EP/KG
MINUTE N° 22/909
NOTIFICATION :
Pôle emploi Alsace ( )
Clause exécutoire aux :
- avocats
- délégués syndicaux
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 22 Novembre 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/01694
N° Portalis DBVW-V-B7F-HRNN
Décision déférée à la Cour : 08 Mars 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG
APPELANT :
Monsieur [I] [O]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Mathilde REIBEL, avocat au barreau de COLMAR
INTIMEE :
S.A.R.L. FISCHER KIENTZI ET FILS
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : 508 183 100 00017
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Julie DRECHSLER-EDEL, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. PALLIERES, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat de travail du 12 mai 2014, Monsieur [I] [O] a été engagé, par la Sarl Fischer Kientzi et Fils, à compter du même jour et pour une durée de 3 mois, en qualité de boucher charcutier qualifié, au coefficient 200 de la convention collective nationale de la charcuterie de détail, pour une durée hebdomadaire de travail de 42 heures en contrepartie d'une rémunération mensuelle nette de 1 700 €, prime de présence incluse.
Par avenant du 6 août 2014, la durée de ce contrat a été prolongée jusqu'au 4 juillet 2015.
Par avenant du 25 septembre 2014, le lieu de travail a été modifié, le salarié étant affecté à [Localité 4] à compter du même jour.
Le 9 juillet 2018, Monsieur [O] a été victime d'un accident de travail, reconnu comme tel par la caisse primaire d'assurance-maladie du Bas-Rhin, et placé en arrêt jusqu'au 4 septembre 2018.
Par lettre recommandée avec accusé de réception, du 18 septembre 2018, reçue par l'employeur à une date non précisée, Monsieur [O] a notifié à ce dernier sa démission du poste de boucher avec effet au 3 octobre 2018, le salarié invoquant les dispositions du droit local alsacien mosellan relatives au délai.
Par lettre recommandée avec accusé de réception, postée le 19 novembre 2018, la société Fischer Kientzi et Fils a sollicité de ce dernier, afin de compléter les demandes de complément de salaire auprès de la société de prévoyance AG2R, la copie des décomptes de versement des indemnités journalières de la caisse primaire d'assurance maladie pour 2 périodes d'arrêt de travail.
Par requête du 18 mars 2019, Monsieur [I] [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg, section commerce, de demandes de condamnation de la société Fischer Kientzi et Fils à lui payer un rappel de salaire au titre des jours de carence, outre congés payés y afférents, une indemnité compensatrice de congés payés pour la période d'arrêt de travail du 9 juillet au 4 septembre 2018, un rappel de salaire relatif à la période d'arrêt de travail pour accident du travail, un rappel de salaire en exécution de la rémunération prévue au contrat à durée déterminée, une indemnité pour inexécution de bonne foi du contrat de travail par l'employeur, outre la condamnation de la société à lui délivrer un bulletin de salaire pour le mois de septembre 2018.
Par jugement du 8 mars 2021, ledit conseil de prud'hommes a débouté Monsieur [O] de ses demandes, dit n'y avoir lui application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné Monsieur [O] aux dépens.
Par déclaration du 23 mars 2021, Monsieur [O] a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.
Par écritures, transmises par voie électronique le 9 février 2022, Monsieur [I] [O] sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de délivrance d'un bulletin de paie du mois de septembre 2018, et que la cour, statuant à nouveau, condamne la société Fischer Kientzi et Fils à lui payer les sommes de :
* 6 354,80 euros nets au titre de rappel de salaire,
* 635,48 euros nets au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur le rappel précédent,
* 155, 49 euros à titre de solde de l'indemnité compensatrice de congés payés pour la période d'arrêt de travail suite à accident du travail,
* 677,46 euros au titre du solde du maintien de salaire pendant la période d'arrêt de travail pour accident du travail,
* 67,74 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur la période précédente,
* 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour inexécution de bonne foi du contrat de travail,
outre la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Par écritures, transmises par voie électronique le 1er août 2022, la société Fischer Kientzi et Fils sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 27 septembre 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère aux conclusions susvisées pour plus amples exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
Sur le rappel de salaire et la modification de la rémunération
Selon l'article 1334, ancien alors applicable à la date de formation du contrat contesté, du code civil, les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée.
Selon 1348, ancien alors applicable à la date de formation du contrat contesté, les règles ci-dessus reçoivent encore exception lorsque l'obligation est née d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit, ou lorsque l'une des parties, soit n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l'acte juridique, soit a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par suite d'un cas fortuit ou d'une force majeure.
Elles reçoivent aussi exception lorsqu'une partie ou le dépositaire n'a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable. Est réputée durable toute reproduction indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible du support.
Monsieur [O] conteste avoir signé le contrat de travail à durée indéterminée, produit en copie par la société Fischer Kientzi et Fils, alors que cette dernière n'a pas été en mesure de produire l'original du document, et calcule l'arriéré de salaires en fonction de la rémunération prévue initialement par le contrat à durée déterminée.
Une photocopie, en l'espèce, qui ne constitue pas une reproduction indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible du support, ne peut faire foi du contenu de l'original dénié par celui auquel on l'oppose.
En conséquence, la copie du contrat de travail à durée indéterminée, dont la signature et l'existence, même, est contestée par Monsieur [O], n'a aucune force probante.
A titre surabondant, il est relevé, comme soutenu par Monsieur [O], que la signature et la mention " Lu et approuvé " qui lui sont attribuées, sur le contrat à durée indéterminée, sont la copie servile des mêmes écritures, qu'il reconnaît avoir apposées, sur l'avenant, au contrat à durée déterminée, du 6 août 2014.
Or, il est impossible qu'une personne reproduise un graphisme strictement identique (seule la prolongation d'un trait n'apparaissant pas).
La cour relève, d'ailleurs, que les autres mentions manuscrites et signatures, reconnues par Monsieur [O], figurant sur le contrat de travail à durée déterminée, sur l'avenant du 24 septembre 2014, et sur sa lettre de démission, comportent des différences notables entre elles, bien que se ressemblant.
La vérification d'écritures permet de conclure que Monsieur [O] n'a ni signé, ni apposé la mention " Lu et approuvé " sur le document intitulé " contrat de travail à durée indéterminée " du 5 juillet 2015.
Les bulletins de paie, produits, couvrant la période de juillet 2014 à octobre 2018, font apparaître une diminution de la rémunération nette totale par diminution de la prime de présence.
La rémunération du salarié, qui constituait un élément contractualisé par les parties, ne peut être modifiée sans l'accord du salarié.
La force probante du contrat de travail à durée indéterminée devant être écartée, et les relations contractuelles s'étant poursuivies après le 16 août 2014, le contrat de travail à durée déterminée s'est transformé en une relation de travail à durée indéterminée régie par les conditions initialement prévues par les parties, soit, s'agissant de la rémunération, un salaire mensuel net de 1 700 euros, prime de présence incluse, pour une durée de travail hebdomadaire de 42 heures.
Il convient, dès lors, d'infirmer le jugement entrepris sur ce point et de faire droit à la demande de condamnation de la société Fischer Kientzi et Fils au paiement de la somme de 6 354, 81 euros qui apparaît une juste évaluation du rappel de salaire au regard de la rémunération convenue entre les parties et du décompte de Monsieur [O] en sa pièce n°9, l'appelant ayant, de lui-même, écarté les sommes atteintes par la prescription.
L'indemnité compensatrice de congés payés, sur ce rappel de salaire, s'élève donc à la somme de 635, 48 euros.
Sur le solde d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période d'arrêt de travail suite à accident du travail
Selon l'article L 3141-5 5° du code du travail, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé.
Monsieur [O] a été en arrêt de travail suite à accident de travail du 9 juillet au 4 septembre 2018.
Si Monsieur [O] reconnaît avoir reçu une somme de 384, 43 euros au titre des congés payés acquis pendant cette période, il sollicite un solde, à ce titre, de 155,49 euros en suite au calcul suivant : 1 976, 30 X 6, 83/25 dont à déduire la somme reçue.
Sauf dispositions plus favorables, le droit commun prévoit l'acquisition d'un solde de 2,5 jours ouvrables de congés payés pour 4 semaines travaillées, sans pouvoir excéder 30 jours ouvrables, c'est-à-dire 12 (mois de la période d'acquisition) * 2,5 (jours ouvrables).
En conséquence, Monsieur [O] a acquis, sur la période concernée, :
8 semaines / 4 X 2,5 = 5 jours de congés payés.
Compte tenu du montant du salaire brut de 2 270, 25 euros, qu'aurait dû percevoir le salarié pour les motifs supra, il aurait dû recevoir une somme de 454, 05 euros bruts.
En tenant compte de la somme perçue, l'employeur reste devoir une somme de
69, 62 euros bruts.
Sur le droit au maintien du salaire pendant l'arrêt de travail
Selon l'article 20.A de la convention collective de la charcuterie de détail, en cas d'arrêt de travail consécutif à une maladie ou à un accident, professionnel ou non, pris en compte par la sécurité sociale, les salariés ayant une ancienneté minimale de 12 mois dans l'entreprise bénéficieront des indemnités journalières complémentaires dont le montant, y compris les prestations de sécurité sociale brutes, est défini dans les conditions ci-après :
Pour les salariés non cadres dont l'ancienneté dans l'entreprise au jour de l'interruption de travail est au moins égale à 1 an : le montant de l'indemnisation est égale à 90 % de gain journalier pendant une période de 30 jours (augmentée de 10 jours par tranche de 5 ans d'ancienneté) puis à 75 % du gain journalier :
- jusqu'au 240e jour d'arrêt de travail pour les salariés ayant moins de 10 ans d'ancienneté'
En cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, l'employeur prend en charge le premier jour d'arrêt de travail, les indemnités journalières complémentaires étant versées à compter du 2e jour d'arrêt de travail.
Pour justifier de sa demande de rappel de rémunération pendant la période d'arrêt de travail, Monsieur [O] invoque les dispositions de la convention collective nationale de la charcuterie de détail.
Nonobstant les écritures de Monsieur [O], la convention collective applicable ne prévoit pas un maintien total du droit au salaire.
Compte tenu d'une rémunération brute mensuelle de 2 270, 25 euros, et de l'absence pour cause d'accident du travail du 9 juillet au 3 septembre inclus, les sommes qui auraient été dues se présentent comme suit :
- Jour de carence pris en charge par l'employeur : 73, 23 euros,
- 22/31 X 2 270, 25 = 1 611, 15 euros X 90 % = 1 450, 03 euros,
- 8/31 X 2 270, 25 = 585, 87 euros X 90 % = 527, 28 euros,
- 23/31 X 2 270, 25 = 1 684, 38 X 75 % = 1 263, 28 euros,
- 3/30 X 2 270, 25 = 227, 02 X 75 % = 170, 26 euros,
Soit au total la somme de 3 473, 10 euros bruts.
Monsieur [O] déduit des sommes à percevoir la somme versée par AG2R, au titre du contrat de prévoyance.
En retenant son raisonnement sur ce point, il aurait dû recevoir une somme totale de :
3 484, 08 - 2 401, 79 - 550, 64 = 531, 65 euros, outre 53, 16 euros au titre des congés payés y afférents.
Ayant perçu une somme de 606, 94 euros, régularisée en première instance, il a été rempli de ses droits.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé sur le rejet de la demande de rappel de maintien au titre du maintien du droit au salaire pendant l'arrêt de travail,
outre de la demande au titre des congés payés y afférents.
Sur l'indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail
Selon l'article 1153 ancien du code civil, applicable avant le 1er octobre 2016, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement.
Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit.
Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.
Selon l'article 1231-6 du code civil, applicable depuis le 1er octobre 2016, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
En ne payant pas le salaire mensuel conventionnel à compter du mois de juillet 2014 et jusqu'à la démission du salarié, la société Fischer Kientzi et Fils a créé un préjudice à Monsieur [O], qui n'est pas indemnisé par les intérêts moratoires de la créance qui courent, sur les sommes réclamées au titre du rappel de salaire et des congés payés y afférents, à compter de la réception, par la société, de la convocation à comparaître envoyée par le greffe du conseil de prud'hommes, dès lors qu'il n'a pu disposer, en son temps, de la différence mensuelle entre la somme versée et celle due, alors que Monsieur [O] avait la charge d'une famille.
La cour évalue ce préjudice à la somme de 1 500 euros, au paiement de laquelle sera condamnée la société Fischer Kientzi et Fils, de telle sorte que le jugement entrepris sera également infirmé sur ce point.
Sur les demandes annexes
En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société Fischer Kientzi et Fils sera condamnée aux dépens d'appel et de premier ressort.
En application de l'article 700 du même code, elle sera condamnée à payer à Monsieur [O] la somme de 1 000 euros.
La demande, à ce titre, de la société Fischer Kientzi et Fils, sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la Loi,
INFIRME le jugement du 8 mars 2021 du conseil de prud'hommes de Strasbourg SAUF en ce qu'il a rejeté les demandes de solde de salaire au titre du maintien de salaire pendant l'arrêt de travail pour accident du travail, et de solde au titre des congés payés y afférents ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la Sarl Fischer Kientzi et Fils à payer Monsieur [I] [O] les sommes suivantes :
* 6 354, 81 euros bruts (six mille trois cent cinquante quatre euros et quatre vingt un centimes) à titre rappel de salaire,
* 635, 48 euros bruts (six cent trente cinq euros et quarante huit centimes) au titre des congés payés sur le rappel de salaire précédent,
* 69, 62 euros bruts (soixante neuf euros et soixante deux centimes) à titre de solde d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période d'arrêt de travail suite à accident du travail,
* 1 500 euros (mille cinq cents euros), à titre d'indemnité pour inexécution de bonne foi du contrat de travail ;
CONDAMNE la Sarl Fischer Kientzi et Fils à payer à Monsieur [I] [O] la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de la Sarl Fischer Kientzi et Fils au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Sarl Fischer Kientzi et Fils aux dépens d'appel et de première instance.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.
Le Greffier, Le Président,