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06/09/2022 | FRANCE | N°20/01558

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Chbre sociale prud'hommes, 06 septembre 2022, 20/01558


COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE







ARRÊT DU 06 SEPTEMBRE 2022



N° RG 20/01558 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSPI



S.A.R.L. SOCIETE TYTECH 74

C/ [B] [V]



Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 16 Novembre 2020, RG F 19/00145





APPELANTE :



S.A.R.L. SOCIETE TYTECH 74

dont le siège social est sis [Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

prise en la personne de son rep

résentant légal



Représentée par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

et la SELARL AVANNE, avocat plaidant au barreau d'ANNECY





INTIME :



Monsieur [B...

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 06 SEPTEMBRE 2022

N° RG 20/01558 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSPI

S.A.R.L. SOCIETE TYTECH 74

C/ [B] [V]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 16 Novembre 2020, RG F 19/00145

APPELANTE :

S.A.R.L. SOCIETE TYTECH 74

dont le siège social est sis [Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

et la SELARL AVANNE, avocat plaidant au barreau d'ANNECY

INTIME :

Monsieur [B] [V]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par la SAS MERMET & ASSOCIES, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue en audience publique le 07 Juin 2022, devant Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s'est chargé du rapport, les parties ne s'y étant pas opposées, avec l'assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :

Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,

Madame Elsa LAVERGNE, Conseiller,

********

Faits et procédure

Le 31 octobre 2013, Monsieur [B] [V] a été embauché par la Sarl Société Tytech 74 en contrat à durée déterminée (CDD) en qualité de régleur, statut ouvrier. Le CDD s'est poursuivi jusqu'au 31 Août 2014. Le 1er septembre 2014, il a bénéficié d'un contrat à durée indéterminée (CDI).

L'effectif de la société est de moins de onze salariés.

Le vendredi 12 avril 2019, M. [B] [V] a été oralement mis à pied à titre conservatoire.

Le mardi 16 avril 2019, il a été convoqué par lettre à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave devant se tenir le 26 avril 2019. Cette lettre, confirmait également sa mise à pied à titre conservatoire du 12 avril.

Le 17 avril 2019, M. [B] [V] a contesté par courrier la mise à pied et les fautes qu'on lui reprochait.

Le 6 mai 2019, M. [B] [V] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée.

Le 8 mai 2019, M. [B] [V] a contesté son licenciement par courrier recommandé avec accusé de réception.

Le 15 mai 2019, l'employeur l'a informé par courrier du maintien de sa décision.

Par requête enregistrée le 30 septembre 2019, M. [B] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Bonneville aux fins de contester son licenciement et de se voir allouer diverses indemnités à ce titre.

Par jugement du 16 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Bonneville a :

- dit que le licenciement de M. [B] [V] est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la Sarl Société Tytech 74 à verser à M. [B] [V]:

* 2331 euros brut au titre du rappel de mise à pied conservatoire, outre 233,10 euros brut au titre des congés payés afférents,

* 6637,55 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis, outre 663,75 euros brut au titre des congés payés afférents,

* 4563,30 euros net d'indemnité légale de licenciement,

* 13275,08 euros brut d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [B] [V] de sa demande au titre du licenciement abusif et vexatoire,

- condamné la Sarl Société Tytech 74 aux entiers dépens.

La Sarl Société Tytech 74 a relevé appel de cette décision par déclaration du 17 décembre 2020. M. [B] [V] a relevé appel incident.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 15 mars 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sarl Société Tytech 74 demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bonneville en ce qu'il a débouté M. [B] [V] de sa demande au titre du licenciement abusif et vexatoire,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes pour le surplus,

- à titre principal dire que le licenciement de M. [B] [V] repose sur une faute grave et débouter M. [B] [V] de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire, s'il était considéré que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, débouter M. [B] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

- à titre infiniment subsidiaire, s'il était considéré que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, limiter le montant de sa condamnation au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 4978,15 euros, soit un mois et demi de salaire, et débouter M. [B] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

- en tout état de cause condamner M. [B] [V] au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La Sarl Société Tytech 74 soutient que M. [B] [V] a été rappelé à l'ordre ou sanctionné à plusieurs reprises en raison de comportements fautifs similaires à celui ayant abouti à son licenciement: absences injustifiées, faire entrer dans la société une personne extérieure, altercations avec un collègue.

Il avait en moyenne une absence injustifiée tous les trois mois.

L'employeur peut tenir compte de faits déjà sanctionnés ou prescrits pour motiver un licenciement.

Le salarié refusait de passer les consignes au règleur de l'équipe suivante, demandait à son opérateur de s'en occuper et se contentait de remplir le cahier de consignes, ce qui était insuffisant, puisque le passage de consignes relève de la responsabilité du règleur et est impératif au bon fonctionnement de la production. M. [B] [V] a refusé de modifier son comportement sur ce point malgré plusieurs rappels à l'ordre, dont un dernier le 15 mars 2019, qui va au contraire aboutir à une attitude encore plus provocatrice de sa part.

Le salarié ne respectait pas les consignes d'entretien du matériel.

Il avait un comportement irrespectueux et agressif envers ses collègues. Malgré le faible effectif de la société, il a rencontré des problèmes avec cinq d'entre eux. Il avait fait l'objet d'un avertissement à ce sujet en 2016.

M. [B] [V] n'hésitait pas à saboter le travail. Le taux de non-conformité va chuter de moitié à la suite de son départ de la société.

La mise à pied conservatoire qui lui a été notifiée n'avait pas un caractère disciplinaire. L'engagement de la procédure disciplinaire suite à cette mise à pied n'était pas tardif.

Le salarié ne produit aucun élément justificatif à l'appui de sa demande d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il ne justifie d'aucun préjudice au soutien de sa demande au titre du licenciement abusif et vexatoire. Une mise à pied conservatoire ne constitue pas une condition brutale et vexatoire du licenciement.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 27 décembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, M. [B] [V] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Bonneville du 16 novembre

2020 en ce qu'il a dit et jugé sans cause réelle et sérieuse son licenciement, et en ce qu'il a condamné la Sarl Société Tytech 74 à lui payer:

* rappel de mise à pied conservatoire : 2.331 € brut outre 233,10 € brut de congés

payés,

* indemnité compensatrice de préavis : 6.637,55 € brut, outre 663,75 € brut,

* indemnité légale de licenciement : 4.563,30 € net,

* indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 13.275 € net,

- le réformer pour le surplus et statuant à nouveau :

A titre principal, condamner la Sarl Société Tytech 74 à lui verser une indemnité complémentaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 6.638 € net, et une indemnité pour licenciement abusive et vexatoire de 10.000 € net,

A titre infiniment subsidiaire, condamner la Sarl Société Tytech 74 à lui verser:

* 2.331 € brut outre 233,10 € brut de congés payés, à titre de rappel de mise à pied conservatoire,

* 6.637,55 € brut outre 663,75 € brut de congés payés, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 4.563,30 € net à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 10.000 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

En tout état de cause :

- débouter la Sarl Société Tytech 74 de toutes ses demandes,

- condamner la Sarl Société Tytech 74 à lui payer une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l'arti cle 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux dépens,

- juger que toutes les condamnations à des créances salariales porteront intérêts au

taux légal à compter de la date d'enregistrement de la requête au greffe du conseil des

prud'hommes de Bonneville,

- ordonner la capitalisation des intérêts.

M. [B] [V] soutient qu'aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée pour justifier ou aggraver une nouvelle sanction.

Il a justifié de son absence à son poste de travail depuis le 18 décembre 2018, et n'a d'ailleurs pas été sanctionné par l'employeur à ce titre.

Dès lors que la mise à pied n'a pas été suivie immédiatement de l'engagement d'une procédure de licenciement, la mesure conservatoire présente un caractère disciplinaire. Son licenciement pour faute grave est donc interdit car les faits ont déjà été sanctionnés par la mise à pied conservatoire, et il ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits.

Il démontre par des attestations qu'il faisait passer les consignes à l'équipe suivante, qu'il ne déléguait pas cette tâche à son opérateur, qu'il a toujours contrôlé les pièces en cours de production, qu'il ne s'est jamais montré ni irrespectueux ni menaçant. Les personnes qui ont attesté en sa faveur se sont rétractées sous la pression de l'employeur. L'attestation de l'épouse du gérant de la société Tytech 74 n'est pas recevable. L'écrit de Mme [K] n'est pas rédigé par la témoin puisqu'il s'agit d'une retranscription par l'employeur, il est donc irrecevable.

L'employeur n'apporte aucune preuve d'un prétendu défaut d'entretien du matériel.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige, or seul le retard du 26 mars 2019 y est mentionné, retard pour lequel il a déjà été sanctionné par une baisse de sa prime d'assiduité.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 mars 2022, et l'affaire a été appelée à l'audience du 7 juin 2022. A l'issue, elle a été mise en délibéré au 6 septembre 2022.

Motifs de la décision

Sur le licenciement

Il résulte d'une jurisprudence constante que la faute grave découle d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise. La charge de la preuve de la faute grave incombe à l'employeur conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile.

Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, conformément aux dispositions de l'article L. 1232-1 du code du travail. En application de l'article L 1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.

En matière prud'homale, la preuve est libre, c'est à dire qu'elle peut être apportée par tous moyens (article 1348 devenu 1358 du code civil).

La lettre de licenciement fixant les limites du litige est rédigée comme suit:

- Non-respect répété des consignes et refus de suivre les instructions :

Nous avons constaté que durant ces dernières semaines, en dépit de nos instructions répétées et de votre entretien du 15 mars 2019 avec M. [S], vous avez persisté à ne pas respecter les consignes permettant la transmission verbale d'informations au responsable de l'équipe suivante, nécessaire au bon fonctionnement de la production. Or, en votre qualité de régleur, vous avez l'obligation d'assurer la bonne marche de la production et d'appliquer les consignes de productivité et de qualité. Ces règles et leur importance pour le bon fonctionnement de l'atelier vous ont été rappelées à plusieurs reprises, et notamment lors de cet entretien individuel. Vous aviez alors refusé formellement de respecter ces consignes et avez par la suite mis à exécution vos propos. Vos fonctions de règleur supposent que vous vous assuriez du bon déroulement de la production et que vous supervisez l'activité de vos opérateurs. Vos refus répétés de transmettre les informations à l'équipe suivante ont eu pour conséquence de nombreuses non-conformités dans la production des pièces et des machines en cours de montage, nous obligeant à produire à nouveau et en urgence les pièces pour

assurer la livraison au client. Vous vous permettez en dépit de la volonté de la direction de vous faire entendre raison de 'saboter' le travail de vos collègues de travail. Ce comportement est intolérable et déloyal.

De plus, nous nous sommes aperçus que vous déléguiez à votre opérateur sans autorisation de la direction la responsabilité de certaines de vos tâches telles que l'assurance de la conformité de votre production, ainsi que les échanges de consignes verbales à l'équipe suivante. Or toutes ces tâches vous incombent. A cela s'ajoute un non respect des consignes relatives à l'entretien du matériel (individuel et collectif), nous obligeant sans cesse à le remplacer.

- Comportement irrespectueux et agressif envers vos collègues :

Nous avons également à déplorer de votre part des propos irrespectueux, agressifs et menaçants, envers certains de vos collègues de travail (embauchés et intérimaires) et de la direction, et ce sur votre lieu de travail. Vous aviez déjà été averti pour les mêmes faits le 26/04/2016. Manifestement, vous ne tenez pas compte de nos diverses remarques. Vous ne pouvez pas travailler au sein d'une équipe de travail. Votre attitude engendre une ambiance de travail intolérable et délétère. Or, nous vous rappelons que vous devez respecter vos collègues de travail et vos supérieurs hiérarchiques.

- Mauvaise exécution de votre travail:

Vous avez en outre fait preuve de négligence dans la totalité de vos derniers montages de machines, générant des non conformités et un travail supplémentaire de la part d'un autre régleur et de M. [S]. Vous n'avez pas contrôlé les pièces produites contrairement aux règles qualité de l'entreprise.

- Non-respect des horaires :

Nous avons constaté le 26 mars 2019 un retard non-justié de 4 heures.

La direction a également constaté à plusieurs reprises du débordement de vos temps de pause et également remarqué que certains matins vous étiez dans la salle de pause en dehors de vos horaires attribués à cet effet, assis dans l'obscurité pour essayer de ne pas vous faire remarquer.

La lettre de convocation à entretien préalable à éventuel licenciement mentionne que la décision de mise à pied conservatoire a été notifiée oralement à M. [B] [V] le vendredi 12 avril 2019 à 14h. Il a ensuite reçu un sms de son employeur le samedi 13 avril à 20h25, lui confirmant sa 'mise à pied à titre conservatoire à compter du lundi 15 avril 2019" Ce message précisait que le salarié allait recevoir dans le courant de la semaine un courrier recommandé avec accusé de réception qui allait le renseigner sur l'évolution de la procédure.

Il résulte de ces constatations que le salarié était parfaitement informé du caractère conservatoire de la mise à pied, que le point de départ de cette mise à pied était le 15 avril 2019 et que la lettre de convocation à entretien préalable a été envoyée le lendemain, de sorte que cette mise à pied revêt bien un caractère conservatoire et ne saurait être considérée comme une mise à pied disciplinaire interdisant par la suite le prononcé du licenciement pour les mêmes faits.

Il n'y a pas lieu de prendre en compte pour apprécier l'existence d'une faute grave les griefs repris au sein des conclusions et qui ne figurent pas dans la lettre de licenciement, seule cette dernière fixant les limites du litige.

En application des dispositions de l'article L 1332-5 du code du travail, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinairesne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction. En l'espèce, l'avertissement notifié à M. [B] [V] le 26 avril 2016 est antérieur de moins de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ayant conduit à son licenciement, et peut donc être invoqué dans le cadre de ce dernier.

Les attestations de messieurs [H] [A] et [T] [M] produites tant par l'employeur que par le salarié ne sauraient avoir le moindre caractère probant dans le cadre du présent litige dans la mesure où ces deux personnes, qui ont dans un premier temps attesté en faveur de M. [B] [V], indiquent désormais avoir menti dans le cadre de ces attestations. Ce revirement ôte nécessairement tout caractère sérieux à leurs déclarations.

L'attestation de Mme [D] [C], épouse du directeur de la Sarl Tytech 74, ne saurait revêtir un caractère probant compte-tenu des liens familiaux entre celle-ci et M. [S], qui a prononcé le licenciement du salarié.

Le témoignage de Mme [L] [K] apparaît parfaitement recevable, la preuve en matière prud'homale pouvant être apportée par tous moyens (article 1358 du code civil).

S'agissant du non respect répété des consignes et du refus de suivre les instructions, l'employeur produit:

- l'attestation de M. [F] [N], collègue de travail de M. [B] [V], selon lequel ce dernier refusait de lui passer oralement les consignes lors du changement d'équipe, confiant cette tâche à son opérateur, se contentait de remplir le cahier de consignes. M. [F] [N] indique également qu'il 'était la seule personne de l'atelier à être bordélique, il ne prenait pas soin de ses outillages personnels et collectif. M. [S] lui avait déjà fait plusieurs fois la remarque et réalimentait régulièrement sa caisse à outils';

- une facture d'outils datée du 24 novembre 2017 et un listing des outils Facom acquis par l'entreprise entre 2013 et 2019.

S'agissant du comportement irrespectueux et agressif envers ses collègues, l'employeur produit:

- un avertissement du 26 avril 2016 adressé au salarié mentionnant les diverses altercations verbales à la limite de l'agression physique qu'il aurait eues avec M. [F] [N];

- l'attestation de M. [F] [N], qui indique avoir été témoin d'altercations entre M. [B] [V] avec d'autres salariés, à savoir messieurs [J], [X] et [E]; que M. [B] [V] le provoquait sans cesse et 'cherchait la bagarre'; qu'une réunion avait été organisée par la direction entre lui et M. [B] [V] le 15 mars 2019 afin de les amener à apaiser leurs différents et les avertir que des sanctions seraient prises s'ils ne faisaient rien pour supprimer l'ambiance néfaste entre eux, mais que ce dernier a persisté par la suite dans son attitude néfaste;

- l'attestation de Mme [L] [K], dictée par celle-ci au gérant de la société Tytech 74, dont il ressort que M. [B] [V] n'a pas tenu compte à plusieurs reprises de ses remarques s'agissant de la qualité des produits, qu'il n'échangeait pas avec elle et l'ignorait complètement;

- l'attestation de M. [Z] [E], salarié entre juin 2018 et février 2019, qui indique que l'ambiance dans l'usine était exécrable quand [B] [V] était présent, qu'il a assisté à de nombreuses altercations entre ce dernier et M. [F] [N], que lui-même a été menacé verbalement par M. [B] [V] en ces termes le 31 juillet 2018 'je vais te choper avec mes potes et on va t'effacer ton sourire', que l'une des principales raisons du non renouvellement de son contrat était 'l'ambiance intenable' qui régnait au sein de l'entreprise quand M. [B] [V] s'y trouvait, qu'il n'avait pas parlé à l'époque de ses problèmes avec celui-ci à sa direction,

- l'attestation de Mme [Y] [P], qui indique avoir entendu parler d'une dispute entre '[R]' et M. [B] [V]. Celle-ci évoque par ailleurs le côté ouvert et professionnel de M. [F] [N] par rapport aux remarques qu'elle pouvait lui faire en tant que responsable de contrôle des pièces fabriquées, contrairement à M. [B] [V] qui selon elle n'acceptait pas les remarques.

S'agissant de la mauvaise exécution du travail, l'employeur produit:

- l'attestation de M. [F] [N] qui indique que le salarié mettait en défaut certaines machines en provoquant la non conformité de pièces juste avant la fin de son service, ce dont lui-même s'apercevait quand il lui succédait;

- des tableaux mentionnant le coût mensuel des non conformités pour les années 2018 et 2019.

S'agissant du non respect des horaires et des temps de pause, l'employeur:

- évoque un seul retard de quatre heures en mars 2019, qui n'est pas contesté par le salarié. Si ce dernier soutient qu'il a déjà été sanctionné par la diminution de sa prime d'assiduité en mars 2019, il doit être retenu que le fondement d'une prime d'assiduité est de favoriser la régularité et la contunuité de la présence du personnel à son poste, et que l'abattemment effectué sur cette prime n'est que la conséquence directe de l'absence du salarié à son poste pendant quatre heures et ne constitue donc pas une sanction pécuniaire disciplinaire. Ce retard de M. [B] [V] à son poste de travail peut donc être invoqué par l'employeur à l'appui de sa décision de licenciement puisqu'il n'avait pas déjà fait l'objet d'une sanction disciplinaire;

- produit l'attestation de M. [Z] [E] qui indique que M. [B] [V] allait regarder des vidéos dans le réfectoire ou quittait l'usine dès que la direction s'absentait.

L'employeur ne produit par ailleurs aucune pièce au soutien des allégations relatives aux débordements des temps de pause.

M. [B] [V] produit deux attestations de M. [O] [J] et de M. [R] [X] qui indiquent tous deux ne jamais avoir eu le moindre litige avec lui, contrairement à ce que soutient M. [F] [N]. Ils indiquent également que M. [B] [V] leur a toujours fait passer les consignes par oral et par écrit.

Il produit par ailleurs des échanges de sms pour des remplacements dans le cadre du travail avec une personne qu'il indique être M. [F] [N], échanges dont il ne ressort aucune animosité.

M. [B] [V] ne peut néanmoins s'appuyer sur ses sms pour prétendre qu'une 'bonne entente' règnait entre lui et M. [F] [N], dans la mesure où il indique, au sein de son courrier de contestation de son licenciement en date du 8 mai 2019, que ce dernier a eu à plusieurs reprises envers lui un comportement grossier et/ou verbalement agressif dont il se serait plaint auprès de son employeur.

Il résulte de l'analyse de ces éléments qu'il n'est pas établi par l'employeur que:

- M. [B] [V] exécutait mal son travail de façon volontaire. L'attestation de M. [F] [N] sur ce point ne fait pas état de faits précis et reste vague, et aucun élément ne permet d'affirmer que les taux de non-conformité relevés résulteraient d'actes volontaires commis par M. [B] [V].

- M. [B] [V] ne respectait pas les consignes s'agissant de l'entretien de son matériel. La nature des consignes qui lui auraient été données n'est aucunement précisée, il n'est pas démontré que des rappels lui avaient déjà été faits quant à la nécessité de prendre soin de son matériel, les factures et listing d'outils ne démontrent aucunement une quelconque responsabilité du salarié dans la nécessité de ces achats. L'attestation de M. [F] [N] ne saurait démontrer à elle-seule une quelconque faute à ce titre de M. [B] [V].

- M. [B] [V] ne s'assurait pas lui-même de la conformité de sa production. Aucune pièce n'est produite sur ce point.

- M. [B] [V] faisait déborder ses temps de pause. Aucune pièce n'est produite sur ce point.

- M. [B] [V] ne respectait pas les instructions de sa direction de passer oralement les consignes à l'équipe qui le remplaçait à la fin de son service. Aucun élément probant ne permet de vérifier le contenu de ces instructions et la seule attestation de M. [F] [N] sur ce point n'apparaît pas suffisamment probante compte-tenu du contentieux les opposant.

Par ailleurs, les pièces produites permettent d'établir que:

- M. [B] [V] a bien présenté un retard de quatre heures à sa prise de poste le 26 mars 2019;

- un contentieux existait entre M. [F] [N] et M. [B] [V], ainsi que ce dernier l'a reconnu dans son courrier du 8 mai 2019. Chacun d'eux accuse l'autre d'être à l'origine de ce contentieux et de le nourrir. Cependant, plusieurs éléments permettent de retenir que le comportement de M. [B] [V] était inadapté voire irrespectueux et agressif avec au moins certains de ses collègues, ce qui tend à accréditer sa part de responsabilité dans le conflit avec M. [F] [N]. Ainsi, M. [B] [V] avait déjà été averti quant à son attitude envers ce dernier en 2016. Or, M. [Z] [E] atteste avoir été témoin de plusieurs altercations entre eux et, de façon très précise, avoir été verbalement menacé par M. [B] [V] en juillet 2018. Il précise que l'une des principales raisons de son départ de l'entreprise était l'ambiance exécrable qui régnait dans l'atelier quand celui-ci s'y trouvait. Aucun élément ne conduit à remettre en question le contenu de cette attestation, qui démontre que M. [B] [V] n'a pas tenu compte de l'avertissement qu'il avait déjà reçu quant à son comportement, qui pouvait être manifestement particulièrement agressif au regard de la gravité de la menace proférée à M. [E]. Le comportement du salarié est également stigmatisé par Mme [Y] [P] et Mme [L] [K], selon lesquelles il n'acceptait pas les remarques qu'elles pouvaient lui faire dans le cadre de leurs fonctions.

- M. [B] [V] pouvait s'absenter de son poste durant son temps de travail, notamment pour se rendre au réfectoire, ainsi qu'en a attesté M. [Z] [E], sans cependant que cette attestation ne permette de préciser la récurence de ce comportement.

Ces trois griefs pris dans leur ensemble constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis. Le licenciement pour faute grave apparaît justifié. La décision du conseil de prud'hommes sur ce point sera infirmée.

La décision du conseil de prud'hommes s'agissant des demandes de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité légale de licenciement, et d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse sera infirmée, et M. [B] [V] sera débouté de l'intégralité de ses demandes à ce titre.

Sur la demande au titre du licenciement abusif et vexatoire

Il a été retenu que le licenciement pour faute grave était justifié, et par ailleurs M. [B] [V] ne produit aucun élément de nature à justifier que ce licenciement présente un caractère vexatoire.

En conséquence, la décision du conseil de prud'hommes sur ce point sera confirmée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

M. [B] [V] succombant à l'instance, la décision du conseil de prud'hommes lui ayant alloué la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera infirmée, et M. [B] [V] sera débouté de sa demande à ce titre.

M. [B] [V] sera condamné à verser à la Sarl Société Tytech 74 la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare la Sarl Société Tytech 74 et M. [B] [V] recevables en leurs appel et appel incident,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Bonneville du 16 novembre 2020 en ce qu'il a débouté M. [B] [V] de sa demande au titre du licenciement abusif et vexatoire,

Infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau:

Dit que le licenciement pour faute grave de M. [B] [V] est justifié,

Déboute M. [B] [V] de l'intégralité de ses demandes,

Y ajoutant,

Condamne M. [B] [V] aux dépens,

Condamne M. [B] [V] à verser à la Sarl Société Tytech 74 la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Ainsi prononcé publiquement le 06 Septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Chbre sociale prud'hommes
Numéro d'arrêt : 20/01558
Date de la décision : 06/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-06;20.01558 ?
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