ARRET N°
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22 Juin 2022
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N° RG 20/00166 - N° Portalis DBVE-V-B7E-B7GM
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[W] [E]
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 3] - contentieux
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Décision déférée à la Cour du :
09 septembre 2020
Pole social du TJ d'AJACCIO
19/00366
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copie exécutoire
le :
à :
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
APPELANTE :
Madame [W] [E]
[Adresse 2]
- [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Jean-François VESPERINI, avocat au barreau d'AJACCIO
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 3] - contentieux
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Valérie PERINO SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 septembre 2021 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame COLIN, Conseillère,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur JOUVE, Président de chambre,
Madame COLIN, Conseillère
Madame BETTELANI, Vice-présidente placée auprès Monsieur le premier président
GREFFIER :
Madame CARDONA, Greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 08 décembre 2021 et ayant été prorogé au 02 mars 2022, 13 avril 2022 et 22 juin 2022.
ARRET
-CONTRADICTOIRE
-Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
-Signé par Madame COLIN, Conseillère, pour Monsieur JOUVE, Président de chambre empêché et par Madame CARDONA, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [W] [E] a été victime d'un accident du travail le 07 mai 2019.
Le 20 septembre 2019, Mme [E] a saisi la commission de recours amiable (C.R.A.) de la caisse primaire d'assurance maladie (C.P.A.M.) de [Localité 3] de sa contestation dirigée contre une décision du 12 septembre 2019 emportant refus de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de nouvelles lésions, ce après expertise technique diligentée le 05 septembre 2019 par le Dr [B] [C].
En sa séance du 16 octobre 2019, la C.R.A. a confirmé ce refus de prise en charge en raison de l'absence de lien de causalité entre l'accident du travail et le syndrome anxio-dépressif réactionnel allégué par Mme [E].
Par jugement contradictoire du 09 septembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio a :
- rejeté la demande tendant à la nullité de la mesure d'instruction ;
- dit que les lésions et troubles mentionnés dans le certificat médical du 15 mai 2019, un syndrome anxio-dépressif réactionnel, n'ont pas de lien de causalité avec le traumatisme provoqué par l'agression dont a été victime la demanderesse ;
- rejeté la demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par courrier électronique du 08 octobre 2020, Mme [W] [E] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.
Les deux parties ont régulièrement été convoquées à l'audience du 14 septembre 2021 par lettre recommandée datée du 08 janvier 2021, avec avis de réception signé le 13 janvier 2021 par la C.P.A.M. et le 14 janvier 2021 par Mme [E].
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Au terme de ses conclusions écrites, réitérées et soutenues oralement à l'audience, Mme [W] [E], appelante, demande à la cour de :
«A titre principal,
- INFIRMER le jugement du Pôle social du Tribunal Judiciaire d'AJACCIO du 9 septembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Statuant de nouveau ;
- PRONONCER la nullité des opérations d'expertise effectuées par le Docteur [C] ;
- ORDONNER la mise en 'uvre d'une expertise médicale complémentaire ;
- DESIGNER tel médecin expert qu'il plaira avec la mission habituelle en pareil cas ;
- DEBOUTER la CPAM de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- INFIRMER le jugement du Pôle social du Tribunal Judiciaire d'AJACCIO du 9 septembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Statuant de nouveau ;
- ANNULER la décision de la Commission de recours amiable en date du 16 octobre 2019 ;
- JUGER que les lésions constatées le 15 mai 2019 seront prises en charge au titre de l'accident de travail du 7 mai 2019.
En tout état de cause,
- CONDAMNER la CPAM à verser à Madame [E] la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance».
A titre principal, sur la nullité de l'expertise, l'appelante fait valoir que le premier juge s'est fondé sur une version de l'article R. 141-4 du code de la sécurité sociale non applicable à la présente espèce. Elle fait en effet observer que le texte applicable au litige mettait à la charge du médecin expert deux obligations : d'une part, établir immédiatement après l'examen des conclusions motivées en double exemplaire et, d'autre part, adresser, dans un délai maximum de 48 heures, l'un des exemplaires à la victime de l'accident du travail et l'autre au service du contrôle médical de la caisse. Mme [E] soutient que l'examen médical a eu lieu de 5 septembre 2019 et que le même jour, le médecin expert a établi son rapport d'expertise définitif, sans lui avoir au préalable adressé, ainsi qu'à son médecin traitant, ses conclusions motivées, la privant ainsi de la possibilité d'adresser ses éventuelles observations. L'appelante affirme également que les griefs qu'elle formule à l'encontre de l'intimée reposent sur l'absence de communication des conclusions préalables et non sur l'inobservation des délai mentionnés à l'article R. 141-4 susvisé. Ainsi, elle considère que le caractère contradictoire de la procédure expertale n'a pas été respecté.
Sur le fond, et à titre subsidiaire, l'appelante conteste le rapport du Dr [C] concluant à l'absence de lien de causalité entre l'accident du travail et le syndrome anxio-dépressif. Elle précise qu'elle est conductrice d'autobus et a été frappée alors qu'elle était au volant de ce véhicule. De ce fait, elle ne peut exclure le risque de recroiser son agresseur, ce dernier fréquentant les lieux où elle exerce son activité profesionnelle. Elle souligne que le Dr [U] [L], son médecin psychiatre traitant, mentionne explicitement, dans son certificat médical du 15 mai 2019, que l'aggravation de son état fait suite à l'agression verbale et physique du 07 mai 2019.
Au terme de ses conclusions écrites, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la C.P.A.M. de [Localité 3], intimée, demande à la cour de :
« - DECERNER acte à la concluante de ce qu'elle a fait une exacte application des textes en vigueur ;
- CONFIRMER le jugement entrepris ;
- HOMOLOGUER le rapport d'expertise du Docteur [B] [C] ;
- REJETER la demande de mise en oeuvre d'une nouvelle expertise médicale de Madame [W] [E] ;
- REJETER la demande de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ».
Sur la 'recevabilité de l'expertise médicale', l'intimée rétorque que le contradictoire a été respecté puisque l'expertise a été mise en oeuvre dans le strict respect des dispositions des articles R. 141-1 et suivants du code de la sécurité sociale. Elle précise qu'après réception du protocole, le Dr [C] a procédé à la convocation de l'assurée, du praticien désigné par celle-ci et du praticien conseil en indiquant la date, l'heure et le lieu de l'expertise. La caisse ajoute que, conformément aux dispositions applicables, le service du contrôle médical a adressé copie du rapport d'expertise à l'assurée, dès réception de celui-ci. Enfin, elle fait valoir que l'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale ne prévoit pas la possibilité pour l'assurée d'émettre des observations préalablement à l'établissement du rapport définitif par le médecin expert.
Sur les conclusions du rapport d'expertise, l'intimée expose que les conclusions du Dr [C] sont claires, circonstanciées et sans ambiguïté. Elle énonce que sur le certificat médical du 15 mai 2019, le Dr [L] rattache l'aggravation à un accident du travail antérieur daté du 13 juin 2015, ce qui est également retenu par le Dr [C], de sorte qu'il y a lieu d'entériner ses conclusions.
Enfin, sur la demande de l'appelante sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la caisse souligne qu'elle n'a commis aucune faute dans la gestion du dossier.
MOTIVATION
La recevabilité de l'appel interjeté par Mme [E] n'étant pas contestée, il ne sera pas statué sur celle-ci.
-Sur la demande tendant à voir prononcer la nullité de l'expertise
L'article R. 141-4 du code de la sécurité sociale a fait l'objet d'une modification apportée par l'article 9 du décret n°2019-718 du 05 juillet 2019, puis d'une autre modification par l'article 1er du décret n°2019-1506 du 30 décembre 2019, ce dernier décret ayant en outre, en son article 9, abrogé ce texte à compter du 1er janvier 2022.
Ainsi, le 15° de l'article 9 du décret n°2019-718 du 05 juillet 2019 dispose que :
« A l'article R. 141-4 :
a) Au premier alinéa, les mots : « le médecin conseil » sont remplacés par les mots : « le service du contrôle médical fonctionnant auprès de la caisse dont la décision est contestée » ;
b) Le troisième alinéa est précédé des mots : « En cas de contestation en matière d'assurance contre les accidents du travail et maladies professionnelles, » et à ce même alinéa, les mots : « de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle » sont supprimés et les mots : « de la caisse d'assurance maladie » sont remplacés par les mots : « fonctionnant auprès de la caisse dont la décision est contestée » ;
c) Au quatrième alinéa, les mots : « En ce qui concerne les bénéficiaires de l'assurance » sont remplacés par les mots : « En cas de contestation en matière d'assurance » et les mots : « à la caisse » sont remplacés par les mots : « au service du contrôle médical fonctionnant auprès de la caisse dont la décision est contestée » ;
d) Au cinquième alinéa, les mots : « ou du comité » sont supprimés ;
e) Au sixième alinéa, après le mot : « rapport », est inséré le mot : « définitif » et après les mots : « contrôle médical », sont ajoutés les mots : « fonctionnant auprès de la caisse dont la décision est contestée » ;
f) Au septième alinéa, les mots : « La caisse » sont remplacés par les mots : « Le service du contrôle médical fonctionnant auprès de la caisse dont la décision est contestée » »;
Dès lors, à la suite de cette première modification, le 3e alinéa de l'article 141-4 du code de la sécurité sociale était ainsi rédigé : « En cas de contestation en matière d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, le médecin expert établit immédiatement les conclusions motivées en double exemplaire et adresse, dans un délai maximum de quarante-huit heures, l'un des exemplaires à la victime, l'autre au service du contrôle médical fonctionnant auprès de la caisse dont la décision est contestée ».
Le 4e alinéa de cette disposition ajoute que les conclusions doivent être communiquées dans le même délai au médecin traitant de l'assuré et à la caisse.
Le 6e alinéa de cet article contraint ensuite le médecin expert à déposer son rapport au service du contrôle médical avant l'expiration du délai d'un mois à compter de la date à laquelle ledit expert a reçu le protocole.
Par ailleurs, si cette disposition est une nouvelle fois modifiée de manière transitoire par l'article 1er du décret du 30 décembre 2019 - lequel supprime la mention relative à l'envoi en double exemplaire à la victime et au service de contrôle médical dans le délai de 48 heures - il y a lieu d'observer que le II de l'article 9 de ce même décret précise que « sous réserve des IV, V et VI, les dispositions du présent décret s'appliquent aux recours préalables et aux recours juridictionnels introduits à compter du 1er janvier 2020 ».
En l'espèce, il n'est pas contesté que Mme [E] a saisi la C.R.A. le 20 septembre 2019 puis la juridiction de la sécurité sociale le 09 décembre 2019.
Ainsi, les recours tant préalable que juridictionnel de Mme [E] étant antérieurs au 1er janvier 2020, l'article R. 141-4 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, imposait au médecin expert d'adresser, dans un délai de 48 heures, ses conclusions motivées à la victime, à son médecin traitant, au service du contrôle médical de la caisse et à celle-ci.
Il n'est pas établi ni même allégué par l'intimée que le Dr [C] ait effectué ces envois, la date de son rapport définitif étant la même que celle à laquelle il a procédé à l'examen médical de l'assurée, en l'espèce le 05 septembre 2019.
Il en résulte que ni Mme [E], ni son médecin traitant n'ont pu faire valoir leurs observations préalablement au dépôt du rapport définitif d'expertise technique, ce qui a nécessairement causé un grief à l'assurée.
En effet, l'article R. 141-4 susvisé distingue les conclusions motivées du rapport définitif, ce dernier ne pouvant dès lors qu'être établi dans un second temps. L'exigence relative à l'envoi de conclusions motivées dans le délai de 48 heures n'a de sens que si elle permet à l'assurée et à son médecin traitant de faire des observations et d'amener ainsi éventuellement l'expert à modifier sa position avant le dépôt de son rapport définitif dans le délai d'un mois.
Faute pour le médecin expert de s'être conformé à ces prescriptions alors en vigueur, il sera jugé que le principe du contradictoire n'a pas été respecté.
Il convient dès lors, par infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, d'annuler l'expertise médicale technique du Dr [C] et d'ordonner à la C.P.A.M. de mettre en oeuvre une nouvelle expertise selon la réglementation applicable au présent litige.
Il n'appartient pas au juge, dans le cadre de l'expertise médicale technique, de désigner un médecin expert, le différend ne portant pas sur une décision prise après mise en oeuvre de la procédure d'expertise technique mais sur cette procédure elle-même.
-Sur les dépens et les frais irrépétibles
La C.P.A.M. de [Localité 3] succombant dans ses prétentions, elle devra supporter la charge des entiers dépens exposés en cause d'appel.
En outre, il serait inéquitable de laisser à l'intimée la charge des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer en cause d'appel.
La C.P.A.M. de [Localité 3] sera donc condamnée au versement de la somme de 1 500 euros à Mme [E] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la condamnation sur un tel fondement n'étant nullement conditionnée par la commission d'une 'faute de gestion' comme le fait valoir l'intimée.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
INFIRME en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 09 septembre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio ;
Statuant à nouveau,
ANNULE l'expertise médicale technique du Docteur [B] [C] ;
ORDONNE la mise en oeuvre d'une nouvelle expertise médicale technique conformément aux dispositions de l'article R. 141-4 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable au présent litige ;
RENVOIE Mme [W] [E] à cette fin devant la caisse primaire de sécurité sociale de [Localité 3] ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la caisse primaire de sécurité sociale de [Localité 3] aux entiers dépens d'appel ;
CONDAMNE la caisse primaire de sécurité sociale de [Localité 3] à payer à Mme [W] [E] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIÈRE P/ LE PRÉSIDENT