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25/07/2024 | FRANCE | N°21/02187

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Chbre sociale prud'hommes, 25 juillet 2024, 21/02187


COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE







ARRÊT DU 25 JUILLET 2024



N° RG 21/02187 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G25M



S.A.S. ETABLISSEMENTS [A]

C/ [C] [N]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 05 Octobre 2021, RG F 19/00060





APPELANTE :



S.A.S. ETABLISSEMENTS [A]

dont le siège social est sis [Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 4]

prise en la personne de son représentant lÃ

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Représentée par Me Laurence MAYBON, avocat postulant au barreau d'ANNECY et Me Alexandre ALBIN, avocat plaidant au barreau de PARIS





INTIME :



Monsieur [C] [N]

né l...

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 25 JUILLET 2024

N° RG 21/02187 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G25M

S.A.S. ETABLISSEMENTS [A]

C/ [C] [N]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 05 Octobre 2021, RG F 19/00060

APPELANTE :

S.A.S. ETABLISSEMENTS [A]

dont le siège social est sis [Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 4]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Laurence MAYBON, avocat postulant au barreau d'ANNECY et Me Alexandre ALBIN, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIME :

Monsieur [C] [N]

né le 06 avril 1960 à [Localité 8] ( ESPAGNE)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Serpil LEVET-TERZIOGLU de l'AARPI QUERE & LEVET AVOCATS, avocat au barreau d'ANNECY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 14 septembre 2023 par Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Madame Isabelle CHUILON, conseillère, assisté de Monsieur Bertrand ASSAILLY, greffier, à l'appel des causes, dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré.

Et lors du délibéré par :

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Isabelle CHUILON, Conseillère,

Madame Françoise SIMOND, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

********

Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties

M. [C] [N] a été embauché par la SAS établissements [A] à compter du 12 novembre 1979, suivant un contrat de travail à durée indéterminée au poste de chef de dépôt.

A compter du 1er mai 1999, il a été promu au poste de directeur magasins et logistique, statut cadre.

La convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie est applicable.

Le 24 janvier 2019, M. [C] [N] était convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 5 février 2019, et mis à pied à titre conservatoire.

Le 8 février 2019, M. [C] [N] s'est vu notifier un licenciement pour faute grave.

Par mise en demeure du 7 mars 2019, la SAS [A] réclamait à M. [C] [N] le paiement d'un solde de 31.734,71 € au titre de prêts consentis non remboursés intégralement.

Par courrier du 14 mars 2019, le salarié, par l'intermédiaire de son avocat, contestait son licenciement, sollicitant, au total, auprès de son ancien employeur, une somme de 381.534,14 euros.

La SAS [A] lui répondait, par courrier du 19 mars 2019, qu'elle n'entendait pas revenir sur sa décision et qu'une plainte pénale avait été déposée à son encontre.

Par requête réceptionnée le 12 avril 2019, M. [C] [N] a saisi le Conseil de prud'hommes de Bonneville aux fins de contestation de son licenciement et pour solliciter les indemnités de rupture afférentes, outre des rappels de salaires/heures supplémentaires.

Par jugement définitif du 03 décembre 2020, le Tribunal correctionnel de Bonneville a relaxé M. [N] [C] du chef d'abus de confiance commis le 7 novembre 2018 au préjudice des établissements [A].

Par jugement rendu le 5 octobre 2021, le Conseil de prud'hommes de Bonneville a :

- Dit et jugé que le licenciement de M. [C] [N] est dénué de cause réelle et sérieuse;

- Condamné la SA [A] à verser à M. [C] [N] :

*1.071,64 € au titre de l'indemnité de salaire pendant la mise à pied conservatoire, outre 107,64€, au titre des congés payés afférents,

*41.586,34 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 4.158,34 € au titre des congés payés afférents,

*124.758,90 € au titre de l'indemnité de licenciement,

*69.310,50 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

* 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- Débouté M. [C] [N] de ses demandes de :

*Heures supplémentaires travail du dimanche,

*Congés payés afférents

*Exécution provisoire

- Débouté la SA [A] de la totalité de ses demandes;

- Condamné la SA [A] à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage en application de l'article R. 1235-1 du code du travail;

- Condamné la SA [A] aux dépens.

La SAS établissements [A] a interjeté appel à l'encontre de cette décision par déclaration enregistrée le 8 novembre 2021 par RPVA.

M. [C] [N] a relevé appel incident par conclusions du 15 avril 2022.

Par jugement du 18 octobre 2021, le Tribunal judiciaire de Bonneville a débouté le salarié de sa demande d'indemnisation pour dénonciation calomnieuse. M. [C] [N] en a interjeté appel. Par arrêt du 17 mai 2023, la 2ème chambre civile de la Cour d'appel de Chambéry a confirmé le jugement du 18 octobre 2021.

*

Par dernières conclusions notifiées le 27 juillet 2023, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la SAS établissements [A] demande à la Cour de :

- Infirmer le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande au titre des heures supplémentaires,

Statuant à nouveau,

- Juger que le licenciement de M. [N] était fondé sur une faute grave et avérée;

- Juger que M. [N] a été rempli de ses droits au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail;

- Condamner M. [N] à rembourser à la SAS Établissements [A] la somme de 62.379, 45 € versée en exécution du jugement querellé au titre de l'exécution provisoire ;

- Condamner M. [N] à rembourser à la SAS Établissements [A] la somme de 31.734, 71 € avec intérêt légal à compter du 07 mars 2019;

- Condamner M. [N] à verser à la SAS Établissements [A] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [N] aux entiers dépens;

- Débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes;

À titre infiniment subsidiaire,

- Ramener à de plus justes proportions les sommes allouées à M. [N] au titre de l'indemnité de licenciement et des dommages intérêts pour licenciement abusif et vexatoire. 

La SAS établissements [A] soutient en substance que :

M. [N] était chargé, dans le cadre de ses fonctions, de l'approvisionnement en fioul des entrepôts de la société. Nourrissant des doutes sur la probité de ce salarié à la suite d'écarts sensibles constatés entre les quantités d'hydrocarbures livrées et leur consommation réelle, elle a procédé à un contrôle sur ce poste de dépenses.

Le 18 décembre 2018, à réception de deux factures de son fournisseur de fioul, elle a constaté une double livraison intervenue le 7 novembre 2018, dont l'une, de 1.567 litres, avait été effectuée au point GPS correspondant à l'adresse personnelle de M. [N].

Après avoir nié les faits dans un 1er temps, M. [N] a reconnu s'être fait livrer du fioul à son domicile pour son usage personnel et avoir demandé au livreur de faire établir la facture à l'ordre de son employeur. Il a reconnu, par ailleurs, que plusieurs livraisons de fioul avaient eu lieu depuis 2007.

Le salarié n'a jamais été en mesure de fournir des factures d'approvisionnement en fioul dont il se serait acquitté, que ce soit pour la livraison du 7 novembre 2018 ou celles antérieures.

Contrairement à ce qui est invoqué par le salarié, elle n'a jamais cherché à mettre en place un stratagème et à opérer une confusion, dans le but de se forger un motif de licenciement, en choisissant de s'approvisionner auprès du même fournisseur de fioul que ce dernier. Elle était cliente de cette entreprise depuis 2006, alors que M. [N] n'avait pas de compte ouvert auprès de celle-ci avant mars 2019.

Le salarié a fait état, sans le démontrer, de l'existence d'un accord avec M. [K] [A], portant sur des livraisons de fioul à son domicile prises en charge par la société en échange de son renoncement au versement de primes, lequel n'a jamais existé. Ceci, avant de se contredire et de soutenir, tout et son contraire, en affirmant qu'une telle pratique avait cessé, mais que l'accord était, encore, en vigueur en 2018.

M. [N] a fini par payer la facture du 7 novembre 2018 postérieurement à son licenciement, reconnaissant implicitement l'absence d'accord.

S'il y avait eu effectivement un accord au sujet de l'octroi d'un avantage en nature, celui-ci aurait été repris sur les fiches de paie du salarié, comme pour le véhicule mis à sa disposition.

Par ailleurs, le salarié a continué à percevoir des primes en 2007, 2008, 2011 et 2012.

Les avantages en nature consentis aux salariés étaient déclarés comme tels sur leurs bulletins de paie. Ils n'étaient pas accordés en contrepartie d'heures supplémentaires ou de primes.

Le jugement de relaxe du 3 décembre 2020 du Tribunal correctionnel est motivé de manière laconique.

La lettre de licenciement ne vise pas seulement les faits commis le 7 novembre 2018, mais une série d'agissements frauduleux antérieurs de la part du salarié.

L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à ce qui a été nécessairement et certainement jugé. La relaxe pénale n'interdit pas au juge civil d'apprécier des faits distincts qui n'ont pas été jugés.

Un chauffeur a confirmé avoir livré plusieurs fois le domicile de M. [C] [N] en fioul.

Le détournement, par un salarié, d'hydrocarbures constitue une faute grave.

La satisfaction donnée par le salarié, dans son exercice professionnel, ne saurait permettre de disqualifier la gravité de la faute commise, s'agissant de détournements d'hydrocarbures répétés.

Les fautes commises par le salarié sont établies et d'autant plus graves qu'elles émanent d'un cadre de l'entreprise, directeur magasins et logistique, employé depuis 39 ans.

L'attestation de M. [M] est de complaisance et constitue un 'échange de bons procédés'. Elle a pour seul objectif de ternir sa réputation, étant précisé que M. [M] a, lui aussi, initié une procédure prud'homale à son encontre, dans le cadre de laquelle M. [N] a établi une attestation au bénéfice de cet ancien salarié, alors même qu'ils entretenaient de très mauvaises relations du temps de leur collaboration professionnelle.

Son préjudice est clairement établi étant donné la quantité et le prix du fioul détourné, sachant que les livraisons ont eu lieu, à plusieurs reprises, depuis 2007, et que le salarié n'a payé que la dernière, de mauvaise grâce, après son licenciement.

Les attestations produites par le salarié, au soutien de sa demande d'heures supplémentaires, sont de complaisance. Leurs auteurs ne travaillaient pas sur les plages horaires où ils prétendent avoir vu M. [C] [N] et ne vivaient pas avec lui, de sorte qu'ils ne peuvent pas témoigner de l'amplitude de travail de celui-ci. En outre, les chauffeurs disposaient d'un code personnel leur permettant d'accéder au dépôt, sans l'intervention de quiconque, et n'étaient pas autorisés à rouler le dimanche soir avant 22h. De plus, elle n'aurait jamais accepté de prendre le risque de laisser partir les camions et leur chargement, le dimanche en fin de journée, en dehors du périmètre sécurisé et assuré par l'entreprise en attendant que les chauffeurs commencent leur tournée le lundi matin.

M. [C] [N] avait contracté plusieurs prêts auprès de la société, formalisés par des reconnaissances de dettes signées en 1984, 1989 et 1992, pour un montant total de 575.000 francs. Il en a remboursés, une partie, jusqu'en 2008, avant d'invoquer des difficultés financières et de solliciter un moratoire, lequel lui a été consenti. Au moment de quitter la société, qui n'a jamais eu la moindre intention libérale, le salarié aurait du finir de rembourser sa dette, ce qu'il n'a pas fait. Si celui-ci prétend le contraire, il n'en rapporte pas, non plus, la preuve.

Le point de départ du délai de prescription n'est pas la date de la reconnaissance de dette, mais celle de la mise en demeure de rembourser, qu'elle a adressée au salarié, correspondant, en l'espèce, à un temps voisin de son départ de l'entreprise, puisque c'est à partir de ce moment-là qu'elle a eu conscience que M. [C] [N] s'évertuait à ne pas s'acquitter de sa dette.

M. [C] [N] ne justifie d'aucune recherche sérieuse d'emploi.

*

Par dernières conclusions notifiées le 20 juillet 2023, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, M. [N] [C] demande à la Cour de :

- Déclarer les moyens, demandes et conclusions de la SA [A], appelante, irrecevables, en tous cas mal fondés,

- L'en débouter,

-Confirmer le jugement rendu le 5 octobre 2021 par le Conseil de prud'hommes de Bonneville en ce qu'il a :

- Dit et jugé que le licenciement de M. [C] [N] est dénué de cause réelle et sérieuse;

- Condamné la SA [A] à verser à M. [C] [N] :

*1.071,64 € au titre de l'indemnité de salaire pendant la mise à pied conservatoire, outre 107,64€ au titre des congés payés afférents,

*41.586,34 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 4.158,34 € au titre des congés payés afférents,

*124.758,90 € au titre de l'indemnité de licenciement,

* 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- Débouté la SA [A] de la totalité de ses demandes;

- Condamné la SAS [A] à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage en application de l'article R.1235-1 du code du travail;

- Condamné la SAS [A] aux dépens.

-Infirmer le jugement rendu le 5 octobre 2021, en ce qu'il a :

- Condamné la SAS [A] à verser à M. [C] [N] 69.310,50€ de dommages intérêts pour licenciement abusif et vexatoire;

- Débouté M. [C] [N] de ses demandes d'heures supplémentaires travail du dimanche, et de congés payés afférents ;

Statuant à nouveau,

- Condamner la SAS [A] à verser à M. [C] [N] :

*200.000 € de dommages-intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

*8.955,88 € pour le rappel d'heures supplémentaires (travail du dimanche),

*895,59 € pour les indemnités de congés payés y afférent;

- Condamner la SA [A], appelante, à payer à M. [N], intimé, la somme de 6.000€ au titre des frais irrépétibles de la procédure d'appel;

- Condamner la SA [A], appelante, aux entiers dépens de première instance et d'appel. 

M. [C] [N] fait valoir que :

Le jugement de relaxe du Tribunal correctionnel de Bonneville du 3 décembre 2020 a acquis l'autorité de la chose jugée.

L'unique fait constitutif d'une faute grave, daté du 7 novembre 2018, reproché dans la lettre de licenciement, est identique à celui ayant donné lieu à une décision de relaxe par le Tribunal correctionnel, laquelle s'impose à la Cour.

Il n'a, donc, commis aucune faute grave, ce qui est confirmé par la Cour d'appel de Chambéry dans son arrêt du 17 mai 2023, au sujet de la procédure de dénonciation calomnieuse, laquelle mentionne que la décision de relaxe exclut la commission de faits délictueux.

Dès lors, il n'est plus possible d'examiner et apprécier, à nouveau, ce fait.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, n'indique pas d'autre cause de licenciement, même par allusion, de sorte que l'employeur ne peut pas invoquer, aujourd'hui, d'autres faits pour justifier cette mesure.

Il est faux de prétendre qu'il aurait reconnu l'existence de détournements antérieurs. Il n'a jamais avoué avoir commis un quelconque détournement, ni le 7 novembre 2018, ni autrement.

L'enquête pénale diligentée à la suite de la plainte déposée par la société [A] à son encontre n'aurait pas manqué de révéler des détournements antérieurs à la date du 7 novembre 2018, si ceux-ci avaient réellement existé.

Les droits que la SA [A] tenait des reconnaissances de dettes étant prescrits, ses demandes de remboursement des sommes prêtées sont irrecevables. En tout état de cause, si la société n'a pas agi avant la mise en demeure du 7 mars 2019, c'est tout simplement parce que les sommes remises au salarié avaient, déjà, été totalement remboursées.

Il a été licencié abusivement, pour un motif fictif, résultant d'une man'uvre de l'employeur. Il a perdu son emploi dans des conditions brutales, à deux ans de la retraite, alors qu'il était âgé de 59 ans, après 39 ans de services, sans reproches, dans l'entreprise. Son préjudice est immense. Il n'a pas pu, compte tenu de son âge, retrouver du travail après la rupture de son contrat et avant de faire valoir ses droits à la retraite.

Au regard de la convention collective applicable, il peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis égale à six mois de salaire, ainsi qu'à une indemnité de licenciement qui ne peut pas dépasser la valeur de 18 mois de traitements. Le barème de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, prévu à l'article L.1235-3 du code du travail, ne permet pas de réparer de manière adéquate le préjudice réel qu'il a subi. Il convient, dès lors, de ne pas en faire application.

Il se rendait, tous les dimanches à 18h, au dépôt pour ouvrir les portes et permettre aux chauffeurs, employés par la société [A], de partir dès 22h, afin de livrer leurs marchandises en France. Cette action le contraignait à être présent, pendant 30 à 45 minutes, chaque dimanche, ce qui justifie sa demande au titre des heures supplémentaires.

*

L'instruction de l'affaire a été clôturée le 25 août 2023.

L'audience de plaidoiries a été fixée au 14 septembre 2023.

L'affaire a été mise en délibéré au 30 novembre 2023, prorogé au 25 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre préliminaire, il convient de rappeler aux parties les termes de l'article 954 du code de procédure civile:

'Les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la Cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

La partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs'.

Or, en l'espèce, la Cour relève que le salarié, en violation des dispositions sus-visées, ne fait aucune référence précise, dans ses dernières conclusions d'appel, aux pièces communiquées sur lesquelles il s'appuie pour étayer les moyens de fait et de droit fondant ses prétentions, alors que les parties doivent, pour chacune d'entre elles, indiquer les pièces invoquées et leur numérotation.

De plus, les nombreuses pièces versées aux débats par le salarié ne font pas l'objet de développements spécifiques, au fond, dans le corps de ses conclusions, lesquelles ne reprennent pas les éléments qu'elles contiennent.

Dans ces conditions, la Cour, ne sachant pas à quelles prétentions ces pièces se rattachent, en l'absence d'une telle indication par le salarié, est mise dans l'incapacité de les exploiter utilement dans le cadre de la présente instance.

I. Sur le licenciement

L'article L.1232-1 du code du travail rappelle que tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Celle-ci s'entend d'une cause objective, reposant sur des griefs suffisamment précis, vérifiables et établis, qui constituent la véritable raison du licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'il rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis.

La charge de la preuve d'une faute grave repose exclusivement sur l'employeur qui l'invoque.

Selon les dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige sur le licenciement, le juge auquel il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Il doit, notamment, apprécier si la sanction prononcée est proportionnée à la nature et à la gravité des faits reprochés. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Si elle ne retient pas l'existence d'une faute grave, la juridiction saisie doit, alors, rechercher si les faits reprochés au salarié sont constitutifs d'une faute simple de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement.

En cas de litige, la faute est appréciée souverainement par les juges du fond en fonction des circonstances propres à chaque espèce et des éléments de preuve qui leur sont soumis.

En l'espèce, dans la lettre recommandée avec accusé de réception du 8 février 2019, qui fixe les limites du litige, l'employeur retient les motifs de licenciement suivants à l'encontre du salarié :

'En conséquence, nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, pour avoir fait des biens de la société un usage abusif à des fins personnelles.

En tant que Directeur magasins et logistique c'est vous qui êtes en charge de l'approvisionnement en fioul des entrepôts de la société [A].

Or, nous avons découvert que vous aviez détourné, au préjudice de la société, 1.567 litres de fioul que vous avez fait livrer à votre domicile.

Ce détournement de 1.567 litres de fioul représentant un montant TTC de 1.481,76 € a été effectué le 07 novembre 2018.

Nous (la Directrice Générale et moi-même) avons toutefois découvert les faits uniquement le 18 décembre 2018, en regardant de plus près les 2 factures qui avaient été adressées à la société [A] par la société Charvet [Localité 7] Bianco, pour des livraisons de fioul le 07 novembre 2018.

En effet, après une première explication farfelue que vous avez donnée, suite à des questions de notre part, pour expliquer deux livraisons le même jour à 3 heures d'écart prétendument au même lieu de livraison (le dépôt de la société [A] situé [Adresse 9] à [Localité 3]), nous avons relevé que les coordonnées GPS de livraison inscrites pour les lieux de livraison, au verso des factures, étaient différentes.

Si les coordonnées GPS de la première livraison correspondent bien à notre dépôt situé [Adresse 2] à [Localité 3], ceux de la seconde livraison 3 heures après correspondent à l'adresse de votre domicile personnel !

Lors de votre entretien, vous avez reconnu avoir fait livrer du fioul à votre domicile ce jour-là au préjudice de la société [A] qui a reçu la facture.

Votre défense a consisté à dire que je vous avais donné personnellement l'autorisation de vous faire livrer du fioul en 2007 !

Or bien évidemment c'est totalement faux.

Mais de plus, en nous opposant cet argument, vous reconnaissez que vous vous êtes fait livrer du fioul à titre personnel au préjudice de la société depuis 2007.

Nous avions des doutes sur certains de vos agissements mais n'avions jamais eu de preuve tangible jusqu'à cette facture indiquant précisément les coordonnées GPS de votre domicile personnel comme lieu de livraison.

Ces faits sont inadmissibles et rendent impossible la poursuite du contrat de travail qui nous lie.

Pénalement, ils constituent le délit d'abus de confiance sanctionné par l'article L.314-1 du code pénal (') ».

Ainsi, il apparait, contrairement à ce que soutient le salarié, que cette lettre de licenciement fait référence à une pluralité de faits reprochés, lesquels ne sont pas limités à ceux du 7 novembre 2018, mais concernent l'ensemble des agissements similaires qui auraient été commis antérieurement par M. [C] [N], à savoir des livraisons de fioul, à titre personnel, sans autorisation, au préjudice de la société [A] depuis 2007, vis-à-vis desquelles l'employeur n'avait que des doutes, mais pas de preuve tangible, jusqu'à la réception de la dernière facture émise par la société Charvet [Localité 7] Bianco.

La Cour constate, au surplus, que la prescription des faits qui auraient été commis antérieurement au 7 novembre 2018 n'est pas soulevée par M. [C] [N] dans le cadre de ses dernières conclusions d'appel, alors même qu'il considérait, dans son courrier du 14 mars 2019, que 'ces faits sont aujourd'hui prescrits et ne peuvent plus faire l'objet d'une quelconque contestation'.

En tout état de cause, même si la prescription de tels faits avait été invoquée par le salarié, la Cour aurait considéré qu'ils n'étaient pas prescrits, dans la mesure où l'employeur n'en a eu confirmation qu'à la fin de l'année 2018, en prenant connaissance des données GPS de livraison figurant sur les factures du 7 novembre 2018, étant précisé que le fournisseur n'avait pas recours, antérieurement, à un tel procédé de livraison avec géocodage (cf PV d'audition de M. [S] [X] du 10 mars 2020) et que le salarié a reconnu, lui même, avoir agi en toute discrétion (cf infra notes d'audience du 3 décembre 2020 devant le Tribunal Correctionnel de Bonneville).

La société [A], pour justifier des manquements reprochés au salarié, produit notamment :

'une attestation de Mme [J], comptable au sein de l'entreprise, qui mentionne: 'Concernant les factures de fioul : à plusieurs reprises j'ai interrogé M. [V] sur les contenances des cuves car j'avais constaté que les consommations étaient importantes. Mes questions ont fortement déplu à M. [V] qui m'a répondu de lui faire confiance, qu'il connaissait son métier au vu de son ancienneté dans la société [A] et qu'il commandait selon les besoins' (...) 'Et fin d'année 2018, sur le site [Localité 6], j'ai eu deux factures le même jour avec une grosse livraison de fioul (10.500 litres) et une seconde de 1.567 litres. J'ai demandé une explication à M. [V], qui m'a confirmé qu'un camion cuve ne pouvait pas transporter sa commande de 12.000 litres qu'il avait faite' Cela m'a semblé étrange, j'en ai donc parlé à Mme [R] qui a d'abord constaté que les coordonnées GPS étaient différentes alors que la livraison concernait le même site';

'les factures du 7 novembre 2018 émises par la société Charvet [Localité 7] Bianco, validées d'un 'OK' par le salarié, faisant état d'une livraison effectuée à 10h45 pour 1.567 litres de fioul au point GPS correspondant à l'adresse du domicile de M. [N] [C] (cf capture d'écran du site www.torop.net 'coordonnées GPS d'un lieu') ;

'le courrier du 14 mars 2019, adressé par le conseil du salarié, dans lequel celui-ci admettait la matérialité de la livraison de fioul réalisée le 7 novembre 2018 à son domicile par la société Charvet [Localité 7] Bianco (dont il se prétendait, par ailleurs, client), mais également celle de livraisons antérieures, exécutées, d'après lui, sur la base d'un accord passé avec M. [K] [A] en 2007, aux termes duquel il avait été convenu que la SA [A] lui fasse livrer du fuel afin d'éviter d'avoir à lui verser des primes, tout en indiquant, au final, que: 'cette pratique avait cessé depuis' ;

'le grand livre des comptes généraux, confirmant que la société Charvet [Localité 7] Bianco était son fournisseur d'hydrocarbures depuis janvier 2006, ainsi qu'un mail de Mme [H] du 25 octobre 2019, démontrant que M. [N] [C] n'en était client, à titre personnel, que depuis mars 2019, période à laquelle il a été contraint de s'acquitter de la facture relative à la livraison de fioul du 7 novembre 2018 (cf mail de M. [G] du 21 mars 2019), étant précisé que le salarié n'a jamais versé, aux débats, les copies de ses factures de livraison de fioul domestique des 10 dernières années, malgré les sommations de communiquer adressées en ce sens par l'employeur le 21 mai 2019 et le 13 juillet 2022 ;

'les notes d'audience prises par le greffier du Tribunal Correctionnel de Bonneville le 3 décembre 2020 lors de la comparution de M. [N], lequel a déclaré devant cette juridiction :

-' J'étais directeur de production et logistique au sein de la société pendant plus de 39 ans'; - « Je me suis toujours occupé de la livraison du fioul » ;

- « Il y a bien eu du fioul livré à mon domicile le 07 novembre 2018 pour le montant prévu que j'ai réglé par la suite. » ;

- « La livraison était convenue avec M. [A], c'était un avantage en nature plutôt qu'une augmentation sur mes fiches de paye. Dans toute ma période dans la société, j'ai eu quelques avantages en nature car je rendais énormément beaucoup de services. Ce n'était pas formalisé sur les documents » ;

- « Je n'ai pas souhaité parler devant les gendarmes car il y avait déjà une procédure devant les prud'hommes » ;

- « La société Charvet m'a réclamé la facture. Si je n'avais pas été licencié, je ne l'aurais pas payée car c'était un arrangement avec M. [A] en remplacement d'une augmentation sur feuille de paye » ;

- « Ça m'était déjà arrivé une fois ou deux, mais pas tous les ans. C'était un accord, donc c'était fait de façon très discrète »;

'le PV d'audition de M. [S] [X] du 10 mars 2020, chauffeur livreur de la société Charvet [Localité 7] Bianco, affecté au secteur de [Localité 4] depuis 4 ans, qui a indiqué aux gendarmes avoir livré, au mois une fois par an, en 4 ans, une villa sur la commune d'[Localité 3], située à la limite entre [Localité 4] et [Localité 3], à la demande expresse de M. [V] [C], sans savoir qu'il s'agissait de son lieu d'habitation, lequel lui demandait de «faire le plein comme d'habitude»;

La Cour observe que, pour sa défense, le salarié a renoncé, au stade de l'appel, à l'argument de l' 'accord tacite' de l'employeur, se contentant d'invoquer la règle de l'autorité de la chose jugée pour soutenir que la décision de relaxe, dont il a bénéficié de la part du Tribunal Correctionnel de Bonneville le 3 décembre 2020, doit s'imposer à la juridiction prud'homale et conduire, par conséquent, à considérer que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

Or, si les faits du 7 novembre 2018, dont il a été relaxé, au travers une décision définitive, ne peuvent, effectivement, pas constituer un motif valable de licenciement à l'encontre du salarié, il apparait, toutefois, à l'examen des pièces communiquées par les parties, que les autres faits, antérieurs à cette date, également visés par la lettre de licenciement, sont caractérisés.

Ainsi, à partir de 2007, et durant les 4 années ayant précédé la rupture de son contrat de travail (à l'exception du 7 novembre 2018, dans la mesure où il a été relaxé par la juridiction pénale), M. [N], abusant de sa qualité de directeur de magasins et logistique et de son ancienneté au sein de l'entreprise, s'est fait sciemment livrer du fioul à son domicile, à une fréquence au moins annuelle, pour son usage strictement personnel, étranger à l'exercice de ses fonctions, par la société Charvet [Localité 7] Bianco, fournisseur d'hydrocarbures de la société [A] depuis 2006, en faisant établir des factures à l'ordre de son employeur, sans qu'il ne démontre de l'existence d'un accord donné par ce dernier quant à une telle pratique illégale, susceptible de revêtir la qualification pénale d'abus de confiance/recel d'abus de biens sociaux.

Ces faits, matériellement établis, sont particulièrement graves. Ils empêchent toute poursuite de la relation contractuelle et le maintien du salarié dans l'entreprise, y compris durant la période de préavis, du fait de la rupture totale du lien de confiance engendrée par un tel comportement déloyal, ayant perduré dans le temps.

Cette faute du salarié est d'autant plus grave au regard des fonctions de responsable qu'il occupait au sein de l'entreprise et de son niveau de rémunération, l'intéressé indiquant, lui-même, dans ses écritures que son salaire moyen s'élevait à 6.931,05 euros, sans compter qu'il bénéficiait, à la lecture de la procédure, de conditions de travail particulièrement avantageuses (voiture de fonction etc...), de sorte qu'il n'existe aucune justification valable à la commission de tels agissements réitérés.

Par conséquent, il convient d'infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes, et de juger que le licenciement pour faute grave de M. [N] est fondé.

Licencié, à juste titre, pour faute grave, le salarié ne peut prétendre à aucune indemnité de rupture, pas plus qu'au paiement de son salaire pendant la mise à pied conservatoire, laquelle était pleinement justifiée.

Par ailleurs, M. [N] ne démontre pas avoir fait l'objet d'un licenciement abusif et vexatoire, de sorte que l'ensemble des sommes allouées par le Conseil de prud'hommes au titre de la rupture de son contrat de travail, ayant fait l'objet d'une exécution forcée, devront donner lieu à restitution par le salarié.

Sur ce point, la société [A] demande le remboursement des sommes que le salarié a perçues en exécution du jugement querellé assorti de l'exécution provisoire.

Or, le présent arrêt infirmatif ayant, à lui seul, valeur de titre exécutoire, ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement de première instance assorti de l'exécution provisoire, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande formée par la société [A].

II. Sur les heures supplémentaires

La Cour relève que M. [N] avait le statut de cadre et qu'il était d'ailleurs soumis à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie. Pour autant, les parties ne font pas état, dans leurs écritures respectives, de l'existence d'une convention de forfait excluant l'application de la législation de droit commun en matière d'heures supplémentaires, étant précisé que le contrat de travail de l'intéressé n'est pas fourni et qu'aucune mention spécifique ne figure sur ses bulletins de paie.

Aux termes de l'article L.3121-27 du code du travail : « La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine ».

En vertu de l'article L.3121-28 du code du travail : 'Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent'.

Les heures supplémentaires se décomptent par semaine en application de l'article L.3121-9 du code du travail et donnent droit, en vertu de l'article L.3121-36 du même code, à une majoration de 25% pour les 8 premières heures et de 50 % pour les heures suivantes.

En application de l'article L.3171-2 du code du travail, 'Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ». L'article L.3171-3 du même code prévoit que l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées (Cass. Soc., 14 novembre 2018, n°17-16959). Le juge doit donc rechercher si les heures supplémentaires invoquées par le salarié étaient commandées, explicitement ou implicitement par l'employeur, ou si elles résultaient de sa charge de travail telle que fixée par l'employeur. C'est seulement lorsqu'elles ont été effectuées malgré l'opposition de l'employeur, sans que la nature ou la quantité des tâches confiées au salarié ne les justifient, que les heures supplémentaires ne peuvent donner lieu à paiement (Cass. Soc., 24 septembre 2014, n°13-14289).

La charge de la preuve des heures supplémentaires effectuées ne repose pas spécialement sur l'une des parties. Elle est dite 'partagée'.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail : « En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ».

Dans le dernier état de sa jurisprudence, la chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi précisé le rôle de chaque partie et du juge :

« En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant. » (Cass. Soc., 27 janvier 2021, n°17-31046).

En l'espèce, M. [C] [N] prétend avoir du se rendre, chaque dimanche à 18h00, au dépôt de l'entreprise, durant 30 à 45 minutes, afin de permettre l'ouverture des portes aux chauffeurs, de manière à ce que ces derniers puissent partir dès 22h00 pour effectuer les livraisons de marchandises de la semaine programmées en dehors du département.

Au soutien de sa demande en paiement d'heures supplémentaires non rémunérées, le salarié expose, qu'étant responsable depuis 1982, il ne pointait plus dans la société, en début et en fin de journée, mais qu'il justifie, par d'autres moyens, des heures de travail réalisées.

Or, force est de constater que le salarié ne présente pas d'éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, ce qui ne permet pas à l'employeur d'y répondre utilement.

M. [C] [N] se contente, en effet, de fournir des attestations:

- approximatives, évoquant sa disponibilité, notamment le fait qu'il était joignable, jour et nuit, ainsi que durant les week-ends, et l'existence de déplacements de l'intéressé sur son lieu de travail 'les dimanches en fin d'après-midi' 'vers 18h', mais ne comportant aucune date, ni horaires de travail;

- émanant de personnes avec lesquelles il entretient/a entretenu des liens de grande proximité (cf attestations de ses diverses compagnes, Mme [W], Mme [B] et Mme [P]), ou ayant été en litige prud'homal avec l'employeur (cf attestations d'anciens salariés comme M. [M]), de sorte que de sérieuses réserves doivent être émises quant au crédit qu'il convient de leur accorder, d'autant plus que ces attestations ne sont étayées par aucune autre pièce ;

En outre, de son côté, l'employeur démontre que les chauffeurs bénéficiaient d'un code personnel leur permettant d'ouvrir les portes du dépôt et de neutraliser l'alarme sans que l'intervention du salarié ne soit requise (cf attestations de Mme [T], de la société Alarme concept et de M. [U]), de sorte que ceux-ci étaient pleinement autonomes pour prendre en charge leurs camions, principalement le lundi matin très tôt, sachant que les véhicules de transport de marchandises n'ont pas le droit de circuler sur l'ensemble du réseau routier français entre le samedi 22h00 et le dimanche 22h00.

Par conséquent, rien ne justifiait que M. [C] [N] se rende sur son lieu de travail tous les dimanches à partir de 18h00. Au surplus, il ne ressort pas des éléments figurant à la procédure que de telles interventions du salarié étaient sollicitées par l'employeur, que ce soit explicitement ou implicitement, ou bien encore qu'elles étaient nécessaires à l'accomplissement de ses missions et résultaient de sa charge de travail.

Le jugement du Conseil de prud'hommes, qui l'a débouté de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, sera, dès lors, confirmé.

III. Sur la demande reconventionnelle de l'employeur au titre du remboursement des prêts consentis au salarié

La prescription en matière civile a été modifiée par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, le délai de prescription, antérieurement de 30 ans (article 2262 ancien du code civil), passant à 5 ans.

L'article 2224 du code civil, dans sa version en vigueur depuis le 19 juin 2008, prévoit désormais que : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

En matière de reconnaissance de dette, le point de départ du délai de prescription est la connaissance, par le créancier, de l'atteinte à son droit au remboursement.

En l'espèce, M. [C] [N] a été amené à signer trois reconnaissances de dettes au profit de son employeur la SA [A]:

- une datée du 10 juin 1992, libellée comme suit : « Je (...) certifie avoir reçu un chèque de 200.000 francs 'remboursable par mensualités de 2.000 francs à partir du mois de juin 1992 »;

- une datée du 27 janvier 1989, rédigée en ces termes: « Je (') certifie avoir reçu un chèque de 75.000 francs 'remboursable par mensualités de 2.500 francs à partir du mois d'avril 1989 »;

- une datée du 5 avril 1984, mentionnant: « Je(') certifie avoir reçu la somme de 300.000 francs' remboursable par mensualités de 2.000 francs. »

Si ces trois reconnaissances de dettes ne comportaient aucune échéance précise de remboursement, elles prévoyaient, toutefois, l'existence de mensualités pour des montants déterminés.

Or, il apparait, à la lecture des pièces transmises par la société [A], que le salarié a cessé de s'acquitter du remboursement mensuel des prêts consentis à compter du 31 décembre 2000, et qu'il y a eu, par la suite, deux autres remboursements, respectivement de 10.000 euros en février 2007, et de 4.000 euros en septembre 2008 (cf bulletins de salaire et décompte de la somme due), sans que l'employeur n'effectue la moindre démarche particulière pour recouvrer son dû, alors qu'il avait pu constater, dès l'interruption des paiements réguliers à la fin de l'année 2000, puis à l'issue du dernier réglement opéré en septembre 2008, la volonté persistante du débiteur de ne pas honorer ses engagements, de sorte qu'il lui appartenait, à partir de ce moment là, d'agir dans le délai de prescription prévu par la loi, ce, qu'à l'évidence, il n'a pas fait.

La société [A] se prévaut d'un moratoire qui aurait été consenti à M. [C] [N], en ne donnant, toutefois, aucune précision sur ses modalités (notamment au sujet de sa date et de sa durée), et sans en justifier autrement que par ce qui a été pratiqué avec d'autres salariés (remboursements des prêts lors du départ de l'entreprise).

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes qui a considéré, à juste titre, que 'les différents délais de prescription auxquels étaient soumises les reconnaissances de dettes étaient arrivés à prescription au jour de l'ouverture de l'action en 2019 par la SA [A]', et que cette dernière devait être déboutée de sa demande.

IV. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu de la solution du litige, l'équité commande de prévoir que chacune des parties supportera la charge des frais irrépétibles et des dépens qu'elle a engagés en première instance et en appel. Il convient, dès lors, de les débouter de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dans les limites de l'appel principal et de l'appel incident,

Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Bonneville du 5 octobre 2021 en ce qu'il a :

- Débouté M. [C] [N] de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents;

- Débouté la SA [A] de sa demande de condamnation de M. [C] [N] à lui rembourser la somme de 31.734,71 €, avec intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2019;

Infirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Bonneville du 5 octobre 2021 pour le surplus de ses dispositions frappées d'appel;

Statuant à nouveau sur les chefs d'infirmation,

- Juge que le licenciement pour faute grave de M. [C] [N] est fondé;

- Déboute M. [C] [N] de l'ensemble de ses demandes d'indemnités liées à la rupture de son contrat de travail (indemnité de salaire pendant la mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents, indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, indemnité de licenciement, dommages-intérêts pour licenciement abusif et vexatoire);

- Dit que chaque partie supportera la charge des frais irrépétibles et des dépens qu'elle a engagés ;

- Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et y ajoutant,

-Dit que chaque partie supportera la charge des frais irrépétibles et des dépens qu'elle a engagés, en cause d'appel;

- Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel;

- Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Ainsi prononcé publiquement le 25 Juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle CHUILON, Conseillère en remplacement du Président légalement empêché, et Madame Delphine AVERLANT faisant fonction de Greffière pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière P/Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Chbre sociale prud'hommes
Numéro d'arrêt : 21/02187
Date de la décision : 25/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-25;21.02187 ?
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