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08/12/2022 | FRANCE | N°20/01163

France | France, Cour d'appel de Caen, 2ème chambre civile, 08 décembre 2022, 20/01163


AFFAIRE : N° RG 20/01163 -

N° Portalis DBVC-V-B7E-GRO4

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : DECISION du Tribunal de Commerce de COUTANCES en date du 06 Juillet 2018

RG n° 2016001057





COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 08 DECEMBRE 2022









APPELANTE :



CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE NORMANDIE

N° SIRET : 384 353 413

[Adresse 1]

[Adresse 1]

prise en la personne de son

représentant légal



représentée et assistée de Me Delphine QUILBE, avocat au barreau de CHERBOURG









INTIMEE :



S.A.R.L. AIRFOPP TELECOM

N° SIRET : 532 133 345

[Adresse 2]

[Adresse 2]

prise en la...

AFFAIRE : N° RG 20/01163 -

N° Portalis DBVC-V-B7E-GRO4

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Commerce de COUTANCES en date du 06 Juillet 2018

RG n° 2016001057

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 08 DECEMBRE 2022

APPELANTE :

CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE NORMANDIE

N° SIRET : 384 353 413

[Adresse 1]

[Adresse 1]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Delphine QUILBE, avocat au barreau de CHERBOURG

INTIMEE :

S.A.R.L. AIRFOPP TELECOM

N° SIRET : 532 133 345

[Adresse 2]

[Adresse 2]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Nathalie MAIXENT, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience publique du 29 septembre 2022, sans opposition du ou des avocats, Madame EMILY, Président de Chambre et Mme COURTADE, Conseillère, ont entendu les plaidoiries et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

Mme VELMANS, Conseillère,

ARRÊT prononcé publiquement le 08 décembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

La société Airfopp Telecom, créée le 22 avril 2011 entre [I] [U], gérant, et ses parents [F] [U] et [Z] [U], exploite une activité commerciale consistant dans le raccordement en fibre optique.

Dans le cadre de sa création, le 20 avril 2011, la société Airfopp Telecom a ouvert un compte courant auprès de l'agence [Localité 4] de la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie (Caisse d'épargne).

Suivant acte sous seing privé en date des 11 et 17 mai 2011, la Caisse d'épargne a consenti à la société Airfopp Telecom, en complément d'un prêt à la création d'entreprise octroyé par le Crédit des équipements des PME, un prêt professionnel n°7955397 d'un montant de 21.000 euros moyennant un taux d'intérêt de 3,95 % l'an, remboursable en 60 mensualités de 393,62 euros chacune, l'assurance étant incluse.

Suivant acte sous seing privé en date des 11 et 17 janvier 2012, la Caisse d'épargne a consenti à la société Airfopp Telecom un prêt professionnel n°8114566 destiné au financement d'un besoin en fonds de roulement d'un montant de 12.000 euros moyennant un taux d'intérêts de 4,45% l'an et remboursable en 60 mensualités de 227,64 euros chacune, l'assurance étant incluse.

Suivant acte du 30 mai 2013, la Caisse d'épargne a consenti à la SCI Airfopp Immo, constituée par les associés de la société Airfopp Telecom, un prêt immobilier d'un montant de 80.000 euros pour financer l'acquisition d'un immeuble commercial situé à [Localité 3], destiné à être loué par la suite à la société Airfopp Telecom.

Par lettre en date du 11 avril 2014, la Caisse d'épargne a demandé à la société Airfopp Telecom de régulariser le solde débiteur de son compte courant qui s'élevai à un montant de 28.362,67 euros.

Suivant acte en date du 6 août 2014, la Caisse d'épargne a consenti à M. [I] [U] un prêt personnel à la consommation de 51.024 euros au taux de 4,50% remboursable en 120 mensualités de 546,66 euros, prêt garanti par une hypothèque de second rang sur l'immeuble de la SCI Airfopp Immo.

Par courriel du 15 août 2014, la société Airfopp Telecom a demandé à la Caisse d'épargne le maintien du découvert autorisé à hauteur de 30.000 euros.

Par courriel en date du 21 novembre 2014, la Caisse d'épargne a confirmé à la société Airfopp Telecom le renouvellement d'un accord de découvert à hauteur de 30.000 euros jusqu'au 20 février 2015, et à hauteur de 20.000 euros jusqu'au 20 novembre 2015.

Par lettre en date du 25 juin 2015 la Caisse d'épargne a demandé à la société Airfopp Telecom la régularisation de son compte courant qui présentait un solde débiteur d'un montant de 35.084 euros, demande réitérée par lettre du 21 juillet 2015, alors que le solde débiteur s'élevait à 41.070 euros.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 7 septembre 2015, la Caisse d'épargne a mis en demeure la société Airfopp Telecom d'avoir à régulariser plusieurs échéances en retard au titre des deux prêts référencés n°7955397 et n°8114566.

A défaut pour la société Airfopp Telecom d'avoir régularisé la situation dans le délai imparti, la Caisse d'épargne a prononcé, par lettre recommandée avec avis de réception du 9 octobre 2015, la déchéance du terme pour ces deux prêts.

Parallèlement, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 10 novembre 2015, la Caisse d'épargne a mis en demeure la société Airfopp Telecom de régulariser avant le 13 décembre 2015, dernier délai, le solde débiteur de son compte courant s'élevant à une somme de 42.001 euros.

Par acte d'huissier en date du 8 mars 2016, la Caisse d'épargne et de prévoyance de Normandie a assigné la société Airfopp Telecom en paiement devant le tribunal de commerce de Coutances.

Par jugement en date du 6 juillet 2018, le tribunal de commerce de Coutances a:

- débouté la société Airfopp Telecom de sa demande au titre du manquement au devoir de mise en garde ;

- condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie à payer à la société Airfopp Telecom une somme de 76.106 euros à titre de dommages et intérêts pour soutien abusif ;

- débouté la société Airfopp Telecom de sa demande au titre du manquement au devoir d'information sur le TEG ;

- condamné la société Airfopp Telecom à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie les sommes suivantes :

* 41.491,17 euros au titre du découvert arrêté au 18 décembre 2015, outre intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2015 jusqu'à parfait paiement,

* 5.748,23 euros au titre du prêt de 21.000 euros du 17 mai 2011, outre les intérêts au taux contractuel majoré de 6,95 % l'an à compter du 18 décembre 2015 jusqu'à parfait paiement,

* 4.928,01 euros au titre du prêt de 12.000 euros du 17 janvier 2012 outre les intérêts au taux contractuel majoré de 7,45 % l'an à compter du 18 décembre 2015 jusqu'à parfait paiement ;

- débouté la société Airfopp Telecom de ses demandes au titre du délai de paiement et de suppression des intérêts ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- débouté la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie au paiement des dépens dont les frais de greffe liquidés à la somme de 77,08 euros ;

- ordonné la compensation entre les créances réciproques.

Par déclaration au greffe en date du 3 juillet 2020, la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie a interjeté appel de ce jugement.

La société Airfopp Telecom a signifié ses conclusions le 1er janvier 2021, les a remis au greffe le 4 janvier 2021 et a formé un appel incident.

Par ordonnance en date du 10 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a :

- déclaré recevable l'appel incident contenu dans les conclusions de la société Airfopp Telecom signifiées le 1er janvier 2021 ;

- condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie à payer à la société Airfopp Telecom une somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions en date du 21 juin 2022, la société Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie demande à la cour de :

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il a

- condamné la Caisse d'épargne à payer à la SARL Airfopp Telecom la somme de 76.106,00 euros pour soutien abusif,

- débouté la Caisse d'épargne de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- condamné la Caisse d'épargne aux dépens ;

Et statuant à nouveau de ses chefs,

- débouter la SARL Airfopp Telecom de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la SARL Airfopp Telecom à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie la somme de 3.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, condamner la SARL Airfopp Telecom aux entiers dépens.

Par dernières conclusions en date du 14 juin 2022, la société Airfopp Telecom demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie à payer à la société Airfopp Telecom avec intérêt au taux légal depuis la date du jugement, la somme de 76.106,00 euros ;

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie à payer en plus à titre de dommages-intérêts à la SARL Airfopp Telecom une somme équivalente aux échéances, intérêts, frais d'interventions, agios et autres prélèvements de toute nature, au titre du découvert bancaire et des prêts de 21.000 euros et 12.000 euros contractés en 2011 et 2012, et tels qu'apparaissant et apparaitront sur les relevés bancaires de la société Airfopp Telecom ouverts dans les livres de la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie, depuis 2011 et jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir, augmentée des sommes de 41.491,17 euros et 6.432,33 euros prélevées et sous déduction des 76.106,00 euros susmentionnés ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie au paiement des dépens ;

- infirmer ledit jugement pour le surplus ;

- débouter la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie de l'ensemble de ses demandes ;

A défaut,

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie à payer à titre de dommages-intérêts à la SARL Airfopp Telecom la somme de 76.106,00 euros, augmentée des intérêts, frais et agios de toute nature prélevés par Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie, et tels qu'apparaissant et apparaitront sur les relevés bancaires de la société Airfopp Telecom ouverts dans les livres de la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie, depuis le 6 juillet 2018 et jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir, augmentée des sommes de 41.491,17 euros et 6.432,33 euros prélevées ;

A défaut,

- accorder à la société Airfopp Telecom un échelonnement du paiement de la créance réellement due en 24 mensualités ainsi que le permettent les dispositions de l'article 1244-1 du code civil ;

- supprimer tous les intérêts de retard, frais et autres indûment prélevés, conformément aux dispositions de l'article 1244-2 du code civil ;

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie à verser à la société Airfopp Telecom la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Normandie au entiers dépens de l'instance, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 juin 2022.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions.

SUR CE, LA COUR

- Sur le soutien abusif

L'appelante soutient que le soutien abusif n'est pas caractérisé faisant valoir :

- qu'en première instance la société Airfopp n'a pas critiqué les financements qui lui ont été accordés selon prêts souscrits en mai 2011 et janvier 2012 et ce n'est qu'en appel qu'elle critique le prêt de 12.000 euros consenti en janvier 2012 pour un besoin en fonds de roulement ;

- que les critiques de la société Airfopp ne visent que le découvert adossé au compte courant et que le fonctionnement de ce compte ne caractérise aucun soutien abusif de crédit, dès lors que :

*ce compte a fonctionné parfois en position débitrice, parfois en position créditrice et que les frais facturés ne sont pas abusifs et sont conformes aux conditions tarifaires,

*que le découvert a été reconduit après examen de la situation financière de la société Airfopp qui n'apparaissait pas compromise,

*qu'aucun lien n'existe entre les financements accordés à la société Airfopp pour le développement de son activité et les difficultés que cette dernière a rencontrées, la société elle-même précisant avoir dû faire face à une période d'inactivité,

*qu'en outre si la société Airfopp prétend se trouver dans une situation irrémédiablement compromise elle ne justifie pas de sa situation actuelle ;

* que la société Airfopp poursuit encore son activité et qu'elle est, 7 ans après l'octroi de ce découvert et des prêts, toujours in bonis, de sorte que ces crédits n'étaient pas inconsidérés, ni ruineux.

Subsidiairement, sur l'appréciation du préjudice au titre du soutien abusif, l'appelante fait valoir :

- qu'aucun préjudice n'est caractérisé, dès lors que la société Airfopp est restée in bonis après les financements litigieux et qu'elle n'établit pas qu'elle aurait pu poursuivre son activité si elle n'avait pas obtenu les prêts accordés ou qu'elle aurait continué d'exploiter à des conditions moins onéreuses ;

- qu'à tout le moins, le préjudice retenu par le 1er juge à hauteur de 76.016 euros est excessif, alors que le découvert critiqué par le jugement était uniquement de 41.491,17 euros et que les autres prêts octroyés par la Caisse d'épargne n'étaient pas mis en cause.

La société Airfopp fait valoir :

- que la Caisse d'épargne a soutenu abusivement la société Airfopp en octroyant un prêt personnel au dirigeant de la société dans le but de régulariser la situation financière de la société Airfopp, alors que l'établissement bancaire avait une parfaite connaissance de la situation très compromise de la société qui n'a évité l'ouverture d'une procédure de redressement voire de liquidation judiciaire qu'en raison des apports importants en compte courant effectués par les membres de la famille du dirigeant ;

- que la banque a également mené une politique de découvert fautive en autorisant un découvert sur le compte courant sur 12 mois, alors que depuis le mois d'août 2013, le compte courant de la société Airfopp était systématiquement débiteur et que la banque ne pouvait ignorer la santé financière dégradée de la société pour être en possession systématiquement de ses comptes annuels ; que ce faisant, elle a soutenu artificiellement l'activité de la société Airfopp qu'elle savait déficitaire, qu'elle a laissé la situation perdurer et s'aggraver, afin de préserver ses seuls intérêts et de prélever concomitamment des commissions d'intervention, frais et agios ce qui caractérise une faute de la banque ;

- qu'en conséquence l'établissement bancaire devra être tenu de réparer l'insuffisance d'actif qu'il a contribué à créer.

Il y a soutien abusif de crédit quand l'établissement de crédit accorde des crédits à une entreprise dont il connait la situation irrémédiablement compromise.

Il sera rappelé qu'une situation gravement compromise n'est pas une situation irrémédiablement compromise, des difficultés de trésorerie, une insuffisance même prolongée ou grave ne suffisant pas à caractériser une situation sans issue.

La société Airfopp Telecom fait référence à trois crédits à savoir le prêt de 12000 euros consenti les 11 et 17 janvier 2012 , le prêt personnel de 51 024 euros accordé à M. [I] [U] et le compte courant fonctionnant en position débitrice.

Concernant le prêt de 12000 euros, il sera constaté qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir qu'il a été octroyé alors que la société Airfopp Telecom était dans une situation irrémédiablement compromise, le chiffre d'affaires étant de 311 181 euros avec un bénéfice de 33 271 euros pour l'exercice du 1er avril 2012 au 31 mars 2013, en progression par rapport à l'exercice précédent, et la société Airfopp Telecom faisant état d'une situation financière difficile à partir de 2013 du fait d'une crise mondiale du marché des télécommunications.

Concernant le prêt de 51 024 euros octroyé le 6 août 2014 à M. [U], il sera relevé que ce prêt n'a pas été accordé à la société. Si M. [U] a affecté une partie de ce prêt aux besoins de trésorerie de la société, il n'est pas soutenu que ce prêt a été remboursé par la société ni qu'il y a eu des difficultés de remboursement. Aucune somme n'est réclamée à ce titre.

Concernant le compte courant débiteur, il est réclamé le paiement d'une somme de 41 491,17 euros arrêtée au 18 décembre 2015.

Il ressort des pièces du dossier qu'un premier découvert a été autorisé à hauteur de 20 000 euros en août 2013 alors que la situation financière de la société Arfopp Telecom était saine.

Il est versé aux débats un dossier prévisionnel établi à la demande de M. [U] par un cabinet d'expertise comptable sur trois exercices d'avril 2013 à mars 2016 qui prévoyait un chiffre d'affaires en hausse et une capacité d'autofinancement en hausse sur les trois années.

Le 21 août 2014, le découvert autorisé a été maintenu à 20 000 euros.

En novembre 2014, le découvert autorisé a été porté à 30 000 euros jusqu'au 20 février 2015 puis une autorisation de découvert de 20 000 euros était donnée jusqu'au 20 novembre 2015.

Au 31 mars 2014, le chiffre d'affaires était de 331 371,48 euros avec un bénéfice de 1235,83 euros.

Au 31 décembre 2015, le chiffre d'affaires était de 449 521,32 euros avec une perte de 173 193,20 euros.

Il n'apparaît pas au vu de ces chiffres qu'en août 2014 ou en novembre 2014, la situation de la société Airfopp Telecom était irrémédiablement compromise, alors que le chiffre d'affaires était en progression constante. Par ailleurs, le compte courant n'a pas été en position débitrice continue depuis août 2013. Le compte courant est redevenu créditeur le 1er septembre 2014, puis le 30 septembre 2014. Au 1er novembre 2014, il était créditeur de 1726,28 euros. Il est ensuite resté débiteur mais avec un montant de débit fluctuant (- 2013,08 euros au 4 décembre 2014).

Le montant du découvert autorisé n'apparaît pas avoir été inconsidéré ou excessif par rapport à l'activité de la société.

Il n'est pas établi que ce concours a induit un coût financier incompatible avec l'activité de la société.

Il sera relevé en outre que la société n'a fait l'objet d'aucune cessation d'activité, d'aucune procédure collective et qu'elle continue à exercer son activité.

Dès lors, le soutien financire abusif de la banque n'est pas justifié.

Au vu de ces éléments, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'un soutien abusif de la part de la banque et en ce qu'il a condamné cette dernière au paiement de dommages et intérêts à ce titre.

- Sur le manquement au devoir de mise en garde

La Caisse d'épargne fait observer que malgré le jeune âge de son gérant et son manque d'expérience dans le monde des affaires dont la société Airfopp entend se prévaloir, au cours des premières années d'activité, les résultats de la société étaient tout à fait positifs, le compte courant étant le plus souvent en position créditrice ; que le découvert octroyé par la banque n'a pas été fautif ; que les documents transmis par la société Airfopp pour solliciter des demandes de financement, faisaient état d'une situation financière saine de la société Airfopp, et que le fait que l'activité n'ait pas été en adéquation avec notamment son prévisionnel établi par un expert-comptable n'est pas de nature à engager la responsabilité de la banque ; qu'enfin, si la SARL Airfopp fait état d'une perte de chance de ne pas contracter, elle ne donne aucun détail des options qu'elle aurait prises si elle n'avait pas bénéficié du découvert qu'elle critique désormais.

La société Airfopp invoque l'absence d'expérience de son gérant et soutient que celui-ci ne pouvait pas être qualifié d'emprunteur averti eu égard à son âge et son manque d'expérience. Elle précise que la banque devait l'alerter et attirer son attention sur les risques liés au crédit et sur le risque d'endettement.

La société a été créée en avril 2011 alors que M. [U], nommé gérant, était âgé de 24 ans et n'avait pas d'expérience de gestion de société puisqu'il indique qu'il avait seulement travaillé comme monteur raccordeur en fibre optique et qu'il avait une formation en habilitation électrique.

Lors de l'octroi du crédit d'un montant de 12000 euros en janvier 2012, M. [U] devait être considéré comme un emprunteur non averti. Il en est de même pour le prêt de 21 000 euros accordé en mai 2011.

Pour autant, celui qui invoque à son profit le devoir de mise en garde doit justifier d'un risque d'endettement.

Les comptes de la société arrêtés au 31 mars 2013, font apparaître une situation financière saine. La société Airfopp ne justifie pas d'un risque particulier d'endettement à cette époque, les crédits accordés n'étant pas excessifs et étant consentis à des conditions normales.

La banque n'était donc pas tenue à une obligation de mise en garde.

Concernant le prêt personnel de 51 024 euros accordé le 6 août 2014 à M. [U], le devoir de conseil de la banque ne pouvait concerner que celui-ci et non la société Airfopp Telecom.

Concernant le découvert en compte courant, comme l'a exactement retenu le tribunal, en août 2013, date du premier véritable découvert, et a fortiori lors des renouvellements des lignes de découvert en août 2014 et novembre 2014, le gérant avait acquis une expérience de plus de deux ans dans la gestion de la société et ne pouvait plus être qualifié d'emprunteur non averti au regard d'un découvert bancaire. La banque n'était donc pas soumise à un devoir de mise en garde.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Airfopp de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement au devoir de mise en garde.

- Sur le TEG

La société Airfopp soutient que la banque doit être déchue de son droit aux intérêts concernant le compte-courant débiteur dès lors que la convention d'ouverture ne stipule aucun TEG et que l'indication de celui-ci n'apparaît pas non plus sur les relevés bancaires, seuls les décomptes d'agios trimestriels mentionnant le taux d'intérêts appliqué.

La Caisse d'Epargne fait valoir que la demande de la société Aifopp Telecom se heurte à la prescription puisque le point de départ du délai pour se prévaloir d'une nullité affectant la stipulation d'intérêt est la date de signature du contrat.

L'obligation de payer dès l'origine des agios au taux conventionnel exige non seulement que soit porté sur un document écrit préalable à titre indicatif le TEG mais aussi que le TEG appliqué soit porté sur les relevés périodiques reçus par l'emprunteur sans protestation, ni réserve. A défaut de la première exigence, les agios ne sont dus qu'à compter de l'information régulièrement reçue valant seulement pour l'avenir et qu'à défaut de la seconde exigence, la seule mention indicative de ce taux ne vaut pas, s'agissant d'un compte courant reconnaissance de stipulation d'intérêts conventionnels.

En l'espèce, le TEG ne figure pas dans la convention d'ouverture du compte courant ni dans aucun autre écrit préalable.

Le point de départ de la prescription quinquennale de l'action en nullité du taux d'intérêt conventionnel ne peut donc partir de la date de la convention d'ouverture du compte courant. Il ne peut courir que de la date de la première information régulièrement reçue, date à laquelle, la société a connu le TEG appliqué.

La Caisse d'Epargne ne justifie pas de la date de l'envoi du premier décompte d'agios.

Le moyen tiré de la prescription de la demande ne peut donc être retenu.

La société Airfopp reconnaît avoir reçu les relevés trimestriels d'acomptes d'agios. Elle ne les a pas contestés. Elle a dès lors ratifié le taux conventionnel appliqué dont elle ne justifie pas qu'il était erroné.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Airfopp Telecom de sa demande de déchéance du droit aux intérêts conventionnels.

- Sur les sommes perçues par la banque depuis le jugement du 6 juillet 2018

La société Airfopp fait valoir qu'à la suite du jugement la banque n'a pas respecté l'exécution provisoire ordonnée et a continué à prélever indument sur le compte courant des frais mensuels de 22,05 euro, soit la somme globale de 4743,20 euros arrêtée au 31 mai 2022.

La banque indique que les frais prélevés correspondent à la tenue de compte.

Il est justifié que les frais de fonctionnement de compte courant sont prévus dans les conditions tarifaires des opérations et servies bancaires liés à la convention de compte courant de la Caisse d'Epargne Normandie applicables à la clientèle des professionnels.

La soiété Airfopp ne soutient pas ne pas avoir été informée de ces conditions tarifaires.

Elle ne conteste pas que le compte n'a pas été clôturé.

Elle sera donc déboutée de sa demande.

- Sur la demande en paiement de la banque

La société Airfopp Telecom ne formule aucun argument au soutien de sa demande tendant à voir infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer diverses sommes à la Caisse d'Epargne au titre du découvert bancaire et des prêts accordés le 17 mai 2011 et le 17 janvier 2012.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

- Sur la demande de délais de paiement

Le bilan de la société Airfopp Telecom au 31 décembre 2021 fait apparaître un chiffre d'affaires de 914 447,91 euros et un résultat net comptable de ' 125 422,76 euros. La situation est moins favorable qu'à la clôture de l'exercice précédent.

Au vu de cette situation et des besoins du créancier, qui ne s'oppose pas formellement à l'octroi de délais de paiement, le jugement sera infirmé et il sera fait droit à cette demande. La société Airfopp sera autorisée à s'acquitter de sa dette en 24 mensualités d'égal montant à compter du 10 du mois suivant la date du présent arrêt. A défaut de paiement d'une seule échéance à son terme, la totalité de la dette deviendra immédiatement exigible.

La demande de suppression de « tous les intérêts de retard, frais et autres indûment prélevés » sur le fondement de l'article 1244-2 du code civil sera rejetée comme étant non fondée, étant rappelé que les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

- Sur les demandes accessoires

Le jugement sera infirmé en ce qu'il condamné la Caisse d'Epargne aux dépens.

La société Airfopp, condamnée à paiement, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la Caisse d'Epargne de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable que chacune des parties supporte ses frais irrépétibles. Les parties seront déboutées de leurs demandes respectives formées à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance de Normandie à payer à la société Airfopp Telecom la somme de 76 106 euros pour soutien abusif, en ce qu'il a débouté la société Airfopp en sa demande de délais de paiement et en ce qu'il a condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance de Normandie aux dépens ;

Statuant à nouveau du chef de sdispositions infirmées et ajoutant au jugement ;

DEBOUTE la société Airfopp Telecom de sa demande au titre du soutien abusif ;

AUTORISE la société Airfopp Telecom à s'acquitter de sa dette en 24 mensualités d'égal montant à compter du 10 du mois suivant la date du présent arrêt ;

DIT qu'à défaut de paiement d'une seule échéance à son terme, la totalité de la dette deviendra immédiatement exigible ;

Rappelle que les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant les délais de paiement ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Airfopp Telecom aux dépens de première instance et d'appel ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL F. EMILY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/01163
Date de la décision : 08/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-08;20.01163 ?
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