MF/SL
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 15 Février 2022
No RG 20/00448 - No Portalis DBVY-V-B7E-GN5I
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 12 Mars 2020, RG 17/01877
Appelante
S.A.S. [Y] FRERES, dont le siège social est situé [Adresse 8]
Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY
Représentée par Me Yves BILLIOUD, avocat plaidant au barreau de TOULON
Intimés
M. [O] [X], pris en sa qualité de Président de la Société civile BOURGEOISIALE DE ST GINGOLPH, demeurant [Adresse 1]
Société civile BOURGEOISIALE DE ST GINGOLPH, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Représentés par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représenté par la SELARL GAUDIN CHARDIN ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de PARIS
S.A.S. [J] HENRI [Y] (CHB), dont le siège social est situé [Adresse 10]
Représentée par la SCP PIANTA et ASSOCIES, avocats postulants au barreau de THONON-LES-BAINS
Représentée par la SCP CABINET BOIVIN ET ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de PARIS
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 25 janvier 2022 avec l'assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- M. Michel FICAGNA, Président, qui a procédé au rapport
- Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,
- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
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La Société civile Bourgeoisiale de Saint-Gingolph (dite SBSG) détient diverses parcelles non bâties sur la commune de Saint Gingolph, dont certaines ont été exploitées temps avant d'être abandonnées.
Selon acte du 31 janvier 1977, la SBSG a donné à bail à la société [Y] Frères la parcelle [Cadastre 2] aux fins de reprendre l'exploitation de la carrière.
Par arrêté préfectoral du 23 mars 1978, la société [Y] Frères a été autorisée a exploiter cette parcelle pour une durée de 10 ans.
En 1985, la société [Y] frères a donné en location gérance une branche d'activité exploitée dans la carrière La Chenilla, à une société nouvelle dénommée CHB, dirigée par M. [J] [Y].
Par acte du 18 décembre 1987, M. [D] [W], propriétaire à [Localité 11], a donné à bail à la société [Y] Frères la parcelle voisine no [Cadastre 3] aux fins d'exploitation, pour une durée de 15 ans.
Par acte du 10 février 1988, la société [Y] Frères a vendu à la société CHB un fonds de commerce correspondant à la branche d'activité de : "carrière, concassage négoce de tout venant concassé et enrochement", dans une partie de la carrière La Chenilla.
Suivant convention conclue le 16 mai 1988, les sociétés CHB et [Y] Frères, ont convenu :
« La société "Entreprise [Y] Frères" exploitera la partie inférieure du
gisement, correspondant aux alluvions fluvio-glaciaires. La société ''C.H.B.'' exploitera la partie supérieure du gisement, correspondant aux éboulis calcaires. L'exploitation commune et conjointe aura lieu sur toute la carrière, y compris son extension et notamment la parcelle [Cadastre 3] Lieudit "[Localité 13]" »
Par un acte intitulé "bail de carrière" en date du 16 août 1988, à effet au 1er janvier 1988, la SBSG a concédé à la société [J] Henri [Y] pour une durée de 3 ans renouvelable par tacite reconduction, le droit contractuel d'exploiter la carrière se trouvant sur les parcelles cadastrées A [Cadastre 2], [Cadastre 4] et [Cadastre 5] sises sur la commune de [Localité 11].
Puis, suivant arrêté préfectoral du 31 mai 1991, les sociétés CHB et [Y] Frères, ont été autorisées conjointement et solidairement à poursuivre l'exploitation de la carrière sur les parcelles [Cadastre 3] à [Cadastre 5] et [Cadastre 2] pour une durée de 30 ans , soit jusqu'au 23 mars 2021.
Par courrier du 6 novembre 1991, la société [Y] Frères a demandé à la société Bougeoisiale de Saint Gingolph, d'harmoniser la convention de fortage du 16 août 1988 avec l'arrêté préfectoral et d'établir une convention de fortage avec les deux titulaires conjoints et solidaires, elle-même et la société CHB.
Au termes d'un "accord contractuel dans le cadre du projet de déplacement de la zone d'extraction et de remise en état coordonnée de la carrière de la Chenilla" en date du 16 novembre 2016, la société Bourgeoisiale de Saint Gingolph et la société CHB ont convenu d'une nouvelle convention de fortage. Il y est indiqué que la société CHB souhaite déposer seule et à titre exclusif une nouvelle demande d'autorisation d'exploitation globale portant sur un périmètre d'environ 32 hectares, sur les parcelles [Cadastre 9], [Cadastre 2], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] et que l'ensemble des accords en vigueur entre les parties et liés à l'autorisation préfectorale d'exploiter sous référence no 91-771 arrivant à échéance au 23 mars 2021 ne sont pas concernés par cet accord contractuel.
Début 2017, les deux sociétés ont entrepris des pourparlers aux fins de clarifier leurs relations par la constitution d'une société Carrières de Saint Gingolph avec portage du projet d'extension et dépôt de la demande administrative par cette nouvelle société.
Des difficultés sont apparues entre les deux exploitants concernant notamment les volumes à extraire,
Par courrier du 7 août 2017, la société [Y] Frères a revendiqué auprès de la société CHB à titre d'associé de la société créée de fait composée des sociétés [Y] Frères et CHB le bénéfice des dispositions actuelles et futures concernant l'exploitation de la carrière la Chenilla.
Par courrier du 15 septembre 2017, la société CHB a opposé un refus à cette prétention estimant que la société [Y] Frères ne disposait d'aucun droit sur les nouvelles activités qu'elle envisageait d'exercer prochainement et a contesté l'existence d'une société créée de fait entre elles.
Par courrier en date du 21 septembre 2017, le conseil de la société [Y] Frères a réclamé auprès de la société Bourgeoisiale de St Gingolph les documents relatif au projet de transfert, faisant valoir qu'elle était "le bailleur commun de la SAS [Y] Frères et de la SAS CHB" au terme du contrat de fortage du 16 août 1988.
Par courrier du 3 mai 2018, la société Bourgeoisiale de Saint Gingolph a soutenu que la société CHB constituait son "seul et unique interlocuteur".
Par acte du 6 octobre 2017, la société [Y] Frères a assigné la société CHB ainsi que la SBSG et Monsieur [O] [X] « pris en sa qualité de Président de La Société Civile Bourgeoisiale de Saint Gingolph (Section Française) » aux fins de voir reconnaître l'existence d'une société créée de fait entre les sociétés [Y] Frères et CHB afin de se voir octroyer le bénéfice de la onvention du 16-11-2016.
Par jugement du 12 mars 2020, le Tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a débouté la société [Y] Frères de ses demandes et l'a condamnée à verser aux concluants la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a jugé que :
« la SAS CHB était seule titulaire de la convention de fortage conclue avec la société propriétaire des parcelles litigieuses qui faisaient l'objet d'une exploitation conjointe et solidaire en vertu de l'arrêté préfectoral du 31 mai 1991 et ce, pour une durée de 30 années. Si la SAS [Y] Frères a sollicité l'extension de la convention de fortage à son profit, conformément à la lettre en date du 06 novembre 1991, force est de constater qu'elle ne démontre pas que cette extension a été décidée par la conclusion d'une autre convention de fortage avec la Societe Civile Bourgeoisiale de Saint Gingolph-section Francaise(...)
« qu'il n'existe aucune société créée de fait entre la SAS [Y] Frères et la SAS CHB. En effet, l'exploitation conjointe et solidaire de la carrière ne permet pas à elle-seule de conclure à l'existence d'une telle société.Les conventions conclues entre la SAS [Y] Frères et la SAS CHB déterminent le cadre de leurs relations contractuelles qui ne seraient être interprétées comme une base sociétale »
La société [Y] Frères a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions du 22 novembre 2021, elle demande à la cour :
Vu le Code civil: Article 1104, 1112, 1362, 1383, 1832, 1873 et suivants,
Vu Code de l'environnement : Articles L.515 et suivants,
Vu la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 dite Grenelle II,
Vu le principe Fraus Omnia Corrumpit,
Vu la saisine du Tribunal administratif de Grenoble RG 2103441 et 2104282 18,
- infirmer l'entier jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Thonon les Bains en date du 12 mars 2020 - RG17/ 01877,
- déclarer la Sas [Y] Frères fondée en ses demandes et en son argumentation, et retenir sa bonne foi,
- juger que le fonds de commerce de la «carrière la Chenilla» est exploité par la société [Y] Frères depuis l'année 1977?
- Juger que l'acte du 10 février 1988 (Notre pièce No 3 et pièce adverse No3) est un acte de cession partielle d'une branche d'activités, du fonds de commerce de la «carrière la Chenilla» par la société [Y] Frères à la société CHB; fonds précédemment loué (location-gérance) en l'année 1985,
- juger que l'acte de cession partielle du fonds de commerce du 10 février 1988 ne transfère nullement le nom patronymique «[Y]» à la société CHB,
- juger que l'universalité du fonds de commerce «carrière la Chenilla» est actuellement exploitée par les SAS [Y] Frères et CHB sous l'égide d'une Société CivileCréée de Fait, dès l'origine, savoir, depuis le 10 février 1988,
- juger que la Société Civile créée de fait «carrière la Chenilla» est animée par l'«affectio societatis»,
- juger que les caractéristiques essentielles et substantielles de la Société Civile créée de fait sont :
- Dénomination sociale : «Carrière la Chenilla»
- Siège social : [Adresse 12]
- Capital social : répartition 50 % pour chaque associé : SAS [Y] Frères
et SAS CHB composé du fonds de commerce reconstitué de la carrière de la Chenilla
- Objet : gestion de la carrière de la Chenilla exploitée par les SAS [Y] Frères et SAS CHB
- juger que le déplacement de la zone d'extraction du fonds de la «carrière la Chenilla» et le transfert des droits d'occupation (fortage) et d'exploitation pour la Société Civile créée de fait «carrière la chenilla» sont consubstantiels,
- juger que :
- Monsieur [O] [X] agit au nom et pour le compte de la Societe Civile Bourgeoisiale de Saint Gingolph -Section Francaise,
- la Société Civile Bourgeoisiale de Saint Gingolph Section Francaise est majoritairement propriétaire des parcelles qui représentent à elles seules le périmètre d'exploitation de la «Carrière La Chenilla»,
- juger que la Societe Civile Bourgeoisiale de Saint Gingolph a parfaite connaissance de l'exploitation conjointe et solidaire de la «Carrière la Chenilla» par les SAS [Y] Frères et SAS CHB
- juger que la Societe Civile Bourgeoisiale de Saint Gingolph a accepté l'exploitation directe de son gisement par la Sas [Y] Frères,
- juger que la SAS CHB ne dispose pas du pouvoir de procéder seule à la demande de déplacement de la zone d'exploitation de la «Carrière la Chenilla» accordée pour les deux sociétés SAS CHB et SAS BF, de façon conjointe et solidaire,
- rejeter comme infondée l'argumentation de la SAS CHB relative à son seul bénéfice d'un droit d'exception quant à l'application des lois Montagne et Littoral sur le fondement d'un dossier non instruit,
- juger que la SAS CHB a agi par fraude et a commis une faute caractérisée en affirmant et déclarant dans tous les documents administratifs et urbanistiques être l'unique exploitant du fonds de commerce de la «carrière la Chenilla»,
- juger que la Société Civile Bourgeoisiale de Saint Gingolph Section Francaise a agi de mauvaise foi en soutenant exclusivement la SAS CHB dans le projet de déplacement du périmètre de la zone d'exploitation et a commis une faute en excluant volontairement la SAS [Y] Frères exploitant conjoint et solidaire,
- juger que la faute commise par la Sas Chb de s'approprier le bénéfice du déplacement de la zone d'exploitation sur les 30 prochaines années de la «Carrière la Chenilla» constitue pour la SAS [Y] Frères un préjudice financier certain,
- juger que la SAS CHB ne peut s'approprier le nom commercial «Carrière la Chenilla», qui appartient aux deux SAS ([Y] Frères et CHB),
- juger que la SAS CHB vise par ses actions illicites de s'approprier l'entier fonds decommerce «carrière la Chenilla» afin de l'exploiter à son seul profit,
- juger que les actions de la SAS CHB ne concernent pas une création nouvelle mais unedemande de déplacement du périmètre de la zone d'exploitation solidaire et conjointe de la «carrière la Chenilla»,
- juger que l'existence dans cette commune d'une BOURGEOISIE créée un déséquilibre majeur et incoercible sur le plan immobilier,
- juger que les actions fautives de la SAS CHB visent à priver la Sas [Y] Freres de toute possibilité d'obtenir les autorisations administratives pour l'exploitationde la «Carrière la Chenilla»,
En conséquence,
- condamner in solidum, la Societe Civile Bourgeoisiale de SaintGingolph Section Francaise et Monsieur [O] [X] à maintenir et garantirun droit commun d'occupation et d'exploitation aux SAS CHB et [Y] Frères gérées par la Société Civile créée de fait «Carrière la Chenilla»,sur les parcelles dont elle est propriétaire sur le périmètre d'exploitation de la «Carrière la Chenilla» (dont la parcelle A [Cadastre 5], objet du projet de déplacement de la zone d'extraction) ; le tout sous astreinte de 250 euros par jour de retard,
- condamner la SAS CHB à régulariser au bénéfice de la Société Civile créée de fait «Carrière la Chenilla» toutes les demandes administratives, préfectorales et urbanistiques (attachées à la Commune de [Localité 11] et à la Préfecture de Haute Savoie) regardant l'exploitation de la «Carrière la Chenilla» et notamment les déclarations attachées à l'I.C.P.E; le tout sous astreinte de 250 euros par jour de retard,
- désigner un expert aux fins de (...)
- établir les valeurs entre l'enrichissement de la SAS CHB et l'appauvrissement de la SAS [Y] Frères: en matière de débouchés commerciaux, de clientèle, de produits commerciaux, de fournisseurs, de chiffres d'affaires, d'activités productives (BPE)?
- déterminer le préjudice financier subi par la SAS [Y] Frères,
- fournir toute évaluation comptable et financière à la Cour quant aux préjudices économiques, sociaux et fiscaux subis par la SAS [Y] Frères,
- fournir toute évaluation comptable et financière à la Cour quant à l'évaluation du stock sur le site, propriété de la SAS [Y] Frères,
- qualifier et quantifier les conséquences directes et indirectes subies par la Sas [Y] Frères tant en matière personnelle, professionnelle, commerciale que sociale et salariale,
- établir les comptes entre la Société Bourgeoisiale et les SAS [Y] Frères et CHB,
- condamner la Société CHB à verser à la Société [Y] Frères une somme de CINQ CENTS MILLE EUROS (500.000 euros) au titre de dommages-intérêts; à valoir sur le préjudice total qui sera déterminé par voie de l'expertise judiciaire,
- condamner la Société CHB à verser à la Société [Y] Frères la somme de 15.000 euros en remboursement des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile,
- condamner in solidum la Société Bourgeoisiale et M. [O] [X] à verser à la Société [Y] Frères la somme de 6.000 euros pour préjudice moral,
- condamner in solidum la Société CHB, la Société Bourgeoisiale et M. [O] [X] aux entiers dépens ceux-ci distraits au profit de Maître Christian Forquin, avocat, aux offres et affirmations de droit
Elle soutient que :
- la carrière La Chenilla, bénéficiant d'une exploitation conjointe et solidaire, sans distinction de parcelles, dont la plus grande part de la redevance de fortage est versée au Bailleur de fond, par la société [Y] Frères,
- le projet de déplacement du périmètre d'exploitation de cette Carrière la Chenilla ne saurait bénéficier à un seul des coexploitants, dont la collaboration sur plusieurs décades a été fructueuse et loyale,
- le modus operandi mis en place la société CHB, qui a changé d'actionnaire, visant à évincer de son droit l'exploitant conjoint et solidaire, ne saurait être toléré, quand seraient utilisés des moyens déloyaux, ceux que la Loi sanctionnent,
- la société CHB, prétend pouvoir bénéficier d'une exception, ce qui est nouveau,
- la société CHB, dénigre la société [Y] Frères, et suivant la méthode usée et lamentable choisit d'appliquer l'adage : « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » !, il n'est pas convenable de soutenir que des dissensions provoquées honteusement par la société CHB, prouvent des désaccords, non, ils prouvent seulement la déloyauté qui en matière entrepreneuriales sont inacceptables ! la prétention de la Société CHB heurte l'équité,
- la société [Y] Frères, a saisi le Tribunal Administratif et qu'elle souhaite éclairer la Bienveillante Cour, et pour qu'elle n'en ignore rien, porte à sa connaissance l'ensemble de son argumentation laquelle vise à sauver l'avenir d'une entreprise ancienne dont la famille profondément enracinée regarde avec atterrements son nom et ses efforts foulés aux pieds injustement,
- la société a été victime d'un détournement de stock 16 réalisé par la société [Y] Frères, d'une valeur d'environ 300.000 euros,
- la parcelle [Cadastre 3], dont la gestion est confiée à la société [Y] Frères, mais incluse dans le périmètre de la Carrière la Chenilla, est ignorée, purement et simplement et dont il semblerait que son accès soit interdit par la fermeture unilatéralement décidée par la Société CHB ! Ces débordements ne peuvent être tolérés !
Aux termes de ses conclusions d'intimée no 3, la société CHB demande à la cour :
Vu le Code civil, en particulier l'article 1873,
Vu l'arrêté préfectoral no 91-771 du 31 mai 1991,
Vu les conventions conclues entre la société CHB et la société [Y] FRÈRES, en particulier celles des 16 mai 1988, 17 mai 1991 et 28 mars 2000,
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué,
- de débouter la société [Y] Frères de l'ensemble de ses demandes,
- de condamner la société [Y] Frères à verser à la société CHB la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient principalement :
- qu'il n'y a jamais eu de société créée de fait entre les sociétés CHB et [Y] Frères,
- que l'arrêté préfectoral du 31 mai 1991 ne confère aucun droit au "renouvellement" et à "l'extension" de la carrière de la Chenilla au profit de la société [Y] Frères,
- que les relations nouées entre la société CHB et la société [Y] Frères à l'égard de la carrière de la Chenilla prendront fin à l'expiration du délai fixé par l'arrêté préfectoral du 31 mai 1991, soit le 23 mars 2021,
- que la société [Y] Frères ne dispose d'aucun droit sur les nouvelles activités que projette d'exercer la société CHB,
- que les projets envisagés par la société CHB ne causent aucun préjudice à la société [Y] Frères,
- qu'il n'y a pas lieu de désigner un expert judiciaire ni d'indemniser la société [Y] Frères.
Aux termes de ses conclusions du 28 août 2020, la société civile Bourgeoisiale de St Gingolph « SBSG » demande à la cour :
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 12 mars 2020 rendu par le Tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains,
Y ajoutant,
- de condamner la société [Y] Frères à verser à la société civile Bourgeoisiale de Saint Gingolph et à Monsieur [O] [X] la somme de 3.000 euros au titre de l'instance d'appel, en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner la société [Y] Frères en tous les dépens de la présente instance, ceux d'appel distraits au profit de la SELARL Juliette Cochet Barbuat.
Elle soutient :
- qu'il n'est prévu par l'arrêté du 31 mai 1991, aucun droit au renouvellement au bénéfice des exploitants conjoints,
- que l'exploitation déployée par CHB et celle déployée par [Y] Frères sont parfaitement distinctes puisque chacune des deux entreprises exploite une fraction spécifique du gisement, a une activité extractive distincte et commercialise des matériaux différents,
- que la convention du 16 mai 1988 – à laquelle la SBSG est totalement étrangère – qui stipule que « l'exploitation commune et conjointe aura lieu sur toute la carrière, se rapporte à l'évidence à la demande d'exploitation qui prendra fin avec l'arrêté du 31 mai 1991,
- que la société CHB est demeurée la seule titulaire des droits de fortage accordés par SBSG le 16 août 1988 et, partant, la seule cocontractante de SBSG, à l'exclusion de tout tiers,
- que les flux financiers intervenant entre [Y] Frères et CHB – qu'ils soient connus ou non de SBSG – ne sauraient en aucun cas conférer à l'appelante la qualité de cocontractante de cette dernière,
- qu'ainsi que CHB l'a démontré, de nombreux éléments démontrent à l'inverse qu'aucune société de fait ne saurait être caractérisée,
- que les deux exploitants sont à la tête de deux exploitations distinctes puisque chacune des deux entreprises exploite une fraction spécifique du gisement, a une activité extractive distincte et commercialise des matériaux différents,
- que l'existence d'une société créée de fait ne permettrait pas à la société
[Y] Frères de faire obstacle aux limites de ses droits d'exploitation relevées dans les présentes dans la mesure notamment où l'arrêté du 31 mai 1991 ne lui octroie aucun droit au renouvellement, les conventions passées avec CHB ne lui octroient aucun droit sur les activités que celle-ci sera amenée à déployer postérieurement au terme de l'arrêté et la convention de fortage du 16 août 1988 dont elle tente de bénéficier alors qu'elle n'y est pas partie ne prévoit, en tout état de cause, aucun droit au renouvellement dans le cadre notamment d'une nouvelle autorisation administrative d'exploitation,
- qu'il a été mis fin aux activités de la carrière de la Chenilla conformément à l'arrêté du 31 mai 1991, et les terrains d'emprises ont fait l'objet de travaux de remise en état dont les services de l'État ont constaté l'achèvement définitif par un procès-verbal du 18 octobre 2021.
MOTIFS
Sur les prétentions de l'appelante
Il est demandé par la société [Y] Frères la condamnation de la Société Civile Bourgeoisiale de Saint Gingolph Section Française à :
1) maintenir et garantir un droit commun d'occupation et d'exploitation...
2) ...aux Sas CHB et [Y] Frères...
3) ... gérées par la société civile créée de fait «Carrière la Chenilla».
Il est sous-entendu que la société Bourgeoisiale, en sa qualité de propriétaire des parcelles d'assiette de la carrière, serait tenue à l'égard de la société créée de fait existante entre les deux sociétés, d'une obligation, à savoir de fournir un droit d'exploitation, qu'il conviendrait de "maintenir et de garantir", soit, au-dela de l'expiration de l'autorisation administrative arrivant à terme le 23 mars 2021.
Il s'agirait en quelque sorte de voir substituer la société créée de fait à la société CHB , dans les droits de foretage que la société Bourgeoisiale a consenti à cette dernière, au terme de leur " accord contractuel dans le cadre du projet de déplacement de la zone d'extraction et de remise en état coordonnée de la carrière de la Chenilla", en date du 16 novembre 2016.
Toutefois, la société CHB n'a pas contracté en qualité d'associée de la supposée société créée de fait dans cette convention. Au contraire, les indications de cet acte démontrent la volonté de la société CHB de contracter en son personnel .
Il y est en effet précisé que le "propriétaire" concède "à titre exclusif" et sans condition particulière autres que celles comprises dans ce présent contrat au "Preneur" le droit d'extraire ..."etc. et que l'accord en vigueur lié à l'autorisation d'exploitation conjointe arrivant à échéance du 23 mars 1991 n'est pas concerné par l'accord conctractuel.
D'autre part, la société CHB a expressément notifié à la société [Y] Frères par courrier du 15 septembre 2017 qu'elle ne lui reconnaissait aucun droit sur les nouvelles activités qu'elle envisageait d'exercer prochainement, et qu'elle contestait l'existence d'une société créée de fait, ce dont il résulte qu'une société créée de fait est totalement exclue pour la période postérieure au 23 mars 2021.
En conséquence, la demande ne peut qu'être rejetée.
Sur la prétention tendant à voir condamner la société CHB à régulariser au bénéfice de la société civile créée de fait «Carrière la Chenilla» toutes les demandes administratives, préfectorales et urbanistiques (attachées à la Commune de [Localité 11] et à la Préfecture de Haute Savoie) regardant l'exploitation de la «Carrière la Chenilla» et notamment les déclarations attachées à l'I.C.P.E
Cette demande ne peut qu'être rejetée dès lors que la société CHB à compter du 23 mars 2021 était parfaitement libre comme la société [Y] Frères de solliciter une demande d'autorisation personnelle pour un nouveau projet concernant La Chenilla, quand bien même ce projet porterait sur les mêmes parcelles dès lors que la société [Y] Frères ne peut revendiquer sur celles-ci aucun droit : ni droit de foretage du propriétaire, ni propriété commerciale, ni autorisation administrative...
Il sera relevé enfin que la société [Y] Frères a eu conscience dès 1991 du problème et du litige en germe, puisque dans un courrier du 6 novembre 1991 adressé à la société Bougeoisiale de Saint Gingolph elle a tenté en vain, d'obtenir la régularisation à son profit d'une convention de foretage à l'instar de celle accordée à la société CHB, en invoquant la portée conjointe et solidaire de l'arrêté préfectoral d'autorisation du 31 mai 1991.
Sur la demande de condamnation de la société CHB à verser à la société [Y] Frères une somme de 500 000 € au titre de dommages-intérêts à valoir sur le préjudice total qui sera déterminé par voie de l'expertise judiciaire
La société [Y] Frères, bien que ne formulant pas de demande expresse en déclaration de responsabilité, semble vouloir faire juger que la société CHB serait responsable à son égard d'un préjudice financier en raison de "la fraude" commise par elle et de ses "fautes". Elle vise les dispositions de l'article 1383 du code civil.
Elle soutient que la SAS CHB :
- a agi par fraude et a commis une faute caractérisée en affirmant et déclarant dans tous les documents administratifs et urbanistiques être l'unique exploitant du fonds de commerce de la «carrière la Chenilla»
- a commis une faute en s'appropriant le bénéfice du déplacement de la zone d'exploitation sur les 30 prochaines années de la «carrière la Chenilla» , en s'appropriant le nom commercial «Carrière la Chenilla», qui appartient aux deux SAS ([Y] Frères et CHB)
Si les deux sociétés ont été partenaires à compter de 1988 pour l'exploitation de la carrière et ont souscrit dans ce cadre précis certains accords financiers et sur le mode de production, ces accords étaient liés à la durée de l'autorisation préfectorale d'exploitation et à la durée de la convention de foretage de 1988 passée avec la propriétaire.
Pour la période postérieure au 21 mars 2021, la société Bourgeoisiale de Saint Gingolph et la société CHB étaient libres dès 2016 de conclure ensemble un nouvel accord de principe pour un nouveau projet, sans y associer la société [Y] Frères.
Il convient de relever que des projets de rapprochement entre les deux sociétés ont été évoqués dès 2014 ( pièce 33-1 BetA) par la société CHB qui se disait disposée à en discuter.
Dans des pourparlers engagés entre les deux sociétés fin 2016 et début 2017, les deux sociétés ont envisagé la création d'une société nouvelle "carrières de [Localité 11]", dont les associés auraient été [Y] Frères et CHB, avec pacte d'actionnaires et priorité de rachat des actions etc..., co-gérance de [Y] Frères et de CHB, et avec portage du dossier de renouvellement et d'extension et dépôt de la demande administrative par cette nouvelle société.
Les parties n'ont pas trouvé d'accord et ce projet a donc échoué, ce dont il convient de tirer toutes les conséquences à savoir que chaque société a recouvré sa totale liberté pour la période postérieure au 22 mars 2021.
En conséquence, aucune rupture abusive des relations ne peut être reprochée à la société CHB, ni aucune faute.
Sur la demande de condamnation de la Société Bourgeoisiale et de M. [O] [X] à verser à la société [Y] Frères la somme de 6.000 euros pour préjudice moral
Pour les mêmes motifs que ci-dessus, cette demande sera rejetée dès lors que la société Bourgeoisiale n'a commis aucune faute ni fraude en signant courant 2016, un accord avec la société CHB à propos de la période post-autorisation préfectorale, alors qu'elle n'était juridiquement engagée d'aucune manière avec la société [Y] Frères.
Sur les autres prétentions
Le dispositif des conclusions de la société [Y] Frères comportent d'autres demandes de :
" JUGER que..."
qui ne sont pas des prétentions mais des moyens à l'appui des trois prétentions ci-dessus dont la cour est saisie.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dipositions,
Y ajoutant,
Déboute la société [Y] de ses prétentions complémentaires en cause d'appel,
Condamne la société [Y] Frères à payer à la société CHB et à la société Bourgeoisiale de Saint Gingolph, à chacune, la somme de 3 000 € supplémentaires au titre de l'article 700 du code de procédure ciile,
Condamne la société [Y] Frères aux dépens d'appel distraits au profit de la société Lexavoué Grenoble Chambéry, avocat qui en a fait la demande.
Ainsi prononcé publiquement le 15 février 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Michel FICAGNA, Président et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, Le Président,