AFFAIRE : N° RG 21/01811
N° Portalis DBVC-V-B7F-GY4K
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTAN en date du 01 Juin 2021 - RG n° F20/00010
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 1
ARRET DU 12 JANVIER 2023
APPELANTE :
Madame [Y], [F], [T] [Z] épouse [I]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par M. TUDOCE, substitué par Mme MARIE ARNOUX, défenseur syndical
INTIMEE :
MUTUALITE FRANCAISE DE NORMANDIE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Coralie LOYGUE, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me RAPPAPORT, avocat au barreau de PARIS
DEBATS : A l'audience publique du 07 novembre 2022, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller, rédacteur
Mme VINOT, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 12 janvier 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [Y] [Z] épouse [I] a été embauchée, à compter du 19 avril 1982, par l'Union des Sociétés Mutualistes de l'Orne, en qualité d'assistante dentaire, d'abord en contrat à durée déterminée puis en contrat à durée indéterminée à temps partiel. Elle a été affectée à compter du 1er juin 1991 à la clinique dentaire d'[Localité 3].
Le 23 avril 2019, la Mutualité Française Normandie SSAM venant aux droits de l'Union des Sociétés Mutualistes de l'Orne lui a proposé une affectation au centre de santé dentaire de [Localité 4] qu'elle a refusée.
Elle a été licenciée le 5 juin 2019.
Estimant son licenciement injustifié, elle a saisi, le 23 janvier 2020, le conseil de prud'hommes d'Argentan pour demander des dommages et intérêts à ce titre et pour privation du CSP.
Par jugement du 1er juin 2021, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [I] de ses demandes.
Mme [I] a interjeté appel.
Vu le jugement rendu le 1er juin 2021 par le conseil de prud'hommes d'Argentan
Vu les dernières conclusions de Mme [I], appelante, communiquées et déposées le 26 octobre 2022, tendant à voir le jugement infirmé et à voir la Mutualité Française Normandie SSAM condamnée à lui verser 36 860€ de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, 10 000€ de dommages et intérêts pour 'privation du CSP et de ses avantages' et 2 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile
Vu les dernières conclusions de la Mutualité Française Normandie SSAM, intimée, communiquées et déposées le 8 décembre 2021, tendant à voir le jugement confirmé, à voir Mme [I] déboutée de toutes ses demandes et condamnée à lui verser 1 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 7 novembre 2022
MOTIFS DE LA DÉCISION
Mme [I] a été licenciée à raison de son refus d'intégrer le centre de santé dentaire mutualiste de [Localité 4].
Elle fait valoir qu'il s'agit en fait d'un licenciement économique puisque cette affectation fait suite à la fermeture de la clinique dentaire d'[Localité 3] et que la proposition de reclassement constitue une modification de son contrat de travail. La Mutualité Française Normandie SSAM conteste ces deux points.
' La nature du licenciement n'est pas spécifiée dans la lettre de licenciement. La Mutualité Française Normandie SSAM indique qu'il ne s'agit pas d'un licenciement économique puisque la fermeture du centre dentaire d'[Localité 3], trois ans auparavant, est liée à l'impossibilité de trouver des praticiens pour exercer sur ce centre. Ce point n'est pas contesté par Mme [I]. Dès lors, la Mutualité Française Normandie SSAM a valablement procédé à un licenciement pour motif personnel et Mme [I] ne saurait prétendre à des dommages et intérêts pour ne pas avoir bénéficié d'un CSP, uniquement applicable dans l'hypothèse d'un licenciement économique.
' La lettre de licenciement n'exprime pas le motif du licenciement puisqu'elle se contente d'énoncer que Mme [I] a 'exprimé sa volonté de ne pas rejoindre le centre (...) dentaire (...) de [Localité 4]', qu'il s'agit là d'un 'simple changement d'affectation' relevant du pouvoir de direction de l'employeur et non d'une 'modification essentielle du contrat' et prononce 'pour ces motifs' le licenciement.
Dans ses conclusions, la Mutualité Française Normandie SSAM indique que le refus de Mme [I] était abusif sans prendre position sur le caractère disciplinaire ou non de ce licenciement.
Il ressort des pièces produites que la Mutualité Française Normandie SSAM a proposé à Mme [I] une affectation au centre dentaire de [Localité 4] en lui laissant un délai de réflexion. S'il s'agissait, comme le soutient la Mutualité Française Normandie SSAM, d'une mutation effectuée dans le cadre du pouvoir de direction et constituant une simple modification des conditions de travail, la Mutualité Française Normandie SSAM aurait dû lui imposer cette mutation et non la proposer.
En se contentant de lui proposer cette mutation, ce qui lui offrait la possibilité de refuser, la Mutualité Française Normandie SSAM s'est privée de la possibilité de sanctionner Mme [I] dans l'hypothèse où sa salariée refuserait cette proposition. Le licenciement s'il s'analyse en un licenciement disciplinaire est donc sans cause réelle et sérieuse.
Si ce licenciement n'est pas disciplinaire, il s'avère insuffisamment motivé. En effet, en proposant une mutation qu'elle subordonne à l'accord de sa salariée, la Mutualité Française Normandie SSAM considère nécessairement qu'elle modifie le contrat de travail. Dès lors, Mme [I] ayant refusé cette proposition, il lui appartenait d'énoncer dans la lettre de licenciement pour quelles raisons elle n'était pas en mesure de conserver Mme [I] à son service en lui conservant les tâches qu'elle accomplissait antérieurement (en l'espèce des remplacements sur différents sites). Non seulement, la lettre de licenciement ne comporte aucune motivation en ce sens mais la Mutualité Française Normandie SSAM n'apporte en outre dans ses conclusions aucune explication ni ne justifie, a fortiori, d'une telle impossibilité.
Que ce licenciement soit ou non disciplinaire, il s'avère donc dans les deux cas sans cause réelle et sérieuse.
Mme [I] est donc fondée à obtenir des dommages et intérêts qui, compte tenu de son ancienneté, s'élèvent, au maximum, à 20 mois de salaire.
Mme [I] ne justifie pas de sa situation et ne fournit pas non plus d'explications à ce propos.
Compte tenu des éléments connus : son âge (56 ans), son ancienneté (37 ans), son salaire moyen (1 843€ selon la salariée non contredite par la Mutualité Française Normandie SSAM) au moment du licenciement, il y a lieu de lui allouer 25 000€ de dommages et intérêts. Cet somme produira intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.
' La solution adoptée dans le présent arrêt est sans conséquences sur le contenu de l'attestation Pôle Emploi et ne justifie pas l'édition d'un nouveau bulletin de paie. Mme [I] sera donc déboutée de sa demande en ce sens.
La Mutualité Française Normandie SSAM devra rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage éventuellement versées à Mme [I] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d'allocations.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [I] ses frais irrépétibles. De ce chef, la Mutualité Française Normandie SSAM sera condamnée à lui verser 1 800€.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
- Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts au titre du CSP
- Réforme le jugement pour le surplus
- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse
- Condamne la Mutualité Française Normandie SSAM à verser à Mme [I] 25 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- Déboute Mme [I] du surplus de ses demandes principales
- Dit que la Mutualité Française Normandie SSAM devra rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage éventuellement versées à Mme [I] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d'allocations
- Condamne la Mutualité Française Normandie SSAM à verser à Mme [I] 1 800€ en application de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamne la Mutualité Française Normandie SSAM aux entiers dépens de première instance et d'appel
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
M. ALAIN L. DELAHAYE