ID
MINUTE No 484/2016
Copies exécutoires à
Maître HARTER
Maître SENGELEN-CHIODETTI
La SCP CAHN & ASSOCIÉS
Maîtres CHEVALLIER-GASCHY,
RICHARD-FRICK
& HEICHELBECH
Le 15 septembre 2016
Le Greffier
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 15 septembre 2016
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 15/00243
Décision déférée à la Cour : jugement du 21 novembre 2014 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG
APPELANTE et demanderesse :
La S.A.S. NESPRESSO FRANCE
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social 1 Boulevard Pasteur
75015 PARIS
représentée par Maître HARTER, avocat à COLMAR
plaidant : Maître DESTREMAU, avocat à PARIS
INTIMÉES et défenderesses :
1 - La SARL AGEMA SERVICES
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social 1 avenue Hélène Boucher
24750 BOULAZAC
représentée par Maître SENGELEN-CHIODETTI, avocat à COLMAR
2 - La SARL ORDOTEC INGENIERIE
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social 58 chemin de la Justice Le Quartz
92290 CHATENAY MALABRY
représentée par la SCP CAHN & ASSOCIÉS, avocats à COLMAR
3 - La S.A.S. SERELY
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social 1 allée Bernard de Palissy
69780 MIONS
représentée par la SCP CAHN & ASSOCIÉS, avocats à COLMAR
plaidant : Maître ARRUE, avocat à LYON
4 - La SARL FRANCIS KREMPP ARCHITECTURE INTERIEURE
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social 32 rue Le Peletier
75009 PARIS
représentée par Maîtres CHEVALLIER-GASCHY, RICHARD-FRICK & HEICHELBECH, avocats à COLMAR
plaidant : Maître LE DAI, avocat à PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 juin 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bernard POLLET, Président, et Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Bernard POLLET, Président
Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller
Madame Pascale BLIND, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier ad hoc, lors des débats : Madame Valérie ALVARO
ARRÊT Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bernard POLLET, Président et Madame Valérie ALVARO, greffier ad hoc, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES
La SAS Nespresso France a conclu le 4 septembre 2007, un bail commercial portant sur des locaux sis 4 rue de la Mésange à Strasbourg en vue d'y ouvrir une boutique en septembre 2008.
Elle a fait réaliser des travaux de rénovation et d'aménagement des locaux sous la maîtrise d'oeuvre de la SARL Francis Krempp architecture intérieure, laquelle a sous-traité une partie de sa mission à un bureau d'études techniques, la SARL Ordotec Ingenierie. Le lot maçonnerie, plâtrerie, agencement et peinture a été confié à la SAS Agema et le lot électricité à la SAS Serely.
La réception des travaux était prévue le 29 juillet 2008. Dans la nuit du 27 au 28 juillet 2008 un violent orage s'est abattu sur la région de Strasbourg, qui a arraché un fragment d'une bâche polyane installée sur un immeuble voisin dans lequel est exploité un magasin Monoprix. Ce fragment de bâche est venu obstruer le chéneau de l'immeuble dans lequel la société Nespresso avait ses locaux, provoquant une inondation des locaux, l'effondrement partiel des faux plafonds et la dégradation des cloisons et embellissements.
Dans l'urgence, les travaux de réfection nécessaires ont été confiés aux entreprises intervenant sur le chantier par la société Nespresso France, qui en a financé le coût à hauteur de 81 443,13 euros HT.
Aucun accord n'ayant pu être trouvé avec les assureurs concernés pour la prise en charge du sinistre, la société Nespresso France, par exploits du 23 juillet 2010, a assigné les sociétés Agema et Serely, ainsi que d'autres entreprises et la société Krempp architecture, devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, chambre commerciale, aux fins de les voir condamnées, sur le fondement des articles 1788 et 1790 du code civil, au remboursement des sommes versées au titre des travaux de réfection. Elle s'est désistée de sa demande dirigée contre les autres entreprises qui ont réglé les sommes réclamées.
Par jugement en date du 21 novembre 2014, le tribunal a déclaré irrecevable l'exception de nullité de l'assignation soulevée, a débouté la société Nespresso France de ses demandes et l'a condamnée à payer, à chacune des défenderesses, une indemnité de procédure de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, rejetant les demandes reconventionnelles en dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le tribunal a considéré que les dispositions de l'article 1788 du code civil ne pouvaient trouver application en l'espèce, dès lors que la question posée n'était pas celle de la charge des risques avant réception, mais celle de la responsabilité de la détérioration de la chose, qui est imputable, en l'espèce, à un fait extérieur aux défenderesses.
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La société Nespresso France a interjeté appel de ce jugement le 14 janvier 2015, intimant toutes les parties.
Par conclusions du 8 mars 2016, elle demande l'infirmation du jugement, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'exception de nullité, et sollicite la condamnation de la société Agema au paiement de la somme de 51 065,93 euros HT (subsidiairement 48 983,73 euros) et de la société Serely au paiement de la somme de 17 000 euros HT, sur le fondement de l'article 1788 du code civil, ainsi que la condamnation de la société Krempp architecture au paiement de la somme de 8 500 euros HT, sur le fondement de l'article 1790 du code civil, lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter de l'assignation.
Elle sollicite en outre la condamnation des intimées in solidum au paiement d'une indemnité de procédure de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Nespresso France fait valoir que, contrairement à l'opinion du premier juge, le problème posé est bien celui de la charge des risques en cas de perte ou de détérioration de l'immeuble avant réception et que les dispositions de l'article 1788 du code civil, reprises à l'article 7 du cahier des clauses administratives particulières, qui font peser les risques sur les entreprises lorsqu'elles ont fourni la matière - ce qui constitue un régime de responsabilité sans faute ouvrant droit à réparation pour le maître de l'ouvrage sans que l'entreprise ne puisse lui opposer la force majeure ou le fait d'un tiers -, s'appliquent aux sociétés Agema et Serely, quand bien même s'agit-il de travaux de rénovation d'un immeuble existant.
Elle soutient qu'il s'agit bien d'un sinistre avant réception et relève qu'elle n'avait pas été mise en demeure de recevoir les locaux.
Elle conteste avoir eu la garde du chantier ou avoir disposé des clés des locaux dans lesquels elle n'exploitait encore aucune activité, ainsi que toute faute de sa part, le sinistre ne trouvant pas son origine dans un prétendu défaut d'entretien des gouttières, mais dans un cas fortuit.
Elle considère qu'elle n'avait pas à appeler en cause la société Monoprix, en sa qualité de gardien de l'immeuble voisin, la société Agema pouvant le faire si elle l'estimait utile.
L'appelante conteste enfin toute renonciation de sa part à se prévaloir des dispositions des articles 1788 et suivants du code civil, indiquant que, compte tenu de l'urgence, elle a préféré confier les travaux nécessaires aux entreprises se trouvant sur le chantier et que le fait qu'elle ait accepté de faire l'avance du coût des travaux, pour le même motif, n'implique pas une volonté non équivoque de sa part de renoncer aux dispositions légales précitées.
Elle considère donc qu'elle est fondée à demander le remboursement des sommes versées aux entreprises pour ces travaux, ce que certaines d'entre elles ont du reste accepté, et que le maître d'oeuvre ne peut prétendre à aucune rémunération pour ces travaux, en application de l'article 1790 du code civil, qui lui est applicable, étant un constructeur au sens de l'article 1792 du code civil, observant qu'il lui incombait de veiller à ce que le maître de l'ouvrage ne paie pas deux fois les mêmes prestations.
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Par conclusions du 4 mai 2016, la société Agema conclut à la confirmation du jugement et demande qu'il soit enjoint à la société Nespresso France de mettre en cause la société Monoprix. Elle sollicite la condamnation de l'appelante à la garantir des montants mis à sa charge ainsi qu'à lui payer 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité de procédure de même montant.
La société Agema soutient que l'article 1788 du code civil n'est pas applicable et que seul l'article 1789 du code civil pourrait recevoir application, s'agissant de travaux de rénovation sans transfert de la garde de la chose au profit des entreprises.
Elle prétend en effet que la société Nespresso France avait les clés des locaux auxquels elle pouvait librement accéder, qu'elle assurait le clos et la couverture du chantier et qu'elle exploitait son activité dans l'immeuble pendant la durée des travaux.
Elle soutient par ailleurs que la société Nespresso France avait réceptionné matériellement le chantier, puisqu'elle avait commencé à aménager les locaux, pour l'ouverture du magasin prévue le lendemain.
L'intimée fait valoir que le sinistre, qui trouve son origine dans le débordement d'un chéneau dont la société Nespresso France avait seule la garde, est dû à la négligence de celle-ci dans l'entretien du chéneau, lequel lui incombait en vertu des stipulations du bail commercial. Elle considère que le sinistre est donc imputable à la faute exclusive du maître de l'ouvrage ou au vice de la chose confiée et en déduit qu'en l'absence de faute de sa part, sa responsabilité ne peut être recherchée en application de l'article 1789 du code civil.
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Par conclusions du 29 mais 2015, la société Serely conclut au débouté de la société Nespresso France et sollicite sa condamnation au paiement d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une indemnité de procédure de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Serely estime quant à elle que la société Nespresso France avait renoncé à se prévaloir des dispositions de l'article 1788 du code civil et soutient que, celle-ci lui ayant passé une seconde commande avec un nouvel ordre de mission, elle ne peut invoquer les dispositions de l'article 1788 du code civil puisque les travaux objet de cette seconde commande n'ont pas péri.
Subsidiairement, elle invoque une réception partielle des travaux le 24 juillet 2008 portant sur le mobilier et les accessoires ainsi que sur le monte-charge et une pré-réception le 17 juillet 2008 ayant donné lieu à une levée des réserves le 25 juillet 2008. Elle considère également, comme la société Agema, que la société Nespresso France avait la garde de la chose de sorte que l'article 1788 ne peut trouver à s'appliquer.
Les sociétés Agema et Serely estiment enfin que, la société Nespresso France ayant passé de nouveaux marchés sans se prévaloir de l'article 1788 du code civil, a implicitement mais nécessairement renoncé à s'en prévaloir, et que sa demande est abusive et leur cause préjudice puisqu'elles ont mobilisé leurs équipes pour satisfaire l'appelante en période de congés annuels.
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Par conclusions du 6 mai 2016, la société Krempp architecture conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité des demandes de la société Nespresso France, subsidiairement au débouté et à la confirmation du jugement. Elle sollicite la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une indemnité de procédure de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Subsidiairement, elle demande la garantie de la société Ordotec Ingénierie à hauteur de 40 %.
La société Krempp architecture soutient que les dispositions des articles 1789 et 1790 du code civil ne sont pas applicables à l'architecte dans la mesure où la garde de la chose, qui sert de fondement à ces dispositions, ne lui est pas confiée, et elle en déduit que la demande est irrecevable pour défaut de droit d'agir, en tous cas, mal fondée.
Subsidiairement, elle considère que la société Nespresso France avait la garde du local, s'agissant de travaux exécutés à l'intérieur d'un bâtiment existant. Elle soutient qu'en vertu des stipulations contractuelles, les entreprises ne sont gardiennes que de leurs travaux, la société Nespresso France étant responsable des dommages affectant leurs ouvrages du fait d'un défaut lié à l'intégrité du local, de sorte que, si tant est que les entreprises puissent être tenues de rembourser le maître de l'ouvrage, elles auraient un recours contre lui.
La société Krempp architecture soutient encore que la société Nespresso France n'a pas avancé le coût des travaux comme elle le prétend, mais qu'elle a passé commande en toute connaissance de cause et sans émettre de réserves quant à la prise en charge du coût de ces travaux, alors même que l'expert de son assureur, qui déniait sa garantie, lui avait clairement indiqué, dès le 5 août 2008, qu'elle n'avait pas à en supporter le coût. Elle considère qu'il ne s'agit pas d'un double paiement d'une même prestation mais du paiement de prestations distinctes.
Elle sollicite enfin des dommages et intérêts pour procédure abusive, la société Nespresso France ayant exécuté ses engagements de mauvaise foi et, subsidiairement, demande la garantie partielle de son sous-traitant, la société Ordotec Ingénierie, à concurrence des honoraires qu'elle a perçus pour les travaux de réfection, soit 3 200 euros HT sur les 8 500 euros dont la restitution est réclamée, le cas échéant sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
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Par conclusions du 19 novembre 2015, la société Ordotec Ingénierie conclut au rejet de l'appel, demande à la cour de constater que la société Nespresso France ne formule aucune demande contre elle et de la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle conclut au rejet de l'appel en garantie de la société Krempp architecture et sollicite sa condamnation au paiement d'une indemnité de procédure de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'elle n'est pas entrepreneur, mais seulement sous-traitante partielle du maître d'oeuvre, et qu'elle n'est en rien responsable du sinistre.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 mai 2016.
MOTIFS
Sur les demandes dirigées contre la société Serely et la société Agema
Les société Serely et Agema ne peuvent sérieusement soutenir que les travaux auraient fait l'objet d'une réception partielle les 24 et 25 juillet 2008, alors qu'il résulte des pièces produites que le 17 juillet 2008 a été dressé un procès verbal de pré-réception décrivant les travaux à achever en vue de la réception des travaux prévue le 29 juillet 2008, que cette date a été rappelée à tous les intervenants par le bureau Ordotec Ingenierie, par courrier électronique du même jour précisant qu'il s'agissait d'une réception TCE (tous corps d'état), ce qui excluait une réception partielle par lots, quand bien même ce courriel évoquait-t-il une "réception" du mobilier le 24 juillet 2008, et qu'enfin, le document de levée des réserves établi par la société Serely le 25 juillet 2008, dans le cadre des opérations préalables à la réception, n'a pas été contresigné par le maître de l'ouvrage qui avait seul qualité pour lever les réserves.
Il résulte du constat dressé le 28 juillet 2008 par Me X..., huissier de justice, à la demande de la société Agema, et il n'est pas contesté, que le sinistre trouve son origine dans le débordement du chéneau de la toiture surplombant la cour intérieure de l'immeuble, situé au niveau d'une fenêtre du premier étage, lequel s'est trouvé obstrué par un fragment de film polyane vraisemblablement arraché par le vent de l'immeuble voisin en travaux dont les fenêtres étaient bâchées avec ce matériau.
La preuve d'un défaut d'entretien du chéneau n'est pas rapportée et il n'est au demeurant pas établi que l'entretien du chéneau incombait à la société Nespresso France, qui n'est pas propriétaire de l'immeuble mais seulement locataire d'un volume comprenant le local commercial du rez-de-chaussée et une partie du premier étage, l'immeuble comportant deux étages, des combles et des sur-combles, un constat de dégât des eaux ayant d'ailleurs été dressé avec le bailleur le 4 août 2008.
Le sinistre étant survenu avant réception des travaux, sans que le maître de l'ouvrage ait été mise en demeure de recevoir la chose, et trouvant son origine dans une cause étrangère aux cocontractants, les dispositions de l'article 1788 du code civil sont donc applicables, contrairement à l'opinion du premier juge, s'agissant, entre les parties, d'un problème de charge des risques et non pas de responsabilité.
Il ne saurait être reproché au maître de l'ouvrage de ne pas avoir appelé en cause le tiers dont le fait aurait pu concourir à la perte de la chose, lequel ne peut exonérer les entreprises des obligations pesant sur elles en application des dispositions précitées.
Les travaux entrepris consistaient en une rénovation et en un réaménagement total des locaux, le rez-de-chaussée étant à l'état brut et l'ensemble des installations étant dans un état de vétusté avancée, ainsi que cela résulte de l'état des lieux d'entrée dressé entre la société Nespresso France et la société bailleresse. Ces travaux comprenaient notamment des travaux de démolition, de maçonnerie, de menuiseries intérieures et extérieures, d'électricité, de carrelage, de peinture et revêtement de sol...
Il n'est nullement démontré que la société Nespresso France, qui n'est pas propriétaire de l'immeuble et qui n'exerçait dans les lieux aucune activité, avait conservé la garde des locaux, ni même qu'elle disposait des clés. À cet égard, il n'est pas sans intérêt de relever que le constat d'huissier dressé le 28 juillet 2008 a été établi, non pas à l'initiative du maître de l'ouvrage, mais de la société Agema, qui a constaté les dégâts lorsqu'elle s'est présentée sur le chantier.
La discussion sur la question de "la clôture du chantier" est enfin sans emport dès lors qu'il s'agit de travaux de rénovation réalisés à l'intérieur du bâtiment lesquels ne sont pas exclus du champ d'application de l'article 1788 du code civil.
L'article 7.01 du cahier des clauses administratives particulières dispose en outre expressément que l'entrepreneur garde la responsabilité de ses travaux (responsabilité, dommages matériels, dégradations et vols), que la cause soit volontaire ou involontaire, jusqu'à leur achèvement marqué par la réception des travaux par le maître de l'ouvrage.
Il est ainsi suffisamment établi que la garde du chantier avait été transférée aux entreprises.
Les travaux confiés à la société Agema et à la société Serely impliquant par leur nature et leur consistance la fourniture de matière par les entreprises, la société Nespresso France est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 1788 du code civil à leur égard.
La société Serely ne peut utilement soutenir que ces dispositions ne seraient pas applicables au motif que les travaux de remise en état, qui ont fait l'objet d'un second ordre de service, n'ont pas péri, alors qu'il ne s'agit pas de prestations distinctes mais de travaux de remise en état dont elle était légalement tenue de supporter la charge, la circonstance qu'ils aient fait l'objet d'un ordre de service distinct n'étant pas de nature à l'exonérer de cette obligation.
C'est tout aussi vainement que les intimées prétendent que la société Nespresso France aurait renoncé à se prévaloir de ces dispositions en commandant et en réglant, sans réserve, les travaux de remise en état, en connaissance de cause, son assureur lui ayant indiqué dans un courrier du 5 août 2008 que le sinistre ne relevait pas de la garantie dégâts des eaux mais incombait aux assureurs des entreprises et qu'elle ne devait pas payer ces entreprises.
En effet, compte tenu de l'urgence de réaliser les travaux afin de ne pas retarder l'ouverture de la boutique prévue au début du mois de septembre 2008, de la nécessité de trouver des entreprises acceptant d'intervenir en période estivale et de la perspective de pourvoir exercer un recours contres les assureurs des entreprises qui avaient régularisé des déclarations de sinistre, il ne peut être déduit de l'attitude de la société Nespresso France aucune renonciation non équivoque de sa part à se prévaloir des dispositions précitées.
Le jugement sera donc infirmé et la demande accueillie sur le fondement de l'article 1788 du code civil en tant que dirigée contre la société Serely et la société Agema, chacune pour le montant de ses travaux ayant péri, soit 17 000 euros HT pour la première et 48 983,73 euros HT pour la seconde, les prestations non comprises dans les prestations initiales (pose de grilles sur le chéneau) ne pouvant être mises à leur charge sur ce fondement puisque l'entrepreneur n'est tenu que dans la limite de la chose qu'il s'était engagé à fournir.
Ces sommes porteront intérêts au taux légal au taux légal à compter de l'assignation du 23 juillet 2010.
Sur les demandes dirigées contre la société Krempp architecture
Le jugement sera toutefois confirmé en ce qu'il a débouté la société Nespresso France de sa demande en tant que dirigée contre la société Krempp architecture, laquelle n'a pas fourni la matière mais seulement son industrie.
En effet, l'article 1789 du code civil, suppose la preuve d'une faute. Or, il résulte de ce qui précède que la perte de la chose n'est pas due à l'impéritie du maître d'oeuvre ou des entreprises concernées mais à un cas fortuit, l'engorgement d'un chéneau obstrué par un élément extérieur au chantier lors d'un violent orage.
Les dispositions de l'article 1790 du code civil ne sont pas davantage susceptibles de recevoir application en l'espèce, dès lors que ce texte ne prévoit que la perte de la rémunération afférente aux travaux détruits, alors que la demande porte sur la restitution de la rémunération versée pour une prestation différente, à savoir le suivi et la coordination des travaux de remise en état des locaux endommagés.
La société Nespresso France, qui a payé les entreprises alors qu'elle avait été dûment informée par son assureur de ce qu'elle n'avait pas à les régler, ne peut enfin reprocher au maître d'oeuvre de ne pas avoir veillé à ce qu'elle ne paie pas deux fois les mêmes prestations.
Le jugement étant confirmé en ce qu'il a rejeté la demande dirigée contre la société Krempp architecture, l'appel en garantie de cette dernière dirigé contre la société Ordotec est sans objet.
Sur les autres demandes
La demande de la société Nespresso France étant accueillie à l'égard des sociétés Serely et la société Agema, celles-ci seront déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive. Il en sera de même de la demande formée par la société Krempp architecture de ce chef, en l'absence d'abus de procédure caractérisé.
En considération de la solution du litige, il sera procédé à un partage des dépens de première instance et d'appel qui seront supportés à concurrence de la moitié par la société Agema, d'un quart par la société Serely et d'un quart par la société Nespresso France.
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elle a exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant, contradictoirement, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg, chambre commerciale, en date du 21 novembre 2014, sauf en ce qu'il a débouté la société Nespresso France de sa demande dirigée contre la société Krempp architecture et contre la société Ordotec Ingenierie ;
Statuant à nouveau pour le surplus,
CONDAMNE la SAS Serely à payer à la SAS Nespresso France la somme de 17 000 € HT (dix sept mille euros), outre intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2010 ;
CONDAMNE la SARL Agema services à payer à la SAS Nespresso France la somme de 48 983,73 € HT (quarante huit mille neuf cent quatre vingt trois euros, soixante treize centimes), outre intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2010 ;
DIT n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL Agema à supporter les dépens de première instance et d'appel à concurrence de moitié, la SAS Nespresso France et la SAS Serely à concurrence d'un quart chacune.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE