COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 85 DU TREIZE AVRIL DEUX MILLE QUINZE
AFFAIRE No : 14/01915
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 26 novembre 2014- Section Activités Diverses.
APPELANTE
Madame Marie-Amélie X...... 97139 LES ABYMES Comparante en personne Assistée de Maître Georges PETIT, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
La SCP Emma Y... et Liliane Z...... 97110 POINTE A PITRE Représentée par Maître Alain SCHEINKMANN (Toque 67), avocat au barreau de la GUADELOUPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 mars 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bernard Rousseau, président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Bernard Rousseau, président de chambre, président, Madame Marie-Josée Bolnet, conseiller, Madame Françoise Gaudin, conseiller.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 13 avril 2015
GREFFIER Lors des débats : Madame Yolande Modeste, greffier.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par Monsieur Bernard Rousseau, président de chambre, président, et par Madame Yolande Modeste, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
Il ressort des mentions figurant dans un contrat à durée indéterminée en date du 27 septembre 2001, que Mme X... a été embauchée par la Société Civile Professionnelle " Emma Y... et Liliane Z... ", notaires associés, pour occuper un emploi de : " téléphoniste standardiste-employé à la réception-secrétaire ".
Ayant déjà adressé un avertissement à Mme X... le 5 septembre 2008, et après lui avoir notifié un blâme le 31 janvier 2013, l'employeur faisait savoir à la salariée qu'il entendait mettre un terme au contrat de travail, dans le cadre d'une rupture conventionnelle. Pour ce faire Mme X... était convoquée à un entretien fixé au 14 octobre 2013. Un second entretien devait avoir lieu le 31 octobre 2013.
Par courrier du 10 décembre 2013, l'employeur proposait à Mme X... une indemnité de rupture d'un montant de 9631, 80 euros.
Par courrier du 20 décembre 2013, Mme X... informait son employeur qu'elle n'était pas d'accord avec la proposition de celui-ci, faisant savoir qu'elle souhaitait vivement que la transaction soit conforme aux conditions du code du travail et qu'elle réitérait sa demande de départ négocié.
Par des courriers en date du 2 janvier 2014, remis en main propre le jour même à Mme X..., l'employeur faisait savoir à celle-ci qu'elle prendrait ses congés du 3 au 23 janvier 2014, et lui remettait par chèque une somme de 3904, 96 euros, représentant le montant d'une indemnité compensatrice de congés payés, le salaire du mois de décembre 2013 et le 13 ème mois pour l'année 2013. Il indiquait par ailleurs qu'il était toujours dans l'attente du montant précis de l'indemnité de rupture sollicitée par la salariée et précisait que l'affaire devait être conclue au plus tard le 7 janvier 2014.
Par courrier également du 2 janvier 2014, remis le jour même à son employeur, Mme X... faisait savoir à celui-ci que pour ne plus faire partie de l'entreprise, elle voulait recevoir 24 mois de salaire, outre ses indemnités légales, ses congés payés de 2013 (17 jours) et son 13 ème mois.
Par lettre recommandée en date du 21 janvier 2014, non retirée à la poste par sa destinataire, l'employeur faisait savoir à la salariée qu'il avait décidé sa mise à pied non disciplinaire " afin de faire le point " sur sa situation dans l'étude. Il précisait qu'il ne s'agissait pas d'une sanction, mais d'un délai pour permettre d'envisager la suite de la relation de travail. Il était demandé à la salariée de ne plus se présenter à l'étude, lui précisant qu'elle n'était pas en congé, et qu'elle devait rester à disposition de l'étude.
Le 6 février 2014, Mme X... saisissait le conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre, devant lequel, elle devait demander par la suite, conséquemment à son licenciement qui lui a été notifié par courrier du 20 mars 2014, réparation du préjudice subi en raison dudit licenciement qu'elle qualifiait de licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre paiement des indemnités légales de fin de contrat.
Par jugement du 26 novembre 2014, la juridiction prud'homale déboutait Mme X... de l'intégralité de ses demandes et la condamnait à verser à la SCP Emma Y... et Liliane Z... la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 11 décembre 2014 Mme X... interjetait appel de cette décision.
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Par conclusions communiquées le 9 mars 2015 à la partie adverse, Mme X... demande que son licenciement soit annulé en invoquant les dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail et en faisant valoir qu'il ne peut lui être reproché aucun fait fautif qui serait intervenu deux mois avant l'entretien préalable.
Mme X... demande en conséquence paiement des sommes suivantes :-6067, 98 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,-44 809, 68 euros en réparation du préjudice subi du fait du licenciement abusif.
À titre subsidiaire Mme X... sollicite paiement des mêmes sommes en faisant valoir qu'elle rapporte la preuve que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, en expliquant que la procédure de licenciement est la conséquence de l'échec de la tentative de rupture conventionnelle du contrat de travail, dans le cadre de laquelle il a été fait pression sur elle afin qu'elle quitte l'étude notariale. Elle fait valoir que les motifs du licenciement ne reposent sur aucun grief véritable, et que les fautes qui lui sont reprochées sont d'une généralité déconcertante sans aucun rapport avec son ancienneté et qu'il s'agit d'affirmations dépourvues de fondement qui ne comportent aucune date ni aucun fait précis.
Elle réclame enfin paiement de la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
À l'audience des débats, et bien que cela ne figure pas dans ses conclusions écrites, son conseil faisait état d'une prise d'acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits imputables à l'employeur, ce qui aurait fait l'objet de la saisine initiale du conseil de prud'hommes.
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Par conclusions notifiées à la partie adverse le 9 mars 2015, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, la SCP Emma Y... et Liliane Z... soulève in limine litis l'irrecevabilité des demandes et moyens nouveaux, postérieurs à la saisine du conseil de prud'hommes, en expliquant que cette saisine portait sur une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, alors que les demandes introduites dans des conclusions postérieures portent sur une procédure de licenciement, ce qui constitue des faits et des demandes nouveaux.
Sur le fond, la SCP Emma Y... et Liliane Z... entend voir constater que ses torts ne sont pas valablement démontrés, la prise d'acte de la rupture étant infondée et devant être requalifiée en démission sans préavis de la part de Mme X.... La SCP Emma Y... et Liliane Z... demande en conséquence la condamnation de Mme X... au paiement d'une somme équivalente à trois mois de préavis, soit 5601, 21 euros.
À titre subsidiaire, au cas où la procédure de licenciement devrait être substituée à la prise d'acte de rupture de Mme X..., la SCP Emma Y... et Liliane Z... entend voir juger que le licenciement est valide et justifié, en expliquant que si les premiers faits reprochés sont anciens, les constats antérieurs n'ont jamais été contestés par la demanderesse, lesquels se sont reproduits au sein de l'étude et se sont prolongés jusqu'à la mise en place de la rupture conventionnelle qui n'a pas abouti du seul fait des demandes démesurées de Mme X.... La SCP Emma Y... et Liliane Z... fait état d'attestations de clients qui confirmeraient les manquements qui se sont poursuivis et qui auraient pu justifier, selon elle, un licenciement pour faute grave.
La SCP Emma Y... et Liliane Z... réclame paiement de la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
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Motifs de la décision :
Sur la recevabilité des demandes et moyens de Mme X..., concernant l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement dont elle a fait l'objet :
Selon les dispositions de l'article R. 1452-7 du code du travail, les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel.
Il en résulte que les demandes de Mme X... fondées sur l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sont recevables, même si lors de la saisine du conseil de prud'hommes elle a pu limiter sa demande à la validation d'une prise d'acte de la rupture du contrat de travail.
Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail :
Si lors de l'audience des débats devant la cour, le conseil de Mme X... a évoqué la validation de la prise d'acte, par sa cliente, de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, il n'a développé aucune argumentation à ce sujet dans ses conclusions écrites.
Il y a lieu de rappeler que la prise d'acte de rupture du contrat de travail, par le salarié, si elle peut être fait que par écrit ou oralement, elle doit être adressée en tout état de cause à l'employeur, et exprimer la volonté du salarié de rompre la relation contractuelle en raison des manquements de celui qui l'emploie.
Force est de constater, qu'il ne résulte d'aucune des pièces versées aux débats, que Mme X... se soit adressée à son employeur, soit par écrit, soit oralement, pour lui faire savoir qu'elle considérait que la relation de travail était rompue en raison de manquements de ce dernier à ses obligations.
La seule mention dans la requête de saisine du conseil de prud'hommes, relative à une prise d'acte de rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, ne saurait remplacer l'expression d'une telle prise d'acte adressée à l'employeur, étant précisé que la saisine du conseil de prud'hommes par la salariée, dans un tel litige, n'aurait pu avoir pour objet qu'une demande de validation d'une prise d'acte de rupture formalisée antérieurement, ou une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail en cours.
En conséquence la cour constate, que Mme X... n'a jamais valablement formulée de prise d'acte de rupture du contrat de travail à l'égard de son employeur. Au demeurant elle ne précise pas les manquements de l'employeur qui justifieraient une telle prise d'acte. Dans ces conditions il ne peut être fait droit à une quelconque demande relative à une soi-disant prise d'acte de rupture du contrat de travail.
Sur la validité du licenciement de Mme X... :
Les griefs invoqués par la SCP Emma Y... et Liliane Z... dans sa lettre de licenciement sont exposés de la façon suivante :
«..... Je vous informe que j'ai décidé de vous licencier en raison de l'accumulation de sérieux manquements dans votre comportement, qui ne sont malheureusement pas une nouveauté. Vous avez pour fonctions : l'accueil standard téléphonique et clients physiques, le secrétariat, et les formalités préalables aux actes. J'ai constaté à plusieurs reprises que le combiné du téléphone du standard restait décroché. De nombreux clients en salle d'attente me l'ont confirmé. Les clients se plaignent de ne pas pouvoir joindre l'office par téléphone, ainsi que de votre arrogance, ce qui a été confirmé par les appels des auditeurs, dans l'émission « le répondeur de RADIO CARAÏBE INTERNATIONAL ». Trop souvent les courriers de l'office dont vous avez la charge, ne sont pas déposés à la poste. Cela oblige les autres membres de l'office à remplir cette tâche à votre place. Vous restez trop souvent à parler très longtemps dans les bureaux des autres salariés de l'office, les retardant dans leur propre travail. Vous avez une notion de l'horaire très élastique. Alors que l'horaire d'ouverture est de 7h30, vous arrivez le plus souvent à 7h45, voire 8h. Cela désorganise évidemment la réception de la clientèle. Généralement votre attitude a créé une mauvaise ambiance au sein du personnel. Dans ce contexte je vous ai dispensée de venir à l'office jusqu'à nouvel ordre afin de faire le point sereinement. J'ai a alors pu constater durant votre absence que l'ambiance était détendue et que ce qui devait être fait l'était dans de bonnes conditions par la personne qui vous a remplacée durant cette période, jusqu'à ce jour. Ces griefs ne sont malheureusement par les premiers exprimés et malgré des précédents avertissements pour les mêmes motifs, il apparaît que vous êtes revenue à avoir cette même attitude préjudiciable et fautive vis-à-vis de l'office. Ces faits mettent en cause la bonne marche de l'office et l'absence de toute explication de votre part lors de cet entretien n'ont pas permis de modifier cette appréciation. Votre préavis, que je vous dispense d'effectuer, débutera le mardi 25 mars 2014 et se terminera le 27 juin 2014, date à laquelle vous cesserez de faire partie de mes effectifs ¿ »
La cour constate que dans les lettres en date des 5 septembre 2008 et 31 janvier 2013, par laquelle la SCP Emma Y... et Liliane Z... infligeait à Mme X... respectivement un avertissement et un blâme, les mêmes griefs que ceux mentionnés dans la lettre de licenciement, étaient déjà évoqués à l'encontre de cette dernière.
Dans le courrier du 31 janvier 2013, soit près d'un an avant l'engagement de la procédure de licenciement, l'employeur faisait déjà état de l'émission de RADIO CARAÏBE INTERNATIONAL, au cours de laquelle les clients se seraient plaints d'une secrétaire à l'accueil de l'office notarial.
Pour justifier de la réalité des griefs qu'il invoque dans sa lettre de licenciement à l'encontre de la salariée, l'employeur verse au débat quatre attestations qui reprenne les griefs contenus aussi bien dans les lettres du 5 septembre 2008 et du 31 janvier 2013, que dans la lettre de licenciement, s'agissant essentiellement de critiques quant à l'accueil téléphonique et à l'accueil physique des clients. Toutefois dans cette attestation il n'est précisé aucune date quant aux manquements relevés à l'encontre de Mme X....
En outre l'employeur produit également aux débats un procès-verbal de constat établi le 17 juin 2014 par Me A..., huissier de justice, portant retranscription d'un fichier audio sur support CD relatant une intervention d'un auditeur dans l'émission « le répondeur » de RADIO CARAÏBE INTERNATIONAL, en date du 16 janvier 2013.
Selon les dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice des poursuites pénales.
En l'espèce la SCP Emma Y... et Liliane Z... est défaillante à justifier que les faits qu'elle avait déjà reprochés dans la lettre du 5 septembre 2008 portant avertissement et dans la lettre du 31 janvier 2013 portant notification de blâme, et qui sont repris dans la lettre de licenciement du 20 mars 2014, ait été réitérés dans les deux mois précédant l'engagement de la procédure de licenciement par convocation le 28 janvier 2014 à l'entretien préalable.
Il y a lieu en conséquence de constater que les fautes invoquées par l'employeur dans la lettre de licenciement sont prescrites, faute pour ce dernier de démontrer qu'elles ont été réitérées dans le délai de deux mois précédant l'engagement de la procédure de licenciement. Il en résulte au demeurant que l'ensemble des fautes mentionnées dans la lettre de licenciement ont déjà été sanctionnées par l'avertissement du 5 septembre 2008 et par le blâme du 31 janvier 2014, étant rappelé qu'une même faute ne peut être sanctionnée deux fois.
En conséquence le licenciement doit être considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes pécuniaires de Mme X... :
Sur la base d'un salaire moyen de 1914, 94 euros sur les trois derniers mois, compte tenu de la prime de 13e mois calculée prorata temporis, l'indemnité légale de licenciement de Mme X..., laquelle bénéficie d'une ancienneté de 13 ans et 9 mois, doit être fixée, en application des dispositions de l'article L. 1234-9 et R. 1234-1 et suivants du code du travail, à la somme de 6223, 54 euros.
Mme X... ne justifiant pas de l'étendue de la période de chômage qu'elle a pu subir à la suite de son licenciement, l'indemnisation réparant le préjudice subi résultant de la perte de son emploi, compte tenu de son ancienneté de 13 ans et 9 mois, sera limitée à la somme de 11 489, 64 euros, correspondant à six mois de salaire.
Comme il paraît inéquitable de laisser à la charge de Mme X... les frais irrépétibles qu'elle a exposés, tant en première instance qu'en cause d'appel, il lui sera alloué la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré,
Et statuant à nouveau,
Condamne la SCP Emma Y... et Liliane Z... à payer à Mme X... les sommes suivantes :
-6223, 54 euros d'indemnité légale de licenciement,
-11 489, 64 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les entiers dépens sont à la charge de la SCP Emma Y... et Liliane Z...
Déboute les parties de toutes conclusions plus amples ou contraires,
Le Greffier, Le Président,