AFFAIRE : N° RG 22/00013 -
N° Portalis DBVC-V-B7G-G4ZV
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : Décision du Juge de l'exécution de Coutances du 19 Octobre 2021 - RG n° 21/00035
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 29 NOVEMBRE 2022
APPELANTE :
Madame [O] [W]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée et assistée de Me Pauline BEAUFILS, avocat au barreau de COUTANCES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022021008634 du 23/12/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)
INTIMÉE :
La S.A. INTRUM DEBT FINANCE AG
N° SIRET : CHE 10 002 3266
[Adresse 4]
[Adresse 4] (SUISSE)
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Pauline LEREVEREND, avocat au barreau de CAEN
assistée de Me Jean-Pierre DEPASSE, avocat au barreau de RENNES,
DÉBATS : A l'audience publique du 22 septembre 2022, sans opposition du ou des avocats, Mme VELMANS, Conseillère, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme COLLET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
M. GARET, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 29 Novembre 2022 par prorogation du délibéré initialement fixé au 22 Novembre 2022 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Suivant ordonnance d'injonction de payer en date du 12 février 2010, le tribunal d'instance de Rouen a condamné Madame [O] [W] à payer à la société Cofidis, la somme en principal de 975,20 € avec intérêts au taux légal à compter du 21 août 2009, outre les frais et les dépens.
Cette décision a été signifiée suivant PV de recherches infructueuses en date du 15 juin 2010 à Madame [W], puis en l'absence d'opposition dans le délai d'un mois, elle a été revêtue de la formule exécutoire le 13 septembre 2010.
Le 16 décembre 2019, la société Cofidis par l'intermédiaire du président de son directoire, a cédé la créance qu'elle détenait sur Madame [W] à la société Intrum Debt Finance AG.
Suivant acte d'huissier du 18 novembre 2020, cette dernière a signifié à Madame [W] , à personne, la cession de créance, l'ordonnance d'injonction de payer sus-visée et un commandement de payer aux fins de saisie-vente la somme de 1.544,78 €.
Le 4 décembre 2020, elle a procédé à une saisie-attribution, en vertu de ladite ordonnance d'injonction de payer, entre les mains de la Financière des Paiements Electroniques, dénoncée à Madame [W] le 7 décembre 2020.
Suivant acte d'huissier du 6 janvier 2021, Madame [W] a assigné la SA Intrum Dbt Finance AG devant le juge de l'exécution de Coutances afin de voir prononcer la nullité et la mainlevée de la saisie-attribution et obtenir l'allocation de dommages-intérêts ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 19 octobre 2021, le juge de l'exécution a débouté Madame [W] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une somme de 1.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et rejeté le surplus des demandes.
Madame [W] a interjeté appel de la décision le 5 janvier 2022.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 4 avril 2022, soutenant que la saisie-attribution est nulle faute de qualité à agir de la société Intrum Debt Finance AG, de la prescription du titre exécutoire et d'absence de titre exécutoire, elle conclut au visa des articles L.111-2, L.111-3, L.111-4, L.111-10 et L.111-14 du code des procédures civiles d'exécution, des articles 1405 et suivant du code de procédure civile, à la réformation du jugement des chefs dont appel et demande à la cour de :
- dire et juger que la SA Instrum Debt Finance AG prise en la personne de son représentant légal, n'a pas qualité à agir à son égard,
- dire et juger que la SA Instrum Debt Finance AG prise en la personne de son représentant légal, est irrecevable à agir à son égard pour cause de prescription,
- dire et juger que la SA Instrum Debt Finance AG prise en la personne de son représentant légal, ne possède plus de titre exécutoire à son égard,
- prononcer la nullité de la saisie-attribution du 4 décembre 2020, dénoncée le 7 décembre 2020,
- ordonner la mainlevée de la saisie-attribution du 4 décembre 2020, dénoncée le 7 décembre 2020,
- lui restituer la somme de 386,93 € qui a été saisie,
- condamner la SA Instrum Debt Finance AG prise en la personne de son représentant légal, à lui payer la somme de 2.000,00 € à titre de dommages-intérêts,
- condamner la SA Intrum Debt Finance AG prise en la personne de son représentant légal, à payer les entiers dépens de première instance et d'appel,
- condamner la SA Instrum Debt Finance AG prise en la personne de son représentant légal, à payer à Maître Pauline BEAUFILS, une somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 24 mai 2022, la SA Intrum Debt Finance AG, soutenant qu'elle a bien qualité à agir, la cession de créance ayant été régulièrement signifiée à Madame [W], que la fin de non-recevoir tirée de la prescription du titre exécutoire constitue une prétention nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile, que la saisie-attribution a été pratiquée en vertu d'un titre exécutoire régulier et contestant toute faute de sa part, conclut au visa des articles 1321 et suivants du code civil, 564 et 700 du code de procédure civile, L.111-2 du code des procédures civiles d'exécution :
- au rejet de la prétention nouvelle tirée de la prescription du titre exécutoire,
- au rejet des prétentions adverses,
- à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- à la condamnation de Madame [W] au paiement d'une somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 ainsi qu'aux dépens.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 juin 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de la saisie-attribution pour défaut de qualité à agir
Madame [W] soutient en premier lieu que la société Intrum Debt Finance AG ne justifierait pas de sa qualité agir, la cession de créance produite ne comportant pas le nom du cédant et le cas de Madame [W] tel que mentionné ne permettant pas de le rattacher à l'ordonnance d'injonction de payer du 12 février 2010.
Force est néanmoins de constater que si le bordereau de créance ne mentionne pas expressément que le cédant est la société Cofidis, mais qu'il s'agit de Monsieur [U] [T], président du directoire, l'acte de signification de cette cession en date du 18 novembre 2020, indique clairement qu'elle porte sur un acte sous seing privé en date du 16 décembre 2019 par lequel la société Cofidis a cédé à la société Instrum Debt Finance AG ses crédits et prêts clients.
Le bordereau de cession mentionne quant à lui les références de la dette de Madame [W] ainsi que son montant.
Par ailleurs, cet acte porte également signification de l'ordonnance d'injonction de payer rendue par le tribunal d'instance de Rouen le 12 février 2020 qui mentionne bien le nom de Cofidis comme créancier et de Madame [W] comme débiteur.
Ces éléments permettant d'identifier le cédant, le cessionnaire ainsi que le débiteur concerné, alors que l'article 1322 du code civil exige uniquement que la cession soit constatée par écrit sans autre précision, c'est à juste titre que le premier juge a débouté Madame [W] de sa demande de nullité de la saisi-attribution pour défaut de qualité à agir.
Sur la nullité pour prescription du titre exécutoire
En cause d'appel, Madame [W] invoque au visa de l'article L.111-4 du code des procédures d'exécution la prescription du titre exécutoire, ce que l'intimée qualifie de demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
L'article 564 du code de procédure civile dispose :
' A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions née de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou la révélation d'un fait'.
L'article 565 du même code dispose :
' Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges même si leur fondement juridique est différent'.
L'article 566 du même code dispose :
' Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire'.
Ne constituent donc pas des demandes nouvelles, celles qui reposent sur un fondement juridique non développé en première instance mais visant aux mêmes fins, comme c'est le cas en l'espèce, s'agissant seulement d'un moyen nouveau tendant toujours à obtenir la nullité de la saisie-attribution et par voie de conséquence, sa mainlevée.
L'article L.111-4 du code des procédures civiles d'exécution dispose que les titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l'article L.111-3 qui visent notamment des décision de justice lorsqu'elles ont force exécutoire, ne peut être poursuivie que pendant dix ans sauf exceptions.
Le point de départ de ce délai est fixé au jour où le titre est délivré au créancier, ici, le 13 septembre 2010, date de l'apposition de la formule exécutoire sur l'ordonnance d'injonction de payer, celle-ci n'étant pas encore exécutoire lors de la signification du 15 juin 2010.
Le délai pour exécuter cette décision expirait donc le 14 septembre 2020.
Or, l'ordonnance d'injonction de payer revêtue de la formule exécutoire n'a été signifiée à Madame [W] que le 18 novembre 2020, et la saisie-attribution pratiquée le 4 décembre 2020 et dénoncée à l'appelante, le 7 décembre suivant, soit au-delà du délai de dix ans prévu par le texte susvisé.
Il convient donc de constater la prescription du titre exécutoire ayant permis à la société Intrum Debt Finance AG de procéder à la saisie-attribution contestée et par voie de conséquence, la nullité de cette mesure d'exécution forcée, dont la mainlevée sera donc ordonnée avec restitution de la somme saisie, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens développés par Madame [W].
Sur la demande de dommages-intérêts de Madame [W]
Madame [W] sollicite l'allocation d'une somme de 2.000,00 € à titre de dommages-intérêts au motif que la société Intrum Debt Finance AG a pratiqué une saisie-attribution sur son compte bancaire alors qu'elle ne disposait pas d'un titre dont la force exécutoire était définitive et qu'elle ne justifie pas de sa qualité de créancière.
Il est constant qu'au jour de la saisie-attribution, non seulement la société Intrum Debt Finance AG avait justifié de sa qualité de créancière comme il a été dit ci-dessus, mais elle disposait alors d'un titre exécutoire devant à cette date être considéré comme définitif, l'ordonnance d'injonction de payer du 12 février 2010, n'ayant été déclarée caduque que par décision du tribunal d'instance de Rouen du 7 juin 2021.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Madame [W] de sa demande de dommages-intérêts
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'équité commande d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Madame [W] à payer à la SA Intrum Debt Finance AG une indemnité au titre de l'article 700 du code civil et de débouter cette dernière de sa demande à ce titre en cause d'appel.
La SA Intrum Debt Finance AG sera condamnée à payer à Maître Pauline BEAUFILS, une somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique, Madame [W] justifiant bénéficier de l'aide juridictionnelle pour la présente procédure par décision du 23 décembre 2021.
La SA Intrum Debt Finance AG sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, le jugement étant infirmé sur ce point, qui seront recouvrés selon les dispositions de la loi sur l'aide juridique.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Coutances du 19 octobre 2021, sauf en ce qu'il a débouté Madame [O] [W] de sa demande de dommages-intérêts,
LE CONFIRME de ce chef,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
PRONONCE la nullité de la saisie-attribution effectuée le 4 décembre 2020 à la requête de la SA Intrum Debt Finance AG et dénoncée à Madame [W] le 7 décembre 2020,
ORDONNE en conséquence, la mainlevée de la saisie-attribution effectuée le 4 décembre 2020 à la requête de la SA Intrum Debt Finance AG et dénoncée à Madame [W] le 7 décembre 2020, et la restitution à Madame [O] [W] de la somme de 386,93 € qui a été saisie,
DÉBOUTE la SA Intrum Debt Finance AG de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SA Intrum Debt Finance AG à payer à Maître Pauline BEAUFILS, une somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique,
CONDAMNE la SA Intrum Debt Finance AG aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridique.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON