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14/02/2023 | FRANCE | N°21/00052

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre civile, 14 février 2023, 21/00052


AFFAIRE : N° RG 21/00052 -

N° Portalis DBVC-V-B7F-GVDY

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ARGENTAN du 04 Juin 2020

RG n° 19/00051







COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 14 FEVRIER 2023





APPELANTE :



La Société ANIMAT

[Adresse 2]

G1K 7T3

QUEBEC (CANADA)

prise en la personne de son représentant légal



représentée par Me

Franck THILL, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Gilles CARIOU, avocat au barreau de PARIS





INTIMÉES :



L'E.A.R.L. DE [Adresse 6]

N° SIRET : 392 446 183

[Adresse 6]

[Localité 4]

prise en la personne de son...

AFFAIRE : N° RG 21/00052 -

N° Portalis DBVC-V-B7F-GVDY

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ARGENTAN du 04 Juin 2020

RG n° 19/00051

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 14 FEVRIER 2023

APPELANTE :

La Société ANIMAT

[Adresse 2]

G1K 7T3

QUEBEC (CANADA)

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Franck THILL, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Gilles CARIOU, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

L'E.A.R.L. DE [Adresse 6]

N° SIRET : 392 446 183

[Adresse 6]

[Localité 4]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Catherine ROUSSELOT, avocat au barreau de CAEN

La Société PH DERU

N° SIRET : 450 730 627

[Adresse 7]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

La S.A. AVIVA ASSURANCES

N° SIRET : 306 522 665

[Adresse 1]

[Localité 5]

prise en la personne de son représentant légal

représentées et assistées de Me Marc POISSON, avocat au barreau D'ARGENTAN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,

M. GARET, Président de chambre,

DÉBATS : A l'audience publique du 13 décembre 2022

GREFFIER : Mme COLLET

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 14 Février 2023 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier

* * *

FAITS ET PROCEDURE

Suivant facture du 28 septembre 2012, la société Deru a vendu au Gaec de [Adresse 6] (aujourd'hui l'Earl de [Adresse 6], ci-après l'EARL) et installé dans ses étables un ensemble de matelas destinés au couchage des bovins et ce, moyennant un prix de 23.144,19 € TTC.

A la demande de l'Earl qui déplorait une déformation de la toile des matelas, la société Deru est intervenue à deux reprises pour la remplacer.

Se plaignant de pertes d'exploitation liées aux difficultés sanitaires rencontrées par son cheptel du fait des défauts affectant les matelas, l'Earl a sollicité de la société Deru qu'elle veuille bien l'en indemniser.

En l'absence de règlement amiable du différend, l'Earl a saisi le juge des référés d'une demande d'expertise à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 8 février 2018.

Les opérations ont ensuite été étendues à la société Aviva, assureur de la société Deru, ainsi qu'à la société Animat, fournisseur des matelas présumés défectueux.

L'expert commis a déposé son rapport définitif le 2 juillet 2018.

L'Earl a alors fait assigner les sociétés Deru et Aviva devant le tribunal judiciaire d'Argentan aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

Les sociétés Deru et la société Aviva ont appelé en garantie la société Animat.

Par jugement du 4 juin 2020, le tribunal a :

- rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire ;

- condamné in solidum les sociétés Deru et Aviva à payer à l'Earl la somme de 22.482 € en réparation de ses différents préjudices ;

- condamné in solidum les sociétés Deru et Aviva à payer à l'Earl une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum les sociétés Deru et Aviva aux dépens, incluant ceux de référé et le coût de l'expertise judiciaire et excluant ceux relatifs à l'appel en cause de la société Animat ;

- condamné la société Animat à garantir la société Deru de toutes les condamnations prononcées à son encontre, y compris les frais et intérêts ;

- condamné la société Animat à payer à la société Deru une somme de 1.200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Animat aux dépens relatifs à son appel en cause ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 8 janvier 2021, la société Animat a interjeté appel de ce jugement.

Les sociétés Deru et Aviva ont elles-mêmes interjeté appel incident.

La société Animat a notifié ses dernières conclusions le 8 août 2021, les sociétés Deru et Aviva les leurs le 4 juin 2021, enfin l'Earl les siennes le 3 septembre 2021.

La clôture est intervenue par ordonnance du 9 novembre 2022.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Animat demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- juger que l'expert a méconnu le principe du contradictoire ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation du rapport ;

En conséquence,

- annuler le rapport d'expertise judiciaire pour violation du principe du contradictoire ;

- débouter l'Earl, la société Deru et son assureur de toutes leurs demandes à son encontre ;

Si la cour refusait d'annuler le rapport d'expertise,

- juger que le lien de causalité entre les désordres allégués et les tapis de logettes n'est pas établi en l'état des pièces produites par la partie demanderesse ;

- écarter la responsabilité de la société Animat ;

- débouter en conséquence l'Earl, la société Deru et son assureur de toutes leurs demandes à son encontre ;

Si la cour l'estimait utile,

- ordonner une nouvelle expertise confiée à un expert spécialisé en qualité du lait ;

En tout état de cause,

- condamner l'Earl à lui verser une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'Earl aux dépens de première instance et d'appel ;

A titre subsidiaire, si la cour jugeait que le lien de causalité était établi,

- infirmer le jugement en ce qu'il a évalué les préjudices à hauteur de la somme de 22.482 € ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à relever et garantir la société Deru des condamnations prononcées à son encontre ;

- condamner tout succombant au remboursement des sommes qu'elle a versées en exécution du jugement dont appel ;

Statuant à nouveau,

- évaluer les préjudices de l'Earl à hauteur de la somme de 17.068,87 € ;

- juger que la société Deru a commis un manquement engageant sa responsabilité dans la survenue des préjudices de l'Earl ;

- juger la société Deru responsable à hauteur de moitié des préjudices subis par l'Earl';

- limiter en conséquence l'indemnisation par elle à hauteur de la somme de 8.534,43 € application faite de sa part de responsabilité ;

- dire n'y avoir lieu à condamnation au titre des dépens.

Les sociétés Deru et Aviva demandent quant à elles à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il :

* a rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire,

* les a condamnées in solidum à payer à l'Earl la somme de 22.482 € ;

* les a condamnées in solidum aux dépens, incluant ceux de référé et le coût de l'expertise judiciaire et excluant ceux relatifs à l'appel en cause de la société Animat ;

* les a condamnées in solidum à payer à l'Earl une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- annuler le rapport d'expertise judiciaire ;

- débouter l'Earl de toutes ses demandes, fins et conclusions à leur encontre ;

- condamner l'Earl à leur verser la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'Earl aux entiers dépens de la procédure en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

- condamner la société Animat à garantir la société Deru de toutes les condamnations, en principal, frais et intérêts, qui pourraient être mises à sa charge au profit de l'Earl';

- condamner la société Animat à verser à la société Deru la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Animat aux entiers dépens de la procédure en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au contraire, l'Earl de [Adresse 6] demande à la cour de :

- débouter la société Animat, la société Deru et la société Aviva de l'intégralité de leurs demandes ;

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Y additant,

- condamner in solidum la société Animat, la société Deru et la société Aviva au paiement d'une indemnité de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur la demande tendant à l'annulation du rapport d'expertise déposé le 2 juillet 2018':

Il est constant qu'un expert judiciaire est tenu, par application de l'article 16 du code de procédure civile, de respecter le principe de la contradiction dans ses rapports avec les parties, devant notamment':

- leur communiquer l'ensemble des documents et pièces qu'il a utilisés dans le cadre de ses opérations';

- soumettre à la libre discussion des parties les éléments qu'il a pu recueillir, afin de leur permettre d'en débattre contradictoirement devant lui avant le dépôt de son rapport, l'expert devant pour ce faire leur laisser un délai suffisant pour présenter leurs propres observations';

- répondre aux dires des parties, au plus tard dans son rapport définitif.

A cet égard, si l'article 276 du même code prévoit que l'expert joigne à son rapport l'ensemble des dires déposés par les parties, pour autant l'omission de cette formalité n'est susceptible d'entraîner la nullité du rapport que s'il en résulte un grief pour celui qui s'en prévaut, tel n'étant pas le cas lorsqu'en dépit de cette omission, l'expert a répondu aux observations figurant dans le dire omis.

De même, si les parties sont censées communiquer les pièces réclamées par l'expert, en revanche le fait que toutes les pièces réclamées n'aient pas été produites n'est pas une cause de nullité des opérations d'expertise, dès lors en effet que l'expert a pu s'en dispenser pour établir son rapport.

Une partie ne saurait non plus réclamer l'annulation des opérations d'expertise au motif que son adversaire n'aurait pas déféré à sa propre demande de communication de pièces, l'expert demeurant seul juge de celles qui doivent être produites pour les besoins de son rapport.

Enfin, il ne saurait être reproché à un expert de ne pas désigner de sapiteur en dépit des réclamations de telle ou telle partie, l'article 278 lui en laissant le choix («'l'initiative'»), sauf à ce que ce recours ait été expressément ordonné par la décision de commission.

Plus généralement, le fait que l'expert judiciaire ne suive pas l'avis d'autres experts choisis par les parties pour les assister, n'est évidemment pas une cause de nullité des opérations d'expertise.

Il résulte de ce qui précède':

- qu'il est indifférent que le rapport définitif déposé par l'expert le 2 juillet 2018 ait omis d'annexer le dernier dire qui lui avait été adressé le 19 juin précédent par le conseil des sociétés Deru et Aviva, étant au surplus observé que ce dire, dépourvu de toute argumentation technique, se bornait à dénoncer la tardiveté du dire adressé quelques jours plus tôt par le conseil de l'Earl, de même que la carence de celle-ci à communiquer certaines pièces réclamées ; qu'en tout état de cause, l'expert n'a pas manqué d'annexer à son rapport définitif l'ensemble des autres dires, plus techniques quant à eux, qu'il avait reçus depuis le dépôt de son pré-rapport, et d'y répondre en détail dans le corps de son rapport'définitif ;

- qu'en dépit de la tardiveté du dire formulé dans l'intérêt de l'Earl, en tout état de cause celui-ci a été adressé avant l'expiration du délai imparti par l'expert (précisément le 1er juin 2018 à 17 heures 30 pour un délai expirant le 2 juin), l'expert n'aurait pas pu le rejeter, devant seulement accorder aux autres parties un délai suffisant pour, le cas échéant, y répondre avant le dépôt du rapport définitif';

- que c'est précisément ce qu'a fait l'expert, qui a attendu le 2 juillet 2018 pour déposer son rapport définitif, ayant ainsi laissé aux autres parties un délai d'un mois pour présenter leurs ultimes observations en réponse à celles de l'Earl';

- qu'il relève de la seule responsabilité de la société Animat d'une part, des sociétés Deru et Aviva d'autre part, de s'être abstenues de tous nouveaux dires si ce n'est':

* de celui adressé le 5 juin 2018 par le conseil de la société Animat, annexé au rapport définitif et qui se borne à avertir l'expert qu'il ne sera pas répondu au dire de l'Earl tant qu'elle n'aura pas apporté de «'réponses précises à diverses questions primordiales'», notamment sur le nombre de matelas concernés par les déformations, ou encore sur le lien de causalité entre des déformations et la perte de lait alléguée'; ainsi rédigé, ce dire, dépourvu de toute nouvelle argumentation, n'apportait rien aux débats, ne justifiant dès lors aucune réponse particulière';

* de celui, précité, adressé le 19 juin 2018 par le conseil des sociétés Deru et Aviva (que l'expert a omis d'annexer à son rapport définitif), qui n'appelait pas davantage de réponse ainsi qu'il a été précédemment démontré';

- que de manière plus générale, les sociétés précitées n'étaient pas fondées à exiger de l'expert qu'il attende que l'Earl communique les pièces qu'elles persistaient à réclamer, ni encore que l'Earl fasse la démonstration du bien-fondé de ses réclamations, l'expert demeurant libre d'apprécier, à l'issue d'opérations d'expertise qui avaient déjà duré plus de deux ans et au cours desquelles les parties avaient pu faire valoir toutes observations utiles, s'il pouvait ou non déposer son rapport définitif en l'état, ce qu'il a décidé de faire le 2 juillet 2018, d'une part après avoir laissé aux parties un délai suffisant pour répondre à son pré-rapport ainsi qu'au dernier dire de l'Earl, d'autre part en répondant à l'ensemble des observations techniques formulées par les parties et leurs conseils';

- que les sociétés Deru, Aviva et Animat n'étaient pas non plus fondées à exiger la désignation d'un sapiteur, l'expert demeurant libre d'estimer s'il avait ou non lui-même les connaissances suffisantes pour remplir la mission qui lui avait été confiée.

Par suite et en l'absence d'argument pertinent permettant de remettre en cause la juste appréciation du tribunal sur ce point, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire déposé le 2 juillet 2018.

II - Sur l'engagement de la responsabilité civile contractuelle de la société Deru':

C'est bien sur ce fondement, tiré des dispositions de l'article 1147 ancien du code civil, que l'Earl demande la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Deru, in solidum avec son assureur la société Aviva, à l'indemniser de ses préjudices.

En effet, il est constant que l'Earl et la société Deru ont été liées par un contrat par lequel cette dernière s'engageait à fournir à sa cliente un ensemble de matelas destinés au couchage des bovins, et ce, en remplacement du traditionnel paillage.

A - Sur les manquements de la société Deru à ses engagements contractuels':

En contractant avec l'Earl, la société Deru s'est engagée à ce que ces matelas soient adaptés aux besoins de sa cliente, en particulier à ce qu'ils résistent suffisamment aux contraintes exercées par les animaux, le choix des matériaux utilisés notamment étant déterminant de la solidité et de la longévité normalement attendues de ce type d'équipements.

Or, alors que les matelas ont été installés le 28 septembre 2012, dès le 4 juin 2013, huit mois plus tard seulement, la société Deru a dû intervenir de nouveau sur l'exploitation pour recouvrir l'ensemble des matelas, sur une surface de 311,85 m², d'une nouvelle toile «'suite au constat de la déformation de celle posée en 2012'», telle étant la mention inscrite par la société Deru sur son compte-rendu d'intervention (cf pièce n° 2 produite par l'Earl).

Dans ces conditions, c'est vainement que les appelantes (Deru, Aviva et Animat) persistent à réclamer des preuves de cette déformation.

En effet, il résulte du document précité que la société Deru a elle-même constaté et admis cette déformation, au point qu'elle a estimé utile de recouvrir l'ensemble des matelas d'une nouvelle toile.

Pour autant, cette intervention ne s'est pas avérée efficace, du moins pas suffisamment, puisque la société Deru, de nouveau alertée par l'Earl quelques mois plus tard, est ré-intervenue le 11 décembre 2013, cette fois pour déposer l'ancienne toile et la remplacer par une nouvelle, toujours sur l'ensemble de la surface des matelas ainsi qu'il est indiqué sur le compte-rendu d'intervention.

Ici encore, les sociétés Deru, Aviva et Animat ne sauraient contester la réalité du désordre qui persistait jusqu'alors, puisque la société Deru a pu constater de nouveau les désordres affectant les matelas, au point qu'elle a décidé de changer l'ensemble des toiles défaillantes, lesquelles, du fait de leur déformation, provoquaient un «'effet cuvette'» défavorable puisqu'en se couchant sur leurs mamelles, les vaches avaient tendance à baigner dans leur lait.

Cet «'effet cuvette'» et les risques qui y sont associés sont d'ailleurs bien connus des professionnels de l'élevage, ainsi qu'en témoigne le compte-rendu établi par le Groupement de Défense Sanitaire de l'Orne (pièce n° 1 de l'Earl) qui, le 29 novembre 2013, soit quelques jours avant la nouvelle intervention de la société Deru, a fait le constat, en visitant les étables de l'Earl, d'un «'ajout de nouveaux tapis puis [de] l'apparition d'un creusement en zone de couchage, avec un effet de cuvette collectant les pertes de lait et constituant un facteur de contamination pour toute vache dont la mamelle entre en contact avec cette zone'».

Et le GDS de préconiser «'l'assainissement du couchage des vaches'» par la mise en place de «'matelas adéquats pour supprimer l'effet cuvette dans les logettes'».

D'où la nouvelle intervention de la société Deru quelques jours plus tard pour retirer la toile recouvrant l'ensemble des matelas et la remplacer par une nouvelle toile, celle-là même qui, toujours présente au moment des opérations d'expertise, ne présente plus de défauts ainsi que l'expert a pu le constater.

Il est donc établi que la société Deru, à tout le moins jusqu'au 11 décembre 2013, a manqué à ses obligations contractuelles en fournissant à l'Earl un ensemble de matelas présentant une défaillance structurelle en ce que la toile utilisée était propice à une déformation anormale de la zone de couchage des animaux.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

B - Sur les préjudices subis par l'Earl, et sur leur lien de causalité avec les manquements imputables à la société Deru':

Pour réclamer la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Deru in solidum avec son assureur Aviva au paiement d'une somme totale de 22.482 € à titre de dommages-intérêts, l'Earl se prévaut':

- d'abord une perte d'exploitation liée à la moindre qualité et à la moindre quantité de lait effectivement commercialisable au cours de la période litigieuse, du fait d'un taux excessif de leucocytes dans le lait issu de l'exploitation'; conformément au calcul de l'expert, le jugement a évalué ce chef de préjudice à 15.593 €';

- ensuite du coût induit par la nécessité de réformer prématurément un certain nombre de vaches qui, si elles n'avaient pas été contaminées par des mammites, auraient continué à produire du lait'; conformément au calcul de l'expert, le jugement a évalué ce chef préjudice à 6.075 €';

- enfin d'un surcoût de frais vétérinaires exposés par l'Earl pour soigner ses vaches malades'; conformément au calcul de l'expert, le jugement a évalué ce chef de préjudice à 814 €.

Pour contester ces réclamations, les sociétés Deru, Aviva et Animat font essentiellement valoir qu'il n'est pas démontré que ces préjudices, mêmes à les supposer caractérisés, soient la conséquence des déformations des matelas de couchage des animaux.

Plus précisément, ils critiquent le lien de causalité allégué entre ces défauts de couchage et l'augmentation prétendue des mammites ainsi que de leurs répercussions leucocytaires sur la qualité et la quantité du lait produit sur l'exploitation, expliquant que ce type d'affections peuvent avoir d'autres origines, notamment':

- une origine «'environnementale'», tout particulièrement s'agissant du type de germes repérés dans les mammites affectant les vaches du troupeau (staphylocoques),

- l'absence de liaison à la terre des installations électriques de la stabulation,

- le mauvais état sanitaire du cheptel de l'exploitation, préalablement même à l'installation des matelas,

- une contamination au moment de la traite, sans rapport avec le mode de couchage des animaux,

- le passage d'une stabulation libre à une stabulation par logettes,

- enfin le passage d'une traite manuelle à une traite robotisée au mois de juin 2013.

Cependant, l'expert comme le tribunal ont déjà répondu à l'ensemble de ces arguments, même si cette réponse n'a pas satisfait les vétérinaires conseils des sociétés appelantes.

Il convient d'abord d'observer, au vu du tableau figurant en page 11 du rapport d'expertise, la concordance criante entre l'augmentation des taux de leucocytes retrouvés dans les analyses laitières de l'exploitation et la mise en service des matelas litigieux jusqu'au remplacement des toiles défaillantes.

L'expert relève ainsi quatre périodes successives':

- la période de référence, soit jusqu'en octobre 2012, date de la mise en service des matelas, avec un taux cellulaire moyen relevé de 258.000 leucocytes';

- la période d'octobre 2012, date de mise en service des matelas, juusqu'à juin 2013, date de la mise en service du robot de traite, le taux cellulaire n'ayant alors cessé de progresser pour atteindre 578.000 leucocytes';

- la période de juin 2013 à décembre 2013, date du remplacement des toiles défaillantes, avec un maintien très élevé du taux de leucocytes';

- enfin la période postérieure à décembre 2013, avec un retour progressif à la normale du taux de leucocytes quelques mois plus tard.

La coïncidence entre l'augmentation de la contamination et la période où les matelas défaillants étaient en service est donc parfaitement établie.

Par ailleurs et contrairement à ce que les sociétés Deru, Aviva et Animat laissent entendre, l'expert n'a nullement exclu de lien complémentaire entre l'augmentation de cette contamination et la mise en place d'une traite robotisée, puisqu'il l'a même intégré dans son calcul de préjudice en retenant une «'incidence robot de 80.000 cellules'» leucocytaires, ayant ainsi minoré d'autant la perte d'exploitation alléguée pendant la période postérieure à l'arrivée du robot (cf en ce sens les pages 16, 17 et 20 du rapport).

En revanche, l'expert a expressément exclu, parmi les autres causes envisagées de la contamination, le mauvais état prétendu du troupeau, ayant précisément expliqué pourquoi tel n'était pas le cas (cf page 15 du rapport).

De même, l'expert a écarté les autres facteurs de contamination invoquées par les appelantes, notamment :

- le passage d'un système de stabulation libre à une stabulation par logettes, en se référant en particulier aux constats effectués par le GDS en novembre 2013 dont il résultait un bon état d'entretien des locaux et de confort des animaux, lesquels n'avaient pas rencontré de difficultés d'adaptation à ce nouveau mode d'élevage';

- la mise à terre défectueuse du matériel électrique d'exploitation de la stabulation, la non-conformité effectivement constatée n'ayant pas eu d'incidence démontrée sur le volume de la traite'(pas de baisse de fréquentation ni de production)';

- enfin l'origine «'environnementale'» de la contamination': en effet, si l'expert n'a pas écarté cette origine, notamment au regard du type de mammites rencontrées (des staphylocoques susceptibles d'être transmis lors de la traite elle-même), pour autant il n'en a pas moins considéré que les cuvettes de lait provoquées par les déformations des matelas de couchage étaient une cause d'augmentation de ce type de germes.

Il est donc établi qu'il existe un lien de causalité certain et direct entre les déformations des matelas de couchage des animaux et les différents préjudices d'exploitation subis par l'Earl.

S'agissant du préjudice lié à la baisse de qualité du lait (le lait contaminé ne pouvant pas être commercialisé), il convient d'entériner le calcul de l'expert, étant observé':

- d'une part que le chiffrage ainsi mis à la charge de la société Deru exclut expressément l'incidence leucocytaire de la traite robotisée';

- d'autre part que les conclusions des appelantes sur ce point ne contiennent pas d'autres critiques auxquelles il n'ait été précédemment répondu.

Par suite, l'Earl est fondée à réclamer à ce titre le paiement d'une indemnité de 15.593 €.

S'agissant du préjudice issu de la réforme prématurée d'un certain nombre de vaches malades, il convient d'observer'que l'expert en a évalué':

- le nombre à 9 vaches, ayant détaillé en page 20 de son rapport les raisons de ce chiffrage, sans être utilement contesté sur ce point';

- et le coût unitaire net à 675 € par animal, toujours sans être utilement contesté dans cette évaluation.

Par suite, l'Earl est fondée à réclamer à ce titre le paiement d'une indemnité de 6.075 €.

S'agissant du surcoût de frais vétérinaires exposés par l'Earl en lien avec les mammites imputables aux matelas défectueux, l'expert l'a évalué à 7,83 € par animal, ayant pour ce faire comparé les frais habituellement exposés par l'Earl avant l'installation des matelas litigieux et ceux exposés depuis lors. Ayant appliqué ce surcoût aux 104 vaches présentes sur l'exploitation à l'époque des faits, il conclut à un préjudice total de 814 €.

Si les appelantes ne contestent pas le montant unitaire de ce surcoût, en revanche elles contestent que toutes les vaches aient été affectées par la déformation des matelas, critiquant par là même le calcul de l'expert qu'elles qualifient de «'simple projection'».

Cependant, il convient d'observer que si tous les animaux du troupeau n'ont certes été contaminés, pour autant c'est bien l'ensemble de la production laitière de l'exploitation qui a été affectée par une forte hausse du nombre de cellules leucocytaires repérées lors des analyses. Dès lors et au vu l'importance de la contamination, il était légitime que l'Earl fasse contrôler voire traiter, le cas échéant préventivement, l'ensemble de son cheptel par son vétérinaire habituel.

En conséquence et ici encore, l'Earl est fondée à réclamer l'indemnisation de son préjudice tel qu'il a été calculé par l'expert à hauteur de 814 €.

Par suite et en application de l'article L 124-3 du code des assurances qui confère au tiers lésé un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile du responsable, les sociétés Deru et Aviva seront condamnées in solidum à payer à l'Earl une somme de 22.482 € en réparation de son préjudice, le jugement devant être confirmé en ce sens.

De même, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés Deru et Aviva à payer à l'Earl une somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par elle en première instance.

Y ajoutant, la cour condamnera in solidum les sociétés Deru et Aviva à payer à l'Earl une somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par elle en cause d'appel.

Enfin, parties perdantes, les sociétés Deru et Aviva supporteront in solidum les entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris ceux de référé et les frais de l'expertise judiciaire, à l'exclusion seulement des dépens afférents à la mise en cause de la société Animat.

III - Sur la garantie de la société Animat':

Il est constant que les matelas défectueux ont été fournis à la société Deru par la société Animat, laquelle est donc responsable de la défaillance structurelle de son matériel, l'expert ayant en effet retenu que c'était la mauvaise qualité de la toile utilisée dans la fabrication des matelas qui était à l'origine de leur déformation.

Par suite, la société Animat s'expose logiquement au recours en garantie de la société Deru pour les condamnations dont celle-ci fait l'objet au profit de l'Earl.

Sans contester le principe de cette garantie, la société Animat entend en revanche en voir limiter la portée à la moitié seulement des sommes allouées à l'Earl.

A cet effet, elle fait valoir que la société Deru est elle-même responsable, au moins pour partie, des préjudices subis par l'Earl, pour avoir tardé à remplacer les toiles défectueuses, la société Deru s'étant en effet bornée dans un premier temps à les recouvrir par de nouvelles toiles, ce qui n'a pas permis de mettre fin aux désordres constatés, et que ce n'est que plusieurs mois après, face à la persistance des désordres, qu'elle s'est enfin résolue à retirer les deux toiles superposées pour les remplacer définitivement par une nouvelle toile, cette fois-ci adaptée.

De fait, ce reproche est corroboré par l'expert qui confirme que si la société Deru n'a fait à l'origine que poser un matériel défectueux fabriqué par la société Animat, en revanche elle a commis une «'erreur'» en réinstallant, au mois de juin 2013, une deuxième toile sur la précédente, alors qu'il eût été préférable de déposer d'emblée la toile défectueuse pour la remplacer par une nouvelle toile, ce que la société Deru ne s'est résignée à faire que six mois plus tard. L'expert confirme aussi que c'est la société Deru qui a choisi cette solution inadaptée, et non la société Animat qui la lui aurait conseillée.

Ce faisant, la société Deru a permis que le désordre se prolonge, alors qu'il aurait cessé plus tôt si elle avait réagi plus tôt comme il le fallait.

Il en résulte qu'une partie du préjudice subi par l'Earl est en réalité imputable à l'action, ou plus exactement l'inaction, de la société Deru.

Ainsi et au vu des rôles respectifs de la société Animat et de la société Deru dans la survenance du dommage, il y a lieu d'opérer un partage de responsabilité par moitié entre les deux entreprises.

Par suite, le recours de la société Deru à l'encontre de la société Animat ne saurait excéder la moitié des condamnations mises à sa charge, tant en principal qu'en intérêts, frais (notamment d'expertise), dépens et article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, les trois sociétés (Deru, Aviva et Animat) seront déboutées de leurs propres demandes au titre de l'article 700.

Enfin et conformément à ce qu'a justement décidé le tribunal, la société Animat conservera seule la charge des dépens afférents à sa propre mise en cause.

PAR CES MOTIFS,

La cour':

Statuant publiquement par mise à disposition, contradictoirement et en dernier ressort':

- confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Animat à garantir la société Deru de l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci';

- l'infirmant de ce seul chef, statuant à nouveau et y ajoutant':

* condamne la société Deru in solidum avec la société Aviva Assurances à payer à l'Earl de [Adresse 6] une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel';

* condamne la société Deru in solidum avec la société Aviva Assurances aux entiers dépens de la procédure d'appel';

* condamne la société Animat à garantir la société Deru de la moitié seulement des condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci,'tant en principal qu'en intérêts, frais (notamment d'expertise), dépens et article 700 du code de procédure civile';

* déboute les parties du surplus de leurs demandes';

* dit que la société Animat conservera seule la charge des dépens afférents à sa propre mise en cause, y compris devant la cour.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

M. COLLET G. GUIGUESSON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/00052
Date de la décision : 14/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-14;21.00052 ?
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