissimulé,-7622, 45 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de ses congés payés du 1er septembre 1992 au 30 juin 1996,-2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Motifs de la décision :
Sur la demande de nullité du jugement :
La demande de nullité est fondée sur la violation du principe du contradictoire au motif que la Société Perou Service n'aurait été destinataire que d'une citation à comparaître à laquelle n'étaient pas annexées les pièces adverses, sur lesquelles se seraient fondés les premiers juges.
Il ressort des constatations figurant ci-avant, résultant de l'examen du dossier du Conseil de Prud'hommes, que non seulement la Société Perou Service a fait l'objet d'une citation à comparaître par acte huissier en date du 27 avril 1998, mais en outre Mme X... lui a fait signifier par acte huissier du 8 juillet 2009 ses conclusions écrites et 22 pièces dont 12 attestations sur lesquelles les premiers juges ont pu fonder leurs décisions, étant relevé que les attestations invoquées avaient déjà été communiquées par bordereau de communication de pièces en date du 3 septembre 2008, les pièces ayant été reçues par la partie adverse le 4 septembre 2008.
Le principe du contradictoire ayant été respecté de la part de Mme X... tant en ce qui concerne la communication de ses conclusions que la communication de ses pièces, la demande de nullité du jugement sera rejetée.
Sur la fin de non-recevoir de l'action tirée de la prescription :
L'acte d'assignation du 27 avril 1998 a interrompu l'action en paiement des salaires et de ses accessoires. Par ailleurs il convient de rappeler que les faits interruptif de la prescription résultant d'une action portée en justice se prolonge jusqu'à ce que le litige trouve sa solution.
Il en résulte que toutes les demandes en paiement des sommes exigibles postérieurement au 26 avril 1993 ne sont pas atteintes par la prescription. Il doit être précisé qu'en tout état de cause l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé n'est pas soumise à la prescription édictée par l'article L3245-1 du code du travail.
Contrairement à ce que soutient Mme X..., il ne ressort pas des conclusions échangées en première instance, notamment de celles datées du 11 février 1999, que l'employeur ait reconnu la dette à compter du 1er septembre 1992, et qu'il n'ait entendu contester que le montant de cette dette.
Sur le travail dissimulé :
Les attestations établies par M. Bruno A..., pâtissier employé au service de la Société Perou Service, par Mlle Michèle B... ancien employé de la même société, M. Ariel C..., ayant travaillé comme pizzaiolo et cuisinier pour le même employeur, Mlle Bénédicte D..., " soeur du patron " et ancien employé de la Société Perou Service, par M. Alix E..., pâtissier-boulanger ayant travaillé dans la même entreprise, par M. Claude-Jean F..., employé dans la même société, par M. Yves G..., artisan, par M. Yann H..., cuisinier-pâtissier dans la même société, Mme Céline I..., caissière-vendeuse dans l'entreprise, sont suffisamment précises, détaillées et concordantes pour démontrer que Mme X... a été employée par la Société Perou Service depuis le 1er septembre 1992, à temps partiel, en particulier dans un premier temps de 16 heures à 20 heures, puis de 16 heures à 19 heures, travaillant les jours fériés et un dimanche sur deux. Elle a travaillé à la préparation de poulets, pour lesquels elle était payée à la pièce, soit 4 à 5 francs par poulet, ou 40 à 50 francs par carton.
Dans ses conclusions de première instance en date du 11 février 1999, signifiée à la partie adverse le jour même (pièces numéro 18 communiquée en appel), l'employeur explique que si la salariée a travaillé sans être déclarée, cette situation n'était pas du fait de la Société Perou Service car Mlle X... a souhaité travailler de cette manière. L'employeur précise que ce fait, parfaitement exact, est encore étayé par la production par la demanderesse du cahier sur lequel elle notait l'intégralité des sommes qu'elle percevait de la Société Perou Service. Selon l'employeur il lui aurait versé la somme de 8200 francs par mois en contrepartie de 115 heures de travail, ce qui serait largement équivalent à la paie d'un salarié du niveau de Mme X....
La Société Perou Service indique qu'elle n'a été condamnée qu'à une peine symbolique de 10 000 francs d'amende avec sursis par le Tribunal Correctionnel Pointe-à-Pitre, le tribunal ayant constaté qu'elle aurait régularisé l'intégralité des obligations qui lui incombaient auprès des administrations compétentes et qu'elle avait remis à Mme X... l'intégrabilité des bulletins de paie qu'il lui devait.
En appel, la Société Perou Service ne produit pas le jugement pénal dont elle a fait état en première instance.
L'employeur ne produit aucun document, aucune attestation, ni aucun élément de preuve, permettant de remettre en cause les faits tels qu'ils ressortent des attestations sus-rappelées.
Il résulte suffisamment des constatateions qui précèdent, notamment de l'absence de déclaration du travail salarié de Mme X... et de la non délivrance de bulletin de paie pour la période antérieure à 1996, que les faits de travail dissimulé tels que prévus par les articles L8221-3 et L8221-5 du code du travail sont établis, Mme X... ayant par conséquent droit à l'indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire prévu par l'article L8223-1 du même code.
Sur la base d'un salaire mensuel brut de 4 814, 57 francs à l'époque, il est dû à Mme X... la somme de 4763, 88 euros au titre de l'indemnité forfaitaire suscitée.
Par ailleurs le travail dissimulé organisé par l'employeur a causé à Mme X... un préjudice résultant de la nécessité pour elle de souscrire auprès de la caisse de sécurité sociale, une assurance personnelle pour les risques maladie et maternité. Même si elle a pu être remboursée de cette somme par l'organisme social, il n'en demeure pas moins que pendant plusieurs années, notamment de 1992 à 1995, elle a dû faire l'avance du montant des dites cotisations correspondant à son assurance personnelle. Il lui sera alloué la somme de 500 euros pour l'indemniser de ce préjudice.
Sur les préjudices résultant de la privation de repos compensateur et de la privation du droit au congé annuel :
Les attestations sus-énoncées font apparaître que Mme X... travaillait les jours fériés et un dimanche sur deux. Il lui était dû un repos compensateur tel que prévu par l'article L3132-13 du code de travail. La privation de ce repos compensateur que Mme X... étant en droit de réclamer à raison de 24 jours par année de travail, a causé à la salariée un préjudice qui sera indemnisé par l'octroi d'une somme de 300 euros, cette privation ayant perduré jusqu'à l'année 1997.
Il ressort également des attestations produites que Mme X... n'a pu bénéficier de congés payés jusqu'en 1996, l'employeur lui ayant enjoint par lettre du 22 juin 1998 de prendre le solde de ses congés pour l'année 1996-1997, à compter du 1er juillet 1998 jusqu'au 21 juillet inclus. La privation des congés annuels jusqu'à l'année 1996, sera indemnisée par l'octroi d'une indemnité de 4500 euros.
Sur le rappel de salaire pour les années 1996 et 1997 :
Mme X... produit un tableau détaillé, sur lequel elle a mentionné le nombre d'heures de travail effectuées, semaine après semaine, du mois d'août 1996 au mois de septembre 1997. Il ressort de ce tableau un écart entre les heures travaillées et les heures de travail rémunérées de 2307, 99 francs, soit 351, 70 euros pour l'ensemble des deux années.
Non seulement l'employeur ne produit aucun récapitulatif des heures travaillées par sa salariée, mais il ne produit même pas les bulletins de paie sur lesquels figureraient des heures qu'il estimerait avoir été effectivement travaillées.
Faute d'éléments de la part de l'employeur, contredisant le décompte détaillé et précis des heures supplémentaires fourni par Mme X..., il sera alloué à celle-ci la somme de 351, 70 euros à titre de rappel de salaire.
Sur les demandes de remise de bulletin de paie et d'établissement de contrat de travail :
Faute de précisions données par Mme X..., sur le montant des rémunérations qu'elle aurait perçues mensuellement au cours des années 1992 à 1995, il ne peut être ordonné l'établissement de bulletins de paie pour cette période, ni la rédaction d'un contrat de travail, l'intéressée apparaissant au demeurant avoir été rémunérée à la pièce. En conséquence elle sera déboutée de ces chefs de demandes.
Comme il paraît inéquitable de laisser à la charge de Mme X... les frais irrépétibles qu'elle a exposés tant en première instance qu'en cause d'appel, il lui sera alloué la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de celle déjà allouée sur le même fondement par les premiers juges.
Par ces motifs,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la Société Perou Service à payer à Mme X... la somme de 351, 70 euros au titre de rappel de salaire pour les années 1996 et 1997, ainsi que la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Le réformant pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
Condamne la Société Perou Service à payer à Mme X... les sommes suivantes :-4763, 88 euros à titre d'indemnité forfaitaire sur le fondement des dispositions de l'article L8223-1 du code du travail,-500 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant de la nécessité de souscrire personnellement une assurance-maladie-maternité,-300 euros à titre de dommages intérêts pour privation du repos compensateur,-4500 euros à titre de dommages et intérêts pour privation des congés payés annuels entre 1993 et 1996,
Y ajoutant,
Condamne la Société Perou Service à payer à Mme X... la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les entiers dépens sont à la charge de la Société Perou Service,
Déboute les parties de toute conclusion plus ample ou contraire.
Le Greffier, Le Président.