ARRET N°
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28 Juin 2023
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N° RG 21/00190 - N° Portalis DBVE-V-B7F-CB4W
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[T] [R]
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD - contentieux
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Décision déférée à la Cour du :
08 septembre 2021
Pole social du TJ d'AJACCIO
21/00064
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Copie exécutoire délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : VINGT HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS
APPELANTE :
Madame [T] [R]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Philippe ARMANI, avocat au barreau d'AJACCIO substitué par Me Claudine CARREGA, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD - contentieux
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Valérie PERINO SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 décembre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur JOUVE, Président de chambre et Madame COLIN, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur JOUVE, Président de chambre
Madame COLIN, Conseillère
Madame BETTELANI, Conseillère
GREFFIER :
Madame CARDONA, Greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 17 mai 2023 puis a fait l'objet de prorogations au 21 juin et 28 juin 2023.
ARRET
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
- Signé par Madame COLIN, pour Monsieur JOUVE, Président de chambre empêché et par Madame CARDONA, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 27 mai 2020, Mme [T] [R], aide-soignante employée de nuit dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique par l'EHPAD [2] d'[Localité 1], a été placée en arrêt de travail par la Dre [V] [G], médecin psychiatre, pour un état dépressif sévère.
A compter de cette date, l'assurée a été indemnisée au titre du risque maladie par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Corse-du-Sud.
Le 26 octobre 2020, la CPAM a notifié à l'assurée la cessation du paiement de ses indemnités journalières à compter du 23 octobre 2020, date de consolidation de son état de santé selon le médecin conseil de la caisse.
Le 06 novembre 2020, contestant cette décision, Mme [R] a saisi le service médical de la caisse d'une demande d'expertise médicale technique, qui a été confiée au Dr [N] [I].
Au terme de son rapport rendu le 29 décembre 2020, ce dernier a confirmé que la consolidation était acquise au 23 octobre 2020 et recommandé le placement de Mme [R] en invalidité de 2ème catégorie.
Le 06 janvier 2021, la CPAM a en conséquence notifié à Mme [R] sa décision de maintenir la date de consolidation de son état de santé au 23 octobre 2020.
Le 02 mars 2021, Mme [R] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable (CRA) de la caisse qui, lors de sa séance du 17 mars 2021, a rejeté le recours formé par l'assurée.
Le 02 avril 2021, Mme [R] a porté sa contestation devant le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio.
Par jugement contradictoire du 08 septembre 2021, la juridiction a :
- débouté Mme [R] de l'intégralité de ses demandes ;
- homologué le rapport d'expertise rendu le '26 octobre 2010" par le Dr [N] [I] ;
- confirmé la décision rendue le 26 octobre 2020 par la CPAM de la Corse-du-Sud ;
- dit qu'en conséquence, l'état de santé de Mme [R] pouvait être considéré comme stabilisé le 23 octobre 2020 et qu'elle ne pouvait donc plus prétendre au bénéfice d'indemnités journalières à compter de cette date ;
- condamné Mme [R] au paiement des dépens.
Par courrier électronique du 16 septembre 2021, Mme [R] a interjeté appel de l'entier dispositif de cette décision qui lui avait été notifiée le 10 septembre 2021.
L'affaire a été appelée à l'audience du 13 décembre 2022, au cours de laquelle les parties, non-comparantes, étaient représentées.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, Mme [T] [R], appelante, demande à la cour de':
' Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Débouté Mme [T] [R] de l'intégralité de ses demandes,
Homologué le rapport d'expertise du Dr [N] [I] en date du 26 octobre 2010,
Confirmé la décision rendue par la caisse primaire d'assurance maladie de Corse-du-Sud le 26 octobre 2020,
Dire qu'en conséquence, l'état de santé de Mme [T] [R] pouvait être considéré comme stabilisé le 23 octobre 2020 et qu'elle ne pouvait donc plus prétendre au bénéfice d'indemnités journalières à compter de cette date,
Condamné Mme [T] [R] aux dépens ;
Vu les dispositions de l'article L. 141-2 du code de la sécurité sociale,
Surseoir à statuer ;
Ordonner une expertise avec mission de vérifier :
- Si l'état de santé de l'assurée pouvait être considéré comme stabilisé à la date du 23 octobre 2020
- Dans la négative, à quelle date l'état pourrait être considéré comme stabilisé.'
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait notamment valoir que :
- son état de santé n'était pas consolidé à la date du 23 octobre 2020, comme en attestent les certificats médicaux des Drs [J] et [G] ;
- le Dr [I] n'est nullement spécialisé dans l'appréciation des troubles psychiques et 'a manifestement bâclé son rapport' ;
- le premier juge ne pouvait homologuer un rapport du '26 octobre 2010" alors que celui-ci est daté du 29 décembre 2020.
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Au terme de ses écritures, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie de la Corse-du-Sud, intimée, demande à la cour de':
'DECERNER acte à la concluante de ce qu'elle a fait une exacte application des textes en vigueur ;
CONFIRMER le jugement entrepris ;
REJETER la demande d'une nouvelle expertise médicale ;
HOMOLOGUER le rapport d'expertise du Docteur [N] [I].'
L'intimée réplique notamment qu'elle a respecté les formalités prévues aux articles R. 141-1 et suivants du code de la sécurité sociale, que les conclusions du Dr [I] sont claires et sans ambiguïté et s'imposaient donc à elle.
La caisse souligne en outre que le rapport réalisé le 10 février 2021 par le Dr [J] à la demande de l'assurée, d'une part, n'a pas vocation à s'imposer à la caisse, ayant été effectué en violation du principe du contradictoire, d'autre part confirme au contraire la décision prise par la caisse en recommandant 'un poste aménagé, voire d'un reclassement' ainsi que le placement en invalidité catégorie 2 de Mme [R], sous-entendant ainsi une stabilisation de l'état de santé de l'assurée.
Elle fait enfin remarquer que l'appelante n'a, à aucun moment, formé de demande concernant son placement en invalidité de deuxième catégorie.
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Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
La recevabilité de l'appel n'étant pas contestée, il ne sera pas statué sur celle-ci.
- Sur la demande d'expertise
L'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, dispose que 'Les contestations d'ordre médical relatives à l'état du malade ou à l'état de la victime, et notamment à la date de consolidation en cas d'accident du travail et de maladie professionnelle et celles relatives à leur prise en charge thérapeutique, à l'exclusion des contestations relevant des 4° à 6° de l'article L. 142-1 donnent lieu à une procédure d'expertise médicale dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.'
L'article L. 141-2 du même code précise que 'Quand l'avis technique de l'expert ou du comité prévu pour certaines catégories de cas a été pris dans les conditions fixées par le décret en Conseil d'Etat auquel il est renvoyé à l'article L. 141-1, il s'impose à l'intéressé comme à la caisse. Au vu de l'avis technique, le juge peut, sur demande d'une partie, ordonner une nouvelle expertise.'
Il est en outre constant que la désignation d'un nouvel expert par le juge n'est justifiée que si l'avis du précédent expert manque de clarté ou de précision ou s'il n'est pas concordant avec ses constatations.
En l'espèce, le Dr [N] [I], dans son rapport de trois pages du 29 décembre 2020, a conclu de manière claire et non équivoque à la consolidation de l'état de santé de Mme [R] à la date du 23 octobre 2020.
Cet expert a constaté un 'état dépressif classé F33 à la CIM 10. Pleurs lors de l'examen', précisant que l'assurée était placée en invalidité de catégorie 1 depuis le 03 février 2020 pour 'syndrome dépressif sévère'. Il a ajouté que 'Mme [R] [était] suivie depuis de nombreuses années pour un syndrome dépressif et une SPA [spondylarthrite ankylosante], et ne pas noter 'd'examens d'imagerie nouvelle ni de thérapeutique nouvelle', considérant ainsi que son 'état nécessite une invalidité 2ème catégorie.'
A l'instar du Dr [J] (à l'expertise duquel l'appelante pouvait légitimement recourir dès lors que son rapport était soumis au débat contradictoire dans le cadre de la présente instance), le Dr [I] est inscrit sous la rubrique 'Médecine générale - Sécurité sociale' de la liste des experts de la cour d'appel de Bastia. Or, les conclusions d'une expertise médicale technique dans le cadre d'un litige en droit de la protection sociale n'ont pas vocation à imiter celles d'une expertise psychiatrique.
Pour tenter de démontrer l'aggravation de ses symptômes et l'absence de consolidation de son état, l'appelante verse notamment aux débats les pièces suivantes :
- un certificat médical établi le 06 novembre 2020 par le Dr [X], médecin traitant, indiquant que 'l'état de Mme [T] [R] impose une invalidité catégorie II [...]' ;
- un certificat médical établi le 09 février 2021 par la [4], médecin psychiatre, soulignant que la reprise du travail à temps partiel avait réactivé certains troubles ('doute, manque de confiance, trouble du sommeil, trouble de l'humeur') ;
- un rapport d'expertise (de trois pages également) établi le 10 février 2021 par le Dr [J] à la demande de Mme [R], aux termes duquel ce médecin :
constate de façon quelque peu contradictoire qu''il s'agit d'un état dépressif causé par un surmenage au travail' puis que 'Mme [R] souffre de dépression depuis le décès de son père en janvier 2016" ;
recommande à son tour que 'Mme [R] [soit] placée en invalidité catégorie 2 et [bénéficie] d'un poste aménagé, voire d'un reclassement', au motif que 'Ce travail, de nuit qui plus est, n'est pas adapté à son état, même à temps partiel mais avec des amplitudes horaires de 10 heures';
avant de conclure que 'Mme [R] ne pouvait reprendre son travail le 23/10/2020, sauf à mettre en danger sa santé et la sécurité des personnes qu'elle a en charge de soigner'.
Toutefois, ces pièces ne sauraient emporter la conviction de la cour puisqu'elles ne font nullement état d'une aggravation de l'état de santé de l'assurée à la date du 23 octobre 2020, état de santé qui parait au contraire consolidé puisque les médecins chargés de son suivi préconisent dans leur majorité un passage en invalidité de catégorie 2 ou un reclassement professionnel, ce qui atteste d'une stabilisation de son état comme le fait valoir à juste titre la CPAM.
Il importe également de rappeler, ainsi que l'a souligné le premier juge, que la notion de consolidation induit nécessairement l'existence de séquelles (en l'absence de séquelles, les médecins utilisent le terme de guérison) et que la consolidation de l'état de santé d'un assuré n'implique pas nécessairement la reprise du travail par celui-ci, notamment lorsque ce travail n'est pas en adéquation avec les pathologies subies, ce qui semble être le cas de Mme [R] au regard des constatations opérées par la [4].
Dès lors, il sera jugé qu'aucun des éléments produits ne remet en cause les conclusions claires et précises du Dr [I] et ne justifie la désignation d'un nouvel expert.
Le jugement querellé sera donc confirmé en ce qu'il a :
- débouté Mme [R] de l'intégralité de ses demandes ;
- confirmé la décision rendue le 26 octobre 2020 par la CPAM de la Corse-du-Sud ;
- dit que l'état de santé de Mme [R] pouvait être considéré comme stabilisé le 23 octobre 2020 et qu'elle ne pouvait donc plus prétendre au bénéfice d'indemnités journalières à compter de cette date.
En revanche, ce jugement sera infirmé en ce qu'il a 'homologué le rapport d'expertise rendu le '26 octobre 2010" par le Dr [N] [I]'. En effet, au-delà de l'erreur de date qui semble n'être que matérielle, il sera surtout rappelé que l'homologation vise à donner, par décision judiciaire, force légale à un accord intervenu entre les parties. Il n'y a donc pas lieu d'y procéder s'agissant du rapport d'expertise du Dr [I], simple mesure d'instruction destinée à éclairer le juge, lequel n'est pas lié, en application des dispositions de l'article 246 du code de procédure civile, par les constatations ou les conclusions des techniciens. L'intimée sera donc déboutée de sa demande en ce sens.
- Sur les dépens
L'article 696 du code de procédure civile dispose, en son premier alinéa, que 'La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.'
Mme [T] [R] devra donc supporter la charge des entiers dépens exposés en cause d'appel et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée au paiement des dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 08 septembre 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio, sauf en ce qu'il a homologué le rapport d'expertise du Dr [N] [I] ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DEBOUTE la caisse primaire d'assurance maladie de la Corse-du-Sud de sa demande d'homologation du rapport d'expertise du Dr [N] [I] ;
CONDAMNE Mme [T] [R] au paiement des entiers dépens exposés en cause d'appel ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIÈRE P/ LE PRÉSIDENT EMPECHE