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21/02/2023 | FRANCE | N°21/01838

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 21 février 2023, 21/01838


ARRÊT N°

BUL/SMG



COUR D'APPEL DE BESANÇON



ARRÊT DU 21 FEVRIER 2023



CHAMBRE SOCIALE







Audience publique

du 13 décembre 2022

N° de rôle : N° RG 21/01838 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EN2X



S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de DOLE

en date du 14 septembre 2021

Code affaire : 80T

Demande en paiement de créances salariales en l'absence de rupture du contrat de travail





APPELANTS


>Monsieur [D] [H], demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Xavier VALLA, avocat au barreau de BESANCON, présent





S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux...

ARRÊT N°

BUL/SMG

COUR D'APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 21 FEVRIER 2023

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 13 décembre 2022

N° de rôle : N° RG 21/01838 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EN2X

S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de DOLE

en date du 14 septembre 2021

Code affaire : 80T

Demande en paiement de créances salariales en l'absence de rupture du contrat de travail

APPELANTS

Monsieur [D] [H], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Xavier VALLA, avocat au barreau de BESANCON, présent

S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Laurent LIGIER, avocat au barreau de LYON et par Me Yann BOISADAM, avocat au barreau de LYON, absents

appelant à titre incident

INTIMES

S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE sise [Adresse 1]

représentée par Me Laurent LIGIER, avocat au barreau de LYON et par Me Yann BOISADAM, avocat au barreau de LYON, absents

Monsieur [D] [H], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Xavier VALLA, avocat au barreau de BESANCON, présent

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 13 Décembre 2022 :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats

en présence de Mme Margot LUCAS, Greffière stagiaire

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 21 Février 2023 par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS ET PROCEDURE

M. [D] [H] a été engagé par la société Distribution Casino France suivant contrat de travail a durée indéterminée du 13 avril 1987 et a exercé en dernier lieu les fonctions de dirigeant d`Hypermarché Géant Casino à [Localité 3], statut cadre, niveau 9, selon avenant du 29 décembre 2017 avec effet au 1er janvier 2018.

Le 30 juin 2019, le contrat de travail a été transféré à la société Doldis E. Leclerc.

Par requête du 23 septembre 2019, M. [D] [H] a saisi le conseil de prud`hommes de Dole aux fins d`obtenir au principal le paiement d'heures supplémentaires et congés payés afférents effectuées de juin 2016 à juin 2019 et la contrepartie en temps de repos et congés payés afférents.

Suite à un procès-verbal de partage de voix, ce conseil, sur départage et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, a par jugement du 14 septembre 2021 :

- déclaré recevables les demandes de M. [D] [H]

- condamné la SAS Distribution Casino France à verser a M. [D] [H] les sommes suivantes :

* 70 609,41 euros au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents sur la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2019

* 45 536,65 euros au titre de l`indemnité de contrepartie en temps de repos sur la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2019

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- rejeté la demande d'indemnité de procédure de la SAS Distribution Casino France

- condamné la SAS Distribution Casino France aux dépens

Par déclarations respectives des 8 octobre et 18 octobre 2021, M. [D] [H] et la société Distribution Casino France ont relevé appel de cette décision.

Suivant ordonnance du 19 mai 2022, les deux instances ont fait l'objet d'une jonction.

Aux termes de ses écritures du 13 décembre 2021, M. [D] [H] demande à la cour de:

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* jugé recevables ses demandes et déclaré qu'il n'avait jamais eu la qualité de cadre dirigeant

* condamné la SAS Distribution Casino France à lui verser des heures supplémentaires, congés payés afférents, une indemnité de contrepartie en repos obligatoire et une indemnité de procédure

- infirmer le jugement déféré quant aux montants alloués à ces titres

- dire que la convention de forfait annuel en jour dont fait mention sa fiche de paie est sans effet en l'absence de signature d'une convention de forfait individuel entre les parties

- dire qu'il est donc soumis au régime de la durée légale du travail

- condamner la SAS Casino Distribution France à lui payer les sommes suivantes :

* 195 835,83 € brut au titre des heures supplémentaires effectuées sur la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2019, incluant les congés payés afférents

* 106 049,06 € brut au titres des contreparties obligatoires en repos dues sur les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel, incluant les congés payés afférents

* 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- dire qu'en application de l'article 1231-6 du code civil, les sommes dues porteront intérêts à compter du 23 septembre 2019, avec capitalisation de plein droit en vertu de l'article 1154 du même code

- condamner la SAS Casino Distribution France aux entiers dépens

Suivant conclusions du 13 janvier 2022, la société Distribution Casino France demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de M. [D] [H] et condamné la société Distribution Casino France au paiement de certaines sommes et aux dépens

- déclarer irrecevables les demandes de M. [D] [H] portant sur la période antérieure au 23 septembre 2016, en application de l'article L. 3245-1 du code du travail

- débouter M. [D] [H] de l'ensemble de ses demandes

- le condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 € en sus des dépens

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la recevabilité des demandes

La société Distribution Casino France fait grief au jugement querellé d'avoir déclaré recevables les demandes de M. [D] [H] portant sur la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2019 et considère qu'elles sont irrecevables comme étant prescrites pour la période antérieure au 23 septembre 2016 dès lors que son contradicteur a engagé son action en paiement devant la juridiction prud'homale le 23 septembre 2019.

En vertu de l'article L.3245-1 du code du travail, 'l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat'.

C'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il convenait de déclarer recevables les demandes portant sur la période de trois ans précédant le transfert du contrat de travail du salarié intervenu le 30 juin 2019 au profit de la société Doldis E. Leclerc, dans la mesure où le transfert d'un contrat n'est pas constitutif d'une rupture, puisqu'au contraire il se poursuit quand bien même cela serait au sein d'une autre entité.

Il appartenait donc au salarié d'agir dans les trois ans de la date à laquelle il a connu ou aurait dû connaître les faits. S'agissant en l'espèce d'une demande d'heures supplémentaires non rémunérées, M. [D] [H], dont il apparaît qu'il percevait son salaire le 11 du mois suivant, est recevable en ses demandes portant sur la période du 1er septembre 2016 au 30 juin 2019.

Infirmant le jugement déféré sur ce point, M. [D] [H] sera déclaré irrecevable en sa demande portant sur la période du 1er juillet au 31 août 2016.

II- Sur l'existence d'un statut de cadre dirigeant

La société Distribution Casino France fait valoir que les fonctions réellement exercées par M. [D] [H] lui conféraient le statut de cadre dirigeant et que, dans le périmètre de son établissement, il satisfaisait à tous les critères légaux et jurisprudentiels de ce statut.

Elle fait grief aux premiers juges d'avoir à tort apprécié ces critères sur le périmètre de l'entreprise et rappelle que l'intéressé était cadre de niveau 9, et occupait donc, selon la convention collective applicable, "des fonctions de responsabilités majeures, caractérisées par la participation à la définition de la politique de l'entreprise".

Pour voir prospérer sa demande au titre des heures supplémentaires et contreparties obligatoires en repos, M. [D] [H] prétend que dès lors qu'il relevait d'un forfait en jours, incompatible avec ce statut, qu'il ne bénéficiait pas d'une large autonomie de décision notamment pour les recrutements, promotions, licenciements, gestion budgétaire et politique commerciale pour lesquels était instauré un processus de validation par sa hiérarchie, ni ne prenait part à la direction de l'entreprise, il ne relevait pas du statut de cadre dirigeant.

Aux termes de l'article L.3111-2 du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III relatives à la durée et l'aménagement du travail et aux repos et jours fériés.

Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Il est admis que si les trois critères ainsi fixés impliquent que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants les cadres participant à la direction de l'entreprise, il n'en résulte pas que la participation à la direction de l'entreprise constitue un critère autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux (Soc 19 juin 2019, n°17-28.544, Soc 9 février 2022 n°20-18.720).

Il convient donc d'examiner, au cas d'espèce, si les fonctions réellement occupées par M. [D] [H] répondent aux trois critères cumulatifs du statut de cadre dirigeant.

En premier lieu, il n'est pas contestable, ni d'ailleurs contesté, que le critère tenant au niveau de rémunération soit satisfait puisque M. [D] [H] perçoit un salaire de niveau 9, lequel selon la convention collective applicable (commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juin 2001) et l'article 2 de l'avenant n°67 du 31 mai 2018 relatif aux salaires minima conventionnels correspond au niveau le plus élevé des rémunérations.

A ce propos, le salarié tente de soutenir qu'étant l'objet d'une convention forfait en jours, incompatible avec le statut de cadre dirigeant, il ne saurait relever d'un tel statut.

Il est exact qu'un salarié bénéficiant d'une convention de forfait en jours ne peut être un cadre dirigeant (Soc 7 septembre 2017 n°15-24.725).

Toutefois, s'il ressort de l'examen des bulletins de salaire communiqués que des mentions ambiguës y apparaissent ('forfait jour, taux jour mois, jours rémunérés, jours travaillés'), comportant des détails chiffrés incompréhensibles, ces mentions, qui ne sauraient être créatrices de droit et relèvent à l'évidence d'une erreur sans traduction concrète sur la relation de travail (Soc 28 septembre 2022 n°21-15.099) comme le soutient l'employeur, sont d'ailleurs contredites par l'article 3 de l'avenant du 29 décembre 2017 qui stipule : 'Vous serez considéré comme cadre dirigeant pour l'application de la législation sur la durée du travail, de telle sorte que vous ne serez soumis à aucun horaire déterminé et votre rémunération mentionnée au paragraphe ci-dessous constitue un montant forfaitaire sans référence horaire indépendant du temps effectivement consacré pour la bonne réalisation de la mission'.

Enfin, M. [D] [H] admet lui-même qu'il n'a jamais signé une telle convention de forfait en jours avec son employeur, ce qui conduit la cour à relever la dichotomie de son raisonnement consistant à se prévaloir à ce stade d'une telle convention en réalité inexistante puis de soutenir qu'elle est inopérante dans un second temps pour prétendre aux dispositions relatives à la durée légale de travail.

En deuxième lieu, il n'est pas mis en doute par le salarié que l'importance de ses responsabilités lui octroyait une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps, ce que souligne au demeurant expressément l'article 3 de son avenant du 29 décembre 2017.

En dernier lieu, la cour relève que M. [D] [H] bénéficie, selon son contrat de travail et ses bulletins de paie, de la classification de cadre niveau 9 correspondant selon l'article 10 de la convention collective précitée à des 'fonctions de responsabilités majeures, caractérisées par la participation à la définition de la politique de l'entreprise", alors que le niveau 8 correspond à des fonctions "exigeant la responsabilité du choix des moyens et de la réalisation d'objectifs'.

Il est expressément mentionné dans l'avenant du 29 décembre 2017 que le salarié est affecté en qualité de directeur d'hypermarché de [Localité 3] en position de cadre niveau 9 et qu'eu égard aux responsabilités qui lui sont confiées, dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps, et au fait qu'il sera amené à prendre des décisions de façon autonome, il est 'considéré comme cadre dirigeant'.

Si le juge doit s'attacher à examiner la nature des fonctions réellement exercées par le salarié et ne pas se limiter aux informations figurant aux écrits, qui peuvent le cas échéant s'avérer divergentes, il ressort néanmoins des éléments du débat que M. [D] [H] était habilité à prendre dans le cadre de son établissement des décisions de façon largement autonome.

En effet, l'intéressé bénéficiait depuis le 31 janvier 2015 d'une délégation de pouvoirs de la part du directeur opérationnel de la société Distribution Casino France, portant sur ;

- les embauches, titularisations, promotions, mutations, gratifications, sanctions, licenciement et le cas échéant négociations et transactions

- les conclusions de contrats nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions, à conditions qu'ils rentrent dans le cadre du budget et des procédures budgétaires en vigueur

- la représentation de la société auprès des instances représentatives du personnel et la présidence de ces instances, l'organisation des élections et la signature des protocoles d'accords électoraux

- la représentation de la société vis à vis des tiers

- la signature de toutes correspondances inhérentes à sa fonction

Aux termes de ce document, il lui était délégué la responsabilité de veiller à l'application et au respect de l'ensemble des dispositions légales et réglementaires existantes et subséquentes ainsi que de toute nouvelle législation ou réglementation.

Il résulte par ailleurs du procès-verbal d'audition par la juridiction prd'homale (pièce 42) de M. [X] [B], alors directeur d'exploitation de la région Est et supérieur hiérarchique direct de M. [D] [H], que ce dernier présidait le comité social et économique (CSE), institution représentative du personnel, de son hypermarché et en élaborait l'ordre du jour.

Le témoin ajoute que M. [D] [H] pouvait seul licencier un salarié et le muter dès lors qu'il disposait d'une 'pleine autonomie à l'intérieur du magasin' et pouvait en outre promouvoir seul certains salariés à l'exception de quelques postes qui requéraient validation.

M. [D] [H] précise, dans le cadre de cette audition de témoin, qu'il 'était libre pour manager ses équipes en interne'.

S'agissant des recrutements, le témoin explique qu'un process était mis en place dans le groupe dans le cadre d'un budget alloué, de sorte que M. [D] [H] proposait un candidat au recrutement pour validation de la direction régionale, dans la limite de ce budget.

M. [X] [B] explique en outre que le directeur d'hypermarché est responsable de la mise en oeuvre dans son magasin de la stratégie nationale et de la politique commerciale définie au niveau du groupe et qu'il devait, en ce qui le concerne, s'assurer de la mise en oeuvre correcte de cette politique au sein des magasins de son ressort.

Enfin, pour la gestion budgétaire, M. [X] [B] indique qu'un budget était alloué sur chaque ligne de fonctionnement à chaque magasin et qu'il lui incombait de valider les commandes passées par M. [D] [H] selon un process défini au niveau du groupe.

Aux termes de sa fiche de description de fonctions, M. [D] [H] avait notamment pour mission d'accompagner la politique commerciale de la branche en coordonnant les actions sur le terrain et en garantissant leur mise en oeuvre tout en étant force de proposition, d'organiser et d'optimiser le fonctionnement de son magasin, d'en maximiser les performances économiques à travers un projet de site défini et au travers de politiques commerciales ciblées, d'animer et fédérer l'ensemble de ses équipes, de former, évaluer et faire évoluer son personnel.

Les premiers juges ont retenu en l'espèce que M. [D] [H] ne disposait pas d'une large autonomie dans la prise de décisions, au motif que la plupart de celles-ci étaient soumises à la validation de son supérieur hiérarchique direct, ni d'une participation à la direction de l''entreprise'.

Tout d'abord, ce dernier argument est inopérant dès lors qu'en l'occurrence le périmètre d'appréciation de la prise de décisions en large autonomie est celui de l'établissement au sens de l'article L.3111-2 précité, et plus précisément de l'hypermarché auquel le salarié était affecté à la direction.

Pour autant, il résulte de l'échange électronique entre M. [D] [H] et son N+1 courant mai 2019 (pièce n°4) qu'il était habituellement convié aux réunions de directeurs au niveau du groupe Casino destinées notamment à définir la politique et la stratégie commerciale de l'entreprise, et que ce n'est qu'en raison de son transfert imminent au groupe Leclerc (30 juin 2019) qu'il a été dispensé de se rendre à cette réunion.

En outre, il doit être rappelé que la qualité de cadre dirigeant n'est bien évidemment pas exclusive du lien de subordination qui caractérise le contrat de travail qui le lie à son employeur, dès lors qu'en tant que salarié un directeur d'hypermarché est logiquement soumis à l'autorité de celui-ci, auquel il rend compte de son activité. La notion de large autonomie dans la prise de décisions ne doit par conséquent pas se confondre avec celle d'autonomie totale.

Si M. [D] [H] fait valoir que nombreuses de ses décisions exigeaient une validation de sa hiérarchie pour soutenir qu'il ne disposait pas d'une large autonomie dans la prise de décisions, c'est à l'aune des précisions susvisées que doivent être appréhendés ces process internes au groupe Casino.

En effet il est admis que l'assignation d'objectifs budgétaires dans le cadre d'orientations commerciales définies par la direction d'un groupe (Soc 23 novembre 2010 n° 09-41.552) ou l'observation de procédures ou process inhérents à la bonne gestion de l'organisation des services (Soc 19 janvier 2012 n°10-21.969) ne sont pas exclusives de la qualité de cadre dirigeant.

Au cas particulier, si le salarié fait observer que les recrutements nécessitaient la validation de son supérieur, il admet cependant avoir signé (pièce 42) sans validation certains contrats à durée indéterminée, ce qui induit que les contrats d'embauche étaient signés par ses soins et qu'en réalité la validation s'inscrivait dans un process de vérification au regard du budget 'recrutement' alloué au magasin et non pas au regard de l'opportunité du recrutement ni du choix du candidat ni du recours à un personnel intérimaire. Dans ces conditions, ce process, qui n'est pas une simple procédure d'accompagnement comme tente de le soutenir l'employeur, ne constituait cependant pas une limitation de l'autonomie du directeur d'hypermarché, à telle enseigne du reste qu'il n'allègue pas qu'un recrutement ait pu lui être refusé.

Pareillement, si M. [D] [H] produit plusieurs exemples de consignes transmises par sa hiérarchie pour étayer sa position tendant à exclure toute autonomie dans la prise de décisions en terme de politique commerciale, il n'est cependant pas illogique qu'il ait été destinataire des informations portant sur le déploiement d'opérations menées sur l'ensemble du groupe (soldes, ventes privées, implantation d'un kiosque à sushis, baisse ponctuelle du prix des carburants, opérations promotionnelles ciblées).

S'agissant des frais généraux et interventions de maintenance, si M. [D] [H] prétend que leurs engagements exigeaient une validation, il apparaît en réalité qu'un service de frais généraux a été mis en place au niveau national par le groupe Casino afin de centraliser les achats de ses établissements en vue de réduire les coûts et qu'un service de maintenance centralisait la maintenance et le renouvellement des matériels des magasins afin d'assurer la sécurité, la qualité et le suivi après vente des matériels.

Dans ces conditions, s'il est avéré que les directeurs d'hypermarchés étaient incités à recourir à ce mode d'engagements afin de bénéficier de l'économie d'échelle qui en résultait, il ne s'agit pas en réalité d'un process de validation. Si l'envoi de 'commandes' était parfois mis en attente d'un regroupement, M. [D] [H] ne prétend pas s'être vu opposer des refus à ses demandes à cet égard.

Enfin si la stratégie et la politique commerciales étaient logiquement définies au niveau du groupe, et qu'il entrait dans les attributions de M. [D] [H] d'accompagner cette politique commerciale en coordonnant les actions sur le terrain et en garantissant leur mise en oeuvre il était également force de proposition, comme le précise sa fiche de description de fonctions.

Il en résulte que M. [D] [H] prenait des décisions de manière autonome et participait pleinement à la direction de son établissement sans que les quelques échanges électroniques produits entre lui et sa hiérarchie ne constituent l'expression d'une autorisation préalable systématique donnée par M. [X] [B] à l'ensemble de ses décisions.

Ainsi M. [D] [H] avait bien la qualité de cadre dirigeant et ne peut donc se prévaloir des dispositions relatives aux heures supplémentaires et temps de repos obligatoires.

C'est donc à tort que les premiers juges ont écarté le statut de cadre dirigeant de M. [D] [H]. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef et l'intéressé débouté de ses prétentions à ces deux titres.

III- Sur les demandes accessoires

Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Chaque partie conservera la charge de ses propres frais irrépétibles.

M. [D] [H] qui succombe en ses prétentions, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité de procédure formée par la SAS Distribution Casino France.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare M. [D] [H] irrecevable en ses demandes portant sur la période du 1er juillet au 31 août 2016.

Le déboute, pour le surplus, de ses entières demandes.

Déboute la SAS Distribution Casino France et M. [D] [H] de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Condamne M. [D] [H] aux dépens de première instance et d'appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt et un février deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01838
Date de la décision : 21/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-21;21.01838 ?
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