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29/06/2023 | FRANCE | N°21/02684

France | France, Cour d'appel de Caen, 2ème chambre civile, 29 juin 2023, 21/02684


AFFAIRE :N° RG 21/02684 -

N° Portalis DBVC-V-B7F-G24Y

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : DECISION en date du 15 Septembre 2021 du Tribunal de Commerce de CAEN

RG n° 2021000118





COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 29 JUIN 2023









APPELANTS :



Monsieur [S] [M] [B] [D]

né le 09 Mai 1977 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 3]



S.A.S. A2A

N° SIRET : 820

076 313

[Adresse 4]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal



représentés et assistés de Me Anthony MAYAUD, avocat au barreau de CAEN







INTIMEE :



S.A.S. ARF

N° SIRET : 517 489 746

[Adresse 2]...

AFFAIRE :N° RG 21/02684 -

N° Portalis DBVC-V-B7F-G24Y

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DECISION en date du 15 Septembre 2021 du Tribunal de Commerce de CAEN

RG n° 2021000118

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 29 JUIN 2023

APPELANTS :

Monsieur [S] [M] [B] [D]

né le 09 Mai 1977 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 3]

S.A.S. A2A

N° SIRET : 820 076 313

[Adresse 4]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

représentés et assistés de Me Anthony MAYAUD, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

S.A.S. ARF

N° SIRET : 517 489 746

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de la SELARL SEROT-MINET AVOCATS, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 04 mai 2023

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRÊT prononcé publiquement le 29 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

Le 1er avril 2014, la SAS ARF, société spécialisée dans l'activité de détection de fuites auprès d'une clientèle principalement composée d'agences immobilières et de syndics de copropriété, a embauché M. [S] [D] en contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de technicien statut cadre.

Le 19 février 2016, M. [D] [S] a sollicité par écrit une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Le 29 février 2016 la rupture conventionnelle a été validée par la société ARF et par M. [D], la date de fin du contrat étant fixée au 9 avril 2016.

Le 4 mai 2016, M. [D] a créé et immatriculé sa société dénommée A2A auprès du registre du commerce et des sociétés de Caen avec le code NAF 7120B (analyses, essais et inspections techniques).

Estimant que plusieurs agissements de M. [D] étaient constitutifs d'un détournement de clientèle, la société ARF a, par acte du 27 juillet 2018, saisi le juge des référés sollicitant que la société A2A soit condamnée, sous astreinte, à communiquer ses grands livres et ses factures clients de 2016 à 2018.

Par arrêt du 17 octobre 2019, infirmant une ordonnance du 12 décembre 2018 du juge des référés du tribunal de commerce de Caen, la cour d'appel de Caen a ordonné à la société A2A de communiquer ses grands livres et ses factures clients de 2016 à 2018.

Par exploit d'huissier de justice en date du 28 décembre 2020, la SAS ARF a assigné la société A2A et M. [D] [S] à comparaître devant le tribunal de commerce de Caen aux fins de les voir condamner, pour détournement de clientèle et des actes de concurrence déloyale, à lui payer in solidum la somme de 48.000 euros à titre de dommages-intérêts consécutifs à la perte de marge subie en raison des actes de concurrence déloyale, avec intérêts au taux légal á compter du 16 juillet 2018, outre la somme de 63.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du manque à gagner.

Par jugement contradictoire du 15 septembre 2021, le tribunal de commerce de Caen a  :

- écarté l'exception d'incompétence ;

- débouté la société A2A et M. [S] [D] de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamné in solidum la société A2A et M. [S] [D] à payer à la société ARF la somme de 48.000 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2018 ;

- débouté la société ARF de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice de manque à gagner ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné in solidum la société A2A et M [S] [D] à payer à la société ARF la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum la société A2A et M. [S] [D] aux entiers dépens, y compris les frais de greffe s'élevant à la somme de 92,21 euros, dont TVA 15,37 euros.

Par déclaration du 28 septembre 2021, M. [S] [D] et la SAS A2A ont fait appel de ce jugement.

Par dernières conclusions du 15 décembre 2021, la SAS A2A et M. [D] demandent à la cour de :

- réformer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a écarté la demande de la société ARF au titre du préjudice subi pour manque à gagner ;

- débouter la SAS ARF de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la SAS ARF au paiement d'une somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour procédure abusive ;

- condamner la SAS ARF au paiement d'une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par dernières conclusions du 3 avril 2023, la SAS ARF demande à la cour de :

- débouter M. [D] et la société A2A de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- infirmer le jugement entrepris mais seulement en ce qu'il a débouté la société ARF de sa demande de dommages-intérêts au titre du manque à gagner ou de la perte de chance de réaliser un chiffre d'affaires ;

- confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions non contraires ;

Y ajoutant,

- condamner la société A2A, in solidum avec M. [D], à payer à la société ARF une somme de 4.000 euros complémentaire à titre de dommages-intérêts pour perte de marge subie ;

Statuant à nouveau sur le chef de jugement réformé,

- condamner in solidum M. [D] et la SAS A2A à payer à la SAS ARF la somme de 63.000 euros nette à titre de dommages-intérêts en réparation du manque à gagner subi par la SAS ARF ou de la perte de chance pour cette dernière de réaliser un chiffre d'affaires entre les années 2016 et 2018 inclue, en raison de ces actes de concurrence déloyale, avec intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2018 ;

- condamner in solidum M. [D] et la SAS A2A à payer à la SAS ARF la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 code de procédure civile en cause d'appel, outre les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2023.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

SUR CE, LA COUR

- Sur l'irrecevabilité des demandes

Les appelants soulèvent dans leurs moyens l'incompétence du tribunal de commerce au profit du conseil des prudhommes et l'irrecevabilité des demandes formées à l'encontre de la société A2A.

Toutefois, il y a lieu de constater qu'aucune prétention relative à l'irrecevabilité des demandes n'est formulée dans le dispositif de leurs dernières conclusions qui seul saisit la cour.

Il n'y a donc pas lieu de statuer.

- Sur la concurrence déloyale

Les appelants invoquent la liberté du commerce et de l'industrie, indiquent que toute concurrence n'est pas déloyale et qu'en l'espèce, l'intimée ne rapporte pas la preuve d'une faute de leur part de nature à engager leur responsabilité, les griefs invoqués étant contestés.

L'intimée soutient que M. [D] et la société A2A ont commis des agisements fautifs constitutifs de concurrence déloyale et ce d'une part avant la rupture du contrat de travail de M [D] en recherchant un fourgon professionnel, en tentant de débaucher une salariée, en débauchant une cliente, en volant des trames de rapport d'intervention et de facture, en ouvrant une ligne téléphonique, en envoyant le 30 mars 2016, 221 SMS aux clients de la société ARF afin d'annoncer le départ de M. [D] et de fournir ses nouvelles coordonnées et d'autre part après la rupture du contrat de travail, en utilisant le fichier clients de la société ARF, en démarchant les clients de cette dernière, en passant des contrats avec lesdits clients immédiatement après le départ de M. [D], en utilisant les trames volées à la société ARF, en proposant des tarifs inférieurs à ceux pratiqués par la société ARF.

En vertu du principe de liberté du commerce et de la liberté d'entreprendre, si le salarié n'est pas soumis à une clause de non-concurrence, il recouvre après son départ une entière liberté de concurrence envers son ancienne entreprise, la concurrence d'un ancien salarié n'étant pas répréhensible en elle-même, seuls les moyens employés étant susceptibles d'engager la responsabilité de celui-ci.

Un ancien salarié est en droit de constituer une société ayant le même objet social et d'exercer la même activité que son ancien employeur s'il n'adopte pas un comportement déloyal.

Seuls des agissements fautifs peuvent constituer une concurrence déloyale, aucune société n'ayant un droit privatif sur ses clients et tous les concurrents étant libres de démarcher ceux-ci sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce.

Le démarchage de la clientèle d'un concurrent , fût-ce par un ancien salarié, n'est pas par principe constitutif de concurrence déloyale.

En l'espèce, il n'est pas discuté que M. [D] n'était pas tenu par une clause de non-concurrence.

Il a signé avec la société ARF une rupture conventionnelle du contrat de travail qui a pris effet le 9 avril 2016.

Le fait que M. [D] a créé le 4 mai 2016 sa société , exerçant une activité similaire et dans le même secteur géographique n'est pas en soi de la concurrence déloyale.

Pas plus que ne l'est le fait d'avoir entrepris des démarches antérieures à la rupture du contrat de travail de prospection pour trouver un véhicule professionnel ou pour contracter un abonnement téléphonique.

Il ne peut être déduit du devis Ford établi le 7 décembre 2015 au nom de la société ARF que ce devis a été demandé par M. [D] pour préparer la création de sa future société, ce dernier contestant ce fait.

Par ailleurs, la société ARF ne justifie pas que M. [D] a volé les trames de ses rapports d'activité ou de ses factures, les comparaisons entre les documents des deux sociétés montrant certes des ressemblances mais ne révélant pour autant aucune originalité particulière permettant de retenir que M. [D] aurait profité de documents propres à la société ARF.

Il ne peut être retenu que la proposition faite par M. [D] à Mme [O], salariée de la société ARF, de venir travailler avec lui est constitutif de concurrence déloyale dès lors que celle-ci n'y a pas donné suite.

Mme [Y], représentant un client de la société ARF, a attesté que M. [D] l'avait informée avant son départ de ce qu'il envisageait de créer sa société et de ce qu'il allait lui envoyer par message ses coordonnées.

Par ailleurs, M. [D] a envoyé non pas 221 mais 158 sms le 31 mars 2016 entre 7h47 et 8H01.

Le message indiquait qu'il quittait la société ARF au 31 mars, qu'il ne pourrait plus être joint sur ce téléphone mais sur son téléphone personnel dont il donnait le numéro.

M. [D] indique que son téléphone était à la fois personnel et professionnel et que le message a été adressé à l'ensemble de ses contacts qui étaient également des contacts privés ou d'anciens contacts professionnels.

La société ARF, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne démontre pas que tous ces messages ont été envoyés à ses clients.

Elle a elle-même noté après certains numéros des noms de clients.

A supposer que les numéros ainsi relevés correspondent à des clients, il convient de relever que cela représente au plus 11 noms différents.

La société ARF avait au moins 221 clients.

Le contenu du message adressé à ces 11 clients ne peut être qualifié de démarchage agressif et anormal puisqu'il ne faisait aucunement référence à la création de sa société par M. [D].

Par ailleurs, Mme [L] (Interplages), dont le nom est mentionné par la société ARF à la suite d'un numéro de téléphone, atteste qu'elle a été informée par la société ARF de ce que M. [D] avait quitté la société et qu'elle avait recherché ses coordonnées par le biais de son assureur. Elle indique que M. [D] a d'abord refusé de travailler avec sa société et que c'est elle qui l'a relancé. Elle précise qu'elle a continué à travailler avec la société ARF.

M. [V] (salarié du cabinet Billet Giraud) atteste qu'il travaillait avec la société ARF car il y avait M. [D] et que le cabinet avait suivi celui-ci précisant que M. [D] ne l'avait jamais démarché ni avant ni après sa création d'entreprise.

Mme [X] (gestionnaire de copropriété) atteste avoir été informée par la société ARF du départ de M. [D] et que c'est elle qui a obtenu les coordonnées de ce dernier par l'intermédiaire des assureurs mais que M. [D] n'avait pas souhaité travailler avec elle avant qu'elle ne change d'enseigne. Elle indique qu'elle est démarchée par plusieurs sociétés de recherche de fuites dont la société ARF et qu'elle choisit régulièrement M. [D].

Au vu de la teneur du message adressé par M. [D], du nombre assez insignifiant des clients qui l'auraient reçu et des attestations produites par M. [D], qui ne sont pas contredites par les pièces de l'intimée, il apparaît que la société ARF ne rapporte pas la preuve d'un démarchage déloyal et agressif de sa clientèle, ni du vol et d'une utilisation fautive d'un fichier clients, étant précisé que comme le soulignent les appelantes, les plaquettes publicitaires de la société ARF énumèrent les noms des différents partenaires de celle-ci (plateformes assurances, cabinets d'expertises, syndics), dans un secteur qui apparaît au vu de l'attestation de Mme [X] fortement concurrentiel.

Le démarchage des clients de la société ARF pouvait donc se faire sans nécessité de détenir un fichier clients, étant rappelé que le démarchage de clients de sociétés concurrentes n'est pas interdit en tant que tel.

La société ARF ne soutient pas que la société A2A l'a dénigrée auprès des clients, ou aurait eu des pratiques concurrencielles agressives et elle ne justifie pas que celle-ci aurait transgressé les usages ou aurait obtenu indûment des avantages au détriment de la société ARF en agissant de manière déloyale.

Par ailleurs, il n'est pas établi que les prix pratiqués par la société A2A, s'ils sont inférieurs à ceux de la société ARF, sont anormalement bas, ou encore qu'ils sont minorés dans un but unique de captation de la clientèle des concurrents.

Dès lors, au vu de ces éléments, la société ARF ne justifie pas d'une concurrence déloyale.

Le jugement entrepris sera infirmé et la société ARF sera déboutée de sa demande indemnitaire.

Il n'est pas rapportée la preuve que la société ARF a exercé son droit d'agir avec malice et de mauvaise foi avec la seule volonté de nuire et de provoquer la fermeture de la société A2A. Les appelants ne peuvent reprocher à la société ARF l'exécution du jugement de première instance ou encore le temps et le coût consacrés à leur défense dès lors que ceux-ci ne sont pas la conséquence d'une action abusive.

M. [D] et la société A2A seront par conséquent déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

- Sur les demandes accessoires

La société ARF, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée à payer à M. [D] et à la société A2A unis d'intérêts la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sera déboutée de sa demande formée à ce titre et sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Les dispositions du jugement entrepris relatives à l'indemnité de procédure et aux dépens seront infirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a écarté l'exception d'incompétence , rejeté la demande en dommages et intérêts de la société ARF en réparation du préjudice de manque à gagner et rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par M. [S] [D] et de la société A2A ;

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant ;

Déboute la société ARF de l'ensemble de ses demandes ;

Condamne la société ARF à payer à M. [S] [D] et la société A2A, unis d'intérêts, la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société ARF aux dépens de première instance et d'appel;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL F. EMILY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/02684
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;21.02684 ?
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