AFFAIRE :N° RG 21/01477 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GYIG
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION en date du 12 Mars 2021 du Tribunal de Commerce de COUTANCES
RG n° 20/003077
COUR D'APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 16 MARS 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. SN HOTEL RESTAURANT LE FRUITIER
N° SIRET : 533 570 610
[Adresse 3]
[Adresse 6]
[Localité 4]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Franck THILL, substitué par Me LAIR, avocats au barreau de CAEN
INTIMEES :
S.A. MMA IARD
N° SIRET : 440 048 882
[Adresse 1]
[Localité 5]
prise en la personne de son représentant légal
S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
N° SIRET : 775 652 126
[Adresse 1]
[Localité 5]
prise en la personne de son représentant légal
représentées par la SCP FERRETTI HUREL LEPLATOIS, avocat au barreau de CAEN,
assistées de Me Jean-Marie COSTE FLORET, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
DÉBATS : A l'audience publique du 12 janvier 2023
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 16 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
* * *
La société S.A.R.L. SN Hôtel restaurant Le fruitier (société Le fruitier), exploitant un hôtel-restaurant sis [Adresse 2], a conclu avec les sociétés MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard un contrat d'assurance MMA Pro PME, prenant effet le 27 juillet 2018.
Arguant avoir dû cesser toute activité début 2020 en application des dispositions réglementaires portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, n'avoir été autorisée à rouvrir son établissement qu'à partir du 2 juin 2020, la société Le fruitier a demandé à son assureur l'indemnisation de la perte d'exploitation de son établissement d'hôtellerie-restauration.
Par lettre en date du 2 juillet 2020, la société MMA Iard s'est opposée à la demande d'indemnisation, faisant valoir qu'aux termes du contrat d'assurance conclu par les parties les pertes d'exploitation alléguées n'étaient pas prises en charge.
Suite à une nouvelle lettre recommandée du 7 juillet 2020 par laquelle la société Le fruitier demandait à l'assureur de revoir sa position, la société MMA Iard a confirmé, par lettre du 12 août 2020, son refus initial au motif que la garantie ne pouvait pas être activée dès lors qu'aucun cas de Covid 19 n'avait été détecté dans l'établissement de l'assuré.
Par acte en date du 9 décembre 2020, la société Le fruitier a assigné les sociétés MMA Iard assurances mutuelles et MMA Iard devant le tribunal de commerce de Coutances, aux fins d'obtenir l'indemnisation de sa perte d'exploitation conformément aux clauses prévues par le contrat d'assurance liant les parties.
Par jugement réputé contradictoire en date du 12 mars 2021, le tribunal de commerce de Coutances a débouté la société Le fruitier de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement des entiers dépens de l'instance dont les frais de greffe de la présente décision liquidés à la somme de 80,30 euros TTC.
Par déclaration du 28 mai 2021, la société Le fruitier a fait appel de ce jugement.
Par dernières conclusions en date du 31 mai 2022, la société Le fruitier demande à la cour de réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau de :
- condamner la société d'assurances mutuelles MMA Iard assurances mutuelles et la SA MMA Iard à lui verser une indemnité d'un montant de 197.158 euros en réparation de sa perte d'exploitation subie sur la période du 14 mars au 2 juin 2020 ;
A titre subsidiaire et avant dire droit sur le quantum de l'indemnisation,
- ordonner une expertise judiciaire ;
Dans cette hypothèse,
- condamner la société d'assurances mutuelles MMA Iard et la SA MMA Iard à lui verser une provision d'un montant de 100.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;
- condamner la société d'assurances mutuelles MMA Iard et la SA MMA Iard à lui verser une indemnité d'un montant de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions en date du 2 juin 2022, les sociétés S.A. MMA Iard assurances mutuelles et S.A. MMA Iard sollicitent à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Le fruitier de toutes ses demandes ;
Au surplus et subsidiairement en cas d'infirmation,
- débouter la demanderesse de toute demande de condamnation à un montant quelconque dès lors qu'elle ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du préjudice subi et que l'évaluation des préjudices réclamés est contraire à la méthode contractuelle d'évaluation des pertes d'exploitation et n'est pas techniquement justifiée ;
A titre reconventionnel et y ajoutant,
- condamner la société Le fruitier au paiement d'une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Le fruitier aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 juin 2022.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
SUR CE, LA COUR
Il résulte des dispositions de l'article L. 112-3 du code des assurances qu'il incombe à l'assuré, qui réclame à l'assureur l'exécution de son obligation de garantie en raison d'un sinistre, de prouver que celui-ci est survenu dans des circonstances de fait conformes aux prévisions de la police.
L'article L. 113-5 prévoit que lors de la réalisation du risque ou à l'échéance du contrat, l'assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà.
Selon l'article 1188 du code civil, le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
Aux termes de l'article 1189, toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.
Suivant l'article 1192, on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.
Le contrat d'assurance souscrit entre les parties prévoit dans ses conditions particulières une garantie des pertes d'exploitation après interruption ou réduction de l'activité entraînée par la survenance d'évènements énumérés.
Les conditions générales dans un paragraphe intitulé en caractères gras et en majuscules ' ce qui est garanti' prévoient que l'interruption ou la réduction d'activité doit être consécutive à une impossibilité ou des difficultés d'accéder à l'établissement assuré par les moyens de transport habituellement utilisés lorsque ces difficultés résultent :
- de dommages matériels survenant à moins de 1000 mètres de l'établissement dès lors que lesdits dommages sont couverts par l'assurance,
- ou d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prise à la suite d'un évènement soudain, imprévisible et extérieur à l'activité ou aux bâtiments dans lesquels l'activité est exercée.
Il est précisé à la suite, en caractères gras, que sont exclus les pertes d'exploitation consécutives à une impossibilité ou à des difficultés d'accès de l'établissement assuré en raison d'un attentat ou d'un acte de terrorisme.
L'interruption ou la réduction d'activité peut également être consécutive à la fermeture sur décision des pouvoirs publics de l'établissement si l'assuré exerce une activité d'hôtellerie et/ou de restauration en raison de la déclaration d'une maladie contagieuse, d'un assassinat, d'un suicide, ou du décès d'un client survenus dans cet établissement.
Les conditions générales dans un paragraphe intitulé, en caractères gras et en majuscules, 'ce qui est exclu', mentionnent qu'est exclue de la garantie une mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires 'de fermeture de votre établissement pour cause de fraude, atteinte à l'ordre public ou inobservation des normes sanitaires ;
ou prise en raison de risques de contamination d'épidémie ou de pandémie.
Toutefois, si vous exercez une activité d'hôtellerie et/ou de restauration, cette exclusion ne concerne pas la fermeture de votre établissement pour cause de maladie contagieuse, assassinat, suicide, décès d'un client survenant dans votre établissement'.
La société le Fruitier fait valoir que le contrat d'assurance garantit la perte d'exploitation en cas de mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prise à la suite d'un évènement imprévisible et extérieur à l'activité de l'assuré ou aux bâtiments dans lesquels celui-ci exerce et que l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, interdisant aux restaurants d'accueillir du public, a bien été pris en raison d'un évènement soudain, imprévisible et extérieur à l'activité de la société, une seule exclusion étant prévue à savoir l'attentat ou l'acte de terrorisme.
Elle précise que concernant la seconde exclusion relevée par le tribunal qui concerne les mesures émanant des autorités administratives prises pour cause de risque de contamination d'épidémie ou de pandémie, celle-ci ne s'applique pas si l'activité exercée est une activité d'hôtellerie et/ou de restauration, ce qui est le cas en l'espèce, que la garantie est donc bien due alors qu'il est établi que la déclaration d'une maladie contagieuse ou le risque de contamination d'épidémie ou de pandémie est survenu dans tous les restaurants qui ont été fermés par arrêté ministériel et donc dans le restaurant le Fruitier.
L'appelante soutient que juger le contraire reviendrait à considérer que les clauses sont ambiguës et sujettes à interprétation en faveur de l'assuré ou qu'elles vident la garantie de sa substance, la 'maladie contagieuse' n'étant pas définie au contrat et la notion 'survenance dans l'établissement', qui constitue une exclusion indirecte de garantie, n'étant pas formelle et limitée.
Les sociétés MMA soutiennent que la garantie 'impossibilité d'accès' ne s'applique pas en l'espèce puisque les pertes d'exploitation alléguées n'ont pas pour cause des difficultés d'accès par les moyens de transport mais bien l'arrêté du 14 mars 2020 portant interdiction aux restaurants de recevoir du public.
Sur la garantie 'fermeture administrative', elles font valoir que celle-ci ne s'applique pas car les risques assurés sont des risques internes à l'activité et aux lieux assurés, l'évènement devant se réaliser dans l'entreprise, ce qui suppose une décision à caractère individuel.
C'est justement que les intimées font valoir que l'accès au restaurant le Fruitier par les moyens de transport habituellement utilisés est resté possible pendant la période de confinement, l'arrêté du 14 mars 2020 interdisant aux restaurants de recevoir du public mais n'en empêchant pas l'accès notamment pour de la vente à emporter. Aucune mesure d'interdiction d'accès au restaurant le Fruitier n'a été prise.
La clause de garantie 'impossibilité d'accès', qui est claire et ne nécessite pas d'interprétation, n'a donc pas vocation à être mobilisée en l'espèce et la société le Fruitier est mal fondée à demander l'indemnisation de sa perte d'exploitation à ce titre.
Le contrat MMA PRO-PME garantit par ailleurs la fermeture sur décision des pouvoirs publics de l'établissement si l'assuré exerce une activité d'hôtellerie et/ou de restauration en raison de la déclaration d'une maladie contagieuse, d'un assassinat, d'un suicide, ou du décès d'un client survenus dans cet établissement.
Il y a lieu de relever que sont exclues de la garantie les pertes d'exploitation résultant d'une mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires prise en raison de risques de contamination d'épidémie ou de pandémie.
Cette clause d'exclusion est indiquée en caractères très apparents dans le paragraphe intitulé en caractères gras et en majuscules 'ce qui est exclu'.
Est a contrario garantie la perte d'exploitation en cas de fermeture de l'établissement de l'assuré pour cause de maladie contagieuse survenue dans l'établissement.
Cette clause de garantie s'oppose à l'exclusion de garantie en cas d'une mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires prise en raison de risques de contamination d'épidémie ou de pandémie et précise bien que pour recevoir application il faut l'existence d'une maladie contagieuse survenant dans l'établissement.
Cette clause n'est pas sujette à interprétation. Il s'agit d'une clause de garantie et non pas d'une clause d'exclusion qui doit être formelle et limitée.
La garantie est due sous trois conditions :
- en cas de fermeture administrative,
- pour cause de maladie contagieuse et il n'apparaît pas que ce terme soit sujet à interprétation puisqu'il s'oppose clairement dans la police d'assurance à l'épidémie et la pandémie qui supposent, selon la définition commune, le développement et la propagation rapide d'une maladie contagieuse dans une population,
- la maladie contagieuse doit être survenue dans l'établissement assuré.
Or en l'espèce, il n'est pas justifié d'une maladie contagieuse survenue dans l'établissement ayant été à l'origine d'une fermeture administrative.
Il ne saurait non plus être soutenu que cette condition de survenance de la maladie contagieuse dans l'établissement vide la garantie de toute substance ou ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire alors qu'un restaurant peut faire l'objet d'une fermeture administrative pour de nombreux cas de maladie contagieuse détectée en son sein (épidémie de gastro-entérite, de légionellose, de salmonellose').
Par ailleurs, même en considérant la Covid 19, il est envisageable que pour limiter la contagion et avant une épidémie, l'autorité administrative décide de la fermeture d'un établissement particulier en cas de cluster.
Comme le souligne justement l'assureur, la commune intention des parties n'était pas lors de la souscription du contrat de couvrir le risque d'une fermeture généralisée des établissements à l'ensemble du territoire mais de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation du restaurant exposé à des risques sanitaires, l'assuré s'assurant pour un dommage qui lui est propre et personnel.
La clause d'exclusion en cas d'épidémie et de pandémie et la précision apportée pour la garantie en cas de maladie contagieuse survenue dans un restaurant, clairement exprimées et connues de l'assuré, sont d'ailleurs la conséquence de cette analyse.
Dès lors, au vu de ces éléments, c'est à bon droit que le tribunal a jugé que les conditions de mise en oeuvre de la garantie pertes d'exploitation n'étaient pas réunies, qu'il a débouté la société le Fruitier de ses demandes et a condamné celle-ci aux dépens.
Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
La société le Fruitier, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée à payer la somme de 2000 euros aux sociétés intimées, unies d'intérêts, au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, déboutée de sa demande formée à ce titre et condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SARL SN Hôtel restaurant le Fruitier à payer à la SA MMA IARD et à la société MMA IARD assurances mutuelles, unies d'intérêts, la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne la SARL SN Hôtel restaurant le Fruitier aux dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY