COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE ARRET No 255 DU HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE QUATORZE
AFFAIRE No : 13/ 00343
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 24 janvier 2013- Section Industrie.
APPELANTE
Madame Angélique X... ... 97170 PETIT-BOURG Représentée par Maître Harry DURIMEL substitué par Maître BANGOU de la SELARL DURIMEL et BANGOU (Toque 56), avocat au barreau de la GUADELOUPE
INTIMÉE
SA ARCELOR MITTAL 51, Rue Becquerel-Bat. B-ZI de Jarry 97122 BAIE-MAHAULT Représentée par Maître Hélène URBINO-CLAIRVILLE (Toque 114) substitué par Maître HOUDA, avocat au barreau de la GUADELOUPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Juin 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Françoise Gaudin, conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bernard Rousseau, président de chambre, président, Mme Marie-josée Bolnet, conseiller, Mme Françoise Gaudin, conseiller.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 8 septembre 2014
GREFFIER Lors des débats : Madame Yolande MODESTE, greffier.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par Monsieur Bernard Rousseau, président de chambre, président, et par Madame Valérie Francillette, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame Angélique X... a été embauchée par la société PROFILAGE de Guadeloupe selon contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 1998, en qualité de secrétaire, puis attachée commerciale.
Par courrier du 22 avril 2009, Mme X... sollicitait un emploi chez ARCELOR MITTAL CONSTRUCTION GUYANE, ce à quoi l'employeur répondait favorablement.
La mutation de Mme X... était formalisée dans un contrat de travail à durée indéterminée en date du 27 avril 2009, la salariée conservant ses fonctions d'attachée commerciale et sa rémunération mensuelle brute était de 3. 013 ¿, outre une prime d'ancienneté de 351, 56 ¿ pour 151, 67 heures de travail.
Par unique avis du 1er décembre 2009, la médecine du travail déclarait Mme X... inapte à tous les postes dans l'entreprise.
Par lettre en date du 13 avril 2010, Mme X... faisait savoir à son employeur qu'elle était enceinte et lui adressait un certificat médical fixant le terme au 31 octobre 2010.
Par lettre recommandée en date du 20 mai 2010, Mme X... a été convoquée à un entretien préalable en vue de son licenciement, fixé au 14 juin 2010 et licenciée pour inaptitude non consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le 28 juin 2010.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme X... a saisi le conseil des Prud'hommes de POINTE A PITRE le 7 octobre 2010 de demandes en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire, d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, dommages et intérêts pour violation de l'article L. 1225-4 du code du travail et indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 24 janvier 2013, le conseil des prud'hommes a débouté Mme X... de toutes ses demandes.
Mme X... a interjeté appel dudit jugement le 18 février 2013.
Aux termes de conclusions en date du 10 décembre 2013, auxquelles il a été fait référence lors des débats, Mme X... demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire son licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse, de condamner la ARCELORMITTAL CONSTRUCTION à lui payer les sommes de :
. 18. 078 ¿ à titre de dommages et intérêts pour violation de l'article L. 1225-4 du code du travail,. 36. 156 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,. 108. 968 ¿ en réparation du préjudice résultant de la rupture abusive de son contrat de travail, dans des conditions vexatoires,. 4. 000 ¿ au titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. Elle soutient que :
l'employeur ne l'a pas convoquée régulièrement à un entretien préalable à son licenciement et l'a licenciée en connaissance de son état de grossesse, son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement à son égard, car elle n'a jamais refusé toutes les propositions qui lui ont été faites, son licenciement est nul et elle a droit à des dommages et intérêts d'un montant minimum de six mois de salaire.
La société ARCELORMITTAL CONSTRUCTION conclut à la confirmation du jugement, demande à la cour de dire et juger le licenciement de Mme X... valablement intervenu, de la débouter de toutes ses demandes et sollicite la condamnation de la salariée au paiement d'une indemnité de 3. 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur fait valoir que : le licenciement de Mme X... est régulier en la forme et motivé par l'impossibilité objective de maintenir le contrat de travail, pour un motif étranger à sa grossesse, à savoir l'inaptitude à tous postes de l'entreprise, suivie de l'impossibilité et du refus de reclassement par la salariée. S'agissant de l'obligation de reclassement, la société ARCELORMITTAL CONSTRUCTION a tout mis en ¿ uvre pour satisfaire à son obligation de reclassement à l'intérieur du Groupe, en proposant à Mme X... un emploi identique.
MOTIFS
Sur le licenciement :
Attendu qu'il est constant que lors de la notification du licenciement, l'employeur connaissait l'état de grossesse de sa salariée, notamment par la lettre que cette dernière lui avait adressée le 13 avril 2010.
Que cependant, le terme de la grossesse ayant été fixé au 31 octobre 2010, Mme X... n'était pas encore en congé de maternité Qu'en vertu de l'article L. 1225-4 du code du travail, l'employeur ne peut résilier le contrat de travail d'une salariée enceinte que s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse ou de l'impossibilité où il se trouve, pour un motif étranger à la grossesse, de maintenir ledit contrat.
Que cependant, le terme de la grossesse ayant été fixé au 31 octobre 2010, Mme X... n'était pas encore en congé de maternité lorsque l'employeur lui a notifié le 28 juin 2010 son licenciement, en ces termes :
Le 1er décembre 2009, le Médecin du Travail a émis les restrictions médicales suivantes votre égard : Inapte tous les postes dans l'entreprise. Code du travail : art. R 4624-31- une seule visite nécessaire et effectuée ce jour. Apte un poste équivalent dans une autre entreprise. Un retour en Guadeloupe est nécessaire.
Nous avons par conséquent regardé les propositions de reclassement que nous étions susceptibles de vous faire, compte tenu de votre emploi, de votre mobilité et de vos compétences, ainsi que des recommandations de la médecine du travail qui préconisait un retour en Guadeloupe. Nous avons pris le temps de rechercher les solutions existantes sur le secteur de la Guadeloupe, mais aucun poste pouvant vous être proposé n'était disponible.
Aussi, nous vous avons adressé en date du 23 février 2010, une liste d'emplois vacants en Métropole pouvant vous intéresser avec la prise en charge par notre société des frais inhérents au reclassement conformément aux dispositions de l'Accord CAP 2013 sur la mobilité.
N'ayant recu aucune réponse de votre part dans le délai imparti, nous vous avons réitéré, par notre courrier du 15 mars 2010, nos propositions de reclassement du 23 f rier 2010 et plus particulièrement le poste de Commercial Sédentaire à Dunkerque pour le compte d'ArcelorMittal Distribution qui recherchait une personne ayant votre profil. Le 17 mars 2010, nous avons réceptionné un courrier par lequel vous nous faisiez part de votre intérêt pour un poste de commercial sédentaire basé à Lyon. Malheureusement, en raison de votre réponse tardive, ce poste a été pourvu entre-temps.
Le 01 avril 2010, nous accusions réception de votre lettre refusant notre proposition de reclassement sur Dunkerque.
Le 12 avril 2010, nous vous avons alors communiqué une nouvelle proposition dereclassement interne en métropole sur le site de Ste Luce Sur Loire en région nantaise pour le compte de la société FAB'EST, filiale d'ArcelorMittal Construction. Par courrier reçu le 19 mai 2010, vous avez accusé réception de cette proposition sans vous prononcer sur l'intérêt que vous y portiez. Vous avez simplement demandé une fiche détaillée du poste qui se trouve être similaire à celui que vous occupez, cherchant par ce biais à gagner du temps et à être rémunérée à bon compte.
Nous comptions échanger avec vous à l'occasion de l'entretien préalable sur cette proposition de reclassement. Ne vous étant pas présentée à l'entretien, nous en déduisons de ce fait que vous n'êtes pas intéressée par ce poste.
Nous en tirons donc les conséquences qui s'imposent et sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour inaptitude constatée par la Médecine du Travail sans autre reclassement possible que celui qui vous a été proposé et que vous avez refusé ¿ »
Attendu que l'employeur invoque comme motif de licenciement, l'inaptitude de la salariée à son poste avec impossibilité de reclassement par refus du poste proposé.
Que ce faisant, ladite lettre n'invoque pas expressément de motif exigé par l'article L. 1225-4 susvisé.
Que cependant, il convient d'examiner si les circonstances ainsi alléguées par l'employeur étaient de nature à rendre impossible le maintien du contrat de travail de Mme X... au sein de la société ARCELORMITTAL CONSTRUCTION.
Attendu qu'il est constant que l'inaptitude physique de Mme Angélique X... à tous les postes de travail dans l'entreprise a été prononcée par le médecin du travail à la suite d'un seul examen, conformément à l'article R 4624-31 du code du Travail, par avis du 1er décembre 2009 et qu'elle n'est pas d'origine professionnelle.
Attendu que le salarié inapte en conséquence d'une maladie non professionnelle bénéficie d'un droit à reclassement prévu à l'article L. 1226-2 du code du travail et l'employeur ne peut prononcer le licenciement que s'il justifie soit de l'impossibilité du reclassement, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé.
Que selon une jurisprudence constante, l'avis du médecin du travail concluant à l'inaptitude du salarié à tout emploi dans l'entreprise ne dispense pas l'employeur de rechercher toutes les possibilités de reclassement au sein de l'entreprise et le cas échéant du groupe auquel elle appartient et de proposer ensuite au salarié tous les emplois disponibles appropriés à ses capacités au besoin après mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail.
Que la société ARCELORMITTAL fait état de ses recherches de reclassement et propositions faites à Mme X... telles que résultant de ses lettres en date des 23 février, 15 mars et 12 avril 2010. Qu'il invoque le refus par la salariée des postes qui lui ont été proposés à l'exception de celui situé à LYON, cependant pourvu entre-temps. Que cependant, dans sa lettre datée du 12 avril 2010 mais envoyée le 26 avril par pli recommandé réceptionné le 29 avril par Mme X..., l'employeur proposait un nouveau poste à cette dernière, poste basé à Sainte-Luce en région nantaise, pour le compte de la société FAB'EST, une de ses filiales.
Que Mme X... y a répondu par lettre du 6 mai 2010, sollicitant une fiche détaillée dudit poste et rappelant à l'employeur son état médicalement constaté de grossesse.
Que cependant, l'employeur n'a pas répondu à cette demande et a convoqué dès le lendemain la salariée à un entretien préalable à son licenciement, avant qu'elle ne soit en période de congé de maternité.
Que l'employeur ne peut en conséquence valablement faire état du refus par la salariée du poste proposé en reclassement alors que cette dernière ne s'était pas encore prononcée sur la dernière proposition de poste de reclassement et que dès lors qu'elle était enceinte, il n'y avait pas impossibilité de maintenir son contrat de travail jusqu'à l'issue de la période de congé de maternité.
Qu'il convient donc de réformer le jugement déféré, et de dire et juger que le licenciement prononcé par lettre du 28 juin 2010 est nul par application des dispositions de l'article L. 1225-4 susvisé.
Sur l'indemnisation
Que la salariée, victime d'un licenciement nul, qui ne demande pas sa réintégration, a droit, d'une part, aux indemnités de rupture et, d'autre part, au paiement d'une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, dont le montant est au moins égal à celui prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail, nonobstant l'ancienneté de la salariée ou la taille de l'entreprise.
Que Mme X... sollicite tout à la fois des dommages et intérêts sur le fondement de l'article l. 1225-4 et 1235-3 du code du travail, alors qu'une seule indemnisation est possible pour réparer son préjudice découlant de son licenciement illicite.
Que compte tenu de son ancienneté (12 ans), de son âge (39 ans) et de son salaire, et de l'absence de justificatif de sa situation professionnelle actuelle, il y a lieu de chiffrer à la somme de 25. 000 ¿ à titre de dommages et intérêts en réparation dudit préjudice.
Que la salariée réclame en sus des dommages et intérêts pour rupture vexatoire et abusive et fait état d'un préjudice distinct de nature à lui allouer des dommages et intérêts, à savoir la délivrance de documents de rupture erronés. Qu'il résulte en effet des pièces du dossier et notamment d'un document adressé à Mme X... par la société ARCELORMITTAL CONSTRUCTION CARAIBES daté du 14 mai 2012, que l'employeur lui a adressé les documents de rupture avec des informations erronées quant à son ancienneté notamment, ne lui ayant pas permis de faire valoir ses droits auprès de Pôle Emploi. Que Mme X... en a donc nécessairement subi un préjudice, distinct de celui déjà réparé au titre du licenciement, et qu'il convient d'indemniser à hauteur de 3. 000 ¿.
Qu'en outre, il y a lieu de faire application au seul profit de l'appelante des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par la société intimée, laquelle, succombant en sa résistance, supportera les entiers dépens de l'instance ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la SAS ARCELORMITTAL CONSTRUCTION à payer à Mme Angélique X... les sommes de :
. 25. 000 ¿ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de Mme X..., consécutif à son licenciement illicite,. 3. 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,. 1. 500 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Rejette toute autre demande.
Condamne la société ARCELORMITTAL CONSTRUCTION aux entiers dépens.