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23/07/2024 | FRANCE | N°21/01968

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Chbre sociale prud'hommes, 23 juillet 2024, 21/01968


COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE







ARRÊT DU 23 JUILLET 2024



N° RG 21/01968 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G2B6



S.A.S.U. LE PAIN DE LA MENOGE

C/ [S] [T]

S.E.L.A.R.L. AJ [G] & ASSOCIES, prise en la personne de Me [Y] [O] [G] et Me [P] [D] [G], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société LE PAIN DE LA MENOGE, nommée à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de Thonon-les-Bains du 27 juin 2022

etc...

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes

- Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 06 Septembre 2021, RG F 20/00115





APPELANT :



Maître [W] [L] sous administration proviso...

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 23 JUILLET 2024

N° RG 21/01968 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G2B6

S.A.S.U. LE PAIN DE LA MENOGE

C/ [S] [T]

S.E.L.A.R.L. AJ [G] & ASSOCIES, prise en la personne de Me [Y] [O] [G] et Me [P] [D] [G], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société LE PAIN DE LA MENOGE, nommée à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de Thonon-les-Bains du 27 juin 2022

etc...

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 06 Septembre 2021, RG F 20/00115

APPELANT :

Maître [W] [L] sous administration provisoire de Maître [I] [R], [Adresse 2], pris en sa qualité de Mandataire liquidateur de la SASU LE PAIN DE LA MENOGE, Boulangerie Patisserie ' O Bonne Heure' anciennement [Adresse 3]

Représenté par la SELARL LAMOTTE & AVOCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

INTIME :

Monsieur [S] [T]

né le 08 Novembre 1998 à [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par la SAS MERMET & ASSOCIES, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

L'Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA D'[Localité 7], - Intervenante forcée - le siège social est sis [Adresse 6]

[Localité 5]

prise en la personne de son représentant légal

sans avocat constitué

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 14 septembre 2023 par Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Madame Isabelle CHUILON, conseillère, assisté de Monsieur Bertrand ASSAILLY, greffier, à l'appel des causes, dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré.

Et lors du délibéré par :

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Isabelle CHUILON, Conseillère,

Madame Françoise SIMOND, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

********

Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties

Le 28 octobre 2019, une offre d'emploi de pâtissier dans une boulangerie/pâtisserie située à Bonne était publiée sur le site de Pôle Emploi, précisant les conditions suivantes : contrat à durée indéterminée, 41 heures samedi et dimanche, salaire mensuel de 2.500 € sur 12 mois, horaire de 04h00 à 12h00.

Après avoir postulé à cette offre et démissionné de son précédent emploi, M. [S] [T] a commencé à travailler, le 9 décembre 2019, pour la SASU 'le Pain de la Menoge', en qualité de pâtissier, sans qu'aucun contrat de travail ne soit établi, ni déclaration d'embauche.

Un contrat de travail à durée indéterminée, conclu à compter du 1er juin 2020, était régularisé entre les parties, portant sur un poste de pâtissier, boulanger, traiteur, à temps complet (35 heures hebdomadaires), faisant état d'un salaire brut mensuel de 1.523 €.

La convention collective nationale applicable est celle de la Boulangerie-pâtisserie. Aucune information n'est communiquée au sujet de l'effectif de l'entreprise.

Par courrier du 17 août 2020, M. [S] [T] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

Par courrier du 21 août 2020, la société le Pain de la Menoge lui répondait, en retour, qu'elle constatait sa démission à compter du 19 août 2020 et qu'elle allait déposer plainte contre lui pour différents faits (vol de marchandise, mise en danger d'autrui, harcèlement de mineur, dégradation de mobilier...).

Par requête du 22 septembre 2020, après deux mises en demeure par mail restées infructueuses, M. [S] [T] a saisi le Conseil de prud'hommes d'Annemasse aux fins de requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir les indemnités de rupture afférentes, outre diverses primes et dommages-intérêts, notamment pour travail dissimulé.

Par jugement en date du 6 septembre 2021, le Conseil de prud'hommes d'Annemasse a :

-Qualifié la prise d'acte de rupture du contrat de travail de M. [T] aux torts de la SASU le Pain de la Menoge en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-Fixé le salaire moyen de référence de M. [S] [T] à 2.440 € bruts ;

-Condamné la SASU le Pain de la Menoge à payer à M. [S] [T] les sommes suivantes:

*14.640 € de travail dissimulé;

*2.440 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

*2.440 € pour absence de procédure de licenciement ;

*2.440 € d'indemnité compensatrice de licenciement ;

*2.440 € d'indemnité compensatrice de préavis ;

*244 € d'indemnité de congés payés afférents au préavis ;

*4.000 € en réparation du préjudice moral, psychologique et financier ;

*2.440 € d'indemnité compensatrice de préavis ;

*4.155 € pour 206,50 heures majorées de 25% ;

*5.058 € pour 209,50 heures majorées de 50% ;

*750 € pour 20% de majoration sur 233 heures de dimanche ;

*1.256 € pour 25% de majoration sur 312 heures de nuit ;

*918 € pour 100% de majoration sur 57 heures fériées ;

*1.378 € pour congés payés ;

*1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

-Ordonné à la SASU le Pain de la Menoge la remise des documents suivants, sous astreinte de 50 € par jour par document à compter du 61ème jour suivant la notification du présent jugement:

*certificat de travail ;

*le reçu pour solde de tout compte ;

*l'attestation Pôle Emploi ;

*les fiches de salaire de décembre 2019 à août 2020 rectifiées;

-S'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte ;

-Ordonné l'exécution provisoire de l'intégralité du présent jugement ;

-Débouté M. [S] [T] du surplus de ses demandes ;

-Débouté la SASU le Pain de la Menoge de l'ensemble de ses demandes ;

-Condamné la SASU le Pain de la Menoge aux entiers dépens de l'instance. 

La SASU le Pain de la Menoge a interjeté appel à l'encontre de cette décision par déclaration enregistrée le 30 septembre 2021 par RPVA.

Par jugement du Tribunal de Commerce de Thonon-les-Bains du 27 juin 2022, la SASU le Pain de la Menoge a été placée en redressement judiciaire.

Par actes d'huissier du 18 août 2022, M. [S] [T] a délivré une assignation en intervention forcée devant la Cour d'appel de Chambéry à l'encontre de :

-L'association Unédic Délégation AGS CGEA d'[Localité 7],

-Maître [L] [W], représenté par son administrateur provisoire Maître [I] [R], es qualité de mandataire judiciaire de la société le Pain de la Menoge,

-La SELARL AJ [G] &Associés, es qualité d'administrateur judiciaire de la société le Pain de la Menoge.

Le CGEA d'[Localité 7] a fait savoir, par courrier du 18 août 2022, qu'il n'entendait pas se constituer en défense au regard de l'objet du litige, en ce qu'il ne disposait d'aucun élément permettant d'éclaircir utilement la juridiction.

Par jugement du 15 septembre 2022, le Tribunal de Commerce de Thonon-les-Bains a converti le redressement judiciaire de la SASU le Pain de la Menoge en liquidation judiciaire, désignant Maître [L] [W] en qualité de liquidateur et mettant fin à la mission de l'administrateur SELARL AJ [G]&Associés.

*

Par dernières conclusions notifiées le 7 avril 2023, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, Maître [W] [L], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la SASU le Pain de la Menoge, demande à la Cour de :

'-Statuer ce qu'il appartiendra sur la demande au titre du travail dissimulé, sur la base d'un salaire mensuel de référence qui ne saurait être supérieur à la somme de 2.115,15 euros bruts ;

-Statuant sur la requalification de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-Statuer ce qu'il appartiendra sur cette requalification ;

-Débouter en revanche M. [S] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

-Réformer le jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué à deux reprises son indemnité compensatrice de préavis ;

-Pour le surplus, dire et juger que les indemnités de rupture de M. [S] [T] doivent être établies sur la base de son salaire de référence de 2.115,15 euros bruts mensuels ;

-Le débouter de sa demande au titre du préjudice moral et financier et subsidiairement la réduire à de plus justes et équitables proportions ;

-Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [S] [T] au titre du préjudice subi pour sa période de chômage non indemnisée;

-Statuant à nouveau, débouter M. [S] [T] de sa demande de réparation du préjudice financier lié à la location d'une voiture pour se rendre au travail;

-Statuant sur ses demandes en paiement d'heures supplémentaires heures de nuit et majorations pour dimanches et jours fériés travaillés ;

-A titre principal, l'en débouter ;

-A titre subsidiaire et statuant à nouveau, dire et juger que M. [S] [T] ne peut prétendre qu'aux seules sommes suivantes déterminées sur la base de son salaire mensuel de référence de 2.115,15 euros bruts, soit :

*3.600,84 euros au titre des heures majorées à 25% ;

*4.242,37 euros au titre des heures majorées à 50 % ;

*650 euros au titre des heures de dimanches travaillées ;

*1.088,10 euros au titre des heures de nuit travaillées ;

-Le débouter en l'état de sa demande au titre de rappel de salaires pour jours fériés travaillés ;

-Le débouter de sa demande en paiement de congés payés du 04 au 18 août 2020 ;

-Le débouter encore de sa demande au titre de la prime Covid ;

-Statuer sur ce qu'il appartiendra sur l'établissement de ses documents salariaux et de rupture rectifiés ;

-Plus généralement, le débouter de toutes autres demandes, fins et conclusions ;

-Statuer ce qu'il appartiendra sur les dépens de l'instance'. 

Maître [W] [L], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la SASU le Pain de la Menoge, soutient en substance que:

Si la société le Pain de la Menoge ne conteste pas les manquements qui ont été les siens dans la gestion de la relation contractuelle avec M. [S] [T], consécutifs à des difficultés comptables indépendantes de sa volonté, ceux-ci ne justifient pas, pour autant, une condamnation financière se portant, toutes causes confondues, à plus de 45.000 €.

Les montants alloués à M. [T] doivent être diminués, dans la mesure où son salaire mensuel de référence n'était pas de 2.440 € bruts, mais de 2.115,15 € bruts, et déterminés en tenant compte des justificatifs produits aux débats par ce dernier.

La société a toujours reconnu que M. [T] avait été embauché le 9 décembre 2019. Durant la période d'activité, allant de décembre 2019 à mai 2020, il a, d'ailleurs, bien été réglé de son salaire par chèques.

L'employeur a tenté de faire des démarches en ligne sur l'espace informatique du TESE.

Dans son courrier de prise d'acte, le salarié ne fait pas de réclamation concernant de prétendues heures supplémentaires non réglées, pas plus qu'il n'en a fait durant toute la période d'exécution de son contrat de travail.

Le Conseil de prud'hommes a accordé davantage que les demandes formulées par le salarié en lui allouant, à deux reprises, son indemnité compensatrice de préavis.

Le salarié a disposé d'un nombre de congés payés supérieur aux droits qui lui étaient ouverts.

La SASU le Pain de la Menoge n'a jamais modifié le montant de sa rémunération, notamment en substituant le salaire net en salaire brut. M. [T] ne justifie pas avoir été embauché pour un salaire net d'activité de 2.000€/mois. Le contrat écrit, qu'il a signé le 1er juin 2020, ne fait pas état d'une telle rémunération mensuelle.

L'indemnité de l'article L.1235-2 du code du travail pour non-respect de la procédure de licenciement ne peut être allouée que lorsque le contrat a été rompu par un licenciement. Tel n'est pas le cas en matière de prise d'acte.

Compte tenu de son ancienneté, légèrement supérieure à huit mois, l'indemnité de licenciement du salarié ne peut se porter qu'à la somme de 528,78 € nets.

Il n'a jamais été dit, ni contractualisé, que la société le Pain de la Menoge prendrait en charge le coût d'une location de véhicule par M. [T].

Le salarié produit aux débats des décomptes d'heures, établis sur des tableaux informatiques, qui ne sont pas recevables, en ce qu'ils sont basés sur une prétendue amplitude de travail (contestée), sans tenir compte des pauses. Il n'est pas possible que le nombre journalier d'heures supplémentaires soit toujours le même. Par ailleurs, les attestations fournies doivent être écartées en raison du lien d'affection et de parenté existant entre leurs auteurs et le salarié. Aucun élément objectif ne vient étayer la réalisation d'heures supplémentaires alléguée.

M. [T] ne précise pas quels dimanches, ni jours fériés, auraient été travaillés. La majoration de 100 % qu'il revendique pour les jours fériés travaillés ne s'applique qu'à la seule journée du 1er mai.

M. [S] [T] a bien été réglé de son salaire jusqu'à la prise d'acte, de sorte que la société le Pain de la Menoge n'est pas débitrice à son égard du paiement de congés payés pour la période du 4 au 18 août 2020.

La prime covid étant facultative pour l'employeur, il n'y a pas d'obligation de versement.

*

Par dernières conclusions notifiées le 31 janvier 2023, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, M. [S] [T] demande à la Cour de :

-Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes d'Annemasse le 6 septembre 2021 sauf à :

Fixer les créances de M. [S] [T] à inscrire sur l'état des créances de la société le Pain de la Menoge déposées au greffe du Tribunal de Commerce de Thonon-les-Bains aux sommes suivantes :

*14.640 € de travail dissimulé ;

*2.440 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

*2.440 € pour absence de procédure de licenciement ;

*2.440 € d'indemnité compensatrice de préavis ;

*244 € d'indemnité de congé payé afférent au préavis ;

*4.000 € en réparation du préjudice moral, psychologique et financier ;

*2.440 € d'indemnité compensatrice de préavis ;

*4.155 € pour 206,50 heures majorées à 25% ;

*5.058 € pour 209,50 heures majorées de 50% ;

*750 € pour 20 heures de majoration sur 233 heures de dimanche ;

*1.256 € pour 25% de majoration sur 312 heures de nuit ;

*918 € pour 100% de majoration sur 57 heures fériées ;

*1.378 € pour congés payés ;

*1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant,

-Juger l'arrêt à intervenir commun et opposable à l'association Unédic Délégation AGS CGEA d'[Localité 7] qui devra sa garantie pour toutes les créances fixées par la Cour sur l'état des créances de la société le Pain de la Menoge;

-Condamner Me [W] [L] sous l'administration provisoire de Me [I] [R], es qualité de liquidateur judiciaire de la société le Pain de la Menoge, à payer à M. [S] [T] une indemnité de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

-Condamner Maître [W] [L] sous l'administration provisoire de Maître [I] [R], es-qualité de liquidateur judiciaire de la société le Pain de la Menoge, aux dépens de la procédure d'appel. 

M. [S] [T] fait valoir que:

La déclaration d'appel de la SASU le Pain de la Menoge, si elle reprend bien les chefs de jugement critiqués, ne fait pas état, en revanche, d'une demande d'infirmation ou d'annulation de la décision de première instance, de sorte que l'appel n'emporte pas d'effet dévolutif et que la Cour, saisie d'aucune prétention, ne peut que confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes.

Le dispositif des conclusions de l'appelante ne comporte pas l'énoncé des chefs de jugement critiqués, de sorte que la Cour ne peut, à nouveau, que confirmer le jugement de première instance.

Le dispositif des conclusions d'appel de la société le Pain de la Menoge ne contient pas, non plus, la mention d'une demande d'infirmation du jugement, de sorte que celui-ci ne peut, encore une fois, qu'être confirmé.

Toutes les demandes de la SASU le Pain de la Menoge commençant par ' statuer ce qu'il appartiendra' (ce qui équivaut à un acquiescement) ou bien encore par ' dire et juger ' ne sont pas des prétentions au sens de l'article 954 du code de procédure civile, de sorte que les dispositions du jugement visées par ces demandes doivent être confirmées.

Ses salaires lui ont été partiellement réglés entre décembre 2019 et juin 2020, sans remise de fiches de paie.

Il n'a pas bénéficié de visite auprès de la médecine du travail.

Dès la fin du mois de décembre 2019, il a rencontré des difficultés avec son véhicule personnel. Il n'a pas pu déposer un dossier de prêt pour l'acquisition d'un nouveau véhicule puisque son employeur refusait de lui remettre des fiches de paie, de sorte qu'il a dû louer une voiture pour être à son poste de travail, à 4h30 le matin, à compter du mois de mars 2020, jusqu'en juin 2020, date à laquelle il a emprunté de l'argent à sa famille pour s'acheter un nouveau véhicule.

Son employeur est resté sourd à ses demandes de remise de fiches de paye.

Un contrat de travail lui a été transmis, pour la 1ère fois, en juin 2020. Ledit contrat comportait, intentionnellement, une date d'embauche au 1er juin 2020, alors qu'il travaillait pour la société le Pain de la Menoge depuis le 9 décembre 2019, de sorte qu'il a compris, à partir de ce moment-là, qu'il était employé sans être déclaré. Par ailleurs, le salaire, les tâches, et la durée du contrat qui y étaient indiqués ne correspondaient pas à la réalité.

Aucune déclaration préalable à l'embauche n'a été effectuée par la SASU le Pain de la Menoge entre le 9 décembre 2019 et le 29 juin 2020.

Sans la visite de l'inspection du travail le 4 juin 2020, la situation n'aurait jamais été régularisée par l'employeur.

Le 6 août 2020, il recevait sa première fiche de paye de juillet 2020, laquelle, comme tous les paiements effectués depuis décembre 2019, ne correspondait pas au salaire mensuel de 2.500 € bruts (soit 2.000€ nets) qui lui avait été promis lors de l'embauche, et ne tenait pas compte des heures supplémentaires, des heures de nuit, des majorations pour dimanches travaillés.

L'employeur n'a pas décompté le temps de travail. Il a refusé de payer les congés payés.

La SASU le Pain de la Menoge a, ainsi, volontairement dissimulé son activité et son travail.

Les manquements graves et nombreux sus évoqués, commis par l'employeur, justifient la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de celui-ci, cette prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il fournit tous les éléments pour prouver que son salaire mensuel moyen était de 2.440 € bruts et qu'il accomplissait bien plus que 39 heures par semaine. Il a travaillé du 1er au 19 août pendant ses congés payés.

Il fait sienne la motivation retenue par le Conseil de prud'hommes.

*

L'instruction de l'affaire a été clôturée le 5 mai 2023.

L'audience de plaidoiries a été fixée au 14 septembre 2023.

L'affaire a été mise en délibéré au 30 novembre 2023, prorogé au 23 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

En application de l'article 901 4° du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la déclaration d'appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à la nullité du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

En application de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du même décret, seul l'acte d'appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.

Aucun de ces textes, ni aucune autre disposition, n'exige que la déclaration d'appel mentionne, s'agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu'il en est demandé l'infirmation (C.cass., 2ème Civ., 25 mai 2023, n° 21-15.842).

L'article 954 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, dispose que :

'Les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la Cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

La partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs'.

Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du jugement dont il recherche l'anéantissement, ni l'annulation de la décision de 1ère instance, la Cour d'appel ne peut que confirmer cette dernière.

Cette règle ayant été affirmée par la Cour de cassation, pour la première fois, dans un arrêt publié le 17 septembre 2020 (2ème Civ., 17 septembre 2020, n° 18-23.626), son application est limitée aux appels formés à compter de cette date, en vertu du droit à un procès équitable (2ème Civ., 20 mai 2021, n° 20-13.210).

En l'espèce, il apparait que :

-tant dans sa déclaration d'appel du 30 septembre 2021 (ce qui, en soit, ne pose pas de difficulté dès lors que les chefs de jugement critiqués sont bien indiqués),

-que dans le dispositif de ses 1ères conclusions notifiées le 28 décembre 2021,

-que dans celui de ses dernières conclusions déposées le 7 avril 2023,

la SASU le Pain de la Menoge n'a, à aucun moment (sauf à propos de l'indemnité compensatrice de préavis allouée à deux reprises), indiqué expressément qu'elle entendait solliciter la réformation, totale ou partielle, ou l'annulation de la décision attaquée.

En outre, la Cour observe que l'appelante ne rappelle pas dans le dispositif de ses conclusions (aussi bien les 1ères, que les dernières) les chefs du jugement de 1ère instance qu'elle critique, ce qui doit conduire à la confimation dudit jugement (Cass. Civ. 2ème, 30 septembre 2021, n°20-16.746).

Au surplus, toutes les 'demandes', formées pour le compte de la SASU le Pain de la Menoge, commençant par 'statuer ce qu'il appartiendra' (à savoir celles relatives au travail dissimulé, à la requalification de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l'établissement des documents salariaux et de rupture rectifiés et aux dépens de l'instance), ne sauraient s'analyser en des prétentions, au sens du code de procédure civile. Elles n'ont pas, par conséquent, à être examinées par la Cour, qui n'en est pas saisie, laquelle ne peut, les concernant, que confirmer le jugement de 1ère instance (C. cass., Civ. 2ème , 9 janvier 2020, n°18-18.778).

Dès lors, en l'absence d'appel incident formé par M. [T] [S], et compte tenu de la façon dont est rédigé le dispositif des dernières conclusions de l'appelante, lequel ne permet pas de déterminer avec précision l'objet du litige porté devant la Cour, celle-ci n'a pas d'autre alternative que de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes du 6 septembre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce que ce dernier a condamné, à deux reprises, la SASU le Pain de la Menoge à verser une indemnité compensatrice de préavis de 2.440 euros à M. [T] [S].

Il résulte des dispositions de l'article L.622-21 du code de commerce que le jugement d'ouverture de la procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L.622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

En conséquence, les sommes allouées au salarié par le jugement du Conseil de prud'hommes d'Annemasse seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la SASU le Pain de la Menoge.

L'Unédic Délégation AGS CGEA d'[Localité 7] devra sa garantie à M. [S] [T] dans les conditions des articles L.3253-6 et suivants et D.3253-5 et suivants du code du travail dès lors qu'il s'agit de créances antérieures à l'ouverture de la procédure collective.

La SASU le Pain de la Menoge succombant, Maître [W] [L] sous l'administration provisoire de Maître [I] [R], es qualité de liquidateur judiciaire, devra, en cause d'appel, assumer la charge des entiers dépens et s'acquitter, à l'égard de M. [S] [T], d'une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes d'Annemasse du 6 septembre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné, à deux reprises, la SASU le Pain de la Menoge à payer la somme de 2.440 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

Et y ajoutant,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société le Pain de la Menoge les créances suivantes de M. [S] [T] (à inscrire sur l'état des créances déposé au greffe du Tribunal de Commerce de Thonon-les-Bains):

*14.640 € pour travail dissimulé ;

*2.440 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

*2.440 € pour absence de procédure de licenciement ;

*2.440 € d'indemnité compensatrice de préavis ;

*244 € d'indemnité de congés payés afférents au préavis ;

*4.000 € en réparation du préjudice moral, psychologique et financier ;

*4.155 € pour 206,50 heures majorées de 25% ;

*5.058 € pour 209,50 heures majorées de 50% ;

*750 € pour 20 % de majoration sur 233 heures de dimanche ;

*1.256 € pour 25% de majoration sur 312 heures de nuit ;

*918 € pour 100% de majoration sur 57 heures fériées ;

*1.378 € pour congés payés ;

*1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Dit que le présent arrêt est opposable à l'Unédic Délégation AGS CGEA d'[Localité 7] qui devra sa garantie dans les limites des plafonds légaux et dans les conditions prévues par les articles L.3253-6 et suivants du code du travail ;

- Condamne Me [W] [L] sous l'administration provisoire de Me [I] [R], es qualité de liquidateur judiciaire de la société le Pain de la Menoge, à payer à M. [S] [T] une indemnité de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel ;

- Condamne Maître [W] [L] sous l'administration provisoire de Maître [I] [R], es qualité de liquidateur judiciaire de la société le Pain de la Menoge, aux dépens de la procédure d'appel. 

Ainsi prononcé publiquement le 23 Juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle CHUILON, Conseillère en remplacement du Président légalement empêché, et Madame Delphine AVERLANT faisant fonction de Greffière pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière P/Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Chbre sociale prud'hommes
Numéro d'arrêt : 21/01968
Date de la décision : 23/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-23;21.01968 ?
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