ARRET N° 18/
JC/KM
COUR D'APPEL DE BESANCON
ARRET DU 06 FEVRIER 2018
CHAMBRE SOCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 19 décembre 2017
N° de rôle : 18/00257
S/appel d'une décision
du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DOLE
en date du 29 décembre 2014
Code affaire : 80A
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
APPELANTE
SA DIJON BETON, [Adresse 1]
représentée par Me Nicolas LEGER, avocat au barreau de BESANCON
INTIMES
Monsieur [K] [Y], demeurant [Adresse 2]
CFDT CONSTRUCTION DU BOIS COTE D'OR ET YONNE, [Adresse 3]
représentés par Me Jean-Baptiste GAVIGNET, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 19 Décembre 2017 :
Mme Christine K. DORSCH, Présidente de Chambre
M. Jérôme COTTERET, Conseiller
M. Patrice BOURQUIN, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme Karine MAUCHAIN, Greffier lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 06 Février 2018 par mise à disposition au greffe.
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FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La S.A. DIJON BÉTON, spécialisée dans la fabrication de béton, a embauché le 16 juillet 2007 M. [K] [Y] comme chef de centrale, coefficient 260 de la classification professionnelle alors applicable de la convention collective des carrières et métaux personnel ETAM.
Un accord collectif national du 10 juillet 2008 a révisé les classifications professionnelles ainsi que les salaires minimaux conventionnels, les sociétés de la branche disposant d'un délai expirant le 1er janvier 2010 pour réviser leur classification interne notamment à l'aide d'un système appelé 'emplois repères'.
La S.A. DIJON BÉTON a institué une commission technique paritaire chargée de définir la classification de chaque salarié après avoir analysé les fonctions réellement exercées.
Cette commission a proposé de classer M. [K] [Y] au niveau IV, échelon 2.
Ce projet de classification a été communiqué à M. [K] [Y] le 25 septembre 2009 et, en l'absence de recours de sa part, son nouveau coefficient lui a été notifié par la S.A. DIJON BÉTON le 27 octobre 2009, avec entrée en vigueur au 1er janvier 2010.
M. [K] [Y] a enfin signé le 25 août 2010 un avenant à son contrat de travail aux termes duquel il a été reclassé dans un poste de conducteur de centrale, niveau IV, échelon 2 de la nouvelle convention collective.
Prétendant avoir été rétrogradé, M. [K] [Y] a saisi la juridiction prud'homale.
Par jugement rendu le 29 décembre 2014, le conseil de prud'hommes de Dole a annulé l'avenant au contrat de travail de M. [K] [Y] et a dit que la S.A. DIJON BÉTON devait le rétablir dans la classification de chef de centrale, niveau V, échelon 3 à compter du 1er janvier 2010, conformément à l'article 1.6, à l'article 8 et à l'annexe II de l'accord du 10 juillet 2008.
Le conseil a ordonné la rectification des bulletins de paye sous astreinte de 20 € par jour de retard à compter d'un délai d'un mois suivant la notification de la décision et a condamné la S.A. DIJON BÉTON à verser à M. [K] [Y] la somme de 2 000€ à titre de dommages et intérêts pour modification illicite du contrat de travail ainsi qu'une indemnité de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
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Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 26 janvier 2015, la S.A. DIJON BÉTON a interjeté appel de cette décision.
L'affaire a été radiée le 29 mars 2016.
Le syndicat CFDT a déclaré intervenir à la procédure par conclusions déposées le 16 août 2016 en sollicitant la condamnation de la S.A. DIJON BÉTON à lui payer 1 € de dommages et intérêts pour violation des dispositions conventionnelles ainsi qu'une indemnité de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [K] [Y] a sollicité le 16 août 2016 la remise au rôle de l'affaire le 16 août 2016.
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Dans ses écrits déposés le 11 avril 2017, la S.A. DIJON BÉTON conclut à l'infirmation du jugement, au rejet des prétentions de M. [K] [Y] et à sa condamnation à lui verser une indemnité de 750 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle affirme que M. [K] [Y] n'occupait pas un emploi repère, le titre de chef de centrale qui lui avait été octroyé ne pouvant à lui seul déterminer le nouveau coefficient par référence aux nouveaux emplois repères.
Elle explique ainsi que le reclassement n'est pas attaché à l'appellation de l'emploi par l'entreprise mais aux fonctions réellement occupées.
En l'espèce, la S.A. DIJON BÉTON prétend que M. [K] [Y] n'assurait aucun encadrement permanent de personnel, ni aucune gestion de l'unité, ce que la commission technique de classification a également constaté en proposant un reclassement de l'intéressé comme conducteur de centrale après avoir appliqué, pour procéder à la cotation du poste, la méthode retenue par l'accord de branche du 10 juillet 2008.
L'employeur conteste avoir retiré les attributions de responsabilité dont se prévaut M. [K] [Y].
La S.A. DIJON BÉTON ajoute ne pas avoir modifié unilatéralement le contrat de travail, l'avenant signé par le salarié n'étant que la conséquence de la mise en place de la nouvelle grille de classification qui lui est opposable dans la mesure où celle-ci est issue d'un avenant à un accord de branche régulièrement conclu.
Elle souligne enfin que le consentement de M. [K] [Y] n'a pas été vicié, l'intéressé ayant expressément accepté la classification proposée par la commission paritaire de classification en n'exerçant pas de recours et en ayant signé l'avenant au contrat de travail reprenant la classification établie.
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Pour sa part, dans ses écrits déposés le 16 août 2016, M. [K] [Y] soutient que le poste de chef de centrale qu'il occupait correspond à un emploi repère dont la définition s'imposait à l'employeur. Il explique que la S.A. DIJON BÉTON ne pouvait employer le système de critères classants uniquement qu'à titre subsidiaire, c'est-à-dire pour les seuls emplois ne correspondant pas aux emplois repères.
Il prétend en conséquence, compte tenu de son ancienneté et de son autonomie, qu'il aurait dû être reclassé comme chef de centrale, niveau VII, coefficient 260 de la nouvelle grille de classification.
Or, il dit que la S.A. DIJON BÉTON, pour justifier sa nouvelle classification au poste de conducteur de centrale, lui a ensuite retiré certaines des attributions de responsabilité qu'il exerçait auparavant.
Il fait valoir que la S.A. DIJON BÉTON a profité de l'entrée en vigueur d'une nouvelle classification pour supprimer tous les postes de chef de centrale en rétrogradant les salariés concernés, et abaisser ainsi ses coûts salariaux.
Il en conclut que son consentement lors de la signature de l'avenant à son contrat de travail signé le 25 août 2010 a été vicié et en sollicite l'annulation.
M. [K] [Y] demande en conséquence la condamnation de la S.A. DIJON BÉTON à le reclasser comme chef de centrale, niveau VII, subsidiairement niveau V, de la convention collective du 10 juillet 2008, à compter du 1er janvier 2010. En tout état de cause, il entend voir ordonnée la remise de bulletins de salaire rectifiés mentionnant la nouvelle classification sous astreinte de 50 € par jour de retard dans le délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir.
Il conclut également à la condamnation de la S.A. DIJON BÉTON à lui verser la somme de 10'000 € à titre de dommages et intérêts pour rétrogradation injustifiée, outre une indemnité de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
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En application de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour l'exposé des moyens des parties, à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience de plaidoirie du 19 décembre 2017.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1° ) Sur la disjonction :
L'article 367 du code de procédure civile autorise le juge, même d'office, à ordonner la disjonction d'une instance en plusieurs.
En l'espèce, il convient pour une bonne administration de la justice d'ordonner la disjonction de la procédure unique n° 16-1750 en 4 instances, dès lors que la Cour est amenée à statuer sur la situation de 4 salariés différents.
2° ) Sur la reclassification :
Il est constant, selon accord du 10 juillet 2008, que les partenaires sociaux de la branche 'carrière et matériaux de construction'ont souhaité réviser les classifications professionnelles des ouvriers, des ETAM, et des cadres avec l'objectif de mettre en place un système mieux adapté à la réalité des emplois et à leur évolution, pour favoriser le développement des compétences, la promotion sociale des salariés, et la reconnaissance des acquis de la formation et de l'expérience professionnelle.
Il est indiqué, au chapitre premier de cet accord relatif aux principes généraux, que le nouveau dispositif de classification professionnelle est conçu sur la base de niveaux de qualification et d'un positionnement des salariés en échelons à l'intérieur de chacun de ces niveaux. En raison de la diversité des entreprises de la branche, et afin de faciliter le positionnement des salariés, sont définis des emplois repères ainsi que leur fiche descriptive. Le positionnement dans les niveaux de la classification est préétabli à l'aide d'une grille de critères classants au sein d'une carte des emplois repères.
Il est stipulé, à l'article 1.6, que la carte des emplois repères permet d'identifier le positionnement des emplois repères au sein des filières professionnelles et sur les niveaux de qualification par l'application de la grille des critères classants. Il est encore précisé que pour les emplois ne correspondant pas à des emplois repères, le positionnement dans la classification se fait par application des seuls critères classants.
La carte des emplois repères figurant en annexe II de l'accord du 10 juillet 2008 définit le poste de chef de centrale comme un emploi repère classé au niveau V.
En l'espèce, il est exact que M. [K] [Y] a été embauché comme chef de centrale.
Toutefois, la S.A. DIJON BÉTON fait valoir que les fonctions réellement occupées par le salarié ne sont pas celles de chef de centrale et qu'il ne peut donc revendiquer occuper un emploi repère entraînant automatiquement sa reclassification, toujours comme chef de centrale, mais au niveau V en application de l'accord du 10 juillet 2008.
Aux termes de l'article R. 3243-1 du code du travail, les bulletins de paye comportent le nom et l'emploi du salarié ainsi que sa position dans la classification conventionnelle qui lui est applicable, étant précisé que la position du salarié est notamment définie par le niveau ou le coefficient hiérarchique qui lui est attribué.
Il en résulte qu'en cas de contestation, les juges doivent rechercher la nature de l'emploi effectivement occupé par le salarié et la qualification qu'il requiert. (Cass, soc. 23 nov. 2011, pourvoi n° 10.30-236).
Pour sa part, le salarié prétend qu'il exerçait, avant que l'employeur ne les lui retire pour justifier son reclassement comme conducteur de centrale, les attributions correspondant à l'emploi repère de chef de centrale. Il indique notamment que la S.A. DIJON BÉTON lui a supprimé le contact direct avec les intervenants extérieurs ainsi que la gestion autonome des plannings clients.
Or, force est de constater que sur ce point, le salarié ne fait que procéder par voie d'affirmation et ne produit aucune pièce justificative. Il ne verse notamment aucun témoignage émanant des intervenants extérieurs ou des clients ou encore d'un autre salarié.
En revanche, pour sa part, l'employeur justifie, en produisant le compte rendu de la première réunion du 24 septembre 2009, avoir mis en place une commission technique de suivi des classifications conformément à l'accord du 10 juillet 2008, en raison de l'absence d'accord d'entreprise signé au sein de l'entreprise avant le 10 janvier 2009.
Il résulte de ce compte rendu que les délégués syndicaux ont émis dans un premier temps un désaccord quant au reclassement du poste de chef de centrale au niveau IV de conducteur de centrale. Après pesage du poste de chef de centrale à l'aide des critères classants, la commission technique, composée en nombre équivalent de représentants salariés et employeur, est finalement parvenue à un accord pour dire que, au sein de la S.A. DIJON BÉTON, en raison des attributions réellement octroyées au chef de centrale, celles-ci ne correspondaient pas à l'emploi repère de chef de centrale de la nouvelle classification mais à l'emploi de conducteur de centrale, niveau IV.
L'employeur justifie également, en produisant le contrat de travail de M. [K] [Y], que sa nouvelle classification comme conducteur de centrale niveau IV n'a entraîné aucune perte de salaire ou des avantages relatifs à la retraite ou à la santé.
Il justifie encore que seul un salarié, en l'espèce M. [F] [I], qui occupait auparavant la fonction de responsable sectoriel d'exploitation, exerçait en réalité les fonctions correspondant à l'emploi de chef de centrale. Il produit aux débats la lettre recommandée adressée à M. [I] lui indiquant son reclassement comme chef de centrale et lui notifiant sa fiche de poste.
Enfin, la S.A. DIJON BÉTON verse au débat deux attestations, celle de M. Nicolas [Z], responsable d'entretien, et celle de M. [I] [B], chef de secteur, confirmant que les chefs de centrale n'ont jamais eu pour responsabilité de gérer les plannings, cette tâche revenant au service plannings centralisé au siège de la S.A. DIJON BÉTON, à Saint Apollinaire.
Il résulte de l'ensemble de ces observations que M. [K] [Y], s'il avait été embauché à un emploi que l'employeur avait appelé chef de centrale, avait en réalité les attributions d'un conducteur de centrale. Il n'occupait pas ainsi l'emploi repère de chef de centrale défini à l'accord du 10 juillet 2008. Il ne peut donc, dès lors qu'il est justifié qu'un seul salarié occupe réellement les fonctions de chef de centrale, prétendre à un reclassement correspondant au niveau V.
Il ne peut davantage conclure à la nullité du contrat de travail signé le 25 août 2010 dans la mesure où il s'agit d'un avenant régularisant sa nouvelle classification en application de l'accord du 10 juillet 2008.
Il convient donc d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter M. [K] [Y] de l'intégralité de ses prétentions.
3° ) Sur l'intervention du syndicat CFDT :
Dans la mesure où le salarié a été débouté de ses prétentions, il convient de rejeter l'intervention du syndicat CFDT.
4° ) Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile:
M. [K] [Y] ayant succombé, il devra supporter les entiers dépens de première instance et d'appel sans pouvoir prétendre lui-même à l'indemnisation de ses frais irrépétibles.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Vu l'ordonnance de disjonction en date de ce jour ;
INFIRME le jugement rendu le 29 décembre 2014 par le conseil de prud'hommes de Dole en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
DÉBOUTE M. [K] [Y] de l'intégralité de ses prétentions ;
DÉCLARE recevable mais mal fondée l'intervention du syndicat CFDT ;
DIT n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [K] [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition au greffe le six février deux mille dix huit et signé par Mme Christine K- DORSCH, Présidente de Chambre, et Mme Karine MAUCHAIN, Greffier.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT DE CHAMBRE,