VF-JF
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET No 406 DU VINGT SIX NOVEMBRE DEUX MILLE DOUZE
AFFAIRE No : 11/ 01740
Décision déférée à la Cour : jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 4 septembre 2008- Section Industrie.
APPELANTE
Société TETRA INTERNATIONAL
60 Lotissement Les Bellevues de Convenance
97122 BAIE MAHAULT
Représentée par la SELARL ACTA ANTILLES (Toque 67) substituée par Maître JABOT, avocat au barreau de la Guadeloupe
INTIMÉ
Monsieur Davide B...
...
12051 VEZZA D'ALBA (CN)
REPUBLIQUE ITALIENNE
Représenté par la SELARL CANDELON-BERRUETA (Toque 84), avocats au barreau de la Guadeloupe
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Juin 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président,
M. Jacques FOUASSE, Conseiller, rapporteur
Mme Marie-Josée BOLNET, Conseiller
qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 17 septembre 2012 date à laquelle le prononcé de l'arrêt a été prorogé respectivement au 15 octobre puis au 26 novembre 2012.
GREFFIER Lors des débats Mme Juliette GERAN, Adjointe Administrative Principale, faisant fonction de greffier,
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC.
Signé par M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, et par Mme Valérie FRANCILLETTE, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS et PROCEDURE :
Monsieur B...Davide a été embauché le 21 Juin 2001 par contrat de travail à durée indéterminée par la Sarl TETRA INTERNATIONAL en qualité de gestionnaire commercial moyennant un salaire brut de 1951, 35 €.
Par lettre du 12 Septembre 2003, la Sarl TETRA INTERNATIONAL indiquait à Monsieur B... que son poste de gestionnaire commercial allait être supprimé au motif que la clientèle de la Société TETRA INTERNATIONAL était passée de 60 à 40 entre 2002 et 2003 et que 10 autres clients seraient encore perdus prochainement car la Société ne commercialiserait plus des boîtes d'œ ufs.
En conséquence, elle lui propose le poste de manutentionnaire-chauffeur-livreur à compter du 1er octobre à temps partiel (30 heures par semaine) et pour une rémunération au SMIC.
Le 19 septembre 2003, Monsieur B... a expressément refusé ce reclassement ;
Par lettre en date du 22 septembre 2003, la Sarl TETRA INTERNATIONAL l'a convoqué à un entretien préalable et l'a licencié pour suppression de poste par lettre du 7 octobre 2003 avec préavis de trois mois au 7 janvier 2004 mais dispensé d'exécution.
Le 12 janvier 2004, Monsieur B... s'est pourvu devant le Conseil de Prud'hommes aux fins de condamner la Sarl TETRA INTERNATIONAL à lui payer les sommes suivantes :
- dommages et intérêts au titre de l'art. L. 122-14-5 du code du travail pour requalification du licenciement : 15 000 €,
- dommages et intérêts pour promesses fallacieuses et mensongères : 15 000 €
- article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile : 1 200 €
Pour sa part, la défenderesse la Sarl TETRA INTERNATIONAL expliquait, par conclusions du 31/ 10/ 2003, que la rupture était consécutive à la suppression du poste fondée sur la composition de la clientèle de Guadeloupe
Elle demandait au Conseil de :
- débouter Monsieur B...Davide de ses demandes ;
- le condamner à payer la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi que les entiers dépens.
Par jugement du 4 septembre 2008, le Conseil de Prud'hommes de POINTE à PITRE a condamné la Sarl TETRA INTERNATIONAL, à payer à Monsieur B...Davide les sommes suivantes :
-10 313, 00 € (dix mille trois cent treize euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-10 313, 00 € (dix mille trois cent treize euros) à titre de dommages et intérêts pour subordination d'employé et promesses fallacieuses ;
-300, 00 € (trois cents euros) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Par arrêt du 21 mars 2011, la Cour d'appel de BASSE-TERRE a prononcé la radiation de l'affaire en application des articles 381 et suivants du code de procédure civile pour défaut de diligences de la partie appelante.
La SARL TETRA INTERNATIONAL a communiqué ses conclusions d'appelant, et ses pièces par actes du 4 octobre 2011, et a demandé le rétablissement de l'affaire au rôle de la Cour.
MOTIFS et MOYENS des PARTIES :
Au soutien de son appel, la société TETRA INTERNATIONAL fait valoir que :
1o Sur le licenciement pour motif économique :
Elle a du faire face à une perte significative de son chiffre d'affaires. Son résultat a été diminué de moitié entre 2002 et 2003, ce qui l'a obligé à opérer une réorganisation de sa clientèle et de son positionnement global pour sauvegarder sa compétitivité.
La société a décidé d'abandonner le marché des emballages des œ ufs et d'assurer la pérennité de l'entreprise en développant le marché extérieur de Porto-Rico.
Cette réorganisation a justifié le licenciement pour motif économique de Monsieur Davide B....
2o La proposition de reclassement adaptée aux compétences de Monsieur B....
La Société TETRA INTERNATIONAL a proposé un reclassement à Monsieur Davide B...correspondant à ses compétences ; Monsieur Davide B...avait une formation hôtelière et n'avait aucune compétence de dirigeant. Il a été embauché pour son aisance relationnelle et sa bonne présentation qui pouvait convenir à un poste de commercial exercé sous les directives de Monsieur Lorenzo C.... Or, il ne montrait pas d'aptitudes à diriger une structure (sérieux, rapidité d'analyse, évaluation des risques, manager une équipe etc.)
Il n'avait pas non plus les connaissances techniques sur les machines industrielles. Il avait déjà exercé des fonctions de livreur. La société avait besoin d'un livreur sans que son chiffre d'affaires lui permette d'en embaucher un.
C'est pourquoi, la Société TETRA INTERNATIONAL lui a proposé un poste de reclassement de manutentionnaire/ chauffeur-livreur pour un salaire équivalent par rapport au volume horaire.
Monsieur Davide B...ayant refusé la proposition de reclassement, la Société TETRA INTERNATIONAL lui a notifié son licenciement et lui a versé les indemnités légales.,
La Société TETRA INTERNATIONAL a supprimé le poste de gestionnaire commercial. Il ressort du registre du personnel qu'à la suite du licenciement de Monsieur Davide B...effectif au 7 octobre 2003, la société a embauché Monsieur Antoine D...au poste de directeur afin qu'il assure la représentation du bureau de la Guadeloupe et une assistante de direction, Madame Adriana E....
Monsieur Antoine D..., ingénieur Conseil, était d'abord prestataire de services chargé de l'étude du développement du marché extérieur de Porto Rico. Ses études ont été nécessaires à assurer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. Une fois la décision prise de s'implanter à Porto-Rico, la Société TETRA INTERNATIONAL avait besoin d'un directeur avec des compétences d'ingénieur pour assurer la représentation du bureau en Guadeloupe et la maintenance des machines industrielles.
Le poste de direction de Monsieur Antoine D...n'est donc pas venu se substituer au poste de gestionnaire commercial de Monsieur Davide B.... En conséquence, le licenciement pour motif économique est fondé sur une cause réelle ct sérieuse ct le jugement du Conseil de Prud'hommes doit être réformé.
La société TETRA INTRENATIONAL demande à la Cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre, section Industrie, du 4 septembre 2008 ;
- rejeter la demande de Monsieur Davide B...concernant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- rejeter la demande de Monsieur Davide B...relative à des dommages et intérêts pour subornation d'employé et promesses fallacieuses ;
- débouter Monsieur Davide B...de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner Monsieur Davide B...aux entiers dépens et à verser à TETRA, INTERNATIONAL la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
M. B... s'oppose à ces demandes et expose que :
- il est de droit constant que si une suppression de poste peut justifier un licenciement économique, encore faut-il que cette suppression soit réelle ou effective,
- ainsi le licenciement d'un salarié est abusif lorsqu'il a été remplacé par un autre collaborateur recruté à titre préventif avant le licenciement pour occuper le même emploi, (cf. Cas Soc. 10 mai 1994),
- en l'espèce il apparaît que Monsieur B... a été remplacé par Monsieur Antoine D..., intervenant extérieur qui a pris en charge les fonctions de gestion commerciale et de direction technique qu'assurait Monsieur B...,
- la Cour a noté que Monsieur D...a bien été « engagé » en juin 2003, quatre mois avant le licenciement de Monsieur B...
- il a d'abord collaboré avec la SARL TETRAINTERNATIONAL comme prestataire de services « indépendant » (cf. notes d'honoraires de juillet 2003 à janvier 2004, pièce 20 de la SARL TETRA INTERNA TIONAL), pour être ensuite officiellement directeur (salarié) au 2 février 2004, (cf. registre du Personnel, pièce 21 de la SARL TETRA INTERNATIONAL),
- il n'est pas inutile de noter dans les « notes d'honoraires » de Monsieur D...de juillet à janvier, qu'il assume le conseil commercial, pour une somme quasi fixe de 2. 700 € chaque mois,
- enfin la SARL TETRA INTERNATIONAL n'a pas jugé utile de communiquer le contrat de mission de juillet 2003, ni le contrat de travail de janvier 2004, de Monsieur D..., ce qui rend impossible le contrôle de la Cour sur la description des fonctions.
M. B... demande à la Cour de :
- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel de la SARL TETRA INTERNATIONAL,
- la déclarer mal fondée et débouter la SARL TETRA INTERNATIONAL de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de Prud'hommes de Pointe-à-Pitre, Section Industrie, du 4 septembre 2008,
- y ajoutant, condamner la SARL TETRA INTERNATIONAL, sur le fondement des articles 32-1 du Code de Procédure Civile et 1382 du Code Civil, à payer à Monsieur Davide B...la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts, outre 2. 500 € sur l'article 700 du Code de Procédure Civile devant la Cour, et aux entiers dépens.
MOTIFS de la DECISION :
- sur le licenciement économique :
La lettre de licenciement doit mentionner à la fois les raisons économiques et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail. L'incidence des raisons économiques sur l'emploi doit être décrite de façon individualisée. Ainsi n'est pas suffisamment motivée la lettre visant l'obligation de réduire l'effectif afin de maintenir l'activité ou invoquant la restructuration de l'entreprise sans mentionner ni la suppression, ni la transformation de l'emploi du salarié.
L'indication d'un motif imprécis équivaut à une absence de motif, et le licenciement est alors dépourvu de cause réelle et sérieuse ; en effet la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé précis des motifs du licenciement économique : tel n'est absolument pas le cas en l'espèce puisque les motifs restent très vagues sans énonciation précise de leur nature l'employeur se contentant de mentionner comme motifs :
« Difficultés économiques
Diminution des activités économiques »
étant rappelé que même si, dans le cours de la procédure, l'employeur a produit divers documents comme une attestation de son expert comptable décrivant les difficultés rencontrées par la société, le débat est circonscrit d'abord aux motifs développés dans la lettre de licenciement.
En l'espèce, la lettre mentionne :
« A la suite de l'entretien auquel je vous avais convié le 29 septembre dernier, j'ai le regret de vous formuler de façon formelle la décision que j'ai du prendre de procéder à votre licenciement pour cause économique.
En effet, notre société se trouve devoir s'adapter à l'évolution du marché local.
Cette adaptation a induit une réorientation de notre activité, et corrélativement, la modification de la composition de notre clientèle, de sorte que notre fichier clientèle ne compte plus aujourd'hui qu'une quarantaine de clients contre une soixantaine durant 1'exercice 2002.
L'abandon, courant 2003, du marché de l'emballage des œ ufs aboutira à la perte supplémentaire d'une dizaine de clients.
Cette modification du volume et du profil de notre clientèle et la réorganisation de l'entreprise qu'elle nous impose en vue d'assurer le maintien de la compétitivité de l'entreprise, associée à une ouverture vers le marché caribéen extérieur, nous amène à procéder à la suppression de votre poste de GESTIONNAIRE COMMERCIAL.
Conformément aux dispositions de l'article L. 321-1 du Code du travail relatif à l'obligation de reclassement préalable à un licenciement envisagé pour motif économique, nous vous avons proposé le poste de MANUTENTIONNAIRE/ CHAUFFEUR-LIVREUR, à pourvoir en conséquence de la réorganisation de l'entreprise. »
L'examen de cette lettre et des pièces produites, étant rappelé que les documents comptables n'ont été versés aux débats qu'en cause d'appel, amène à relever les éléments suivants :
- la seule baisse du nombre de clients ne peut établir la réalité de difficultés économiques réelles ;
- l'examen des comptes de résultats de l'entreprise démontre une hausse constante du chiffre d'affaire : 1 329 418 euros en 2003 contre 913 841 en 2002 et 907 614 en 2001.
Si des variations liés aux fluctuations de stocks et, par ailleurs aux résultats exceptionnels ont pu, ponctuellement, faire évoluer le bénéfice, ce dernier est toujours resté positif. Dès lors, il n'apparaît pas que l'employeur démontre une quelconque difficulté économique justifiant le licenciement économique de M. B....
Par ailleurs, il y a lieu de souligner que la suppression du poste de gestionnaire commercial de M. B... s'est produite alors que dans le même temps, l'entreprise avait conclut un accord de prestataire de service avec M. D..., qui, quelques mois après le licenciement de M. B... sera engagé comme salarié, pour des fonctions très proches.
Comme rappelé par le premier juge, le licenciement d'un salarié est abusif lorsqu'il a été remplacé par un autre collaborateur recruté à titre préventif avant le licenciement pour occuper le même emploi.
Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point en retenant le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement et le montant des dommages et intérêts alloués.
- sur la subornation d'employé et les promesses fallacieuses :
Le choix d'une personne – travailleur indépendant ou salarié – de déménager et de partir travailler loin de son pays d'origine, est une décision personnel et ne peut, a priori, être reproché à l'employeur qui l'engage : en l'espèce, M. B... ne rapporte pas la preuve de la faute de son employeur sur ce point, la lettre du 8 octobre 2000 produite aux débats, ne faisant ressortir qu'une offre de collaboration, mais non des pressions sur M. B....
La demande de ce chef de demande sera donc rejetée en infirmation du jugement dont appel.
- sur l'article 32-1 :
L'appel de la Société TETRA INTERNATIONAL étant au moins partiellement fondé, ce recours n'est caractérisé ni par l'abus de droit, ni par l'intention de nuire, son comportement procédural ne saurait être qualifié de dilatoire, ni même d'abusif.
La demande de M. B... fondé sur les dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile sera donc rejetée.
- sur les frais irrépétibles :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. B... les frais engagés par lui en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la Sarl TETRA INTERNATIONAL à payer à Monsieur B...Davide la somme de 10 313, 00 € (dix mille trois cent treize euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et celle de 300, 00 € (trois cents euros) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Le réforme pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
Déboute M. B...Davide de sa demande de dommages et intérêts pour subornation d'employé et promesses fallacieuses,
Déboute M. B...Davide de ses demandes sur le fondement des articles 32-1 du Code de procédure civile et 1382 du Code civil,
Y ajoutant,
Condamne la Sarl TETRA INTERNATIONAL à payer à Monsieur B...Davide la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les éventuels dépens.
Le greffier, Le Président,