AFFAIRE : N° RG 21/00414 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GV5N
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAEN du 14 Décembre 2020
RG n° RG 17/0162
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 13 JUIN 2023
APPELANT :
Monsieur [S] [N]
né le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 6]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représenté par Me Mylène CASSAZ, avocat au barreau de CAEN,
assisté de Me Nicolas VERLY, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Madame [X] [C] [U]
née le [Date naissance 1] 1962 à PORTUGAL
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Catherine FOUET, avocat au barreau de CAEN,
assistée de Me Xavier LAYDEKER, substitué par Me HARDY, avocats au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
M. GARET, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
DÉBATS : A l'audience publique du 11 avril 2023
GREFFIER : Mme COLLET
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 13 Juin 2023 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
FAITS ET PROCEDURE
M. [S] [N] exerce une activité de chirurgien libéral ; à ce titre, il emploie en qualité de secrétaire médicale sa compagne, Mme [P] [Y].
Par message électronique du 7 octobre 2013, M. [N] a consulté Mme [X] [C] [U], avocate, sur la possibilité de «'quitter la sécurité sociale'», tant pour lui que pour sa compagne, elle-même déjà affiliée à un régime d'assurance-maladie en qualité de retraitée de la fonction publique, le médecin envisageant quant à lui d'adhérer à une compagnie d'assurance privée.
Par lettres du 8 novembre 2013 adressée tant à l'Urssaf de Basse-Normandie qu'à la Caisse Autonome de retraite des médecins français (Carmf), M. [N] a déclaré mettre fin à son adhésion aux deux régimes d'assurance-maladie et retraite.
Parallèlement, il a adhéré à un contrat d'assurance-maladie auprès de la société de droit britannique Amariz.
De même, il a cessé de déclarer à l'Urssaf les salaires versés à Mme [Y].
Le 1er juillet 2015, M. [N] a fait l'objet d'un contrôle de la part de cet organisme à l'issue duquel il a été verbalisé et redressé pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié.
Renvoyé devant le tribunal correctionnel de Caen du même chef, M. [N] en a été définitivement déclaré coupable par arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour de Caen qui, en date du 13 mai 2019, l'a condamné à une amende ainsi qu'au paiement de diverses sommes en faveur de l'Urssaf qui s'était constituée partie civile.
Entre temps et par un courrier du 17 mars 2016, Mme [U] avait mis fin au mandat qui la liait à M. [N] et l'avait invité à se rapprocher d'un nouveau conseil.
Par acte du 11 mai, se prévalant non seulement d'un manquement de l'avocate à son devoir d'information et de conseil mais également d'une rupture brutale et injustifiée du mandat, M. [N] a fait assigner Mme [U] devant le tribunal de grande instance de Caen aux fins d'être indemnisé de ses préjudices.
Par jugement du 14 décembre 2020, le tribunal a :
- dit que la responsabilité civile contractuelle de Mme [U] était engagée pour manquement à son devoir de conseil et d'information à l'égard de M. [N] ;
- fixé à 70 % la perte de chance subie par M. [N] en raison de la faute commise par Mme [U] ;
- condamné en conséquence,Mme [U] à payer à M. [N] une indemnité de 22.454,99€ en réparation de son préjudice matériel ;
- débouté M. [N] de sa demande en réparation d'un préjudice moral ;
- condamné Mme [U] à payer à M. [N] une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté Me [U] de sa demande formée au même titre';
- débouté les parties du surplus de leurs demandes';
- condamné Me [U] aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 14 février 2021, M. [N] a interjeté appel de cette décision.
M. [N] a notifié ses dernières conclusions le 17 septembre 2021, Mme [U] les siennes le 21 juin 2021.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 15 mars 2023.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [N] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que Mme [U] a manqué, entre le 7 novembre 2013 et le 17 mars 2016, à ses obligations d'information et de conseil auxquelles elle était tenue en sa qualité d'avocat à son égard ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [U] à lui verser une somme de 4.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes liées à la rupture brutale et injustifiée par Mme [U] de son mandat ;
- infirmer le jugement quant au montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués';
Statuant à nouveau,
- condamner Mme [U] à lui verser une somme de 129.640,95 € à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice matériel, soit :
* 42.468,31 € au titre des majorations, pénalités, frais de justice et d'exécution liés aux procédures d'ores et déjà mises à sa charge en conséquence de la cessation de ses déclarations et paiement de cotisations auprès de l'Urssaf ;
* 17.686 € à titre de privation des réductions fiscales Fillon auxquelles il aurait pu prétendre s'il avait poursuivi régulièrement ses déclarations et paiements de cotisations ;
*13.549,30 € correspondant aux cotisations Amariz destinées à se substituer aux cotisations de sécurité sociale ;
* 45.386,34 € au titre des frais d'avocats et de comptable liés aux diverses procédures l'ayant opposé à l'Urssaf ;
* 10.569 € au titre de sa condamnation par la cour d'appel de Caen en date du 13 mai 2019 ;
- condamner Mme [U] à lui verser une somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel ;
- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Au contraire, Mme [U] demande à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il :
* a dit que sa responsabilité contractuelle était engagée pour manquement à son devoir de conseil et d'information à l'égard de M. [N] ;
* a fixé à 70 % la perte de chance subie par M. [N] en raison de la faute qu'elle aurait commise ;
* l'a condamnée à payer à M. [N] la somme de 22.454, 99 € en réparation de son préjudice matériel ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger qu'elle n'a commis aucun manquement ;
- débouter en conséquence M. [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner M. [N] à lui payer une indemnité de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [N] aux entiers dépens de l'instance ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* débouté M. [N] de sa demande en réparation d'un préjudice moral ;
* débouté M. [N] de sa demande au titre d'une prétendue rupture abusive des relations contractuelles.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
I - Sur la responsabilité de l'avocate pour manquement à son devoir d'information et de conseil':
A - Sur la faute'commise par l'avocate :
Par application de l'article 1147 ancien du code civil dans sa rédaction applicable au mandat litigieux, l'avocat est tenu d'un devoir d'information et de conseil envers son client.
A ce titre, il doit notamment l'informer sur les chances de succès de son affaire comme des actions ou recours que son client pourrait entreprendre, en particulier sur les risques de condamnation, a fortiori pénale, qu'il pourrait encourir pour le cas où il se placerait dans une situation d'illégalité au regard de la législation communément appliquée.
Certes, l'avocat ne saurait empêcher son client de se placer dans une telle situation, mais doit en revanche l'avertir des conséquences d'un tel choix qui, en toute hypothèse, doit être éclairé par le professionnel du droit de façon à ce que son client choisisse en pleine connaissance de cause l'attitude à adopter.
Ce devoir d'information implique que l'avocat se tienne informé de l'évolution de la législation comme de la jurisprudence, de manière à pouvoir dispenser les conseils les plus avisés à son client. S'il ne maîtrise pas suffisamment la matière, il doit alors s'abstenir de tout conseil et renvoyer son client devant un autre avocat plus à même de le renseigner sur ses droits et obligations.
Or, en l'espèce, force est de constater que Mme [U] a manqué à ces obligations, tout particulièrement en s'abstenant d'avertir M. [N] du risque de poursuites pénales qu'il encourrait du chef de travail dissimulé s'il décidait de cesser de déclarer les salaires versés à sa secrétaire.
A cet égard, il convient de distinguer trois situations':
- d'abord, le défaut de déclaration des salaires, qui tombe incontestablement sous le coup de la loi pénale, ce qu'un avocat même non spécialisé en droit du travail ne saurait ignorer'; en effet, l'article L 8221-5 du code du travail ne souffre d'aucune interprétation possible en ce qu'il répute travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale ;
- ensuite, le défaut de paiement des cotisations sur salaires, qui peut faire encourir des peines contraventionnelles, notamment pour rétention indue de précompte des cotisations salariales';
- enfin, le défaut de paiement des cotisations du travailleur indépendant qui, en soi, ne caractérise pas nécessairement un travail dissimulé par dissimulation d'activité, ce qui explique d'ailleurs que M. [N] n'ait pas été condamné de ce chef par la cour d'appel'qui, en effet, a estimé qu'en dépit de la cessation du paiement de ses propres cotisations de sécurité sociale, le médecin n'avait pas cherché à dissimuler son activité ; en revanche, cette attitude lui faisait encourir de graves sanctions civiles, en l'occurrence des majorations et pénalités appliquées tant par les organismes de sécurité sociale obligatoire dont il relevait jusqu'alors.
Or, l'avocate n'a jamais clairement informé M. [N] sur l'existence de tels risques, s'étant contentée d'évoquer auprès de lui, dans un message du 7 novembre 2013, le risque de «'tracasseries administratives'» dont il pourrait faire l'objet, voire de lui conseiller, y compris s'agissant de sa salariée, de «'dénoncer totalement, sur le fondement du droit communautaire, le paiements des charges'» y afférentes en invoquant «'le libre choix de l'assureur'», ajoutant même que «'beaucoup de salariés le font désormais'».
A cet égard, la cour observe que les quelques jurisprudences censées justifier de ce prétendu libre choix ne concernent pas les salariés qui, en droit positif, n'ont pas le choix d'adhérer ou de refuser d'adhérer au régime de sécurité sociale dont ils relèvent obligatoirement du seul fait de l'exercice de leur activité salariée, quand bien bénéficieraient-ils par ailleurs d'une autre couverture sociale, notamment en qualité de retraités.
Par ailleurs, ces jurisprudences, qui ne visent en réalité que les travailleurs indépendants, ne sont plus d'actualité, puisqu'il est désormais jugé avec constance que les règles européennes garantissant la libre concurrence du marché de l'assurance ne s'appliquent pas aux régimes légaux de sécurité sociale, dès lors que ceux-ci sont fondés sur le principe de solidarité nationale.
Mme [U], qui intervient régulièrement dans des colloques organisés sous l'égide de mouvements qui mènent ce combat contre la sécurité sociale (cf. en ce sens plusieurs pièces produites par M. [N]), ne l'ignore pas, même si elle continue à appeler de ses v'ux une évolution de la jurisprudence.
A tout le moins, elle aurait dû avertir son client que ce combat, qu'elle paraît partager avec lui, serait difficile à gagner, son issue des plus incertaines, et qu'entre temps, M. [N] serait immanquablement condamné, tant civilement que pénalement.
Or, elle ne justifie pas l'avoir fait, alors même que M. [N] sollicitait son avis sur la «'sécurité juridique'» de la démarche qu'il envisageait d'accomplir «'avant de s'engager'» (cf. en ce sens un message adressé à l'avocate le 24 octobre 2013).
Bien plus, alors que M. [N] la consultait en urgence dans la perspective de son audition par la gendarmerie pour travail dissimulé, Mme [U] n'a pas hésité à lui indiquer, par un message du 15 mars 2016, que cette convocation était «'irrégulière et totalement injustifiée'», voire que la plainte pénale de l'Urssaf relevait d'une «'dénonciation calomnieuse'».
Le fait que M. [N] ait depuis été condamné définitivement pour travail dissimulé démontre qu'il n'en était rien, et que les renseignements ainsi donnés par l'avocate à son client étaient pour le moins inadaptés.
Ainsi, c'est à juste titre que le tribunal a jugé que Mme [U] avait manqué à son devoir d'information et de conseil vis-à-vis de son client pour ne pas l'avoir correctement renseigné sur ses droits et obligations, et tout particulièrement pour ne pas l'avoir averti des risques encourus par lui s'il devait persister dans son choix. Le jugement sera confirmé sur ce point.
B - Sur le préjudice et le lien de causalité entre la faute et le préjudice':
Aux termes de l'article 1149 ancien du code civil dans sa numérotation applicable au litige, les dommages-intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.
S'agissant d'un manquement au devoir de conseil, le préjudice réparable est celui qui aurait pu être évité si le conseil approprié avait été délivré.
En l'occurrence, ce préjudice relève d'une perte de chance, ce qui implique de rechercher si et dans quelle mesure M. [N], correctement informé par son avocate, aurait persisté dans ses projets, d'une part de cesser de déclarer sa salariée aux caisses obligatoires de sécurité sociale, d'autre part de se désaffilier lui-même des organismes dont il relevait, notamment l'Urssaf et la Carmf.
A cet égard et au vu des éléments du dossier, la cour considère':
- qu'il est peu probable que M. [N], dûment informé de la perspective de poursuites pénales lui faisant encourir une peine d'emprisonnement pouvant entacher sa crédibilité et son honorabilité professionnelle au risque de compromettre la poursuite de son activité, ait pu prendre une telle décision, par là même qu'il ait persisté dans son projet de ne plus déclarer sa salariée, même avec l'accord de celle-ci'; ainsi, la cour évalue la perte de chance de ne pas s'exposer aux sanctions qu'il a subies à 90'% ;
- qu'en revanche, il est plus envisageable que M. [N] ait persisté dans son projet de désaffiliation des régimes obligatoires de sécurité sociale dont il relevait en qualité de travailleur indépendant'; en effet, ce projet s'inscrivait dans le cadre d'un mouvement concerté, que la crainte de poursuites civiles n'a jamais réussi à dissuader'; que M. [N] était manifestement très proche de ce mouvement, alors par ailleurs qu'il avait déjà réfléchi aux démarches à entreprendre pour se désaffilier, la cour évalue à 50'% la perte de chance qu'il ne persiste pas dans ce projet s'il avait été correctement informé par l'avocate des risques d'une telle entreprise.
Par suite, le préjudice subi par M. [N] consécutivement à ce défaut de conseil sera liquidé comme suit.
S'agissant de la cessation de déclaration des salaires versés à Mme [Y], M. [N] est fondé à réclamer le remboursement, à titre de dommages-intérêts et dans la limite de la perte de chance précédemment fixé à 90'%, le montant des majorations et pénalités de retard qui lui ont été infligées par les différents organismes de sécurité sociale de salariés, de même que les condamnations prononcées contre lui devant diverses juridictions (notamment le juge de l'exécution) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ou encore les frais et dépens mis à sa charge, le tout pour une somme totale de 27.752,07 € X 90'% = 24.976,86 €.
A cet égard, c'est vainement que l'Urssaf soutient que M. [N] ne justifie pas du paiement de ces différentes sommes, alors au contraire qu'il produit plusieurs pièces qui attestent qu'il les a effectivement acquittées.
De même, c'est vainement qu'elle lui reproche de ne pas avoir sollicité la remise amiable des majorations et pénalités auprès des organismes qui les ont appliqués, étant en effet rappelé, d'une part que l'issue d'une telle demande apparaissait très incertaine, d'autre part et surtout que la victime d'un préjudice n'est jamais tenu de le limiter dans l'intérêt de celui qui l'a causé.
En revanche, ne relèvent pas d'un préjudice réparable les cotisations elles-mêmes, puisque, dans la mesure où elles étaient légalement dues, le fait que M. [N] ait finalement dû les régler n'est pas la conséquence de la faute imputable à l'avocate.
Il en est de même des taxes sur les salaires acquittées par M.'[N] auprès du trésor public en qualité d'employeur.
A l'inverse, c'est par bien par suite de sa condamnation pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié que M. [N] s'est vu retirer le bénéfice de l'ensemble des réductions de cotisations sur salaires (réductions «'Fillon'»)'; dès lors, le coût résultant de cette suppression, d'un montant total de 17.686 €, est bien imputable à la faute commise par l'avocate, du moins dans la limite de la perte de chance précédemment évoquée'; par suite, Mme [U] sera condamnée à lui régler à ce titre une indemnité de 17.686 € X 90'% = 15.917,40 €.
M. [N] est également fondée à réclamer le remboursement, toujours à titre de dommages-intérêts et dans la limite de la perte de chance précédemment arrêtée, de l'amende délictuelle de 10.000 € à laquelle il a été condamné par l'arrêt du 13 mai 2019, ainsi que de l'ensemble des sommes allouées à cette occasion à l'Urssaf en qualité de partie civile, soit 200€ en réparation de son préjudice moral et 1.500 € au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale'; par suite, Mme [U] sera condamnée à régler à M. [N] à ce titre une indemnité de 11.700 € X 90'% = 10.530 €.
S'agissant de la désaffiliation de M. [N] aux organismes obligatoires de sécurité sociale des travailleurs indépendants, l'intéressé produit différents justificatifs de majorations, pénalités et frais de procédure qu'il a dû régler notamment auprès de la Carmf ainsi que de l'Urssaf pour une somme totale de 8.405,84 €'; par suite, Mme [U] sera condamnée à lui régler à ce titre, dans la limite d'une perte de chance de 50'%, une indemnité de 8.405,84 € X 50'% = 4.202,92 €.
A l'inverse, ne relèvent pas d'un préjudice réparable les cotisations elles-mêmes, puisque, dans la mesure où elles étaient légalement dues, le fait que M. [N] ait finalement dû les régler n'est pas la conséquence de la faute imputable à l'avocate.
De même, c'est à tort que M. [N] réclame le remboursement, à titre de dommages-intérêts, du coût de son adhésion à la compagnie d'assurance privée Amariz, dès lors, d'une part qu'il n'est pas établi que Mme [U] lui ait conseillé cette adhésion ni même qu'elle ait été consultée sur l'opportunité de celle-ci, d'autre part que dans la mesure où l'adhésion avait pour contrepartie une prestation d'assurance, son coût n'est pas constitutif d'un préjudice.
M. [N] sera également débouté de la demande qu'il forme, toujours à titre indemnitaire, aux fins de remboursement des frais d'avocats et de comptabilité qu'il a exposés dans le cadre de ses démarches de désaffiliation puis de réaffiliation aux régimes obligatoires de sécurité sociale, dès lors en tout état de cause qu'il ne justifie pas d'un lien de causalité entre l'exposition de ces frais et la faute imputable à l'avocate.
Enfin et faute d'en justifier, M. [N] sera déboutée de sa demande d'indemnisation du préjudice moral qu'il prétend avoir subi dans le cadre de cette affaire.
En définitive et après application des coefficients de perte de chance précédemment arrêtés, Mme [U] sera condamnée à payer à M. [N] une somme totale de 55.627,18 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant du manquement de l'avocate à son devoir d'information et de conseil.
Le jugement sera réformé en ce sens.
II - Sur la responsabilité de l'avocate pour rupture brutale et injustifiée de son mandat':
En vertu des articles 2003 et 2007, tout mandataire est fondé à mettre fin au mandat, pour peu qu'il notifie à son mandant sa décision d'y renoncer.
Ce principe, tiré du droit commun du mandat, s'applique notamment aux relations entre un avocat et son client, l'un comme l'autre étant toujours en droit de dénoncer le mandat qui les lie.
Dès lors, n'est jamais injustifiée, par là même fautive, la décision de l'avocat de mettre fin à ses relations avec son client et ce, sans même avoir à justifier des raisons qui l'y conduisent.
En revanche, la rupture peut devenir fautive dès lors qu'elle intervient dans des conditions préjudiciables pour le client, en particulier si elle est brutale ou vexatoire, ou encore si elle ne permet pas au client de recourir en temps utile aux services d'un autre avocat.
Ainsi, il appartient à l'avocat qui décide de ne pas poursuivre sa mission, d'en prévenir son client dans des délais permettant à ce dernier de pourvoir à la défense de ses intérêts.
En l'espèce, pour réclamer de nouveau des dommages-intérêts à Mme [U] en réparation de son préjudice moral, M. [N] fait essentiellement valoir que l'avocate a attendu le 17 mars 2016 pour lui notifier la fin de leurs relations, soit à une époque où il avait à faire face aux multiples poursuites de l'Urssaf et des autres organismes de sécurité sociale, étant notamment sous le coup de plusieurs procédures pendantes devant le juge de l'exécution dont certaines ont été radiées ou déclarées caduques du fait de son défaut de comparution/représentation à l'audience.
M. [N] estime ainsi avoir été abandonné par son avocate.
Cependant, il résulte des pièces du dossier':
- que par lettre du 17 mars 2019, l'avocate a informé son client qu'elle mettait un terme immédiat à toute intervention pour son compte';
- qu'en justifiant sa décision par l'existence de «'divergences'» les opposant, sans autre accusations ni propos désobligeants, l'avocate n'a pas fait preuve de brutalité ni d'une attitude vexatoire vis-à-vis de son client';
- qu'elle lui a précisé que les dossiers dont elle avait jusqu'alors la charge ne présentaient pas d'urgence particulière de sorte qu'il disposait d'un délai suffisant pour s'adresser à un nouveau conseil, ce qui était exact puisque les premières audiences à venir, soit celles devant le juge de l'exécution, n'étaient programmées que pour le 19 avril suivant, soit plus d'un mois après la lettre de rupture';
- que Mme [U] a d'ailleurs été très rapidement contactée par le nouvel avocat choisi par M. [N], à qui elle a transmis, dès le 7 avril 2016, une première série de dossiers dont les plus urgents appelées devant le juge de l'exécution';
- qu'ainsi et dès le 21 avril 2016, l'avocate avait transmis à son confrère la totalité des dossiers dont elle avait jusqu'alors la charge.
Dans ces conditions, il n'apparaît pas que Mme [U] ait commis une faute dans la manière de rompre son mandat ou dans la transmission des dossiers à son successeur'; dès lors, elle ne saurait être tenue pour responsable des carences procédurales qui ont conduit aux décisions de radiation et de caducité du 19 avril 2016.
En conséquence, sa responsabilité ne saurait être engagée à ce titre, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [N] de toute demande indemnitaire, notamment en réparation d'un prétendu préjudice moral pour rupture abusive et injustifiée du mandat.
III - Sur les autres demandes':
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a condamné Mme [U], partie perdante, à payer à M. [N] une somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par celui-ci en première instance.
Y ajoutant, la cour la condamnera au paiement d'une somme complémentaire de 3.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par son adversaire en cause d'appel.
Enfin, Mme [U] supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant publiquement par mise à disposition, contradictoirement et en dernier ressort':
- confirme le jugement en ce qu'il a dit que Mme [X] [C] [U] avait engagé sa responsabilité civile contractuelle pour manquement à son devoir d'information et de conseil envers M. [S] [N], en ce qu'il a dit que Mme [U] n'avait pas engagé sa responsabilité pour rupture abusive et injustifiée des relations contractuelles avec son client et en ce qu'il a débouté celui-ci de sa demande en réparation d'un préjudice moral, en ce qu'il a condamné Mme [U] à payer à M. [N] une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, enfin en ce qu'il l'a condamnée aux entiers dépens de première instance';
- l'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant':
* condamne Mme [U] à payer à M. [N] une somme totale de 55.627,18 € à titre de dommages-intérêts';
* déboute les parties du surplus de leurs demandes'et défenses ;
* condamne Mme [U] à payer à M. [N] une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel';
* condamne Mme [U] aux entiers dépens de la procédure d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON