ARRET N° 20/
CKD/CM
COUR D'APPEL DE BESANCON
- 172 501 116 00013 -
ARRET DU 24 JANVIER 2020
CHAMBRE SOCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 20 Décembre 2019
N° de rôle : N° RG 19/00755 - N° Portalis DBVG-V-B7D-EC6G
S/appel d'une décision
du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BELFORT
en date du 19 mars 2019
code affaire : 80A
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
APPELANT
Monsieur [L] [J], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Brice MICHEL, avocat au barreau de BELFORT
INTIMEE
SAS COLAS NORD-EST La SAS COLAS NORD-EST dispose d'un Etablissement situé [Adresse 6], dont le siège social est sis [Adresse 1]
représenté par Me Florence PICAUD, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant et Me François PARRAIN, avocat au Barreau de LILLE, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile l'affaire a été débattue le 20 Décembre 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Christine K-DORSCH, Président de Chambre, entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Christine K-DORSCH, Président de Chambre
Monsieur Patrice BOURQUIN, Conseiller
Monsieur Laurent MARCEL, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme Cécile MARTIN, Greffier lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 24 Janvier 2020 par mise à disposition au greffe.
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FAITS ET PROCEDURE
M. [L] [J] a été embauché par la SAS Colas Nord-Est le 6 avril 1992 en qualité de conducteur de compacteur. À partir de 2011, il a été affecté, à sa demande, à un poste d'ouvrier, manoeuvre TP.
Il a été placé en arrêt de travail du 4 novembre 2016 au 31 juillet 2017 suite à une sciatique par hernie discale dont il a été opéré.
Lors de la visite de reprise le 1er août 2017 le médecin du travail l'a déclaré inapte au poste de manoeuvre TP. Trois propositions de reclassement, approuvées par les délégués du personnel, ont été faites au salarié le 19 octobre 2017. Celui-ci les a refusées.
M. [L] [J] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 14 décembre 2017.
Contestant son licenciement et plus particulièrement le respect de l'obligation de reclassement, il a saisi le conseil de prud'hommes de Belfort le 24 avril 2018 afin d'obtenir une indemnité de 33'150,06 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que l'indemnité de préavis, les congés payés afférents, et une indemnité au titre des frais irrépétibles.
Par jugement du 19 mars 2019, le conseil de prud'hommes, jugeant que l'employeur a respecté son obligation de reclassement, l'a débouté de l'intégralité de ses demandes, n'a pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile, et l'a condamné aux entiers dépens.
Le conseil des prud'hommes a jugé que les postes proposés au salarié étaient conformes aux préconisations du médecin du travail, validés par les représentants du personnel, et comparables à l'emploi qu'il occupait, de sorte qu'il ne peut lui être reproché le non-respect de l'obligation de reclassement.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 11 avril 2019 M. [L] [J] a interjeté appel de la décision
Selon conclusions visées le 27 mai 2019 M. [L] [J] demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, de dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de condamner la société Colas Nord-Est à lui payer les sommes suivantes :
- 33'150,06 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L. 1235-3 du code du travail,
- 3683,34 € au titre du préavis
- 368,33 € au titre des congés payés sur préavis,
- 3000 € au titre de frais irrépétibles en application de l'articles 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées le 26 juillet 2019 la SAS Colas Nord-Est demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner l'appelant à lui payer 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 novembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
1- Sur la demande formée au titre de la discrimination
Attendu que M. [L] [J] a été licencié le 14 décembre 2017 pour inaptitude et impossibilité de reclassement;
Qu'il fait valoir que l'employeur a manqué à son obligation de reclassement, en ne proposant pas un poste de conducteur d'engins, poste qu'il occupait précédemment, qui avait été proposé par le médecin du travail, et qui était disponible ;
Attendu que selon l'article L 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce :
'Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l'application du présent article, le groupe est défini conformément au I de l'article L. 2331-1.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.'
Attendu que l'avis du médecin du travail en date du 1er août 2017 est le suivant :
' Inaptitude définitive au poste de manoeuvre TP : ne peut pas porter de charges lourdes, ni travailler de façon prolongée ou répétée le buste penché en avant ou en torsion.
Serait apte à la conduite d'engins. Peut travailler ponctuellement au sol .';
Attendu par mail du 30 août 2017 l'employeur interrogeait le médecin du travail plus précisément sur le poste de conducteur d'engins en écrivant notamment :
' Vous déclarez également qu'il 'serait apte à la conduite d'engins. Peut travailler ponctuellement au sol'. Or nous portons à votre connaissance le dossier de maladie professionnelle que M. [J] a déposé et qui nous est parvenu le 11 août 2017 soit postérieurement à la visite de reprise du 01 août 2017. Ce dossier de demande de reconnaissance de maladie professionnelle indique : ' suite hernie discale opérée ; hernie discale L5-S1".
Cette pathologie est inscrite au tableau 97 du régime général et la lecture de ce tableau fait apparaître que cette maladie pourrait trouver son origine dans l'exposition aux vibrations et moyennes fréquences transmises au corps entier par l'utilisation ou la conduite des engins et véhicules tout-terrain : chargeuse, pelleteuse, niveleuse, rouleau vibrant, camion tombereau, decapeuse, chariots élévateurs, chargeuses sur pneus ou sur chenilles, bouteur, tracteur agricole ou forestier, chariot automoteur à conducteur porté, engins et matériels industriels, tracteur routier...
Sans préjuger de l'issue de la reconnaissance du caractère professionnel de cette pathologie, nous nous interrogeons sur la capacité physique de M. [J] à pouvoir tenir un poste de conducteur d'engins dans ces conditions sans aggraver son état de santé actuel ' Pouvez-vous nous donner votre avis sur ces nouvelles données à prendre en considération. '
Attendu que le médecin du travail répondait le 4 septembre 2017 de la manière suivante:
' Vous vous interrogez sur la légitimité d'un poste de reclassement comme conducteur d'engins chez un salarié qui cherche à faire reconnaître sa pathologie 'hernie discale' comme étant d'origine professionnelle (vibrations transmises au corps entier par la conduite d'engins) lorsqu'il était auparavant conducteur d'engin. Les fortes secousses et vibrations sont effectivement contre indiquées de son état.
Les niveaux d'exposition aux vibrations varient selon les types d'engins et les conditions d'utilisation.
Aussi je me tiens à votre disposition pour effectuer des mesures de vibrations sur l'engin sur lequel vous envisagez de le reclasser afin de confirmer l'adéquation de ce poste avec son état de santé ( ...)
Dans l'attente vous pouvez mener votre réflexion sur la base de votre évaluation des risques ainsi qu'avec l'aide de l' ED n°6018 (...) et du logiciel OSEV (logiciel permettant d'estimer pour un conducteur d'engins le niveau d'exposition aux vibrations durant une journée sans réaliser des mesures (...). Vous trouverez par ailleurs en pièces jointes un guide sur la réduction des vibrations au poste de conducteur d'engins (avec une fiche par catégorie d'engins)...'
Que dans son courrier du 21 septembre 2017 en réponse à une interrogation de l'employeur sur les postes de travail éventuellement aménagés compatibles avec l'état de santé du salarié, le médecin du travail énumérait ' conduite d'engins de chantier après évaluation du niveau de vibrations de l'engin, magasinier, homme de cour, agent de bascule, poste administratif. Il est également apte à suivre une formation ';
Attendu qu'il apparaît que le médecin du travail, dès son avis d'inaptitude du 1er août 2017 a mentionné le poste de conducteur d'engins comme une possibilité de reclassement;
Que suite à une interrogation précisément sur ce poste il écrivait le 4 septembre 2017 certes que les fortes secousses et vibrations sont effectivement contre indiquées, mais qu'il soulignait que les niveaux d'exposition et de vibrations varient selon le type d'engins, se proposait de faire des mesures de vibrations, invitant par ailleurs l'employeur sur ce sujet précis à consulter des documents, un logiciel, ou encore un guide de réduction des vibrations ;
Qu'enfin dans son énumération du 21 septembre 2017 des postes envisageables, le médecin du travail cite en premier, la conduite d'engins après évaluation du niveau de vibrations;
Attendu que l'employeur ne conteste pas qu'un poste de conducteur d'engins était disponible;
Attendu qu'il est rappelé que de 1992 à 2011 le salarié a occupé un poste de conducteur d'engins;
Que contrairement aux affirmations de l'employeur, la demande du salarié de ne plus occuper ce poste en 2011 ne saurait en aucun cas le priver d'une possibilité de reclassement sur un tel poste six ans plus tard, dans le cadre d'une recherche de reclassement suite à une inaptitude ;
Attendu en outre qu'il apparaît que le salarié n'a eu de cesse, avant le licenciement, de réclamer un reclassement sur un tel poste ;
Que par courrier du 3 novembre 2017 il rappelait être apte à la conduite d'engins, et avoir été embauché en tant que tel, relevant qu'un intérimaire rempli depuis de nombreux mois cette fonction dans un poste à proximité de son domicile qu'il souhaite occuper ;
Qu'à nouveau le 15 novembre 2017 il écrivait à son employeur être dans l'attente d'un rendez-vous pour reprendre son travail ;
Attendu enfin que l'employeur ne justifie d'aucune évaluation du poste de conducteur d'engins avec le médecin du travail, comme celui-ci le lui proposait ;
Attendu dans de telles conditions qu'en proposant au salarié un poste de technicien d'enrobage à [Localité 4], un poste de géomètre à [Localité 5], et enfin un poste de technicien de laboratoire à [Localité 3], alors qu'un poste de conducteur d'engin était disponible à proximité, que le salarié qui disposait d'une ancienneté 19 ans dans cette fonction maîtrisait ce poste et le réclamait, et qu'il était le premier poste cité par le médecin du travail sous réserve d'évaluation des vibrations ; l'employeur n'a pas loyalement rempli son obligation de reclassement ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que l'employeur n'ayant pas rempli loyalement l' obligation légale de reclassement qui est à sa charge, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et le jugement déféré doit être infirmé sur ce point;
2 - Sur les conséquences financières
Attendu qu'à la date du licenciement, M. [L] [J] bénéficiait d'une ancienneté de 25 ans et 8 mois, qu'il était âgé de 45 ans, et percevait un salaire moyen de 1.841,67 € brut, mais qu'en revanche il n'apporte aucune précision sur sa situation postérieurement au licenciement ;
Attendu que compte-tenu de ces éléments le montant de l'indemnisation sera fixé, en application de l'article L 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce, à la somme de 33.000 €;
Attendu que dès lors que l'employeur n'a pas respecté l'obligation de reclassement, le salarié a droit au paiement de l'indemnité de préavis et il sera alloué à ce titre la somme de 3.683,34 € brut, contestée dans son principe mais non dans son montant, outre 368,34 € brut au titre des congés payés afférents ;
3- Sur les demandes annexes
Attendu que la SAS Colas Nord-Est succombe en toutes ses prétentions de sorte qu'elle doit être condamnée au paiement des dépens de première instance et d'appel ;
Attendu que l'équité commande de la condamner à payer à Monsieur [L] [J] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et de la débouter de sa propre demande sur ce même fondement;
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement rendu par le conseil des prud'homme de Belfort le 19 mars 2019 en toutes ses dispositions;
Statuant à nouveau, et y ajoutant ;
DIT que le licenciement de Monsieur [L] [J] est sans cause réelle et sérieuse;
CONDAMNE la SAS Colas Nord-Est à payer à Monsieur [L] [J] les sommes suivantes :
- 33.000 € brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3.683,34 € brut au titre de l'indemnité de préavis,
- 368,34 € brut au titre des congés payés afférents,
- 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE la SAS Colas Nord-Est de sa demande de frais irrépétibles,
CONDAMNE la SAS Colas Nord-Est aux dépens des procédures de première instance et d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt quatre janvier deux mille vingt, signé par Mme Christine DORSCH, Président de chambre et Mme Cécile MARTIN, greffier.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT DE CHAMBRE,