COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET No 316 DU TREIZE AOUT DEUX MILLE DOUZE
AFFAIRE No : 11/ 01077
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe à Pitre du 30 juin 2011.
APPELANTE
Madame Véronique X...épouse DE A...
Domicile élu en l'étude de Me Marc MOREAU
...
97110 POINTE A PITRE
Représentée par Maître Marc MOREAU (Toque 107), avocat au barreau de la GUADELOUPE
INTIMÉE
Madame Roseline Y...
...
40200 MIMIZAN
Représentée par Maître Daniel WERTER (Toque 8), avocat au barreau de la GUADELOUPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, L'affaire a été débattue le 30 Avril 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, rapporteur
M. Jacques FOUASSE, conseiller,
Mme Marie-Josée BOLNET, conseillère.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 16 juillet 2012. Prononcé prorogé au 13 août 2012.
GREFFIER Lors des débats Mme Juliette GERAN, Adjointe administrative faisant fonction de greffière.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC.
Signé par M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, et par Mme Valérie FRANCILLETTE, Greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
Mme Véronique De A... a été engagée par Mme Roselyne Y...née B... au sein de sa pharmacie « ...» à compter de février 1990, d'abord en qualité de stagiaire, puis en qualité d'employée de pharmacie, et à partir de 1997 comme préparatrice.
En février 2008 Mme Y...décidait de vendre sa pharmacie pour prendre sa retraite.
Le 30 juin 2009 Mme De A... saisissait le Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre aux fins d'obtenir indemnisation pour harcèlement moral, travail dissimulé, licenciement abusif, violation des droits conventionnels, et paiement d'indemnités de fin de contrat.
Par jugement du 30 juin 2011, la juridiction prud'homale considérant que Mme De A... n'avait pas été licenciée par Mme Y...et que l'application de l'article L 1224-1 du code du travail avaient été respectée scrupuleusement, déboutait la salariée de l'ensemble de ses demandes et la condamnait aux dépens.
Par déclaration du 20 juillet 2011, Mme De A... interjetait appel de cette décision.
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Par conclusions notifiées à la partie adverse le 7 novembre 2011, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, Mme De A... sollicite paiement des sommes suivantes :
-7038 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
-112 608 euros de dommages intérêts pour licenciement abusif,
-30 000 euros d'indemnisation pour harcèlement moral,
-14 076 euros à titre d'indemnité forfaitaire légale pour dissimulations d'emploi salarié,
-16 422 euros pour l'indemnisation de la perte de salaire depuis la date de son éviction, en raison de la nullité du licenciement donnant droit à réintégration,
-5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
À l'appui de ses demandes Mme De A... explique que, victime d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de son employeur, ses conditions travail autant que sa santé mentale se sont dégradées, ayant fait l'objet d'un arrêt travail de plus de 6 mois en raison d'un état post-traumatique avec dépression secondaire à une situation de harcèlement moral au travail, avec mise sous traitement antidépresseur depuis le mois de mars 2008.
Mme De A... explique qu'en produisant ses relevés bancaires depuis 2004, elle apporte la preuve que son ancien employeur rémunérait en espèces des heures non mentionnées sur son bulletin de salaire.
Elle expose par ailleurs qu'elle a découvert qu'elle était licenciée en recevant une attestation ASSEDIC, et que le contrat était rompu parce que le chef d'entreprise vendait son officine, ce qui ne constitue pas une cause légale de licenciement, et caractérise une violation l'article L 1224-1 du code du travail. La véritable cause de la rupture du contrat de travail serait, selon Mme De A..., le fait qu'elle ait décidé de ne plus laisser son employeur violer ses droits et de l'obliger à régulariser pour l'avenir les heures supplémentaires réalisées, ces heures n'étant déclarées qu'à partir du mois de juillet 2008, date à partir de laquelle les relations se sont à ce point envenimées que la salariée est tombée malade.
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Par conclusions du 14 novembre 2011, Mme Y...sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et le rejet de l'ensemble des demandes de Mme De A....
Mme Y...expose que Mme De A... bénéficiait d'une rémunération au-dessus de celle prévue par la grille des salaires en officine, et que les heures supplémentaires que Mme De A... déclarait avoir faites étaient réglées comme celles des autres employés de la pharmacie.
Elle ajoute que lorsque Mme De A... a commencé à travailler, en plus de la relation contractuelle, une grande amitié s'est développée entre elles, et que Mme De A... a tiré de l'amitié qui lui était portée de nombreux avantages puisqu'elle réclamait à ce titre une très grande tolérance la part de son employeur, notamment la liberté pour elle de travailler uniquement le matin jusqu'à 13 heures, avantages que n'avaient pas les autres salariées. De leur amitié seraient résultés de très nombreux services de la part de Mme Y...à l'égard de Mme De A..., la première ayant mis sa maison à la disposition de la seconde pour son mariage, et l'employeur étant très régulièrement appelé à contribution pour s'occuper des enfants de sa salariée, Mme Y...expliquant qu'elle n'a pas hésité à aider financièrement Mme De A... qui se plaignait sans cesse de ses fins de mois difficiles.
Elle conteste les faits de harcèlement moral, et explique que les versements effectués au bénéfice de Mme De A..., en sus de ses salaires, correspondent au soutien financier qu'elle lui a apporté.
Elle fait valoir que Mme De A... n'a pas été licenciée et que son contrat de travail s'est poursuivi conformément aux dispositions de l'article L 122-12 ancien du code du travail.
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Motifs de la décision :
Sur les faits de harcèlement moral allégués :
Parmi les attestations produites par Mme De A..., deux seulement (établies par MM. C...et D...) pourraient être retenues au soutien de la démonstration de l'existence de faits de harcèlement moral, les autres ayant essentiellement trait au dévouement de Mme De A... à l'égard de Mme Y..., une dernière attestation faisant seulement état de dénigrement de la part de celle-ci auprès d'un confrère, visant Mme De A..., en l'absence de celle-ci.
M. C...fait état d'une altercation entre Mme De A... et son employeur, et indique qu'il a été offusqué du " comportement hystérique " de cette dernière qui aurait « engueulé » sa salariée.
Par ailleurs M. D...explique qu'il a demandé à la vendeuse, Mme De A..., pourquoi il faisait aussi chaud dans la pharmacie, et cette dernière lui a répondu que la climatisation était en panne, puis a transmis sa réflexion à la pharmacienne, laquelle lui a répondu « vous n'avez qu'à faire un crédit sur le salaire que je vous donne pour acheter une clim ».
C'est deux attestations sont insuffisantes pour démontrer l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral qui auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité de Mme De A..., ou d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.
M. C...ne précisant pas les termes employés par Mme Y...à l'égard de Mme De A..., ni le contexte ni les causes de l'altercation dont il aurait été témoin, son attestation ne permet pas de caractériser un acte de harcèlement moral.
Quant aux propos rapportés par M. D..., replacés dans le contexte des relations amicales qui s'étaient développées entre Mme Y...et Mme De A..., et qui sont démontrées par de nombreuses attestations émanant soit d'autres salariées ayant travaillé aux côtés de Mme De A..., soit de commerciaux qui visitaient la pharmacie, soit de clients (Mme Cécile F..., Mme Liliane G..., Mme Angeberte H..., Mme Danièle I..., Mme Jessy J..., Mme Bérengère K..., Mme Denis L..., Mme Françoise M...née N..., Mme Michelle O..., le Docteur Yves P..., Mme Annie Q..., le Professeur Jean-Pierre R..., Mme Mireille S...épouse T...etc...), il n'apparaît pas que lesdits propos aient pu contribuer à dégrader les conditions de travail de Mme De A..., ou aient pu être susceptibles de porter atteinte à sa dignité.
Les deux faits rapportés par les témoins C...et D...ne permettent pas de caractériser des agissements répétés de harcèlement moral. En conséquence Mme De A... doit être déboutée de sa demande d'indemnisation à ce titre.
Les certificats médicaux produits par Mme De A..., selon lesquels elle présentait un état dépressif secondaire à un problème de harcèlement moral au travail, ne font que reproduire, en ce qui concerne la cause de l'état dépressif, les déclarations de Mme De A..., et ne permettent pas de démontrer l'existence de faits de harcèlement moral allégués.
Il apparaît, comme l'explique Mme Y..., que les arrêts de travail de Mme De A... pour cause de dépression, qui ont débuté en mars 2008, ont pu avoir pour origine le compromis de vente du fonds de commerce de février 2008, impliquant pour la salariée la perte de ses avantages et privilèges acquis auprès de son premier employeur, notamment en ce qui concerne ses heures de travail afin de pouvoir s'occuper de ses enfants.
Sur la mesure de licenciement alléguée :
Il ressort des pièces versées aux débats qu'aucune rupture du contrat de travail de Mme De A... n'est intervenue. En effet elle produit elle-même des bulletins de paie des mois de novembre, décembre 2009, de janvier à mai 2010, montrant qu'elle était toujours employée à la pharmacie ..., située ..., 97118 Saint-François, avec une ancienneté remontant au 1er février 1990.
D'ailleurs Mme De A... produit un avenant au contrat de travail du 1er février 1990, portant sa signature, conclu entre elle et la SARL Pharmacie de ...-..., 97118 Saint-François (acquéreur du fonds de commerce), précisant que cet avenant faisait suite au contrat de travail en date du 1er février 1990 liant Mme De A... à la pharmacie B... (nom de jeune fille de Mme Y...), suite à la cession du fonds de commerce en date du 1er décembre 2008, le contrat de travail initial de Mme De A... étant repris par la SARL Pharmacie de ...conformément à l'article L 122-12 du code du travail et dans les mêmes conditions, soit un poste de préparatrice 5e échelon coefficient 290 au taux horaire de 14, 844 euros. Il était indiqué que Mme De A... était en arrêt maladie depuis le 14 mars 2008, la reprise de son travail étant prévue au 6 novembre 2009 après délivrance du certificat d'aptitude à mi-temps thérapeutique remis par le CIST en date du 16 octobre 2009.
La délivrance d'une attestation ASSEDIC n'est pas à elle seule suffisante pour constituer une mesure de licenciement, cette attestation ayant été délivrée à la suite de la cessation d'activité du premier employeur.
En l'absence de rupture du contrat de travail, Mme De A... sera déboutée de sa demande de dommages intérêts pour licenciement abusif, de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de sa demande de rappel de salaire à la suite d'un licenciement nul.
Sur le travail dissimulé :
Selon les dispositions de l'article L8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1o soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L 1221-10 relatif à la déclaration préalable à l'embauche,
- 2o soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli,
3o soit de ne pas accomplir auprès des organismes de recouvrement des contribution et cotisations sociales les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci.
Cette dernière disposition n'est entrée en vigueur qu'à la suite de la Loi no 2010-1594 du 20 décembre 2010, et n'est donc pas applicable en l'espèce.
Au soutien de sa prétention relative au travail dissimulé Mme De A... verse aux débats des relevés de compte bancaire, ainsi que des bordereaux de versements de chèques, desquels il ressort que diverses sommes émanant de Mme Y..., distinctes du montant des salaires de Mme De A..., ont été déposées sur le compte bancaire de celle-ci.
Il y a lieu de relever, au regard des éléments résultant des attestations suscitées, fournies par les collègues de Madame De A..., que leur employeur, Mme Y...aidait financièrement ses employés lorsqu'ils étaient en difficulté, en payant par exemple leur cotisation d'assurance (attestation de Véronique U...), en consentant des avances sur salaire non remboursées (attestation de Mme Angeberte H...), en proposant de payer les frais d'avocat pour le divorce d'une de ses employées (attestation de Mme Angèle V...), ou les aider matériellement (prêt de sa maison à Mme De A... pour son mariage, prêt de sa maison pour loger un ami du couple de Mme De A..., engagement de caution pour l'acquisition d'un véhicule). Par ailleurs il résulte des attestations suscitées que Mme Y...s'est investie personnellement et affectivement, dans l'aide matérielle qu'elle a apportée à Mme De A... en assurant la garde de ses enfants.
Le versement de sommes émanant de Mme Y...sur le compte bancaire de Mme De A... ne caractérise donc pas le versement d'une rémunération dissimulée d'heures supplémentaires. Au demeurant Mme De A... ne produit aucun élément permettant de montrer qu'elle a effectivement accompli des heures supplémentaires non mentionnées sur ses bulletins de paie. Ainsi elle ne produit aucun décompte d'heures
supplémentaires qu'elle aurait effectuées et qui correspondraient aux sommes que Mme Y...lui a versées.
Par ailleurs il résulte de l'attestation de Mme Cécile P..., que celle-ci enregistrait les éléments de paye que lui donnait chaque employé (heures supplémentaires, congés payés, congés maladie), afin de les transmettre au comptable, lequel éditait les feuilles de paye que Mme P...remettait à chaque employée avec le chèque correspondant. Ainsi, comme l'explique Mme Y..., chaque employée était rémunérée d'après le nombre d'heures que celle-ci comptabilisait elle-même.
Il n'est donc pas démontré l'existence d'heures supplémentaires accomplies par Mme De A... qui n'auraient pas été portées sur ses bulletins de paie. Les faits de travail dissimulé n'étant pas établis, Mme De A... sera déboutée de sa demande d'indemnité présentée à ce titre.
Par ces motifs,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré,
Dit que les entiers dépens sont à la charge de Mme De A...,
Le Greffier, Le Président.