AFFAIRE : N° RG 21/00182 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GVME
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance de CAEN du 27 Décembre 2019
RG n° 19/00975
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 14 FEVRIER 2023
APPELANTE :
La S.A.S. MASTELLOTTO
N° SIRET : 703 820 266
[Adresse 6]
[Localité 1]
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me France LEVASSEUR, avocat au barreau de CAEN
assistée de Me Jean-Pierre TAILLARD, avocat au barreau de CAEN,
INTIMÉES :
La DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 5]
prise en la personne de son représentant légal
La RECETTE INTERREGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS
[Adresse 2]
[Localité 4]
prise en la personne de son représentant légal
représentées par Me Mickaël DARTOIS, avocat au barreau de CAEN,
assistées de Me Anne-Claire MOYEN, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
M. GARET, Président de chambre,
DÉBATS : A l'audience publique du 06 décembre 2022
GREFFIER : Mme COLLET
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 14 Février 2023 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Dans le cadre de la réalisation du chantier de l'itinéraire de substitution à la RN 158, la société Mastellotto a utilisé des matériaux trouvés sur place.
Elle a fait l'objet d'un contrôle des Douanes, qui a donné lieu à trois procès-verbaux en 2015 et 2016, puis un avis de résultats d'enquête du 12 mai 2016, aux termes desquels était relevé un défaut de déclaration TGAP sur l'année 2013 pour 167.220 tonnes de granulats, générant une dette douanière de 33.444,00 €.
La société Mastellotto a fait valoir des observations par courrier du 10 juin 2016.
Selon procès-verbal du 21 juillet 2016, les enquêteurs lui ont notifié une infraction douanière, et un avis de mise en recouvrement a été émis le 27 juillet 2016.
La société Mastellotto a formulé une contestation par lettre recommandée avec avis de réception du 29 juillet 2016, qui a été rejetée par décision de l'administration des Douanes du 8 mars 2017.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 18 octobre 2017, le conseil de la société Mastellotto a formulé une demande dégrèvement.
Par deux courriers des 31 octobre 2017, et 11 décembre 2018, le conseil de la société Mastellotto se prévalant d'éléments nouveaux et notamment d'une circulaire du 6 novembre 2018, maintenait sa contestation.
Par courrier du 14 janvier 2019, l'administration des Douanes lui répondait que sa demande était irrecevable comme prescrite.
Par acte d'huissier du 15 mars 2019, la société Mastellotto a assigné le Directeur général des Douanes et des droits indirects de Caen, devant le tribunal de grande instance de Caen, aux fins de voir prononcer l'annulation de la décision de l'administration, la décharge de la somme de 33.444,00 € et l'allocation d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 27 décembre 2019, le tribunal a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action de la société Mastellotto,
- dit n'y avoir lieu à dépens en application de l'article 367 du code des douanes,
- condamné la société Mastellotto au paiement d'une indemnité de 1.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration en date du 20 janvier 2021, la société Mastellotto a formé appel de la décision.
Aux termes de ses écritures en date du 15 février 2021, elle conclut à la réformation du jugement en ce qu'il a déclaré son action irrecevable comme prescrite, et demande à la cour de :
- dire son action recevable et non prescrite,
- prononcer en sa faveur la décharge de la somme de 33.444,00 €
- condamner le Directeur général des douanes et droits indirects de [Localité 5] au paiement d'une somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses écritures en date du 10 mai 2021, la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 5] et la recette inter régionale des douanes et droits indirects de [Localité 5] concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action de l'appelante irrecevable.
Subsidiairement, elle conclut au rejet de ses demandes, et en tout état de cause à sa condamnation au paiement d'une somme de 4.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action de la société Mastellotto
L'article 346 du code des douanes dispose que toute contestation d'une créance doit être adressée à l'autorité qui a signé l'avis de recouvrement dans les trois ans qui suivent sa notification.
Il est désormais établi (Cf. C.cass. Com.18 mars 2020) que les redevables des douanes ont le droit, comme en matière de recouvrement des impôts directs et indirects, de former plusieurs réclamations contre un AMR jusqu'à l'expiration du délai de trois ans qui suit sa notification, sans avoir à justifier d'éléments nouveaux, condition d'ailleurs non prévue par le texte précité.
En l'espèce, l'avis de mise en recouvrement a été émis le 27 juillet 2016. Le délai prévu à l'article sus-visé, expirait donc le 27 juillet 2019.
La société Mastellotto a adressé à l'administration des douanes, deux contestations, l'une le 29 juillet 2016, à laquelle il a été répondu par la négative par courrier du 8 mars 2017 lui indiquant les voies de recours, l'autre, par la voie de son conseil, le 18 octobre 2017.
Une décision de rejet est intervenue le 14 janvier 2019, qui ne lui a pas notifié le délai des voies de recours, de telle sorte que celui-ci n'a pas commencé à courir.
La seconde contestation émise par le conseil de la société Mastellotto, l'ayant été avant l'expiration du délai légal, tout comme l'assignation devant le tribunal de grande instance de Caen du 15 mars 2019, son action est donc recevable.
Le jugement qui l'a déclarée irrecevable sera donc infirmé.
Sur le bien-fondé de l'action de la société Mastellotto
Il résulte de l'article 266 sexies 6 a)du code des douanes applicable en 2013, période concernée par l'avis de recouvrement, qu'est assujettie à une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), toute personne qui, pour les besoins de son activité économique, livre pour la première fois sur le marché intérieur des matériaux d'extraction de toutes origines se présentant naturellement sous la forme de grains ou obtenus à partir de roches concassées ou fractionnées, dont la plus grande dimension est inférieure ou égale à 125 millimètres et dont les caractéristiques et usages sont fixés par décret.
L'article 266 septies définit le fait générateur de la taxe comme la première livraison ou la première utilisation des matériaux d'extraction visés au a du 6 du I de l'article 266 sexies.
Le décret 2001-172 du 21 février 2001 modifié par le décret N°2003-152 du 18 février 2003, précise que 'les matériaux d'extraction mentionnés au 6 du I de l'article 266 sexies du code des douanes, sont ceux des types généralement destinés aux travaux publics, au bâtiment et au génie civil, à l'exclusion des pierres taillées ou sciées, des pavés, de l'ardoise, de l'argile, du gypse et du calcaire et de la dolomie industriels.
Pour l'application de l'alinéa précédent, sont considérés comme 'calcaire industriel' et 'dolomie industrielle' les produits destinés à être utilisés pour les seules industries du ciment, de la chaux, de la sidérurgie, des charges minérales et à enrichir les terres agricoles.'
Les parties conviennent qu'en vertu des circulaires N°6926 du 28 mars 2012 et N°6976 du 9 avril 2013, les produits taxables au titre de la TGAP doivent en outre, répondre aux quatre conditions cumulatives suivantes :
- être des types généralement destinés aux travaux publics, au bâtiment, au génie civil.
Ces notions recouvrent l'ensemble des travaux concourant à l'édification de bâtiments publics ou non, d'ouvrages d'art, et à la réalisation de chantiers (routes, ports, aéroports, barrages, irrigation, terrassement, etc...
L'expression 'des types généralement destinés' vise les produits dont l'utilisation la plus courante réside dans ces travaux.
Le caractère taxable n'est donc pas lié à l'utilisation effective du produit livré, mais à l'utilisation habituelle des produits du même genre.
Les redevables de la taxe n'ont donc pas l'obligation de vérifier la destination réelle de chaque livraison qu'ils font.
- avoir leur plus grande dimension inférieure ou égale à 125 millimètres.
Ce critère s'examine par lot.
Il n'existe pas de critère relatif à la plus petite dimension du grain. La terre est toutefois exclue.
- ne pas être issus d'une opération de recyclage ou de récupération .
Sont exclus à ce titre, les matériaux provenant de la démolition d'ouvrages ou réutilisés.
Des matériaux ayant simplement faits l'objet d'un nettoyage ou d'un traitement ne sont pas considérés comme ayant été 'utilisés'.
- présenter une teneur d'oxyde de silicium sur produit sec inférieur à 97 %.
Cette teneur est calculée en poids .
Elle est dosée selon la norme NF 196-2 ou NF ISO 12677 ou toute autre méthode alternative validée par le service commun des laboratoires.
Ainsi, si dans un lot plus de la moitié des grains ont une dimension supérieure à 125 millimètres, l'intégrité du lot sera exclue de la TGAP.
Il n'est pas contesté que la société Mastellotto n'a pas livré quelques matériaux que ce soit, seul pouvant lui être appliqué le critère de la première utilisation.
Le 6 b de l'article 266 sexies dans sa version applicable vise uniquement des matériaux d'extraction.
En matière de travaux du bâtiment, l'excavation consiste à décaisser une surface étendue du sol, donc à retourner le sol, notamment pour s'en servir in situ comme remblai, contrairement à l'extraction qui, consiste à retirer une chose du lieu où elle se trouve enfouie.
Il résulte de l'avis de résultat d'enquête produit que l'administration des douanes a reconnu que les 76.009 m3 provenant du chantier, ont été mis en remblais pour assurer la couche de forme et les travaux de terrassements généraux.
L'administration des douanes affirme qu'il s'agit de travaux d'extraction, l'appelante soutenant quant à elle, qu'il s'agit de travaux d'excavation, non concernés par la TGAP.
Il est constant que les travaux confiés à la société Mastellotto dans le cadre ce chantier, ne concernaient pas des travaux de construction , mais de terrassement et qu'elle n'a pas extrait des matériaux d'une carrière, mais a utilisé des matériaux trouvés sur place, dont elle s'est servie comme remblais, après avoir décaissé le sol.
L'administration des douanes ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, qu'il s'agissait effectivement de travaux d'extraction, se contentant de l'affirmer.
S'il est exact, que l'appelante ne peut se prévaloir d'une circulaire du 6 novembre 2018, non applicable aux faits de la cause, force est néanmoins de constater que celle-ci en indiquant que 'les matériaux excavés dans le cadre de travaux de construction ou de génie public ne sont pas soumis à la TGAP lorsqu'ils sont utilisés pour les besoins du chantier ou livrés en dehors du chantier', n'a fait que tirer les conséquences de la différence entre les travaux d'extraction et les travaux d'excavation, qu'elle a entendu préciser, différence qui n'est pas nouvelle et qui lui pré-existait.
Le fait générateur de la TGAP, à savoir la première utilisation de matériaux d'extraction n'étant pas établi, il y a lieu de faire droit à la demande de décharge de la somme de 33.444,00 € sollicitée par la société Mastellotto, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les autres conditions relatives à cette taxe sont réunies.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'équité commande d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Mastellotto au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 5] à payer à la société Mastellotto une somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter l'administration des douanes de sa demande à ce titre.
Succombant, les intimés seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Caen du 27 décembre 2019,
Statuant à nouveau,
DÉCLARE recevable comme non prescrite, l'action de la société Mastellotto,
PRONONCE en faveur de la société Mastellotto, la décharge de la somme de 33.444,00 € résultant de l'avis de mise en recouvrement du 27 juillet 2016,
CONDAMNE le directeur général des douanes et des droits indirects de [Localité 5] es qualité à payer à la société Mastellotto, la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE l'administration des douanes de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE le directeur général des douanes et des droits indrects de [Localité 5] es qualité aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON