AFFAIRE : N° RG 21/02175 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GZUJ
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de ROUEN du 14 Mai 2020
RG n° 16/00192
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 14 FEVRIER 2023
APPELANTE :
La S.A. ARTWALL
[Adresse 19]
[Localité 5]
84600 BELGIQUE
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Noëmie REICHLING, avocat au barreau de CAEN,
assistée de Me Thierry MASSIS, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Madame [V] [E]
née le 28 Décembre 1954 à [Localité 16]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 13]
représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
assistée de la SCP DESCAMPS PERISSERE, avocats au barreau de DIEPPE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
M. GARET, Président de chambre,
DÉBATS : A l'audience publique du 06 décembre 2022
GREFFIER : Mme COLLET
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 14 Février 2023 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
* * *
FAITS ET PROCEDURE
Suivant acte du 21 avril 1994, Mme [V] [E] a acquis une propriété à usage d'habitation située à [Localité 13] (Seine-Maritime), lieudit «'[Localité 17]'», cadastrée section AD [Cadastre 12], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 2] pour une contenance totale de 3 ha 38 a et 47 ca.
Suivant acte du 30 janvier 2014, la société Artwall a acquis la propriété voisine dénommée «'[Adresse 20]'» et cadastrée section AD [Cadastre 1], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 11] pour une contenance totale de 22 ha 45 a et 41 ca.
Le «'[Adresse 20]'» longe un chemin rural public dénommé «'[Adresse 18]'». Toutefois, le manoir qui s'y trouve implanté s'accède au moyen d'un chemin privé perpendiculaire aux «'[Adresse 18]'» qui sépare la propriété Artwall en deux parcelles et qui aboutit, au bout du chemin, à une fourche desservant à gauche l'entrée du manoir et à droite la propriété [E], cette dernière ne disposant pas quant à elle d'autre accès à la voie publique que le chemin puisqu'étant bordée à l'ouest comme à l'est par la propriété «'[Adresse 20]'» et au nord par la mer.
Depuis la fin de la décennie 2000, Mme [E] et la société Artwall se disputent la propriété de ce chemin privé, ci-après dénommé «'le chemin litigieux'».
Les deux riveraines s'opposent également sur la limite de leurs propriétés respectives à l'ouest du fonds [E] et ce, en direction du nord jusqu'à la mer.
Par acte du 1er février 2013, après échec d'une tentative de bornage amiable, Mme [E] a fait assigner la société Artwall devant le tribunal de grande instance du Havre aux fins de faire constater que le chemin litigieux fait partie intégrante de sa parcelle cadastrée AD [Cadastre 12]-[Cadastre 14], par là même de faire interdiction à la société Artwall de l'emprunter, enfin de faire fixer la limite séparative des deux propriétés par référence à celle proposée dans le rapport établi le 4 décembre 2012 par M. [H], géomètre-expert mandaté à cet effet, enfin de voir condamner la société Artwall à retirer sa clôture en ce qu'elle empiète sur la propriété de sa voisine.
Par ordonnance du 20 mars 2014, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d'expertise qu'elle a confiée à M. [K], géomètre-expert.
L'expert désigné a déposé son rapport définitif le 13 juillet 2015.
Par jugement du 14 mai 2020, le tribunal judiciaire du Havre a :
- dit que la parcelle en nature de chemin partant du chemin des [Adresse 18] d'une superficie de 6 ares 17 centiares, objet d'un échange intervenu entre les consorts [M] et [W] les 24 juin 1920 et 24 août 1921, fait partie de la parcelle section AD [Cadastre 12]-[Cadastre 14] dont Mme [E] est propriétaire ;
- débouté la société Artwall de sa demande de création d'une servitude de passage ;
- condamné la société Artwall à déposer à ses frais la clôture implantée entre les points B4 et B5 du rapport d'expertise judiciaire et ce, dans un délai de six mois à compter de la signification de la décision et, passé ce délai, sous astreinte de 50 € par jour de retard pendant le délai d'un mois ;
- rejeté les autres demandes, plus amples ou contraires ;
- condamné la société Artwall à verser à Mme [E] une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Artwall aux dépens comprenant le coût de l'expertise judiciaire.
Par déclaration reçue au greffe de la cour de Rouen le 17 juillet 2020, la société Artwall a formé appel de ce jugement.
Par ordonnance du 15 février 2021, le conseiller de la mise en état a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Caen au motif que Mme [E] exerce la profession d'avocat dans le ressort de la cour de Rouen.
L'affaire s'étant poursuivie devant la cour de Caen, la société Artwall a notifié ses dernières conclusions le 14 novembre 2022 et Mme [E] les siennes le 21 novembre 2022.
Finalement, la clôture de la mise en état est intervenue par ordonnance du 23 novembre 2022.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société Artwall demande à la cour de :
- infirmer dans sa totalité la décision du 14 mai 2020';
Statuant à nouveau,
- débouter Mme [E] de l'ensemble de ses demandes ;
Sur le chemin d'accès':
A titre principal,
- dire que le chemin d'accès constitue un chemin d'exploitation privé à usage des deux fonds, et dire que la propriété de l'assiette de ce chemin appartient à la société Artwall qui en est le riverain sur les deux côtés ;
A titre subsidiaire,
- dire et juger qu'au regard des titres de propriété tant de la société Artwall que de Mme [E], la société Artwall est propriétaire du chemin d'accès ;
A titre plus subsidiaire,
- constater que la prescription tant décennale que trentenaire est acquise au profit de la société Artwall sur le chemin d'accès ainsi que sur la parcelle en nature de chemin partant du chemin des [Adresse 18] d'une superficie de 5 ares 10 centiares, décrite ci-avant comme parcelle [Cadastre 9] P n° [Cadastre 7] ;
A titre plus subsidiaire,
- dire et juger que le chemin d'accès est mitoyen entre les deux fonds de Mme [E] et de la société Artwall, qu'ils en sont l'une et l'autre riverains directs et qu'ils en sont copropriétaires indivis selon une indivision forcée ;
- dire en conséquence que la société Artwall et Mme [E] supporteront, à parité, les frais d'entretien dudit chemin ;
A titre plus subsidiaire,
- dire et juger que si le chemin d'accès est la propriété exclusive de Mme [E] et qu'il n'est pas un chemin d'exploitation, la société Artwall se trouverait enclavée de fait en raison des prescriptions urbanistiques applicables, et bénéficierait en conséquence d'une servitude de passage sur ledit chemin';
Sur le chemin d'agrément':
A titre principal,
- constater que la prescription trentenaire est acquise à son profit sur la totalité du chemin d'agrément, conformément aux diligences intervenues le 26 mars 2009 et au bornage intervenu le 26 mars 2009 ;
A titre subsidiaire,
- dire et juger que la limite séparative des deux fonds sur le chemin d'agrément se situe sur la droite du chemin (en sens descendant vers la mer) conformément au plan établi le 18 mars 2009 par M. [O] [H], expert mandaté par Mme [E] ;
En tout état de cause,
- dire que l'atteinte au droit de propriété constituée par la suppression du chemin d'accès serait disproportionnée par rapport à l'enjeu qui porte sur l'accès au fonds du [Adresse 20] ;
A titre plus subsidiaire,
- ordonner que le cadastre soit modifié pour être mis en conformité avec la décision de la cour ;
- condamner Mme [E] à lui verser une somme de 20.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au contraire, Mme [E] demande à la cour de :
A titre principal,
- déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par la société Artwall, et la débouter de l'ensemble de ses demandes ;
- confirmer le jugement entrepris';
- constater que la parcelle en nature de chemin, partant du chemin des [Adresse 18], d'une superficie de 6 ares 17 centiares, objet de l'échange intervenu entre les consorts [M]-[W] les 24 juin 1920 et 24 août 1921, fait partie intégrante de la parcelle section AD [Cadastre 12]-[Cadastre 14] dont Mme [E] est propriétaire ;
- dire et juger que la limite de propriété coté ouest de l'immeuble lui appartenant se définit tel qu'établi dans le rapport de M. [K], expert judiciaire ;
- constater que la société Artwall empiète sur sa propriété, et la condamner à procéder à l'enlèvement de la clôture implantée entre les points B4 et B5 du rapport susvisé et ce, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
En conséquence,
- débouter la société Artwall de sa demande de reconnaissance de la prescription acquisitive tant sur le chemin litigieux d'accès que sur le chemin dit d'agrément ;
Subsidiairement,
- si, par extraordinaire, la cour retenait la prescription acquisitive sur la partie du terrain côté mer, dit chemin d'agrément, dire et juger que celle-ci ne pourra s'exercer que sur la partie entre la limite de propriété fixée par l'expert judiciaire et la clôture telle qu'implantée actuellement et figurant sur le plan de l'expert ;
- dire et juger que l'empiétement est manifeste pour le surplus ;
- débouter la société Artwall de sa demande de reconnaissance du caractère mitoyen du chemin litigieux ;
- débouter la société Artwall de sa demande de reconnaissance du chemin litigieux en chemin d'exploitation ;
- constater l'absence d'état d'enclave dans la mesure où la société Artwall dispose d'un autre chemin d'accès à sa propriété, et la débouter de toute demande au titre de la création d'une servitude de passage à son profit ;
- débouter la société Artwall de l'intégralité de ses demandes, celle-ci ne pouvant ignorer que si le chemin litigieux était sa propriété, la propriété de Mme [E] serait enclavée et devrait en ce cas faire l'objet de la reconnaissance d'une servitude légale, ce qu'elle demande à la cour de reconnaître ;
- condamner la société Artwall au paiement d'une somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner encore aux entiers dépens.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
I - S'agissant du chemin litigieux':
A - Sur la propriété du chemin':
Mme [E] en revendique la propriété exclusive, se prévalant d'abord de plusieurs indices en ce sens, et notamment':
- du fait que le cadastre actuel intègre ce chemin dans les parcelles AD [Cadastre 12]-[Cadastre 14] qui lui appartiennent';
- du fait que ce chemin apparaît également sur un plan de géomètre établi en 1929 à la demande de M. [D], auteur de la société Artwall, comme appartenant à M. [U], auteur de Mme [E]';
- ou encore du fait que le fonds [E] n'a pas d'autre accès à la voie publique que ce chemin, de sorte qu'il serait enclavé sauf à bénéficier d'une servitude de passage sur le fonds voisin, servitude qui n'est pourtant rappelée dans aucun des titres de propriété des parties en présence ni de leurs auteurs.
Mme [E] explique encore qu'un échange de parcelles a eu lieu suivant acte des 24 août 1920 et 24 juin 1921, M. [W], auteur de la société Artwall, ayant alors cédé aux époux [M], auteurs de Mme [E], «'une parcelle de terrain en nature de chemin'» figurant au cadastre de l'époque sous le n° [Cadastre 9] p («'p'» pour «'partie'» de la parcelle [Cadastre 9]), ce chemin étant décrit dans cet acte comme borné «'au bout vers le sud par un chemin rural'».
A n'en pas douter, il s'agit là du chemin litigieux, quand bien même son assiette a pu évoluer quelque peu depuis lors. C'est d'ailleurs l'analyse qu'en fait l'expert judiciaire dans son rapport.
Ce même chemin est encore évoqué dans d'autres actes postérieurs, notamment'celui du 6 mai 1925 ou encore celui du 24 avril 1937, qui font état d'un chemin qui «'pourrait être mitoyen'», cette mention des notaires, au demeurant en forme de simple supposition de leur part, pouvant s'expliquer par le fait que le chemin a continué à être utilisé, bien qu'ayant été cédé aux époux [M], par l'ensemble des propriétaires riverains.
Le titre de propriété de la société Artawall lui-même, en date du 30 janvier 2004, ajoute à cette confusion en ce qu'il mentionne que «'le vendeur a informé l'acquéreur qu'en ce qui concerne le chemin d'accès desservant la parcelle n° [Cadastre 12] (propriété voisine) tel que figurant au plan sous teinte rouge demeuré annexé aux présentes, selon le service du cadastre, il appartiendrait à ladite parcelle n° [Cadastre 12]. Or, selon les titres de propriété qui ont été portés à la connaissance de l'acquéreur, il semble au contraire que ce chemin fait partie de la propriété objet des présentes. L'acquéreur déclare avoir parfaite connaissance de cet état de fait et vouloir faire son affaire personnelle de modifier le plan cadastral s'il y a lieu.'»
Il n'en demeure pas moins que la société Artwall ne rapporte pas la preuve, du moins par titres, que ce chemin ait jamais été réintégré à sa propriété depuis l'échange de 1920-1921.
A cet égard, c'est sans convaincre qu'elle affirme que M. [W], son auteur, l'aurait racheté suivant acte du 24 avril 1922.
En effet, s'il est exact que celui-ci a alors acheté aux époux [M] plusieurs parcelles dont un chemin, pour autant il n'est pas démontré qu'il s'agisse du même chemin, l'acte portant acquisition d'un ensemble de terrains qui pouvaient aussi être desservis par des chemins.
Au demeurant, la cour observe que si cette cession porte, entre autres, sur une parcelle «'n° [Cadastre 10]'» («'p'» pour partie de la parcelle n° [Cadastre 9]), pour autant il'ne s'agit là que d'une nouvelle division de la parcelle n° [Cadastre 9], étant d'ailleurs observé qu'en dépit de cette vente à M. [W], les époux [M] ont conservé une partie de cette parcelle, elle-même toujours cadastrée «'n° [Cadastre 10]'» puisqu'ils ont pu la revendre suivant acte du 6 mai 1925, s'agissant là du chemin litigieux qui, sur le plan de 1929, apparaît comme étant la propriété de M. [U], auteur de Mme [E] (cf supra).
Ainsi et dans la mesure où la société Artwall ne rapporte pas la preuve de la réintégration du chemin litigieux dans le patrimoine de ses auteurs, c'est à bon droit que le tribunal a décidé, au vu des titres de propriétés et conformément aux préconisations du rapport d'expertise judiciaire, que la parcelle litigieuse, d'une contenance de 6 a 17 ca, objet de l'échange intervenu suivant acte des 24 juin 1920 et 24 août 1921, fait partie de la parcelle aujourd'hui cadastrée AD [Cadastre 12]-[Cadastre 14] dont Mme [E] est propriétaire.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
B - Sur la qualification, revendiquée par la société Artwall, de chemin d'exploitation au sens de l'article L 162-1 du code rural':
L'article L 162-1 du code rural dispose':
«'Les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage de ces chemins peut être interdit au public.'»
Il vient d'être démontré que l'examen des titres établissait que Mme [E] est seule propriétaire du chemin litigieux.
Pour autant, il convient de rappeler que le droit d'usage d'un chemin d'exploitation n'est pas lié à la propriété du sol.
En d'autres termes, l'existence d'un titre de propriété au profit exclusif de Mme [E] n'est pas incompatible avec la qualification de chemin d'exploitation, laquelle suppose seulement qu'il soit établi que le chemin serve exclusivement à la communication entre les fonds riverains ou à leur exploitation.
C'est la raison pour laquelle la société Artwall, qui affirme que le chemin a toujours servi à desservir non seulement la propriété [E] mais également la sienne, revendique qu'il soit qualifié de chemin d'exploitation et partant, qu'elle puisse continuer à en faire usage conformément aux prévisions du code rural.
Pour s'y opposer, Mme [E] fait essentiellement valoir que le chemin, objet de l'échange intervenu en 1920-1921, n'avait pas d'autre objet que de permettre la desserte d'un seul fonds, le sien, afin de le désenclaver.
Il n'en demeure pas moins que depuis des temps immémoriaux et ainsi qu'il résulte de nombreuses attestations produites par la société Artwall, le chemin sert à desservir plusieurs fonds, non seulement le fonds terminus appartenant à Mme [E], mais également celui appartenant à la société Artwall, plus exactement ses deux fonds qui bordent le chemin de part et d'autre.
D'ailleurs, les deux parties du fonds Artwall ne peuvent communiquer entre elles que par le chemin qui les sépare. Le procès-verbal d'huissier de justice produit par la société en pièce n° 13 le confirme, qui montre que ces deux parcelles, en nature de parc, sont reliées entre elles par des allées forestières perpendiculaires au chemin litigieux qui, en cela, présente une utilité déterminante pour la société Artwall puisqu'il permet la réunion des deux parties de sa propriété qui sont elles-mêmes séparées par la propriété [E].
Ce chemin n'a donc pas d'autre utilité que de permettre la communication entre les divers fonds riverains ou leur exploitation. Il s'agit donc bien d'un chemin d'exploitation au sens de l'article L 162-1 du code rural.
A cet égard, il est indifférent que le fonds Artwall dispose d'autres accès à la voie publique (le fonds longeant effectivement sur toute sa partie sud-est le chemin rural des «'[Adresse 18]'»), étant en effet rappelé que l'état d'enclave est sans incidence sur la qualification de chemin d'exploitation.
Il est également indifférent que la société Artwall ou ses auteurs n'aient pu utiliser le chemin litigieux qu'à titre de tolérance de la part de Mme [E] comme de ses auteurs, ledit chemin n'en ayant pas moins servi exclusivement à la communication entre les divers fonds riverains ou à leur exploitation.
En conséquence, c'est à bon droit que la société Artwall se prévaut de cette qualification et, partant, prétend conserver le libre usage de ce chemin, en commun avec Mme [E], quoi qu'il n'appartienne qu'à cette dernière, à charge pour la société, conformément aux prévisions de l'article L 162-2 du code rural, de contribuer elle-même aux travaux nécessaires à son entretien et à sa viabilité.
Par suite, le jugement, qui n'a pas fait droit à cette demande de qualification, sera infirmé sur ce point.
C - Sur les demandes subsidiaires de la société Artwall tendant à voir reconnaître sa prescription acquisitive du chemin, l'existence d'une servitude légale de passage pour cause d'enclave, ou encore la mitoyenneté du chemin':
Toutes présentées à titre subsidiaire, alors qu'il vient d'être fait droit à la demande principale de qualification de chemin d'exploitation, ces demandes sont désormais sans objet.
II - S'agissant du chemin dit d'agrément':
Au vu des pièces du dossier, il ne s'agit pas d'un chemin routier, mais d'une promenade qui, dans la partie nord des deux propriétés, mène jusqu'à la mer.
A - Sur la demande de la société Artwall tendant à voir reconnaître sa prescription acquisitive sur cette promenade':
La société demande à la cour de constater que la prescription trentenaire est acquise sur la totalité du'chemin d'agrément'tel qu'il a fait l'objet du bornage intervenu le 26 mars 2009.
Toutefois, il ne saurait être fait droit à cette demande, étant en effet observé':
- que la société ne rapporte pas la preuve qu'elle ou ses auteurs aient eu possession paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire de ladite promenade, au sens des dispositions de l'article 2261 du code civil;
- qu'en effet et depuis très longtemps déjà, les deux riverains sont en désaccord sur la délimitation de leurs propriétés respectives, précisément sur l'emprise de la promenade qui mène jusqu'à la mer';
- que dès lors, il est indifférent que l'une ou l'autre des parties ait contribué à l'entretenir ou à l'utiliser, n'ayant jamais pu le faire, en toute hypothèse, à titre de propriétaire incontesté de cette emprise.
En conséquence, la société Artwall sera déboutée de sa demande tendant à se voir reconnaître propriétaire par prescription de la promenade en cause.
B - Sur la demande de bornage':
Les parties ont tenté un bornage amiable en 2009, les deux géomètres alors mandatés par chacune d'elles ayant posé des bornes provisoires, avant que les opérations tournent court, essentiellement en raison du désaccord persistant quant à la propriété du chemin précédemment évoqué (I).
En tout état de cause et dès lors qu'aucun procès-verbal de bornage amiable n'a jamais été signé entre les parties, l'emplacement actuel des bornes provisoires ne saurait constituer la limite incontestable des deux fonds, la cour préférant se référer aux limites préconisées par l'expert judiciaire aux termes de son rapport déposé le 13 juillet 2015.
En conséquence et en l'absence d'arguments permettant de remettre en cause les limites de propriété ainsi préconisées, il convient d'ordonner la pose de bornes définitives sur les points A, B, C, B2, B3, P9, P10, P11, P12, B4 et B5 matérialisés sur le plan annexé au rapport d'expertise.
C - Sur la demande d'enlèvement des ouvrages empiétant sur la propriété de Mme [E]':
Conformément à la demande de Mme [E], la société Artwall sera condamnée à enlever, à ses frais et sous astreinte de 50 € par jour de retard à l'issue d'un délai d'un mois courant à compter de la signification du présent arrêt, et ce pendant une durée initiale limitée à soixante jours, l'ensemble des ouvrages, notamment des éléments de clôture, qui dépassent la limite de propriété désormais matérialisée par la ligne reliant les points A, B, C, B2, B3, P9, P10, P11, P12, B4 et B5, comme empiétant sur le fonds appartenant à Mme [E].
III - Sur les autres demandes':
Les deux parties seront déboutées de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles.
Le contexte de l'affaire ainsi que son issue, qui profite aux deux parties en ce qu'elle permet de clarifier leurs droits et obligations respectives, justifient le partage par moitié des entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût des opérations d'expertise judiciaire de même que celui du bornage à intervenir.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant publiquement par mise à disposition, contradictoirement et en dernier ressort':
- confirme le jugement en ce qu'il a dit que la parcelle en nature de chemin partant du chemin dit des «'[Adresse 18]'», d'une superficie de 6 ares 17 centiares et objet d'un échange intervenu entre les consorts [M] et [W] les 24 juin 1920 et 24 août 1921, fait partie de la parcelle section AD [Cadastre 12]-[Cadastre 14] dont Mme [E] est propriétaire, de même qu'en ce qu'il a débouté la société Artwall de sa demande de création d'une servitude de passage sur ce chemin ;
- l'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant':
* juge que le chemin, tel que précédemment décrit, est un chemin d'exploitation au sens de l'article L 162-1 du code rural';
* ordonne en conséquence à Mme [E] d'en laisser le libre usage à la société Artwall, en commun avec elle-même et à charge pour la société de contribuer aux travaux nécessaires à son entretien et à sa viabilité conformément aux prévisions de l'article L 162-2 du code rural';
* ordonne le bornage définitif des deux propriétés contiguës sur les points A, B, C, B2, B3, P9, P10, P11, P12, B4 et B5 figurant sur le plan annexé au rapport d'expertise judiciaire déposé le 13 juillet 2015';
* condamne la société Artwall à enlever, à ses frais et sous astreinte de 50 € par jour de retard à l'issue d'un délai d'un mois courant à compter de la signification du présent arrêt, et ce pendant une durée initiale limitée à soixante jours, l'ensemble des ouvrages, notamment des éléments de clôture, qui dépassent la limite de propriété désormais matérialisée par la ligne reliant les points A, B, C, B2, B3, P9, P10, P11, P12, B4 et B5'précités ;
* déboute les parties du surplus de leurs demandes';
* déboute les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
* partage par moitié les entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût des opérations d'expertise judiciaire de même que celui du bornage à intervenir.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
M. COLLET G.GUIGUESSON