AFFAIRE : N° RG 21/01491
N° Portalis DBVC-V-B7F-GYJF
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LISIEUX en date du 15 Avril 2021 RG n° 19/00244
COUR D'APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRÊT DU 13 AVRIL 2023
APPELANT :
Monsieur [M] [L]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Ivana HAGUIER, avocat au barreau de LISIEUX
INTIMEE :
Madame [F] [N]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Monique BINET, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller, rédacteur
Mme VINOT, Conseiller,
DÉBATS : A l'audience publique du 09 février 2023
GREFFIER : Mme ALAIN
ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 13 avril 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [F] [N], chirurgienne dentiste, a embauché son compagnon (avec lequel elle s'est mariée le 4 avril 2009), M. [M] [L], à compter du 23 février 2009 en qualité de secrétaire à temps partiel (19H hebdomadaires).
Suite à une requête en divorce datée du 28 février 2017, une ordonnance de non conciliation a été rendue le 3 avril 2018.
Le 5 avril 2018, Mme [N] a licencié M. [L] pour motif économique.
Le 4 avril 2019, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Lisieux pour demander, en dernier lieu, notamment, que le licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse, pour obtenir des dommages et intérêts à ce titre et pour défaut d'information concernant l'ordre des licenciements, non remise du contrat de sécurisation professionnelle au jour de l'entretien préalable, non respect du droit individuel à la formation, retard de paiement du salaire. Il a également réclamé un rappel de salaire au titre d'heures complémentaires.
Par jugement du 15 avril 2021, le conseil de prud'hommes a débouté M. [L] de ses demandes.
M. [L] a interjeté appel du jugement.
Vu le jugement rendu le 15 avril 2021 par le conseil de prud'hommes de Lisieux
Vu les dernières conclusions de M. [L], appelant, communiquées et déposées le 24 août 2021, tendant à voir le jugement réformé, à voir Mme [N] condamnée à lui verser : au principal, 11 743,05€, subsidiairement, 9 607,95€ de dommages et intérêts, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1 500€ de dommages et intérêts pour défaut d'information concernant l'ordre des licenciements, 3 000€ de dommages et intérêts pour non respect des règles relatives à l'ordre des licenciements, 1 500€ de dommages et intérêts pour remise tardive des documents relatifs au CSP, 1 500€ de dommages et intérêts pour non respect du droit individuel à la formation, 1 500€ de dommages et intérêts pour retard de paiement du salaire, 6 274,16€ (outre les congés payés afférents) de rappel de salaire au titre des heures complémentaires, 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile et tendant à voir assortir l'ensemble des condamnations d'un intérêt au taux légal 'à compter de la présente requête'
Vu les dernières conclusions de Mme [N] intimée, communiquées et déposées le 17 janvier 2023, tendant, au principal, à voir le jugement confirmé sauf à voir M. [L] condamné à lui verser 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, subsidiairement, tendant à voir réduire à 2 694,25€ le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 18 janvier 2023
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur l'exécution du contrat de travail
1-1) Sur le rappel pour heures complémentaires
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle de heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
En l'espèce, M. [L] se contente d'indiquer avoir effectué 'à tout le moins une heure complémentaire par jour'.
Cette seule allégation, sans précision sur le moment où cette heure complémentaire aurait été accomplie, sans aucun élément l'étayant et, sans même d'explication sur les raisons pour lesquelles il lui aurait été nécessaire de travailler une heure de plus par jour, ne permet pas à Mme [N] de répondre utilement en présentant ses propres éléments.
M. [L] sera donc débouté de cette demande.
1-2) Sur les retards de paiement de salaire
M. [L] soutient que ses salaires de mars, avril, mai et juin 2018 lui ont été payés en retard.
Il produit, à l'appui de cette allégation, la photocopie d'enveloppes diversement datées censées avoir contenu ses salaires.
Ces éléments sont insuffisants à établir l'existence d'un retard de paiement, consistant à avoir dépassé un délai d'un mois entre deux versements.
De surcroît, pour pouvoir prétendre à des dommages et intérêts, M. [L] devrait établir, en application de l'article 1231-6 du code civil, que Mme [N] lui a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant du seul retard de paiement puisque le retard lui-même est réparé par des intérêts au taux légal dès la mise en demeure.
M. [L] sera donc débouté de cette demande.
2) Sur le licenciement
M. [L] a été licencié à raison de la suppression de son poste de secrétaire, suppression motivée par une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et par des mutations technologiques (le poste de secrétaire n'étant plus justifié en raison d'une informatisation accrue, des différents logiciels en usage et des services de téléphonie mise en oeuvre).
M. [L] conteste l'existence de mutations technologiques au moment du licenciement, la nécessité de sauvegarder la compétitivité et la suppression réelle du poste.
' Mme [N] produit le registre d'entrée et de sortie du personnel et une version informatique signée par son expert comptable établissant qu'aucune embauche n'est intervenue après le licenciement de M. [L]. Son poste a donc bien été supprimé.
' Il est constant que les logiciels de gestion évoqués par Mme [N] ont, en fait, été achetés en 2014, quatre ans avant le licenciement de M. [L]. Mme [N] n'établit pas avoir acquis au moment du licenciement d'autres systèmes susceptibles d'entraîner une mutation technologique. Dès lors, si le logiciel de gestion était de nature à supprimer les tâches de M. [L], tel a ou aurait été le cas dès 2014.
' Mme [N] fait valoir que ses difficultés de trésorerie imposaient de réorganiser son entreprise (en supprimant le poste de M. [L]) pour sauvegarder sa compétitivité.
Mme [N] produit des extraits de ses comptes au 31 décembre 2018. Compte tenu de la date du licenciement (5 avril 2018), la situation à prendre en compte est surtout celle des années précédentes. Le compte d'exploitation mentionne, en 2017, des recettes (519 312€) et un bénéfice (208 140€) supérieurs à ceux de 2016 (respectivement 478 819€ et 166 154€). La situation au 31 décembre 2017, au vu de ces éléments, était donc meilleure qu'au 31 décembre 2016. Au 31 décembre 2018, les recettes étaient de 516 034€ et le bénéfice de 192 389€, soit une situation intermédiaire entre celles de 2016 et 2017 et qui ne traduit pas de difficultés avérées susceptibles d'obérer la compétitivité de l'entreprise.
Mme [N] évoque deux emprunts de 18 000 et 3 000€ contractés en 2018. Toutefois, la charge totale des emprunts au 31 décembre 2018 s'est à peine alourdie passant de 40 506€ à 45 024€ sans que, faute de chiffres, cette comparaison puisse être faite avec des années antérieures.
En conséquence, si Mme [N] établit avoir effectivement supprimé le poste de M. [L], elle ne justifie ni d'une mutation technologique intervenue dans un temps proche du licenciement, ni d'une réorganisation nécessaire pour sauvegarder sa compétitivité.
En conséquence, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et M. [L] peut prétendre à des dommages et intérêts.
' M. [L] soutient que le barème prévu à l'article L.1235-3 du code du travail doit être écarté car il ne lui assure pas la réparation adéquate à laquelle il peut prétendre en application de l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT (qui dispose que les juges devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée).
Cet article est d'application directe en droit interne. Les dispositions des articles L.1235-3 et L.1235-3-1 du code du travail en réservant la possibilité de réintégration, en prévoyant la possibilité de fixer une indemnité comprise entre un montant minimal et un montant maximal, montants variables en fonction de l'ancienneté et en écartant l'application du barème en cas de nullité du licenciement sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT. Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail étant, en conséquence, compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée, la situation concrète du salarié ne peut être prise en compte que pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L. 1235-3 du code du travail.
M. [L] peut prétendre compte tenu de son ancienneté (9 ans) et de la taille de l'entreprise (moins de 11 salariés) à une indemnité comprise entre 2,5 et 9 mois de salaire.
Il justifie avoir épuisé ses droits à Pôle Emploi le 30 juin 2021. Il ressort des pièces produites par Mme [N], qu'au moment où la cour a statué, le 22 août 2019, sur le divorce entre les époux, il percevait 832,40€ de retraite mensuelle en tant que pompier et la cour a confirmé le jugement qui a condamné Mme [N] à lui verser 1 200€ mensuels au titre du devoir de secours.
Compte tenu de ces renseignements des autres éléments connus : son âge (46 ans), son ancienneté (9 ans et 1 mois), son salaire moyen (1 055,06€ au vu de l'attestation Pôle Emploi), il y a lieu de lui allouer 5 000€ de dommages et intérêts.
3) Sur les autres demandes
3-1) Sur les critères d'ordre de licenciement
M. [L] reproche à Mme [N] de ne pas l'avoir informé sur ces critères d'ordre et, de surcroît, de ne pas les avoir appliqués.
' M. [L] a effectivement quitté son emploi le 5 juin 2018. Il devait, en application des articles L1233-17 et R1233-1 du code du travail, demander à Mme [N] les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements au plus tard par lettre recommandée le 15 juin 2018. Il a formé cette demande hors délai, par lettre du 6 juillet 2018. En conséquence, il n'est pas fondé à demander des dommages et intérêts à ce titre (sachant de surcroît que Mme [N] a répondu le 26 juillet à cette demande).
' Ayant obtenu des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [L] ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour inobservation de critères d'ordre de licenciement. Il sera donc débouté de cette demande.
3-2) Sur le contrat de sécurisation professionnelle
M. [L] reproche à Mme [N] de lui avoir remis, de manière tardive, les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle ce qui l'a empêché d'y adhérer.
Mme [N] soutient avoir remis le CSP à M. [L] lors de l'entretien préalable mais sans obtenir qu'il signe le récépissé et lui avoir, par conséquent, adressé à nouveau ces documents par lettre recommandée. M. [L] indique, quant à lui, n'avoir reçu ce document que lors de son envoi. Mme [N] n'établit pas avoir remis ce document lors de l'entretien préalable. Au demeurant la lettre accompagnant l'envoi ne fait pas état d'une première remise.
Ce retard a été préjudiciable puisque l'envoi a été fait le 16 mai 2018 et contient un bulletin d'adhésion mentionnant une date de remise le 19 mars et une expiration du délai de réflexion au 9 avril 2018. Au moment où M. [L] a reçu ce bulletin il n'était donc plus en mesure, au vu des mentions qui y figuraient, d'adhérer au CSP.
En réparation de la perte de chance d'adhérer à ce dispositif, favorable au salarié, il lui sera alloué 1 000€ de dommages et intérêts.
3-3) Sur le droit individuel à la formation
M. [L] reproche à Mme [N] de ne pas avoir respecté son droit individuel à la formation de 20H annuelles.
Les droits à des heures de formation acquis au 31 décembre 2014 en application du DIF, supprimé le 5 mars 2014, ont automatiquement alimenté le compte personnel de formation.
Mme [N] justifie que M. [L] a été informé chaque année du montant de son DIF et, au 31 décembre 2014, du fait que ses doits acquis de 54,5H étaient portés au crédit de son compte personnel de formation.
Aucun manquement ne saurait donc être reproché à Mme [N]. M. [L] sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
4) Sur les points annexes
En application de l'article L1231-7 du code civil auquel rien ne justifie de déroger, les sommes allouées à M. [L] produiront intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [L] ses frais irrépétibles. De ce chef, Mme [N] sera condamnée à lui verser 2 000€.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
- Réforme le jugement en ce qu'il a débouté M. [L] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non remise du contrat de sécurisation professionnelle, de sa demande d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamné aux dépens
- Statuant à nouveau
- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse
- Condamne Mme [N] à verser à M. [L] :
- 5 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1 000€ de dommages et intérêts pour défaut de remise du contrat de sécurisation
- 2 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile
avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt
- Condamne Mme [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel
- Confirme le jugement pour le surplus
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
E. GOULARD L. DELAHAYE