VS-BR
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 105 DU VINGT MARS DEUX MILLE DIX SEPT
AFFAIRE No : 16/ 00424
Décision déférée à la Cour : Ordonnance de Référé du Conseil de Prud'hommes POINTE A PITRE en date du 21 mars 2016- Formation de Référé.
APPELANT
Monsieur JEAN-CLAUDE X...
...
97170 PETIT-BOURG
Comparant en personne
Assisté de Maître Patrick EROSIE (Toque 94), avocat au barreau de GUADELOUPE/ ST MARTIN/ ST BART
INTIMÉE
SARL KOBRA SECURITE
10, rue des Hibiscus
Moudong Centre
97122 BAIE MAHAULT
Représentée par Maître Jérome NIBERON de la SCP MORTON
et ASSOCIES (Toque 104), avocat au barreau de GUADELOUPE/ ST MARTIN/ ST BART
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 février 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bernard Rousseau, président de chambre, président,
Mme Marie-Josée Bolnet, conseiller,
Mme Françoise Gaudin, conseiller,
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 20 mars 2017
GREFFIER Lors des débats : Mme Rachel Fresse, greffier.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC.
Signé par M. Bernard Rousseau, président de chambre, président, et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Faits et procédure :
Il résulte des pièces de la procédure et des explications fournies par les parties, les éléments suivants.
La Société MBSI, spécialisée dans les activités de sécurité privée, devenait titulaire, à compter du 1er février 2014, du marché du contrôle des accès routiers, de la protection et de la sécurité des urgences au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Pointe à Pitre. Elle employait à cette fin, M. X..., chargé d'assurer la sécurité des personnes et des biens, en tant que responsable sur l'ensemble du site du CHU.
Ce marché a été attribué à compter du 1er janvier 2016, pour la période 2016-2018, à la Société KOBRA SECURITE.
Son contrat de travail n'étant pas repris par la Société KOBRA SECURITE, M. X...a saisi en référé le conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre, le 14 janvier 2016, aux fins de voir ordonner le transfert de son contrat de travail de la Société MBSI à la Société KOBRA SECURITE, et obtenir sa réintégration au sein de celle-ci, sous astreinte, sollicitant par ailleurs le versement d'une provision à valoir sur le préjudice subi.
Le 29 janvier 2016, l'inspecteur du travail a autorisé le transfert du contrat de M. X...à la Société KOBRA SECURITE.
Saisi en référé par cette société d'une demande d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail, le juge administratif a débouté la Société KOBRA SECURITE de sa requête.
Par ordonnance de référé du 21 mars 2016, le conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre a dit n'y avoir lieu à référé, et a débouté M. X...de l'ensemble de ses demandes.
Par déclaration du 30 mars 2016, M. X...a interjeté appel de cette décision.
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Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 13 juin 2016, conformément aux dispositions de l'article 937 du code de procédure civile, notamment pour l'intimée par lettre recommandée dont l'avis de réception a été retourné signé par son destinataire.
Par ordonnance du 13 juin 206, le magistrat chargé d'instruire l'affaire, avec l'accord des parties, et conformément aux dispositions des articles 446-2 et 939 du code de procédure civile, a imparti un délai de trois mois à l'appelant pour notifier ses pièces et conclusions à l'intimée, un délai de même durée étant accordé à cette dernière pour communiquer à son tour, ses pièces et conclusions à l'appelant, l'affaire étant renvoyée contradictoirement à l'audience des débats du 13 février 2017.
Il était précisé dans cette ordonnance que faute de respecter les délais ainsi fixés, les pièces et conclusions tardives seraient écartées des débats conformément aux textes précités.
Alors que l'appelant a communiqué ses conclusions dès le 13 septembre 2016, soit le dernier jour du délai qui lui était imparti, l'intimée dont le délai pour conclure expirait le 13 décembre 2016, communiquait un bordereau de pièces le 10 février 2017. Elle ne présentait ses conclusions écrites que le jour de l'audience.
Les pièces et conclusions tardives communiquées respectivement le 10 février 2017 et le 13 février 2017, jour de l'audience des débats, par la Société KOBRA SECURITE, au conseil de M. X...doivent être écartées des débats puisque celui-ci n'a pu disposer d'un temps suffisant pour en prendre connaissance et préparer une réponse
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Par conclusions communiquées à la partie adverse le 13 septembre 2016, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, M. X...sollicite sa réintégration sous astreinte au sein de la Société KOBRA SECURITE et réclame paiement de la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la convention collective, ainsi que la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de sa demande il expose que la Direction des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi de Guadeloupe (DIECCTE) a autorisé le transfert de son contrat de travail, à la Société KOBRA SECURITE, et que le tribunal administratif de Basse-Terre a débouté ladite société de sa contestation de l'autorisation de transfert et confirmé la décision de la DIECCTE.
Il faisait valoir que privé d'emploi, il n'a pas de salaire pour honorer ses crédits et subvenir aux besoins de sa famille. Il ajoute qu'il existe manifestement un trouble.
Etant délégué, membre du syndicat FORCE OUVRIERE, il invoque une discrimination syndicale puisqu'au 1er janvier 2016, M. Hendy B..., délégué du personnel adhérent au Syndicat UGTG, a été transféré sans attendre la décision de l'inspecteur du travail.
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Invité à s'expliquer oralement, le conseil de la Société KOBRA SECURITE faisait valoir en premier lieu qu'il n'avait pas eu connaissance des pièces invoquées par l'appelant, que s'il avait bien eu connaissance du bordereau de communication des pièces de l'appelant, il n'avait pas eu connaissance des dites pièces, soutenant qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire les communications devaient être faites par actes du palais, et qu'il n'était techniquement pas possible de recevoir et de prendre connaissance de pièces jointes à un message adressé entre avocats par réseau virtuel RPVA.
Sur le fond, il faisait valoir qu'il y avait une contestation sérieuse, en exposant que bien qu'une autorisation administrative de transfert avait été délivrée, le salarié n'était pas transférable car son transfert ne répondait pas aux conditions fixées par l'article 2-2 de l'avenant du 28 janvier 2011 attaché à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité. Il exposait que la Société MBSI n'avait pas communiqué les documents nécessaires au transfert pour 13 salariés.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il ressort des dispositions des articles 446-2 et 939 du code de procédure civile, qu'en cas de communication tardive sans motif légitime après la date fixée pour les échanges et portant atteinte aux droits de la défense, comme il a été expliqué ci-avant, la Cour peut écarter des débats, non seulement les pièces communiquées mais aussi l'ensemble des prétentions et moyens, si bien qu'en l'espèce, par respect du principe du contradictoire, la Cour ne saurait prendre en considération les prétentions et moyens figurant dans les conclusions écrites communiquées tardivement, même exposées oralement lors des débats, la Cour ne devant vérifier que le respect de la procédure applicable par la partie adverse, et en particulier le principe du contradictoire, et apprécier le bien fondé des demandes de celle-ci.
Sur le respect du principe du contradictoire par l'appelant :
Le conseil de la société KOBRA SECURITE contestait avoir reçu communication des pièces de l'appelant.
Il résulte de l'examen des pièces de la procédure que Maître EROSIE, conseil de M. X..., a communiqué par le réseau virtuel RPVA, tant à la Cour qu'au conseil de la Société KOBRA SECURITE, d'une part le 13 septembre 2016 ses conclusions, et d'autre part le 14 septembre 2016, ses pièces selon bordereau de communication énumérant non seulement 8 pièces numérotées de 1 à 8, mais également le nombre de pages que comporte chaque pièce.
Le conseil de la Société KOBRA SECURITE est mal fondé à soutenir qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire devant la Cour d'appel, les communications doivent être effectuées par acte du palais. En effet il y a lieu de rappeler que si les dispositions des articles 748-1 et 748-2 du code de procédure civile sont applicables devant le tribunal de grande instance, et celles de l'article 930-1 du même code sont applicables devant la cour d'appel en matière de procédure avec représentation obligatoire, les modalités et la justification de la communication des pièces et conclusions en matière de procédure sans représentation obligatoire, sont libres et soumises à l'appréciation du magistrat chargé de l'instruction de l'affaire, dans le cadre des communications entre parties organisées par application des articles 939 et 446-2, et également à l'appréciation de la Cour, étant relevé que devant la chambre sociale de la Cour d'Appel, la communication réciproque, entre avocats, de leurs actes, pièces et avis par la voie électronique comme le prévoit l'arrêté du Ministre de la Justice et des Libertés, en date du 5 mai 2010, relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel est d'un usage devenu constant au sein du barreau des avocats de la Guadeloupe, Saint Martin et Saint Barthélémy.
Au demeurant le conseil de la Société KOBRA SECURITE ne contestait pas avoir reçu le bordereau de communication de pièces de l'appelant, expliquant d'une part que les pièces n'étaient pas jointes et d'autre part que des pièces ne pouvaient pas techniquement être communiquées par voie électronique, seuls des messages pouvant être ainsi communiqués.
La Cour relève que dans la mesure où le conseil de l'intimée admet avoir reçu le bordereau de communication de pièces de l'appelant, il lui appartenait de contester auprès de celui-ci la présence de pièces censées être jointes au bordereau, ce qu'il n'a pas fait quand il a reçu ledit bordereau. Par ailleurs puisque des actes juridiques peuvent être communiquées en pièces jointes à des messages transmis par voie électronique, il en est de même pour des pièces d'un dossier, jointes à un message électronique.
Il ressort de l'examen des pièces de la procédure que les conclusions et pièces de l'appelant ont été régulièrement communiquées au conseil de l'intimée par voie électronique.
Sur le bien fondé des demandes de l'appelant présentées en
référé :
Les pouvoirs de la formation de référé sont définis par les articles R 1455-5 et suivants du code du travail, lesquels sont libellés comme suit :
« Dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
La formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, elle peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »
En l'espèce, M. X..., salarié protégé au sein de la Société MBSI, verse au débat une décision de l'inspectrice du travail en date du 29 janvier 2016, visant non seulement la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, mais également l'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel.
Dans cette décision, après avoir relevé que M. X...avait un contrat de 151, 67 heures et travaillait exclusivement sur le site du CHU de Pointe à Pitre, en tant que responsable de site, qu'il justifiait d'une carte professionnelle valable jusqu'au 21 septembre 2019, qu'il satisfaisait à l'intégralité des conditions conventionnelles de transfert des entreprises de prévention et de sécurité, l'inspectrice du travail acceptait la demande de transfert de M. X....
Il ressort également des pièces de la procédure que si la Société KOBRA SECURITE a saisi le juge des référés de la juridiction administrative, d'une demande de suspension de l'exécution de la décision de l'inspectrice du travail, cette demande a été rejetée par décision du 29 mars 2016, après qu'il ait été constaté par le juge des référés qu'aucun des moyens invoqués par la Société KOBRA SECURITE n'était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
Par ailleurs si par jugement du 18 janvier 2017, le conseil de prud'hommes, statuant au fond, a débouté M. X...de ses demandes dirigées contre la Société KOBRA SECURITE, tendant à voir condamner celle-ci à lui payer la somme de 524 000 euros à titre de dommages et intérêts pour refus de transfert du contrat de travail et préjudice matériel et moral subi depuis le 1er janvier 2016, outre 59 471, 34 euros au titre des salaires depuis janvier 2016, ce jugement étant frappé d'appel, il y a lieu de relever que l'autorité de chose jugée attachée à ce jugement sur le fond, même non définitif, en application de l'article 480 du code de procédure civile, ne porte que sur le dispositif de cette décision, c'est-à-dire sur des demandes de dommages et intérêts, mais non sur la demande de réintégration du salarié protégé.
Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, remettre en cause l'appréciation de l'autorité administrative, qui, après avoir vérifié que M. X...satisfaisait à l'intégralité des conditions conventionnelles de transfert des entreprises de prévention et de sécurité, a autorisé le transfert du contrat de travail de la Socété MBSI à la Société KOBRA SECURITE.
Ainsi aucune contestation sérieuse ne pouvant s'élever devant le juge judiciaire quant aux conditions de transfert du contrat de travail de M. X..., la demande de réintégration de M. X...au sein de la Société KOBRA SECURITE présentée devant le juge des référés judiciaire est recevable et fondée, étant relevé que la condition d'urgence est manifestement établie, dans la mesure où il résulte du courrier adressé par le service social départemental au Secours Catholique que depuis le 31 décembre 2015, M. X...est sans revenu, ne pouvant prétendre aux indemnités de perte d'emploi, et que ledit service social, en l'attente d'un déblocage de la situation auprès du conseil de prud'hommes, soutient la famille du salarié qui se trouve démunie.
Au surplus le refus par la Société KOBRA SECURITE de transfert du contrat de travail de M. X..., alors que ce transfert a été autorisé par l'autorité administrative, dont la décision est exécutoire, constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser en ordonnant la réintégration du salarié protégé.
Toutefois il ne peut être fait droit à la demande de dommages et intérêts présentée par M. X..., en l'état de l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement sur le fond du 18 janvier 2017 du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre, même si ce jugement n'est pas définitif.
Comme il paraît inéquitable de laisser à la charge de M. X...les frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel, il lui sera alloué la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance déférée,
Et statuant à nouveau,
Ordonne la réintégration de M. X...au sein de la Société KOBRA SECURITE dans le délai de 15 jours à compter de la notification du présent arrêt, et dit que passé ce délai, chaque jour de retard sera assorti d'une astreinte de 150 euros par jour de retard,
Dit que la Cour se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte,
Condamne la Société KOBRA SECURITE a payer à M. X...la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déclare irrecevable, en l'état, la demande de dommages et intérêts présentée par M. X..., en raison de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du conseil de prud'hommes de Pointe à Pitre, en date du 18 janvier 2017,
Dit que les dépens sont à la charge de la Société KOBRA SECURITE,
Déboute les parties de toutes conclusions plus amples ou contraires.
Le Greffier, Le Président,