ARRET N°
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16 Novembre 2022
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N° RG 20/00177 - N° Portalis DBVE-V-B7E-B7HF
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[L] [U] épouse [P]
C/
S.N.C. [6]
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Décision déférée à la Cour du :
09 septembre 2020
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'AJACCIO
19/00239
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copie exécutoire
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUBLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : SEIZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
APPELANTE :
Madame [L] [U] épouse [P]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Dominique REMITI-LEANDRI, avocat au barreau d'AJACCIO, substituée par Me Jean-Aurélien SANTONI, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEE :
S.N.C. [6] agissant poursuites et diligences de son représentant légal demeurant et domicilié en cette qualité audit siège
N° SIRET : 400 332 078
[Adresse 3]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Hélène QUILICHINI de la SCP CABINET BARTHÉLÉMY, avocat au barreau de MARSEILLE et par Me Françoise ACQUAVIVA, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 septembre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur JOUVE, Président de chambre,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur JOUVE, Président de chambre,
Madame COLIN, Conseillère
Madame BETTELANI, Conseillère
GREFFIER :
Madame CARDONA, Greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2022
ARRET
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
- Signé par Monsieur JOUVE, Président de chambre et par Madame CARDONA, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.
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FAITS ET PROCEDURE
Madame [L] [P] a été employée en qualité d'hôtesse de caisse depuis le 8 mars 2001 au sein de la SNC [6] qui gère à [Localité 2] un hypermarché à l'enseigne CASINO.
À la suite de problèmes à l'épaule et de nombreux arrêts maladie, l'existence d'une maladie professionnelle lui était reconnue par décision de la CPAM de la Corse-du-Sud en date du 20 septembre 2018.
En date du 23 avril 2019, elle était déclarée inapte à son poste ainsi qu'à tous ceux de l'entreprise. En l'absence de toute possibilité de reclassement, elle a été licenciée le 24 juin 2019 pour ce motif.
Le 13 juin 2019, elle s'est vue notifier l'attribution d'une rente incapacité d'un montant annuel de 1 438,75 € pour un taux d'IPP finalement fixé à 10 %.
Invoquant l'existence d'une faute inexcusable de son employeur dont la reconnaissance lui a été refusée, l'intéressée a attrait celui-ci devant le pôle social du tribunal de grande instance d'Ajaccio par requête en date du 21 juin 2019.
La CPAM de la Corse-du-Sud est intervenue volontairement par des conclusions déposées le 8 octobre 2019.
Par décision contradictoire en date du 9 septembre 2020, cette juridiction a :
- rejeté la demande tendant la reconnaissance d'une faute inexcusable,
- rejeté la demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande tendant l'application de l'exécution provisoire du jugement,
- laissé les dépens la charge de la requérante.
Par courrier électronique du 12 octobre 2020, Madame [P] a déclaré interjeter appel du jugement du 9 septembre 2020 à l'encontre de la SNC [6]. Cet appel a été enregistré au Répertoire général sous le n° 20/00177.
Par arrêt en date du 19 janvier 2022, cette cour, constatant que le recours n'intimait pas la CPAM de Corse du sud, partie au procès dans le cadre d'un litige dont l'objet est indivisible, a :
- ordonné la réouverture des débats afin soit évoquée contradictoirement la recevabilité de l'appel formé à l'encontre de la seule SNC [6],
- renvoyé l'affaire à l'audience du 13 septembre 2022 à 9 heures.
Par courrier électronique du 20 janvier 2021, Madame [P] a déclaré interjeter appel du jugement du 9 septembre 2020 à l'encontre de la CPAM de Corse du sud. Cet appel a été enregistré au Répertoire général sous le n° 22/00010.
Par des écritures notifiées par voie électronique le 8 janvier 2021, Madame [P] qui conclut à l'infirmation de la décision déférée, sollicite :
- le constat de l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur donnant droit à réparation,
- que soit ordonnée une expertise médicale ayant pour objet d'évaluer les préjudices personnels qu'elle a subis,
- la condamnation de la SNC [6] à lui payer la somme provisionnelle de 4 000 € à valoir sur son indemnisation définitive,
- la condamnation de la SNC [6] à lui payer la somme provisionnelle de 4 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- le rejet de l'ensemble des demandes adverses,
- que la décision à intervenir soit déclarée commune et opposable à la CPAM de Corse-du-Sud.
Par des écritures notifiées par voie électronique le 2 juin 2021, la SNC [6], qui conclut à la confirmation de la décision déférée, sollicite :
- le rejet de l'ensemble des demandes adverses,
- la condamnation de l'appelante à lui payer une somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
ARRÊT
Sur la demande de jonction :
S'agissant de la même instance, la seconde déclaration d'appel ayant été effectuée aux seules fins de régularisation de la procédure, il y a lieu d'ordonner la jonction du dossier RG numéro 22/0010 au dossier 20/0177.
Sur la recevabilité de l'appel :
Au visa de l'article 533 du code de procédure civile qui dispose : En cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne sont pas de jointes à l'instance; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées en instance, la cour dans son arrêt du 19 janvier 2022, considérant que la CPAM de la Corse-du-Sud intervenante volontaire en première instance, n'avait pas été intimée alors que le litige est indivisible entre l'ancienne salariée, son employeur et l'organisme social, a relevé d'office ce motif d'irrecevabilité et a ordonné la réouverture des débats pour qu'il soit contradictoirement évoqué.
Madame [P] qui, à la suite de cette décision, a interjeté appel à l'encontre la CPAM de Corse du sud, soutient qu'elle a ainsi régularisé la procédure et que ses appels sont recevables.
La CPAM de Corse du sud prétend le contraire, évoquant en outre la forclusion de la seconde déclaration d'appel effectuée le 20 janvier 2022, soit au-delà du délai d'un mois prévu par l'article 538 du code de procédure civile.
Il est de jurisprudence constante que dans les cas d'indivisibilité du litige, l'appel dirigé contre l'une des parties réserve à l'appelant la faculté d'appeler à l'instance celles omises. La seconde déclaration d'appel qui peut intervenir après l'expiration du délai de recours, régularise l'appel sans créer de nouvelle instance.
L'appel formé par Madame [P] à l'encontre de la SNC [6] et de la CPAM de Corse du sud sera donc déclaré recevable.
Sur la faute inexcusable :
Employée au sein de la SNC [6] en qualité d'hôtesse de caisse depuis le 8 mars 2001, Madame [L] [P] a fait l'objet en 2017 d'un arrêt de travail pour rupture de la coiffe de l'épaule droite, a obtenu la reconnaissance de cette pathologie comme maladie professionnelle le 20 décembre 2018, a été déclarée inapte à son poste ainsi qu'à tout poste, a été licenciée pour inaptitude le 29 juillet 2019 et a bénéficié d'une rente invalidité d'un montant annuel de 1 438,75 €.
Dans les conclusions auxquelles la cour renvoie pour un développement complet des moyens et prétentions, elle invoque la faute inexcusable de son employeur dans la mesure où celui-ci avait conscience du risque auquel elle était exposée du fait du particularisme des gestes et de la posture liées à sa fonction et surtout de la survenance, déjà en 2012, de la même pathologie au niveau de son épaule gauche, affectation qui n'avait pas été reconnue comme maladie professionnelle en raison de l'absence de lien direct, ne s'agissant pas alors du membre dominant.
Elle soutient que son adversaire n'a pas ensuite pris les mesures nécessaires en ne suivant pas durablement les recommandations de la Médecine du travail quant à son affectation à un poste aménagé.
Elle affirme en effet qu'après avoir dans un premier temps, lors de sa reprise d'activité, été placée en arrière caisse ou aux caisses dites SCO où les clients scannent eux-mêmes les articles achetés, elle a été à nouveau affectée aux caisses classiques, ce qui a entraîné le nouvel arrêt travail. Pour en justifier, elle fournit diverses attestations.
Dans des écritures auxquelles la cour renvoie également, la société intimée conteste cette argumentation en soulignant que les éléments avancés par l'appelante ne sont pas probants et en versant à son tour des attestations établissant qu'après 2013, la salariée a été affectée à des postes adaptés.
Sur quoi, il convient d'indiquer que compte tenu de la nature de la pathologie concernée qui avait déjà entraîné un premier arrêt de travail, de l'évidence de son lien avec l'activité de caissière, la SNC [6] ne pouvait ignorer la réalité du risque auquel Madame [L] [P] était exposée au niveau de son membre supérieur droit. Reste donc à déterminer si, le sachant, elle a pris les mesures nécessaires que lui imposait son obligation de sécurité.
Au fait de la problématique, le médecin du travail avait le 23 février 2013 déclaré l'intéressée apte à la 'reprise d'un poste aménagé avec aide pour le port de charges, si besoin' et avait conseillé 'de l'affecter plutôt au SCAN et au SCO pendant un mois', en précisant ' A revoir si besoin'. Ce qui a été fait le 24 mai 2013, date à laquelle il a été mentionné 'Apte sur le poste actuel (SCAN, SCO et arrière caisse)'.
L'examen de ces deux documents démontre qu'effectivement la salariée a été affectée soit à des caisses où les marchandises sont scannées par les clients, soit à une activité d'arrière caisse ne supposant pas de passer les articles sur le tapis.
La charge de la preuve lui incombant, il appartient à Madame [L] [P] de démontrer, comme elle le prétend, qu'elle a ensuite été à nouveau postée sur des caisses classiques.
Pour ce faire, elle fournit des attestations de clients. Outre le problème de la régularité formelle de certaines ou l'absence de signature, leur contenu est pour l'essentiel plutôt imprécis sur les 'différentes' caisses et surtout totalement dépourvues de toute indication permettant de dater les éléments rapportés et d'en apprécier la durée.
Sur ces deux derniers points, l'intéressée n'apporte elle-même aucune précision dans ses écritures alors que, à son tour, son adversaire produit des attestations plus circonstanciées émanant de salariés mais aussi d'une ancienne employée n'ayant plus de lien de subordination, indiquant que des mesures ont été prises pour l'affecter à des postes adaptés.
Enfin, il paraît pour le moins étonnant que Madame [L] [P], personnellement concernée, voire à nouveau gravement menacée pour sa santé, n'ait pendant le délai écoulé entre sa reprise d'activité et son second arrêt de travail, apparemment pas engagé la moindre démarche auprès de son employeur ou auprès de la Médecine du travail pour se plaindre d'une affectation médicalement contre-indiquée et potentiellement dangereuse.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement qui a rejeté sa demande de reconnaissance d'une faute inexcusable.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Aucune considération d'équité n'impose qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant Madame [L] [P] supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe de la cour,
ORDONNE la jonction du dossier RG numéro 22/0010 au dossier RG numéro 20/0177,
DÉCLARE recevable l'appel formé par Madame [L] [P] ,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
et y ajoutant à nouveau
DIT que le présent arrêt sera opposable à la Caisse primaire d'assurance maladie de Corse du sud,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Madame [L] [P] aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LE PRESIDENT