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09/02/2016 | FRANCE | N°14/02228

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 09 février 2016, 14/02228


ARRET N° 16/

CP/KM



COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 09 FEVRIER 2016



CHAMBRE SOCIALE





Contradictoire

Audience publique

du 12 janvier 2016

N° de rôle : 14/02228



S/appel d'une décision

du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de VESOUL

en date du 30 septembre 2014

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution





Association

HOSPITALIERE DE FRANCHE COMTE

C/

[Y] [J]





PARTIES EN CAUSE :





Association HOSPITALIERE DE FRANCHE COMTE, [Adresse 1]





APPELANTE



représentée par Me François-Xavier BERNARD...

ARRET N° 16/

CP/KM

COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 09 FEVRIER 2016

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 12 janvier 2016

N° de rôle : 14/02228

S/appel d'une décision

du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de VESOUL

en date du 30 septembre 2014

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Association HOSPITALIERE DE FRANCHE COMTE

C/

[Y] [J]

PARTIES EN CAUSE :

Association HOSPITALIERE DE FRANCHE COMTE, [Adresse 1]

APPELANTE

représentée par Me François-Xavier BERNARD, avocat au barreau de DIJON

ET :

Monsieur [Y] [J], demeurant [Adresse 2]

INTIME

assisté par Me Loïc DUCHANOY, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats du 12 Janvier 2016 :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Chantal PALPACUER

CONSEILLERS : M. Jérôme COTTERET et Monsieur Patrice BOURQUIN

GREFFIER : Mme Karine MAUCHAIN

Lors du délibéré :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Chantal PALPACUER

CONSEILLERS : M. Jérôme COTTERET et Monsieur Patrice BOURQUIN

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 09 Février 2016 par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES:

Monsieur [Y] [J], médecin psychiatre, a été embauché par l'association Hospitalière de Franche-Comté (AHFC) sise au CHS de [Localité 1] /[Localité 2], à compter du 07 août 2002, selon deux contrats de travail à temps partiel, le premier en qualité de médecin généraliste diplômé de soins palliatifs et d'accompagnement et le second en qualité de médecin généraliste à compétence gériatrique et psychogériatrique, moyennant une rémunération brute mensuelle de 3111,13 euros pour cinq demi-journées au titre du premier contrat et de 2642,98 euros pour cinq demi- journées au titre du second contrat.

Selon avenant du 4 mars 2005, le temps de travail a été porté à temps plein en sa qualité de médecin généraliste de l'intersecteur de psychogériatrie.

Selon avenant régularisé le 25 avril 2006, le temps de travail sera réduit à 24 h30 par semaine correspondant à son activité sur le CMP de [Localité 3] moyennant une rémunération de 2786,28 euros, outre bonification, indemnité de logement, d'ancienneté et prime décentralisée.

Au titre d'un avenant du 17 mai 2011, sa spécialité de gériatrie sera reconnue.

Selon un avenant du 19 octobre 2011, le temps partiel sera porté à 80% selon un horaire hebdomadaire de 28 heures réparties les lundis, mardis, mercredis et jeudis de 9h à 12h30 et de 13h30 à 17h.

Le 11 décembre 2012, M. [J] a reçu un courrier de son employeur lui indiquant qu'à compter du 1er février 2013, il devait consacrer 2 demi-journées par semaine aux consultations du CMP de [Localité 4] lui proposant qu'elles aient lieu les mardis après midi de 14h30 à 17h et les mercredis matins de 9h à 12h mais avec possibilité de les regrouper sur la journée du mercredi.

N'acceptant pas cette décision prise unilatéralement remettant en cause dix années de travail et exprimant selon lui, le peu de considération de son employeur, M. [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 06 mai 2013, étant observé qu'il avait été en arrêt de travail du 05 février au 31 mars, puis du 3 mai au 10 juin 2013 et en congés annuel du1er avril au 12 avril 2013.

Par requête en date du 23 mai 2013, M. [J] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Vesoul aux fins de voir requalifiée la prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir des dommages et intérêts et diverses indemnités de rupture.

Par jugement en date du 10 juin 2014, le Conseil de Prud'hommes en sa formation de départage, a:

-dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l'AHFC à verser à M. [J], les sommes suivantes:

*43 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

*72 862 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

*43 500 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, outre 4350 euros pour les congés payés y afférents,

*9796,61 euros brut au titre de rappels de salaires outre 979,66 euros au titre des congés payés y afférents,

-débouté M. [J] de toutes ses autres demandes;

-a condamné l'AHFC aux dépens et à lui verser une somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

-a ordonné la remise des documents conformes à la décision, à savoir le certificat de travail et le reçu du solde de tout compte.

Dans sa décision, le Conseil de Prud'hommes rappelle que M. [J] reproche à son employeur, une affectation brutale sur l'établissement de [Localité 4], l'absence de prise en compte du trajet domicile-lieu de travail et l'absence de visite médicale de reprise.

Il souligne l'existence d'une clause de mobilité figurant dans le contrat de travail et fait observer que si la mise en oeuvre de celle-ci s'analyse en un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur, son exécution ne doit s'accompagner d'aucun abus.

Il précise que l'employeur dans sa mise en oeuvre ne doit pas être animée d'une intention de nuire ni ne doit agir avec une légèreté blâmable.

De plus, cette mise en 'uvre ne doit pas bouleverser l'économie du contrat en modifiant d'autres éléments du contrat de travail que le lieu de travail et ne doit pas porter atteinte à un droit ou une liberté sauf si elle était justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

Or, le Conseil de Prud'hommes retient que sur le premier grief, M. [J] ne rapporte pas la preuve que la décision de l'employeur qui fait suite à un entretien préalable du 4/12/2012 soit étrangère à l'intérêt de l'association ou bouleverse l'économie du contrat ni que la clause ait été mise en 'uvre dans des conditions exclusives de la bonne foi ( la nouvelle répartition se justifiant au regard de l'activité dans les différents CMP et du volume des demandes sur l'intersecteur).

Sur le second grief, il fait valoir que le déplacement sur [Localité 4] était compatible avec ses autres consultations et que le temps de trajet était inclus dans le temps de travail effectif et rémunéré comme tel et que dès lors cette affectation ne présentait pas de caractère fautif.

En revanche, sur le 3ème grief, le Conseil de Prud'hommes retient que la visite de reprise revêt un caractère obligatoire et qu'elle n'a pas été faite en raison d'une erreur de l'infirmière de l' Association hospitalière de Franche Comté qui n'a pas programmé cette visite sur le planning du médecin du travail. Elle retient la faute de l'employeur et son manquement à son obligation de sécurité qui justifie de requalifier la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les rappels de salaire, le Conseil de Prud'hommes retient que M. [J] s'est vu reconnaître par l'ordre national des médecins, la spécialité de gériatre le 03/01/2006 et que l'AHFC si elle l'a prise en charge à compter de janvier 2011ne pouvait pas la lui refuser à compter de 2008 ( eu égard à la prescription ) de sorte qu'il a fait droit à la demande.

*********

L' AHFC a interjeté appel de la décision.

*********

Dans ses conclusions déposées le 17/12/2015, l' association Hospitalière de Franche Comté demande à la cour:

-l'infirmation de la décision,

-de constater qu'elle n'a commis aucune faute,

-de dire et juger que la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission,

-de débouter M. [J] de toutes ses demandes,

-de le condamner à lui verser une somme de 21 858 euros outre 2185 euros au titre des congés payés y afférents au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

-2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que:

-elle n'a commis aucune faute ni aucun fait suffisamment grave pour empêcher de continuer le contrat,

-les faits allégués sont trop anciens pour pouvoir justifier la prise d'acte du 6 mai 2013,

-la décision d'affectation sur [Localité 4] date de décembre 2012 avec une prise d'effet au 01/02/2013 acceptée par l'intéressé avant la prise d'acte de la rupture faite 3 mois plus tard,

-les griefs sont infondés au regard de la clause de mobilité figurant dans le contrat de travail,

-en aucun cas, cette décision a été prise brutalement et précise qu'elle n'est pas connue pour ses méthodes managériales brutales comme le soutient M. [J] ,

-elle n'a commis aucune faute dans la mise en 'uvre de la clause de mobilité;

-l'absence de visite médicale ne lui incombe pas mais provient de la faute d'un tiers, puisque c'est le service de la médecine du travail qui a omis de programmer la visite demandée,

-l'infirmière qui a commis l'erreur est certes salariée de l'AHFC mais elle est entièrement mise à la disposition du médecin du travail le Dr [H] de sorte que le Conseil de Prud'hommes ne pouvait pas en déduire que de ce fait l'erreur était imputable à l'employeur et engageait ce dernier.

Sur le rappel de salaire, elle fait valoir que le calcul de M. [J] est erroné car la valeur du point a été modifiée au cours des années de sorte qu'elle arrive à la somme de 9796,61 euros sur la période considérée mais rappelle que selon la convention collective, la bonification est facultative et non obligatoire et enfin, elle ne serait possible qu'à partir de janvier 2011, car ce n'est que depuis la création d'un intersecteur de psychiatrie du sujet âgé sur l'aire urbaine que le recrutement de médecins gériatres est possible.

Elle forme une demande reconventionnelle au motif que la prise d'acte devant s'analyser en démission, M. [J] est redevable du préavis de 3 mois qu'il n'a pas respecté.

Enfin, sur la demande relative au remboursement d'une somme de 9023,58 euros retenue pour maladie sur son solde de tout compte, l'association fait observer que si le licenciement était retenu, le contrat sera considéré comme rompu au 6 mai et elle n'avait pas à maintenir le salaire au delà de cette date et en cas de démission, cette somme devra être déduite du montant du préavis demandé.

********

Dans ses conclusions déposées le 23/12/2015, M. [J] demande la confirmation du jugement, de considérer la prise d'acte de la rupture comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner l' association Hospitalière de Franche Comté à lui verser les sommes de:

*87 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 43 500 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 4350 euros de congés payés y afférents,

*72 862 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

*13 640 euros au titre des rappels de salaire et 1364 euros au titre des congés payés y afférents ,

*9023,58 euros au titre des rappels de salaire pour le maintien des droits, outre les congés payés y afférents;

*2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il conclut à la condamnation de l' association Hospitalière de Franche Comté aux dépens .

Il reproche à l'employeur le caractère brutal de la décision, prise sans le consulter alors que cette décision risquait d'avoir des conséquences extrêmement néfastes sur le travail réalisé depuis 10 ans rappelant qu'il avait accepté la décision, de lui avoir imposé un temps de trajet supplémentaire sans le prendre en charge alors qu'il a toujours travaillé à [Localité 3] et qu'il habite [Localité 5], précisant que le temps de déplacement pour cette nouvelle affectation est de 4h pour les 2 demi journées ( 1h par trajet entre [Localité 3] et [Localité 4]) et non 1h30 comme l'a indiqué le Conseil de Prud'hommes et que même s'il ne passait pas [Localité 3] pour prendre le véhicule de service, comme le suggère l'employeur, le temps de trajet aurait été augmenté d'une heure et aurait dû entre rémunéré

Sur l'absence de visite de reprise, il rappelle que l'employeur doit assurer l'effectivité de la visite et que la faute de l'infirmière qui est sa préposée ne le dégage pas de sa responsabilité.

Sur les conséquences pécuniaires, M. [J] a 62 ans ( né en1954) et a pris sa retraite le 1/11/2015. Il perçoit 1149 euros de retraite et continue à travailler sur [Localité 6] pour la Croix Rouge Française.

Sur les rappels de salaire, il demande la revalorisation statutaire qui découle de la reconnaissance de la spécialité de gériatre à compter de 2008 eu égard à la prescription soit 13640 euros représentant 441 euros par mois pendant 31 mois ainsi qu'une somme de 9023,58 euros au titre du maintien du salaire pendant ses absences maladies. Il conclut au rejet de la demande reconventionnelle.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience du 12 janvier 2016 .

MOTIFS DE LA DECISION

1°) Sur la prise d'acte de la rupture:

Il résulte du dossier que par lettre du 6 mai 2013 le docteur [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, lui reprochant d'avoir procédé à une réorganisation à la fin de l'année 2012 sans aucune concertation alors qu'il est le seul référent en psychiatrie du sujet âgé sur le [Localité 3] depuis 2002, pour l'envoyer à [Localité 4] à raison de deux demi-journées par semaine lui impliquant des déplacements importants.

Il y fait également grief de ne pas prendre en compte les temps de trajet imposés, dans son temps de travail.

Enfin, il souligne les répercussions sur sa santé de cette situation qu'il qualifie d'insupportable, note l'inflexibilité de son employeur et son manque de considération après tant d'années de bons et loyaux services et remarque l'absence de visite de reprise suite à ses congés maladie.

Il convient de rappeler que lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit d'une démission dans le cas contraire.

La rupture n'ouvre droit à une indemnisation au profit du salarié qu'en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Il résulte des pièces que par courrier du 11 décembre 2012 M.[S] demandait au docteur [J] d'assurer à compter du 1er février 2013 deux demi-journées de consultations au CMP de [Localité 4] .

Si le docteur [J] a fait part de son désaccord dès le 24 décembre 2012 et s'il s'en est suivi un échange épistolaire entre les parties, force est de constater que par courrier du 08 février 2013, il a accepté cette modification et d'assurer comme il lui était demandé, des consultations au CMP de [Localité 4], étant observé qu'il n'a pas remis en cause l'existence de la clause de mobilité figurant dans son contrat de travail, dans son article trois prévoyant: «Dans l'attente de la création de l'Intersecteur de psychogériatrie, Monsieur le Docteur [J] sera rattaché au secteur de psychiatrie générale du CHS de [Localité 1]/[Localité 7] et plus particulièrement au secteur de [Localité 3].

Cependant les fonctions de Monsieur le Docteur [J] pourront nécessiter de sa part des déplacements vers d'autres structures médicales du CHS de [Localité 1]/[Localité 7]; à ce titre il sera remboursé de ses frais professionnels sur la base des tarifs conventionnels et conformément aux dispositions de l'article six ci-dessous. »

Le docteur [J] reproche à l'AHFC, la brutalité de cette affectation, déplorant le manque de concertation et de consultation alors que cette décision risquait d'avoir des conséquences extrêmement néfastes sur le travail qu'il avait accompli depuis plus de 10 ans et de remettre en cause une partie de cette activité à laquelle il s'était pleinement consacré. Il souligne la réputation de l'employeur qu'il dit connu pour ses méthodes managériales.

Or, comme l'a retenu le conseil des prud'hommes, le courrier du 11 décembre 2012 fait référence à un entretien du 4 décembre 2012. En effet, il y est indiqué: « Pour faire suite à notre entretien du 4 décembre dernier, je te confirme qu'au regard de l'activité dans les différents CMP ainsi que du volume de demandes sur l'Interecteur, il est absolument nécessaire de revoir la répartition des temps de consultation dans nos différents CMP.

Ainsi, tu effectueras deux demi-journées de consultations au CMP de [Localité 4] , à partir du 1er février 2013. »

Dans ce courrier, le docteur [S] ajoute: « Actuellement le docteur [P] réalise deux demi-journées de consultations hebdomadaires, les mardis après-midi et mercredis matin.

Il semblerait tout à fait possible d'effectuer tes deux demi-journées sur la journée du mercredi si cette organisations te convient.

Afin de préparer au mieux cette réorganisation je te demande de nous préciser à Madame [V] et à moi-même si tu effectueras ces deux demi-journées le mercredi, avant la fin du mois de décembre.

Par ailleurs, contrairement à ce que tu prévoyais s'agissant de la consultation mémoire, il n'est pas question de l'arrêter en l'état, je te demande donc de continuer à l'assurer sans date limite pour le moment. »

Il résulte ainsi de ce courrier la preuve que la décision de l'employeur fait suite à un entretien avec l'intéressé et qu'il lui avait été laissé la possibilité de choisir entre les mardis et mercredis ou de les regrouper sur le mercredi.

Par ailleurs, au regard de l'existence de la clause de mobilité contenue dans le contrat de travail dont M. [J] n'a pas soutenu que l'employeur en avait fait un usage abusif , ou que sa mise en 'uvre soit étrangère à l'intérêt de l'employeur ou qu'elle ait bouleversé le contrat de travail dans ses éléments autres que le lieu de travail et, de l'entretien du 4 décembre, 2012, il n'existe pas de preuve que cette décision procède de méthodes managériales brutales et d'un détournement de pouvoir.

Le compte rendu de la réunion du comité d'entreprise du 2 avril 2013 faisant état d'une constatation du médecin du travail d'une dégradation des conditions de travail, d'une progression de l'absentéisme et de salariés plus fatigués et stressés, n'est pas de nature à démontrer que le changement partiel d'affectation du docteur [J] s'inscrive dans un management brutal.

Si le Dr [J] indique dans ses conclusions que la décision de l'employeur de réduire le temps médical consacré au secteur de [Localité 3] alors qu'il avait toujours été reconnu qu'il nécessitait entre 70 et 80 % d'un équivalent temps plein, constituait une menace pour la qualité des soins mis en 'uvre, il n'en tire aucune conclusion, reconnaissant qu'il n'était pas l'employeur et indiquant qu'il s'exécuterait.

Il s'évince de ces éléments que le premier grief allégué n'est pas démontré.

Le docteur [J] considère également que son employeur a commis une seconde faute en refusant de prendre en compte le temps de déplacement supplémentaire impliqué par sa nouvelle affectation sur le secteur de [Localité 3].

Il précise qu'il habite [Localité 5] et que depuis 10 ans, il travaille à [Localité 3] où il se rend tous les jours pour y exercer ses fonctions.

Il soutient que l'employeur en l'envoyant assurer deux demi-journées de consultations à [Localité 4], distant de 55 kms de [Localité 3], il lui impose un temps de déplacement supplémentaire de 4 heures (2 allers et 2 retours), qu'il refuse de rémunérer.

Il est constant qu'au regard de la clause de mobilité et du fait que la nouvelle affectation reste dans le même secteur géographique, il ne s'agit pas d'une modification d'un élément du contrat de travail mais d'un simple changement dans les conditions de travail relevant du pouvoir de décision de l'employeur, ce que M. [J] ne conteste pas. Pour autant dès lors qu'elle a pour conséquence de lui imposer un temps de déplacement supérieur à celui habituel, ce temps de trajet doit être comptabilisé en temps de travail ou être indemnisé.

Il rappelle qu'il vient à [Localité 3] chaque matin en car puis utilise un véhicule de service pour ses déplacements.

Il rappelle que sa durée de travail était depuis le 1er novembre 2011 de 28 heures réparties entre les lundis, mardis, mercredis et jeudis de 9h à 12h30 et de 13h30 à 17h de sorte que cette modification lui imposait une heure de trajet de plus de [Localité 3] à [Localité 4] soit 4 heures par semaine pour 2 allers et deux retours.

Or, aux termes de l'article L3121-4 du code du travail , le temps de trajet pour se rendre du domicile au lieu habituel de travail ne constitue pas un temps de travail effectif dès lors que le salarié a un lieu de travail fixe ou habituel sauf s'il dépasse le temps normal de trajet ,ce que ne soutient pas M. [J], étant observé que dans cette hypothèse, le temps de trajet excédentaire doit faire l'objet d'une indemnisation ou contrepartie en repos.

Le dernier alinéa précise que «La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.»

En revanche, le temps de trajet entre deux lieux d'exécution constitue du temps de travail effectif de sorte qu'en l'espèce, le temps de trajet pour se rendre de [Localité 3] à [Localité 4] le mardi après midi et celui pour se rendre de [Localité 4] à [Localité 3] le mercredi après midi doivent être considérés comme du temps de travail effectif, tel étant le cas puisque M. [J] était rémunéré pendant les heures de trajet.

Toutefois, force est de constater que le temps de trajet excédentaire le mercredi après midi pour assurer le retour de [Localité 4] à [Localité 3] a été pris en charge qu'à hauteur de 30 minutes au lieu d'une heure, étant observé que l'employeur n'indique pas comme pour les mardis que le début des consultations avait bien été retardé à 14h30 à [Localité 3] les mercredis après midi pour permettre au Dr [J] de refaire la route jusqu'à [Localité 3].

Toutefois, si ce changement d'affectation qui au demeurant ne concernait que 2 demis journées par semaine, a eu pour conséquence de générer des temps de déplacement supplémentaires pour M. [J], alors que celui-ci reconnaît lui-même qu'il se déplaçait dans le secteur tout en ayant son poste à [Localité 3] en utilisant la voiture de service, il résulte des pièces que l'AHFC a proposé à celui-ci de regrouper les consultations à [Localité 4] sur une seule journée, et lui a laissé la possibilité d'organiser les consultations selon les modalités pratiques qu'il souhaitait ( lettre du 08/01/2013) de sorte qu'eu égard à ces circonstances, il ne saurait être retenu l'existence d' un manquement suffisamment grave de l'employeur pour justifier la prise d'acte de la rupture de M. [J]

Dès lors, ce grief ne pouvait justifier la prise d'acte de la rupture.

Sur le dernier grief, M. [J] reproche à l'employeur de ne pas avoir organisé la visite de reprise ayant été en arrêt de travail du 05/02/2013 au 31 mars 2013 puis du 03 mai au 10 juin 2013.

Il est constant qu' à l'issue du premier arrêt de travail, M. [J] n'a pas bénéficié de la visite médicale de reprise obligatoire, et qui entre dans l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur qui doit en assurer l'effectivité.

Or, pour justifier ce défaut de visite médicale, l'AHFC soutient d'une part que le grief est ancien et d'autre part qu'il ne lui est pas imputable mais au service de la Médecine du travail.

Elle justifie par un courrier de M. [A], directeur général du service de la Santé au travail [Localité 2] du 24 juillet 2013 avoir demandé le 15 avril 2013 que soit programmée la visite médicale de reprise et que c'est l'infirmière du service mise à la disposition par l'AHFC qui a oublié de la fixer dans le planning du Dr [H], médecin du travail.

Il ressort des éléments que le Dr [J] a fait suivre cet arrêt de travail d'une période de congés payés jusqu'au 12 avril, date de son retour dans l'entreprise jusqu'au 3 mai 2013 date de son nouvel arrêt de travail .

Or, la rupture du contrat de travail va intervenir dès le 6 mai soit très rapidement après la reprise du travail sans laisser le temps à l'employeur de réagir alors qu'il n'est pas démontré que dans ce laps de temps très court, il a pu savoir que le Dr [J] n'avait pas été convoqué, personne ne l'en ayant informé alors qu'il est établi qu'il en avait bien fait la demande dès le 15 avril 2013.

Il en résulte que contrairement à ce qu'a retenu le Conseil de Prud'hommes, ce grief ne peut au vu des circonstances, être considéré comme suffisamment grave pour justifier la prise d'acte de la rupture.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement sur ce point, ce qui entraîne le rejet de toutes les demandes de M. [J] relatives à la rupture du contrat de travail.

2°)Sur les rappels de salaire:

a)M. [J] demande une revalorisation statutaire à la suite de la reconnaissance de la spécialité de gériatre par l'Ordre national des médecins le 03/01/2006 et ce, à compter de mai 2008.

Il se fonde sur la convention collective qui prévoit que la rémunération des médecins est constituée d'un coefficient de référence incluant l'incidence des mesures prises pour les praticiens hospitaliers et s'il y a lieu de compléments de points pour les médecins spécialistes et les biologistes...

Pour expliciter qu'elle n'a pris en compte ce complément de points qu'en 2011, l'AHFC explique qu'elle ne pouvait pas budgétairement rémunérer la spécialité de gériatre et d'autre part que ce n'était qu'une faculté faisant référence à une bonification prévue à l'article A1.2.1.2 dans le chapitre «bonifications» de 30 à 80 points attribuée facultativement par le conseil d'administration mais qui est sans rapport avec la prime de spécialité réclamée et réglementée à l'article A1.2.1.1.

Dès lors, M. [J] est en droit d'obtenir paiement de cette prime qui doit être calculée sur la période de mai 2008 à décembre 2010 sur la base de la valeur du point qui n'était de 4,40€ qu'à partir de décembre 2010 de sorte qu'il convient de valider le montant de 9796,61 euros calculé par l'employeur retenant une valeur de point de 4,355 € de mai 2008 au 31 mars 2009 et de 4,381€ d'avril 2009 au 30 novembre 2010.

b)M. [J] sollicite également paiement d'une somme de 9023,58€ retenue sur le solde de tout compte pour ses absences pour maladie, déduction faite du versement de la Caisse primaire de 1421,28 € d'où un solde de 7602,30 €.

L'employeur ne conteste pas devoir cette somme dès lors que la prise d'acte s'analyse comme en l'espèce en une démission, et ce, pour la période du 3 mai au 10 juin 2013.

Il demande toutefois que cette somme se compense avec la demande reconventionnelle formulée qu'il convient d'examiner

3°)Sur la demande reconventionnelle:

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail s'analysant en une démission, il ressort de la convention collective FEHAP qu'en cas de démission, ou résiliation du contrat de travail à l'initiative du salarié, celui-ci doit respecter un préavis dont la durée est fixée à trois mois pour les médecins, pharmaciens, biologistes.......

La convention précise que «Sauf cas de force majeure ou d'accord entre les parties, le salarié démissionnaire qui n'observerait pas le préavis devra une indemnité égale au salaire correspondant à la durée du préavis restant à courir. Toutefois, conformément aux dispositions légales et réglementaires, l'employeur ou son représentant ne pourra prélever cette indemnité sur les sommes dues au salariés.»

En conséquence, le Dr [J] est redevable d'une somme de 21 858 euros au titre du préavis, montant qui n'est pas contesté dans son quantum par l'intéressé.

Il convient en conséquence de condamner le Dr [J] au paiement de cette somme sans pouvoir en ordonner la compensation judiciaire avec les sommes dues par l'employeur.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les parties succombant chacune pour partie, il convient de faire masse des dépens et de les partager par moitié entre les parties, ce qui entraîne le rejet de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

DÉCLARE l'appel de l'Association Hospitalière de Franche Comté partiellement bien fondé ;

CONFIRME le jugement en ce qu'il a condamné l'Association Hospitalière de Franche-Comté à verser à M. [J] une somme de 9796, 61 € au titre du rappel de salaire pour la prime de spécialité et celle de 979,66 euros au titre des congés payés y afférents ,

INFIRME pour le surplus le jugement du Conseil de Prud'hommes de Vesoul du 30 septembre 2014 ;

Statuant à nouveau:

DIT que la prise d'acte de la rupture s'analyse en une démission;

CONDAMNE l'Association Hospitalière de Franche-Comté à verser à M. [J] la somme de 7602, 30 euros brut au titre du maintien de salaire pendant son absence pour maladie ;

ORDONNE la remise d'un certificat de travail conforme à la présente décision ainsi qu'une attestation Pôle Emploi

DÉBOUTE M.[J] de toutes ses autres demandes;

CONDAMNE M. [J] à verser à l'association Hospitalière de Franche-Comté une somme de 21858 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 2185,80 euros au titre des congés payés y afférents ,

Y ajoutant:

FAIT masse des dépens de première instance et d'appel et les met par moitié à la charge des parties;

REJETTE les demandes des parties formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition le 09 février 2016 et signé par Mme Chantal PALPACUER, Présidente de Chambre, Magistrat et par Mme Karine MAUCHAIN, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 14/02228
Date de la décision : 09/02/2016

Références :

Cour d'appel de Besançon 03, arrêt n°14/02228 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-02-09;14.02228 ?
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