AFFAIRE : N° RG 21/01903
N° Portalis DBVC-V-B7F-GZC7
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de COUTANCES en date du 03 Juin 2021 - RG n° F18/00121
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 1
ARRET DU 12 JANVIER 2023
APPELANT :
Monsieur [H] [N]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Laurent MARIN, avocat au barreau de COUTANCES
INTIMEE :
S.A.S. BOIS & MATERIAUX agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me GOURNAY, avocat au barreau de RENNES
DEBATS : A l'audience publique du 07 novembre 2022, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller, rédacteur
Mme VINOT, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 12 janvier 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
FAITS ET PROCÉDURE
M. [H] [N] a été embauché à compter du 22 novembre 2010 en qualité d'attaché technico-commercial, d'abord en contrat à durée déterminée puis, en contrat à durée indéterminée, par la SNC Wolseley France Bois et matériaux, aux droits de laquelle se trouve la SAS Bois & Matériaux. Il a démissionné le 26 juin 2018. Son préavis s'est achevé le 25 juillet 2018.
Le 28 décembre 2018, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Coutances pour voir dire nulles les clauses de forfait jour et de non concurrence figurant à son contrat de travail, pour obtenir des dommages et intérêts au titre de la clause de non-concurrence nulle, le paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires et pour la période de préavis.
Outre le rejet des demandes du salarié, la SAS Bois & Matériaux a demandé, reconventionnellement, le remboursement de la 'contrepartie de la convention de forfait', de la contrepartie financière de la clause de non concurrence, le versement de la clause pénale découlant de la violation de la clause de non concurrence.
Par jugement du 3 juin 2021, le conseil de prud'hommes a débouté M. [N] de ses demandes, a dit la convention de forfait valable mais a condamné M. [N] à rembourser à la SAS Bois & Matériaux : 2 118,49€ versés en 'contrepartie de la convention annuelle en jours' outre 8 068,32€ bruts au titre de la contrepartie à la clause de non concurrence et à lui verser 29 360,34€ pour violation de la clause de non concurrence. Il a débouté la SAS Bois & Matériaux du surplus de ses demandes.
M. [N] a interjeté appel du jugement, la SAS Bois & Matériaux a formé appel incident.
Vu le jugement rendu le 3 juin 2021 par le conseil de prud'hommes de Coutances
Vu les dernières conclusions de M. [N], appelant, communiquées et déposées le 18 mars 2022, tendant à voir le jugement réformé, à voir la SAS Bois & Matériaux débouté de son appel incident, à la voir déboutée de ses demandes de remboursement, au titre de la convention de forfait et de la contrepartie à la clause de non concurrence, et de sa demande au titre de la clause pénale, tendant à voir dire nuls le forfait en jour et la clause de non concurrence et à voir la SAS Bois & Matériaux condamnée à lui verser : 1 000€ de dommages et intérêts 'pour clause de non concurrence nulle', 18 145,80€ (outre les congés payés afférents) de rappel de salaires, 4 500€ au total en application de l'article 700 du code de procédure civile, tendant à se voir remettre, sous astreinte, un bulletin de paie rectificatif, tendant, subsidiairement, à voir réduire à 1€ le montant de la clause pénale
Vu les dernières conclusions de la SAS Bois & Matériaux, intimée et appelante incidente, communiquées et déposées le 3 mai 2022, tendant, au principal, à voir réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de remboursement des frais de repas indûment versés et à voir en conséquence M. [N] condamné à lui rembourser 7 434€ à ce titre et à voir le jugement confirmé pour le surplus, tendant, subsidiairement, si la cour annulait la convention de forfait, à voir M. [N] condamné à lui rembourser 2 118,49€versés en contrepartie de la convention de forfait
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 19 octobre 2022
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur les heures supplémentaires
M. [N] soutient que la convention de forfait en jours figurant dans son contrat de travail lui est inopposable et qu'il est donc fondé à obtenir paiement des heures supplémentaires effectuées à raison de 10H hebdomadaires.
A supposer que cette convention de forfait soit effectivement nulle ou inopposable, M. [N] ne pourrait obtenir un rappel pour heures supplémentaires qu'en présentant, à l'appui de sa demande, des éléments, suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle de heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
M. [N] fait valoir qu'il 'effectuait de nombreuses heures de travail qui avoisinent les 45H de travail par semaine', qu'il rencontrait des clients 'au-delà de 18H alors qu'il commençait sa journée de travail vers 9H du matin'. Il produit les attestations de six clients indiquant l'avoir rencontré le soir après 18H, après 18H30, après 19H voire vers 20H et 15 mails qu'il a adressés les 11, 12, 16, 25, 27 et 31 janvier et le 9 février 2017 entre 18H26 et 22H.
M. [N] ne donne donc aucun élément précis sur ses horaires de travail. Ceux-ci sont annoncés de manière floue ('vers 9H' 'au-delà de 18H'). Il n'évoque pas de pause méridienne alors qu'il mentionnait un lieu de déjeuner sur la feuille de remboursement qu'il remplissait pour bénéficier d'indemnités de repas. Enfin, le fait qu'il ait pu rencontrer des clients ou envoyer des mails au-delà de 18H ne permet pas d'en déduire l'existence d'heures supplémentaires, ce travail ponctuellement plus tardif pouvant avoir été compensé au cours de la semaine concernée. Dès lors, les éléments et les explications qu'il fournit sont insuffisants pour permettre à l'employeur de répondre en produisant ses propres éléments.
En conséquence, M. [N] sera débouté de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires sans qu'il soit besoin d'examiner la validité de la clause de forfait jour figurant à son contrat de travail. Le jugement sera confirmé sur ce point.
La SAS Bois & Matériaux sera, quant à elle, déboutée de sa demande subsidiaire de remboursement de la 'contrepartie' de la convention de forfait, puisque la convention de forfait n'a pas été annulée et qu'en toute hypothèse, la garantie mensuelle dont elle demande remboursement, à la supposer établie et versée pour le montant réclamé, n'est pas visée dans le contrat de travail a fortiori comme contrepartie de la convention de forfait.
2) Sur la clause de non concurrence
' M. [N] soutient que la zone géographique visée est excessive, la contrepartie dérisoire, que l'employeur pouvait, à tout moment, renoncer à son application et que la clause était donc nulle à ces trois titres.
La clause vise un rayon de 100km autour de l'agence d'affectation, ce qui induit, contrairement à ce qu'indique, la SAS Bois & Matériaux, que le calcul de cette distance se fasse 'à vol d'oiseau' et non en fonction de la distance routière. L'agence étant situé à [Localité 7], l'interdiction d'exercice, telle que matérialisée par M. [N] sur une carte non contestée par la SAS Bois & Matériaux, englobe toute la Manche, le Calvados, la moitié de l'Orne, une petite partie de la Mayenne et de l'Ile et Vilaine ainsi que [Localité 4].
La SAS Bois & Matériaux produit une carte établissant que son périmètre d'activité s'étend à la moitié Nord de la France. La zone d'interdiction visée fait donc partie de ce périmètre. M. [N] qui soutient que cette zone d'interdiction serait 'excessive' n'argumente pas sur ce point et n'établit pas notamment qu'elle excéderait la zone dans laquelle il a exercé son activité au service de la SAS Bois & Matériaux. Dès lors, le caractère excessif de la zone visée dans la clause n'est pas établi.
La contrepartie à cette clause a été fixée à 25% du salaire brut mensuel moyen perçu au cours des 12 derniers mois ce qui ne constitue pas, contrairement à ce qu'indique M. [N], une contrepartie dérisoire.
L'employeur ne peut valablement renoncer à une clause de non concurrence que si le contrat le prévoit et avant le départ effectif du salarié.
En l'espèce, la clause réserve à l'employeur la faculté de renoncer à son application 'à tout moment en cours de contrat et dans un délai maximum de 15 jours suivant l'expiration du contrat'. En autorisant l'employeur à y renoncer jusqu'à 15 jours après la fin du contrat, cette clause laisse le salarié dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler jusqu'à 15 jours après la fin du contrat alors qu'il aurait dû être fixé, au plus tard, au moment de son départ effectif.
Compte tenu de la durée limitée de cette possible incertitude à l'issue du contrat, cette disposition n'entraîne pas la nullité de la clause et aurait seulement permis à M. [N] d'exiger le paiement de la contrepartie, si la SAS Bois & Matériaux avait renoncé à cette clause après son départ effectif, car cette renonciation aurait alors été inopérante.
En conséquence, la clause de non concurrence étant valable, M. [N] sera débouté de sa demande tendant à son annulation et de sa demande de dommages et intérêts à raison de la nullité de cette clause.
' M. [N] a été embauché par contrat daté du 27 juillet 2018 à effet au 27 août par la SAS Cochard Matériaux dont le siège est à [Localité 5] (50). Il est constant qu'il s'agit d'une entreprise concurrente située dans la zone d'interdiction. M. [N] a donc méconnu sa clause de non concurrence pendant toute la durée de son application.
La SAS Bois & Matériaux est, en conséquence, fondée à obtenir restitution de la contrepartie financière versée à M. [N], soit la somme non contestée de 6 391,32€ correspondant à la somme nette perçue par M. [N]. Il appartiendra à la SAS Bois & Matériaux de solliciter, le cas échéant, auprès des caisses sociales concernées, la restitution des cotisations sociales afférentes à cette somme.
Le contrat de travail a assorti la clause de non concurrence d'une clause pénale prévoyant le versement de ' dommages et intérêts irréductibles fixés à une année de l'ensemble de vos gains calculés sur le salaire brut mensuel moyen perçu au cours des 12 derniers mois'.
La somme réclamée à ce titre par la SAS Bois & Matériaux s'élève à 29 360,34€. M. [N] ne conteste pas que cette somme corresponde effectivement à une année de salaire mais réclame sa réduction à 1€ en faisant valoir que la SAS Bois & Matériaux n'a subi aucun préjudice commercial.
La société fait valoir que la SAS Cochard Matériaux a pu, grâce à l'embauche de M. [N], connaître ses techniques commerciales et ses pratiques tarifaires et que M. [N] 'va bien évidemment vouloir attirer ses anciens clients avec lesquels il entretenait des relations commerciales régulières depuis son embauche'.
Toutefois, hormis cette pétition de principe, la SAS Bois & Matériaux n'apporte aucun élément établissant la réalité d'un préjudice commercial. Dans ces conditions, la clause pénale apparaît manifestement excessive et sera réduite à 5 000€.
3) Sur les frais de repas
Le contrat de travail prévoit que 'les frais vous seront remboursés selon les conditions actuellement en vigueur'.
La SAS Bois & Matériaux n'apporte aucun élément sur ces conditions et notamment sur celles nécessaires pour que les frais de repas soient remboursés. Dès lors, à supposer que seulement 5 repas sur les 536 remboursés soient 'cohérents avec le client visité', la SAS Bois & Matériaux n'explique pas en quoi cette incohérence tenant, au vu du tableau produit, au lieu auquel ce repas a été pris, en empêcherait le remboursement puisqu'elle n'établit pas avoir conditionné ce remboursement au fait que ce repas soit pris à proximité des clients visités.
Elle sera en conséquence déboutée de sa demande de ce chef.
4) Sur les points annexes
Les sommes dues produiront intérêts au taux légal à compter :
- du 13 novembre 2019, date des premières conclusions contenant cette demande en ce qui concerne le remboursement de la contrepartie de la clause de non concurrence
- de la date du présent arrêt en ce qui concerne la somme allouée en application de la clause pénale.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la SAS Bois & Matériaux ses frais irrépétibles.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
- Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [N] de ses demandes et la SAS Bois & Matériaux de sa demande de remboursement des frais de repas
- Réforme le jugement pour le surplus
- Condamne la SAS Bois & Matériaux à rembourser à M. [N] 6 391,32€ au titre de la contrepartie financière à la clause de non concurrence avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2019 et à lui verser 5 000€ de dommages et intérêts au titre de la clause pénale avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt
- Déboute les parties de leurs autres demandes, notamment en application de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamne M. [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
M. ALAIN L. DELAHAYE