ARRET No-----------------------14 Décembre 2016-----------------------14/ 00322----------------------- SA ORANGE (ANCIENNEMENT DENOMMEE FRANCE TELECOM) C/ Sandrine X...épouse Y...---------------------- Décision déférée à la Cour du : 15 octobre 2014 Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de BASTIA F11/ 00202------------------
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : QUATORZE DECEMBRE DEUX MILLE SEIZE
APPELANTE :
SA ORANGE (ANCIENNEMENT DENOMMEE FRANCE TELECOM) prise en la personne de son directeur régional sis Direction Régionale de Corse Avenue Barthélémy Ramaroni Immeuble Diamant II à AJACCIO (20000) 78 Rue de Serres 75015 PARIS 15 Représentée par Me Frédérique GENISSIEUX de la SCP CABINET RETALI et ASSOCIES, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEE :
Madame Sandrine X... épouse Y... ...20200 BASTIA Représentée par Me Doris TOUSSAINT, substituant Me Gilles ANTOMARCHI, avocat au barreau de BASTIA, avocats au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Octobre 2016 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme BESSONE, conseiller, faisant fonction de président, chargée d'instruire l'affaire, Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme LORENZINI, Présidente de chambre, Mme BESSONE, Conseiller Madame GOILLOT, Vice présidente placée
GREFFIER :
Mme COMBET, Greffier lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2016
ARRET
Contradictoire Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe. Signé par Mme LORENZINI, Présidente de chambre faisant fonction de président et par Mme COMBET, Greffier, présent lors de la mise à disposition de la décision.
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FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme Sandrine X... épouse Y... a été embauchée en mars 1997 par contrat à durée indéterminée par FRANCE TELECOM en qualité d'opératrice de renseignements nationaux.
Elle a été en arrêt de travail pour maladie à compter du 22 mai 2008, puis placée en invalidité deuxième catégorie à compter du 1er mars 2011.
Suite à deux visites médicales des 8 septembre 2011 et 23 septembre 2011, elle a été déclarée inapte à la reprise de son poste de travail.
Elle a été licenciée pour inaptitude par la SA ORANGE le 9 mars 2012.
Le 13 septembre 2011, elle a saisi le conseil de prud'hommes de BASTIA, afin de se voir allouer une somme de 100 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Par jugement du 15 octobre 2014, le conseil de prud'hommes de BASTIA a :- dit nul le licenciement de Mme Sandrine Y...,- condamné la SA ORANGE à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, et celle de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,- débouté la SA ORANGE de ses demandes,- condamné la SA ORANGE aux dépens.
Par déclaration du 31 octobre 2014, la SA ORANGE (anciennement FRANCE TELECOM) a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 17 octobre 2014.
Par conclusions du 28 septembre 2016, la SA ORANGE demande à la cour :- de constater que le conseil de prud " hommes de BASTIA a statué ultra petita,- de constater l'absence de harcèlement moral,- d'infirmer le jugement entrepris,- de débouter Mme Y... de toutes ses demandes,- de la condamner à lui payer la somme de 3. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
La SA ORANGE fait valoir que Mme Y... ne sollicitait pas en première instance, l'annulation de son licenciement, alors que le conseil de prud'hommes l'a prononcée.
Elle ajoute que Mme Y... se contente de procéder par affirmations, et de se référer à des considérations générales sur l'entreprise et sur la mauvaise ambiance qui régnait selon elle au sein de l'équipe, sans établir de faits démontrant un harcèlement à son encontre.
La SA ORANGE rappelle que les articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail imposent au salarié d'établir la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, et qu'il appartient alors au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
L'employeur considère que les certificats médicaux qui constatent l'état dépressif de Mme Y... ne constituent pas des preuves de l'origine de celui-ci, qu'elle a eu une évolution de carrière satisfaisante, que n'ayant pas plus de droit que les autres candidats aux postes accessibles par passage devant un jury, elle ne saurait reprocher à son employeur que de meilleurs candidats aient obtenu le poste, que le refus d'une prime liée à son temps de trajet et fondé sur des critères objectifs fixés dans la décision " DRHG46 " ne peut être constitutif d'un harcèlement moral, et que tous les postes qui lui ont été confiés lui ont posé des problèmes d'adaptation sans qu'elle justifie d'un lien avec un harcèlement.
Par conclusions du 22 octobre 2016, Mme Sandrine Y... née X... demande à la cour :
- de statuer ce que de droit sur la recevabilité en la forme de l'appel interjeté par la SA ORANGE,- de l'en débouter,- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,- y ajoutant, de condamner la SA ORANGE à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme Y... fait valoir qu'en déclarant le licenciement nul, le conseil de prud'hommes n'a pas statué ultra petita, mais a seulement procédé à une juste appréciation de la cause, au regard des dispositions de l'article L1152-1 du code du travail.
Elle souligne qu'en application de l'article L1154-1 du code du travail, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l'existence d'un harcèlement, il appartient à l'employeur de démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement.
Elle reproche ainsi à la SA ORANGE :- une évolution différenciée et injustifiée de sa carrière et de sa rémunération, malgré ses appréciations élogieuses, et plus précisément une sous-classification persistante, un accès discriminant à la promotion,- la multiplicité des missions qui lui étaient confiées, exigeant des compétences supplémentaires et un investissement toujours croissant, sans proportion avec la stagnation de son statut et de sa rémunération,- une charge de travail excessive,- des pressions psychologiques de l'encadrement (Mme D...) et des méthodes de gestion désorganisant le travail,- l'absence totale de mesures prises par l'employeur suite aux rapports circonstanciés établis par le docteur E...médecin du travail, et le docteur F...médecin traitant, mettant en évidence l'origine professionnelle de la dégradation de son état de santé psychique,- l'absence de production par l'employeur, de rapports écrits annuels faisant le bilan de la situation générale de la santé et des conditions de travail dans son établissement, ni des actions qu'il a menées au cours des années considérées, remis au comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail.
Elle rappelle également que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat conformément à l'article L1152-4 du code du travail, et doit prendre toutes les mesures de nature à prévenir les agissements de harcèlement moral, et plus généralement d'assurer la santé physique et mentale de ses salariés.
A l'audience du 25. 10. 2016, les parties ont repris les termes de leurs écritures.
MOTIFS
La recevabilité de l'appel interjeté dans les formes et délais ci-dessus exposés, n'est ni contestée, ni contestable.
- Sur la validité du jugement
L'article 5 du code de procedure civile interdit au juge de se prononcer sur ce qui ne lui est pas demandé.
Le conseil de prud'hommes de BASTIA n'était saisi que d'une demande de dommages-intérêts, mais a dit que le licenciement de Mme Y... était nul, alors qu'il n'était pas saisi d'une telle demande.
Il convient d'annuler le jugement entrepris, et de statuer à nouveau.
- Sur le harcèlement moral
En application de l'article L1154-1 du code du travail, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement moral, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le harcèlement moral est constitué d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail du salarié, ou de porter atteinte à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Les ouvrages, rapports, articles de presse parus en 2009 et 2010 dénonçant les conditions dégradées de travail et un management brutal observés au sein de FRANCE TELECOM devenu ORANGE au cours des années 2000, et qui ont donné lieu à une série de suicides de salarié de l'entreprise, ne peuvent être pris en compte comme des éléments probants à cet égard, s'agissant de considérations générales, ne se rapportant pas à la situation particulière de Mme Y....
Il convient en revanche d'examiner les nombreuses pièces produites relatives au déroulement de la carrière de l'intimée au sein de l'entreprise, entre 1997 et 2009.
Embauchée le 31 janvier 1997 en qualité " d'opérateur des services de renseignements nationaux ", Mme Y... a été nommée à compter du 1er octobre 1999 " agent d'administration des ventes ", puis à compter du 1er avril 2001 " pilote de livraison analogique ", niveau de rémunération 2. 1.
Elle bénéficiait d'une bonne notation, son supérieur hiérarchique soulignant en 2003 ses qualités d'organisation et d'autonomie, tout en relevant que certaines applications et certains savoirs étaient encore à développer dans la gestion ADSL.
Le docteur E..., ancien médecin du travail, indique dans une longue attestation établie d'après ses notes personnelles, qu'en juillet 2003, elle se plaignait d'une insuffisance de personnel, d'une surcharge de travail, et d'une absence de reconnaissance de sa hiérarchie pour les efforts d'évolution qu'elle faisait. L'insuffisance de l'effectif était au demeurant clairement relevée par l'employeur dans son bilan d'évaluation 2002.
Le 16 octobre 2003, elle se portait candidate au poste de Superviseur de gestion de livraison, qui lui était refusé le 31 octobre 2003. Le 4 décembre 2003 cependant, son supérieur M. Franck G...la contactait pour s'entretenir avec elle de la possibilité de prendre ce poste, dont l'attributaire venait de se désister. Mme G...répondait qu'elle acceptait le poste, mais demandait que cette promotion ne soit pas liée à un parcours professionnel validant, avec des objectifs à atteindre, et demandait une augmentation de salaire. Elle sollicitait également une priorisation des tâches. Le 29 décembre 2003, le poste lui était refusé au motif qu'il requérait une disponibilité importante, et " qu'après réflexion ", il ne pouvait convenir à un temps partiel.
Sa notation 2003 était " bonne ", mais sa hiérarchie envisageait pour elle une évolution vers des postes " de même niveau, mais dans des domaines différents ".
Le 16. 12. 2003, on lui annonçait une " augmentation managériale pouvant atteindre 2 % ".
Le 02. 01. 2004, citant ses cours de ressources humaines à la faculté, elle se plaignait par mail d'un déséquilibre " entre sa contribution et sa rétribution ", et annonçait qu'elle allait dès lors diminuer celle-ci.
M. H...son supérieur hiérarchique lui répondait le 02. 01. 2004 en lui faisant comprendre que le ton qu'elle avait employé était inadapté, et que c'était l'analyse de sa contribution par la direction qui déterminerait son niveau d'augmentation.
Le 23 juin 2004, une augmentation de 2, 5 % de son salaire de base lui était accordée sous forme de prime exceptionnelle.
En septembre 2004, elle était à nouveau en arrêt maladie.
En 2005, elle présentait sa candidature à deux postes (Correspondant soutien contrôle interne, et Expert en gestion technique client) qui lui étaient tous les deux refusés.
Elle bénéficiait en 2005, d'une augmentation de 2, 1 %, identique à celle dont bénéficiaient tous les autres salariés.
Le 17 mars 2006, elle présentait sa candidature au poste de SAME (Soutien Applicatif et Méthode) Technique, qui lui était refusé le 10 avril 2006 au motif que son niveau ne correspondait pas à celui du poste offert.
Le 19. 09. 2006, elle présentait candidature à nouveau à ce poste, mais avec un parcours de qualification, nécessitant une validation de ses compétences par un jury. Elle était nommée au poste de " SAME " niveau 2. 3, à compter du 13. 11. 2006.
Trois mois plus tard, elle était nommée chef de projet GPC (gestion du plan de charge) et G6, ce qui entraînait pour elle, dans le cadre de son nouveau poste, un surcroît de travail.
Du 19 octobre 2006 au 13 septembre 2007, elle était suivie par le docteur I...-FILIPPI pour un syndrome anxio-dépressif, Mme Y... faisant état d'une surcharge de travail, et d'un stress professionnel.
Tant lors de son entretien de notation 2007 que par un mail d'avril 2007, elle faisait remarquer que ce nouveau poste correspondait à trois " codes métier " différents, et que la multiplicité des tâches attendues d'elle justifiait une réponse " motivante " de la direction.
Elle se voyait accorder une prime exceptionnelle de 600 euros, et bénéficiait en novembre 2007, d'une augmentation de salaire de 3, 84 % du salaire global de base.
Le 18 décembre 2007, le docteur E..., médecin du travail, attirait par mail l'attention du directeur des ressources humaines ORANGE Corse, et des supérieurs hiérarchiques directs de Mme Y... (M. Pasquin J..., M. Jean-Luc K...) sur la situation de la salariée qui présentait selon elle " des signes manifestes de surcharge professionnelle ", et dont le contenu du poste n'avait pas évolué, malgré la demande faite en ce sens par le médecin le 7 août 2007, avant les congés annuels. Le docteur E...recommandait un " changement d'activité, pour motif de santé ".
Le 14. 01. 2008, Mme Y... était placée en arrêt maladie pour syndrome grippal, puis à compter du 21. 01. 2008 pour des " céphalées, vertiges, troubles du sommeil ".
Lors de son retour à son poste de travail, elle demandait, par mail du 04. 04. 2008, des formations, mais aussi un descriptif d'une " journée type, d'une semaine-type, ou d'un mois-type " de SAME.
Il lui était répondu par Mme Nadine L...chargée de " l'animation métier conduite d'activité ", par un long mail très technique, apportant des réponses partielles et parfois incertaines aux questionnements de Mme Y... : " Bonjour Sandrine Je suis très contente de te revoir parmi nous, j'espère que tu vas mieux et que nous reviens en forme "... " " pour UGPC il n'y a pas de formation (...) Mais tu peux t'adresser à Serge M...pour une prez.... " " Je te joints le plan de formation CA..... Je pense qu'il est assez difficile d'évaluer une charge de travail SAME CA "... " ce que je peux te dire c'est qu'il va arriver PIDI G1R1 (...) Vers la mi-avril si le go de gene est validé le 11... " " GPCG6R2 géné en mai cette version est assez structurante, il faudra bien compter 2 heures par agent (tu peux te renseigner auprès d'Eddie N...pour la charge, il a fait la formation pour la MPP) ", " " l'optim de plan de charge ce sera plutôt au 2ème semestre je n'ai pas de charges à communiquer pour le moment les expés ne sont pas terminées "... " les paramétrages chaque mois au patch GPC, + les question que te posent les CA mais là je ne sais pas le quantifier ".....
Une fiche de son poste lui était cependant communiquée, conformément à sa demande.
Le 05. 05. 2008, son poste était fixé à Bastia-Montesoro et non plus Bastia-Centre. Elle sollicitait une prime de mobilité qu'elle se voyait refuser au motif que son temps de trajet n'était pas aggravé de plus de 20 mn.
Par mail du 15 mai 2008, elle indiquait vivre ce changement de localisation comme une sanction, et indiquait qu'elle était chargée du soutien d'un service dont elle ne connaissait pas le métier.
Le 29 mai 2008, elle était à nouveau placée en arrêt maladie, et demandait un contrôle de la médecine du travail qui relevait des troubles du sommeil, une labilité thymique, un sentiment d'incapacité et d'absence d'écoute, une charge de travail excessive. Elle devait être ensuite placée en congé de longue maladie, et ne plus revenir dans l'entreprise.
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En premier lieu, l'examen de l'ensemble de ces pièces ne révèle pas d'évolution différenciée et injustifiée de la carrière de Mme Y..., dans la mesure où celle-ci n'établit pas que les postes qui lui ont été refusés ont été accordés à des candidats moins qualifiés, ou bénéficiant d'une notation moins favorable que la sienne.
Elle a bénéficié d'une évolution de carrière, accédant en 2001 au poste de pilote de livraison analogique, puis en 2006 à celui de " SAME ", dans le cadre d'un parcours de qualification qu'elle a accepté, et dont aucune pièce ne permet d'affirmer qu'il n'était pas nécessaire.
Il est également arrivé à Mme Y... comme en janvier 2004, de s'adresser à ses supérieurs hiérarchiques sur un ton désinvolte et inadapté, ce qui pas facilité alors la reconnaissance de ses qualités professionnelles.
En ce qui concerne sa rémunération, elle bénéficiait de primes exceptionnelles en 2004 et en 2007, mais plus généralement d'augmentations identiques à celles qui étaient accordées aux salariés de sa catégorie. Il n'est nullement établi qu'elle ait reçu des primes inférieures à celles de ses collègues du même poste ou du même niveau, à niveau de performance équivalent.
Par ailleurs, aucun mail de sa direction, aucune décision prise par celle-ci ne peut être qualifiée de pression psychologique : Ainsi s'il lui a été demandé le 09. 09. 2008 de restituer son téléphone portable, son ordinateur portable et sa carte du parking Saint Nicolas à Bastia, c'est parce qu'elle était alors en arrêt maladie depuis plus de trois mois.
Par ailleurs, son repositionnement sur le site de Montesoro, et non plus à Bastia-Centre, à compter d'avril 2008 ne dégradait pas ses conditions de travail, puisqu'elle restait à BASTIA. Ce déplacement était par ailleurs justifié par M. Pasquin J...dans un mail du 09 avril 2008 par une nouvelle organisation du département " PILCA " dont elle relevait : la mise en place de Conduite d'activité globale et de la conduite d'activité RS et E, et les chantiers métiers en cours et futurs ". La salariée n'établit pas que cette nouvelle organisation était fictive ou qu'elle ne s'appliquait qu'à sa seule personne. Son repositionnement à Montesoro ne peut dans ces conditions être considéré comme vexatoire ou discriminatoire.
En résumé, les faits établis par Mme Y... pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de l'employeur.
- Sur le manquement par l'employeur à son obligation de sécurité de résultat
L'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, non seulement en matière de harcèlement moral, mais également de façon plus générale, et l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa responsabilité.
L'évolution de Mme Y... dans l'entreprise, même si elle s'est toujours réalisée à sa demande, est allée dans le sens d'une complexification croissante et d'une diversification importante de ses tâches.
On constate une corrélation chronologique entre les périodes où elle a dû acquérir des compétences et assumer des tâches nouvelles, et les dates de ses arrêts maladie, ou suivis médicaux pour syndrome anxio-dépressif.
Par son mail du 04. 04. 2008 à son retour d'arrêt-maladie, demandant une formation ainsi qu'un descriptif d'une journée-type ou semaine-type d'un SAME, comme par ses précédents
mails de janvier 2004, mai 2007, la salariée exprimait un stress, un mal-être certain, un sentiment de manque de reconnaissance, et un besoin de soutien méthodologique.
Force est de constater qu'il n'a pas été donné de suite suffisante par l'employeur à ces demandes.
A cette demande du 04. 04. 2008 qui faisait apparaître une salariée " perdue " dans son poste de travail, il a été répondu de façon incomplète, rapide et surtout technique par Mme L...qui n'était pas son supérieur hiérarchique. Mme Y... n'a pas été reçue par la direction locale à ce sujet. L'employeur ne justifie pas avoir jamais sollicité le médecin du travail à son sujet.
Le mail du docteur THEVENIN de décembre 2007 recommandant un " changement d'activité pour motifs de santé " n'a d'ailleurs été suivi d'aucun effet.
Ce manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat engage sa responsabilité.
Mme Y..., âgée de 37 ans au moment de son placement en arrêt de longue maladie, suivi de son licenciement pour inaptitude, perçoit une pension d'invalidité de base, de 9 418 euros par an et n'a pas repris d'activité professionnelle.
Il n'est cependant pas établi de façon certaine, que l'état de santé très dégradé de l'intimée constaté en 2010, qui a conduit à son hospitalisation en milieu spécialisé du 28. 10. 2010 au 05. 11. 2010 après un passage à l'acte suicidaire, soit entièrement imputable à son vécu professionnel. Les avis d'arrêts de travail successifs évoquent en effet pour certains un'état anxio-dépressif sévère avec troubles obsessionnels convulsifs de type alimentaires, le docteur O...évoquant dans son certificat du 2 mars 2010 une " décompensation grave (ED majeur) sur une personnalité obsessionnelle " (TOC A.).
Il convient en conséquence de fixer à la somme de 30. 000 euros le montant des dommages-intérêts dus par l'employeur au titre du manquement à son obligation de sécurité de résultat.
- Sur les frais et dépens
Partie succombante, la SA ORANGE devra supporter les dépens d'appel et de première instance.
Il n'est pas inéquitable de condamner l'appelante, partie tenue aux dépens, à payer à l'intimée en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2. 000 euros au titre de la procédure d'appel, et celle de 2. 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS
L A C O U R,
Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
- ANNULE le jugement du conseil de prud'hommes de Bastia en date du 15 octobre 2014 ;
- Statuant à nouveau, DEBOUTE Mme Sandrine X... épouse Y... de ses demandes au titre du harcèlement moral ;
- DIT ET JUGE que la SA ORANGE a manqué à son obligation de sécurité de résultat ;
- CONDAMNE la SA ORANGE à payer à ce titre à Mme Sandrine X... épouse Y... la somme de 30 000 euros (trente mille euros) à titre de dommages-intérêts ;
- CONDAMNE la SA ORANGE à payer à Mme Sandrine X... épouse Y... en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 000 euros au titre de la procédure de première instance, et celle de 2 000 euros au titre de la procédure d'appel ;
- CONDAMNE la SA ORANGE aux dépens de première instance, et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT