AFFAIRE : N RG 05 / 02012
Code Aff. :
ARRET N
J B.J B.
ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 21 Février 2005-
RG no 03 / 1652
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIERE CHAMBRE-SECTION CIVILE
ARRET DU 04 SEPTEMBRE 2007
APPELANTE :
L'ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER DE NORMANDIE (E.P.F.)
27, rue du 74ème Régiment d'Infanterie-Immeuble Hastings-76178 ROUEN
pris en la personne de son représentant légal
représenté par la SCP GRANDSARD DELCOURT, avoués
assisté de Me BARON, avocat au barreau D'EVREUX
INTIMES :
Monsieur Patrick Y..., en son nom personnel et es qualité d'héritier de Marie-Henriette Y..., décédée
... 14530 LUC SUR MER
Monsieur Guirec Y..., en son nom personnel et es qualité d'héritier de Marie-Henriette Y..., décédée
... 14530 LUC SUR MER
Madame Bénédicte Y... épouse Z..., en son nom personnel et ès-qualité d'héritière de Marie-Henriette Y..., décédée
... 14530 LUC SUR MER
Monsieur Eric Y..., en son nom personnel et es qualité d'héritier de Marie-Henriette Y..., décédée
...
Madame Myriam Y..., en son nom personnel et es qualité d'héritière de Marie-Henriette Y..., décédée
...
représentés par la SCP TERRADE DARTOIS, avoués à la Cour
assistés de Me SALMON, avocat au barreau de CAEN
La COMMUNE de LANGRUNE SUR MER, représentée par son Maire en exercice
Mairie 14830 LANGRUNE SUR MER
représentée par la SCP MOSQUET MIALON D'OLIVEIRA LECONTE, avoués
assistée de Me LE GALL, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur SALMON, Président,
Mme BEUVE, Conseiller, rédacteur,
M. VOGT, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 24 Mai 2007
GREFFIER : Madame GALAND
ARRET prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2007 et signé par Monsieur SALMON, Président, et Madame GALAND, Greffier
* * *
Par arrêté en date du 25 juin 1987, le préfet du Calvados a déclaré d'utilité publique l'acquisition de terrains nécessaires à la création d'une réserve foncière en vue de l'aménagement d'un terrain de camping sur la commune de LANGRUNE SUR MER.
Par ordonnance du 26 septembre 1988, le juge de l'expropriation du département du Calvados a transféré à l'Etablissement Public de Basse-Seine la propriété d'une parcelle située à LANGRUNE SUR MER, d'une contenance de 2 ha 25 a 15 ca, appartenant à messieurs Gabriel Y..., Philippe Y... et à Madame Marie-Henriette Y....
La parcelle, cadastrée section AC no211, a été vendue, par acte notarié du 13 décembre 1990, pour un prix de 121 204,79 €.
L'arrêté municipal du 19 septembre 1997 autorisant l'aménagement d'un parc résidentiel de loisirs comportant 296 emplacements sur les parcelles expropriées a été annulé par le Tribunal administratif de Caen par décision en date du 7 juillet 1998.
L'Etablissement Public de Basse-Seine a, par acte notarié du 30 mai 2002, cédé à la commune de LANGRUNE SUR MER, les six parcelles de terrain expropriées par l'ordonnance du 26 septembre 1988 pour un prix de 201 603,72 €.
Exposant que l'immeuble vendu n'a pas reçu la destination prévue, messieurs Patrick Y..., Guirec Y..., Eric Y... et mesdames Bénédicte Y..., Myriam Y..., se trouvant aux droits de messieurs Philippe Y... et Gabriel Y..., décédés, et Madame Marie-Henriette Y... ont, par acte du 2 avril 2003, fait assigner l'Etablissement Public de Basse-Seine et la commune de LANGRUNE SUR MER, sur le fondement de l'article L 12-6 du code de l'expropriation, aux fins que soit ordonnée la rétrocession de l'immeuble exproprié et les défendeurs condamnés in solidum au paiement de la somme de 20 000 €.
Ils ont, à titre subsidiaire, au cas où il serait jugé que la rétrocession est impossible, réclamé le paiement d'une indemnité d'un montant de 92 223,83 €.
Vu le jugement rendu le 21 février 2005 par le Tribunal de grande instance de CAEN rejetant la demande de rétrocession et, avant dire droit sur l'évaluation de l'indemnité compensatrice du préjudice résultant de la dépossession irrégulière de l'immeuble, ordonnant une expertise.
Vu les conclusions déposées au greffe pour :
-l'Etablissement Public Foncier de Normandie
précédemment dénommé l'Etablissement Public de Basse-Seine, appelant, le 21 mars 2007.
-la commune de LANGRUNE SUR MER, intimée et
appelante incidente, le 26 septembre 2006.
-messieurs Patrick Y..., Guirec Y..., Eric Y... et mesdames Bénédicte Y..., Myriam Y...-les consorts Y...-, en leur nom personnel et se trouvant aux droits de Madame Marie-Henriette Y..., décédée, le 2 mai 2007.
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 16 mai 2007.
Un rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience.
MOTIFS
Les appelants critiquent les dispositions ayant reconnu le
droit à rétrocession des consorts Y... sur la parcelle expropriée.
Ils font valoir, d'une part, que, dans l'acte de vente du 13
décembre 1990, ils ont expressément renoncé au privilège de rétrocession et,
d'autre part, qu'il a à tort été tenu compte de l'absence d'affectation du bien à la destination de terrain de camping prévue par la déclaration d'utilité publique-DUP-, les terrains expropriés placés sous le régime de la réserve foncière se trouvant hors du champ d'application du droit de rétrocession.
Il est certain qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'impose à l'expropriant d'affecter la réserve foncière à la destination prévue par la DUP dans le délai de cinq ans prévue par l " article L 12-6 du code de l'expropriation.
Les biens expropriés en vue de la constitution d'une réserve foncière ne sont pas pour autant exclus du champ d'application dudit article, les cessions prévues par les articles L 21-1 et suivants du code susvisé ne pouvant être faites qu'en vue de la réalisation d'opérations pour lesquelles la réserve a été constituée.
La DUP du 25 juin 1987 mentionnant la destination devant
être donnée à la réserve foncière à savoir un terrain de camping, une affectation différente, conforme aux dispositions de l'article L 300-1 du code de l'Urbanisme, nécessiterait une nouvelle déclaration d'utilité publique.
Il se déduit de ces éléments que seule une destination donnée à la réserve, non conforme à la DUP et irréversible, peut fonder le droit à rétrocession des consorts Y....
Il est constant qu'en l'espèce, l'arrêté municipal autorisant l'aménagement d'un parc de loisirs a été annulée par une décision définitive.
S'il n'est pas contesté qu'une modification du POS de la commune rend le terrain exproprié constructible et s'il est fait état d'un projet de lotissement, il n'est pas établi qu'à ce jour le terrain ait reçu une affectation irréversible contraire à la DUP.
C'est donc à tort que les premiers juges ont reconnu le droit à rétrocession des consorts Y... qui ne peuvent donc prétendre au paiement de l'indemnité prévue au cas où la rétrocession est impossible, indemnité qu'ils évaluent à la somme de 92 223,83 €.
Ils réclament, en outre, le paiement d'une somme de 20 000 € en réparation du préjudice résultant de la privation de leur propriété.
Les juridictions judiciaires sont compétentes pour statuer sur les préjudices consécutifs à l'atteinte au droit de propriété.
La Cour Européenne des Droits de l'Homme a, dans un arrêt du 2 juillet 2002, considéré que, si le maintien en réserve d'un bien exproprié, même pendant une longue période, ne constitue pas nécessairement un manquement à l'article 1 du Protocole no1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, il en était différemment " si le maintien du bien en réserve pendant une longue période ne repose pas lui-même sur des raisons tenant à l'utilité publique et où, durant cette période, ledit bien engendre une plus-value appréciable ".
Il convient de relever qu'en l'espèce, le bien exproprié se trouve en réserve foncière depuis plus de quinze années, que l'expropriant ne conteste pas que l'affectation prévue à la DUP est impossible depuis la décision de la juridiction administrative rendue en 1998, donc depuis plus de huit années, et qu'aucune autre DUP entrant dans les prévisions de l'article 300-1 du code de l'Urbanisme n'a été requise ni n'est envisagée.
Il en résulte que le maintien du bien en réserve ne repose pas, au moins depuis 1998, sur une raison tenant de l'utilité publique.
Il convient d'ordonner la réouverture des débats en enjoignant aux consorts Y... de s'expliquer sur la nature et l'importance du préjudice résultant de l'atteinte au droit de propriété ainsi caractérisée.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement.
Infirme la décision déférée.
Déboute les consorts Y... de leur demande de rétrocession.
Se déclare compétente pour statuer sur la demande en paiement d'une somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts.
Ordonne la réouverture des débats à l'audience du 20 décembre 2007.
Enjoint aux consorts Y... de s'expliquer sur la nature et l'importance du préjudice résultant de l'atteinte au droit du propriété résultant du maintien de la parcelle expropriée en réserve foncière pour des raisons ne tenant pas à l'utilité publique.
Réserve les dépens
LE GREFFIERLE PRESIDENT
C. GALANDB. SALMON